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Vers un gâchis des compétences?

Yann Takvorian, Lunes, Octubre 1, 2007 - 03:33

Yann Takvorian

L'immigration économique, c'est faire venir des professionnels pour utiliser leurs compétences. L'immigration de peuplement, c'est compenser le refus de procréation des autochtones. Mais faire du peuplement avec de l'économique, c'est se complaire dans un scandaleux gâchis!

Alors que de nombreuses universités françaises pratiquent la délocalisation des diplômes, certains pays comme le Canada pratiquent encore une politique inverse. Délocaliser un diplôme, c’est permettre à des étudiants de pays partenaire d’acquérir une formation de haut niveau sans quitter leur région. Pour les Universités françaises, l’avantage se retrouve dans des collaborations croisées. Pour les entreprises et commanditaires participants, c’est l’occasion de s’ouvrir à d’autres marchés. Pour les pays hôtes, c’est l’assurance de garder leurs meilleurs éléments sur place. Ainsi, même si la délocalisation a un coût, elle contribue à la mondialisation du savoir et des compétences.

Les jeunes diplômés, les chercheurs d’expérience et les professionnels qualifiés sont les moteurs de l’innovation et de l’économie d’une région. Mettre en place les infrastructures pour les former et les retenir garantit tout du moins un probable dynamisme économique. Face à la mondialisation, c’est un réflexe adopté par de nombreux pays d’Europe et d’Asie. Chacun veut former, attirer et retenir son gotha et le Président Nicolas Sarkozy n’a fait que reprendre à son compte un souhait bien généralisé.

L’Amérique du Nord a bénéficié pendant des décennies d’un pouvoir attracteur considérable et à ainsi bénéficié d’un apport régulier et opportun de cerveaux. Il lui a suffit d’ouvrir ses portes jusqu’à pousser l’insolence avec une Loterie. Faire un Master aux États-Unis, décrocher un diplôme d’une Université Américaine, obtenir une bourse d’étude ou une Carte Verte, est encore un sésame pour une carrière enviée. Une fois sur place, les facilités d’emploi pour les meilleurs éléments étrangers finissent par priver les pays d’origine d’un savoir-faire mais au moins, elle n’est pas perdue pour tout le monde!

La Chine, depuis quelques années, cherche également à rapatrier sa diaspora cadre pour conforter l’envolée triomphante de son économie. Tous les ponts d’or sont bons pour ces Américains, Européens ou Australiens, à l’aise dans plusieurs cultures, souvent trilingues et rompus aux techniques de travail occidentales. Nombreux se laissent tenter par les opportunités offertes et s’installent en famille à Beijing ou Shanghai.

À l’opposé de ce grand troc des compétences de la nouvelle économie du Savoir, certains pays en sont encore à pratiquer une immigration de peuplement. Ainsi, le Canada attire tous les ans 200000 immigrants dont une majorité constituée de professionnels qualifiés. Le Québec, par des campagnes agressives de recrutement dans le monde entier, charme 45000 immigrants chaque année; le gros de la cohorte étant également constitué de professionnels qualifiés.

Or, quelque soit les pays de provenance, ces professionnels priveront d’un part leur pays d’origine de compétences pourtant financées par leurs impôts, mais surtout, gaspilleront leurs acquis dans un programme de peuplement qui n’a rien d’économique.

Usant d’argumentaires fallacieux, le Canada comme le Québec vont s’abreuver aux forces vives de pays émergeants, fragilisant leur dynamique de croissance et d’innovation. Ils ne leur demanderont pas de venir lutter contre le vieillissement de la population et de faire des enfants que les autochtones ne font plus, pour des raisons que l’on cachera soigneusement; on leur proposera au contraire de se joindre « à une dynamique formidable d’opportunités, dans une région de tous les possibles! »

Les immigrants sélectionnés en Asie, en Europe, en Amérique du Sud et au Maghreb le sont principalement sur la base de leurs diplômes, expertise professionnelle et moyens financiers. S’ils sont jeunes, riches et instruits, ils seront bons pour le voyage! On peut facilement imaginer qu’ils représentent pourtant une grande richesse pour leur pays d’origine, qui a dépensé en temps et en infrastructures beaucoup d’argent pour les former. Ce n’est pas facile de se faire déposséder de ses meilleurs éléments, d’autant qu’en partant exercer ailleurs une activité professionnelle, en allant faire de la recherche ou créer des entreprises à l’étranger, les immigrants qualifiés transfèrent une partie du potentiel économique et de développement, de leur pays vers un autre.

Certains diront alors que c’est le jeu de l’ouverture des marchés et de la libre circulation des personnes. L’expérience acquise ailleurs par ces immigrants reviendra peut-être au pays d’origine et lui profitera, un peu comme de grands échanges culturels et de coopération.

Ceci étant vrai à condition que nombre de ces immigrants économiques ne frappent pas le mur du corporatisme! Au Canada et plus encore au Québec, la non-reconnaissance des diplômes, des formations, des expériences ainsi que les différences culturelles et linguistiques seront à la défaveur des nouveaux venus. Il faut une dizaine d’années à un immigrant qualifié pour retrouver le niveau de vie qu’il avait avant d’arriver dans son pays d’accueil. Combien d’autres doivent d’ailleurs abandonner leurs acquis, recommencer au bas de l’échelle, dépenser leurs économies pour obtenir sur place un diplôme pourtant identique. Combien, abandonnent et retournent avec l’échec et le désaveu en viatique. Combien insistent et s’étiolent dans des jobines alimentaires, incapables de revenir en arrière. Et quand bien même ils le feraient, ils auraient l’allure de réfugiés dans leurs propre pays et cette seule idée les en dissuade.

Pourquoi alors les avoir fait venir? Pourquoi avoir dépouillé leur pays d’origine en pure perte? Avec ce gâchis économique et humain, nous sommes loin, finalement, de la délocalisation des diplômes et des échanges croisés d’aptitudes. Nous sommes dans le processus totalement inverse : un formidable gaspillage de compétences!

Pour contrer la supercherie de ce genre d’immigration, il importe non seulement d’en prendre collectivement conscience, mais de la dénoncer et d’encourager plutôt les vrais programmes de délocalisation de diplômes qui sont finalement, une version moderne et équitable de la coopération économique et de la répartition du Savoir.



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