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La coquille vide du Parti communiste chinois, par Cai Chongguo

Anonyme, Viernes, Septiembre 21, 2007 - 13:40

On aura rarement vu, pour la fête anniversaire du parti, le 1er juillet, une ambiance aussi déprimée en Chine. Depuis la fin du mois de mai, les sites Internet ont dénoncé les scandales des conditions de travail et, pour commencer, celui des ouvriers esclaves employés dans une briqueterie. La presse et la télévision officielles elles-mêmes ont dû parler de cette affaire. La briqueterie du Shanxi employait trente-deux gosses. Quelques jours plus tard, quatre cents pères d'enfants disparus ont lancé un appel de recherche désespéré. Tous les médias et sites Internet ont évoqué ces scandales : des enfants de 8 à 13 ans, réduits à l'esclavage dans cette briqueterie, subissaient des sévices quotidiens, sans aucun salaire et laissés plusieurs mois sans possibilité de se laver.

Cette barbarie a été dévoilée dans une Chine qui compte déjà 150 millions d'internautes et 50 millions de blogueurs. Le réseau a fourni un espace de discussion et de commentaires comme on n'en avait jamais vu depuis 1989. Chaque émotion manifestée devant le sort réservé à ces enfants a suscité un émoi cumulatif chez d'autres internautes. A cette émotion s'est ajoutée de l'indignation du fait de l'implication du parti et des autorités locales dans ces affaires. Le secrétaire du parti dans le village appartenait à la famille qui possédait la briqueterie et il était membre de l'assemblée populaire locale.
On s'est mis alors à reparler des explosions dans les mines, des trafics d'enfants ou du travail forcé, choses révélées depuis des années dans la presse mais d'une façon dispersée ; alors qu'aujourd'hui cette accumulation de faits frappe les esprits et provoque une sorte de choc. Devant cette indignation collective, la censure gouvernementale s'est trouvée paralysée pendant deux semaines et n'a pas su comment intervenir. Elle a laissé les internautes s'exprimer librement sur le sujet pour exprimer leurs colères et donner leurs analyses et leurs commentaires.
Ces discussions ont montré que le travail sous contrainte est en train de s'institutionnaliser un peu partout dans le pays et que, si les journaux avaient soulevé la question depuis longtemps, le gouvernement n'avait pratiquement pas réagi. Il en a résulté un flot de critiques, voire d'insultes, à l'égard des dirigeants et du parti, avec des phrases non censurées telles que : "Nous sommes tous des esclaves des gens de Zhongnanhai" ; "Ils se comportent en propriétaires d'esclaves". Autrement dit des termes mille fois plus durs que ceux des dissidents de naguère.
On a commencé à croire ce à quoi on ne croyait pas auparavant : par exemple, les critiques émanant des pays occidentaux au sujet des droits de l'homme ou de la tragédie de 1989 à Tiananmen. On s'est rendu compte que le pays pouvait laisser s'installer une extrême cruauté. L'on s'est mis à s'interroger sur le rôle historique du parti, au pouvoir depuis plus d'un demi-siècle, lui qui se vantait d'avoir permis au peuple chinois d'échapper à l'oppression et d'avoir sorti les paysans de l'esclavagisme.
Les débats mettent en cause aussi le fonctionnement du parti dans ses organisations de base, qui ne se contentent pas de défendre l'intérêt de patrons engagés dans une exploitation sans merci des ouvriers mais s'y impliquent directement. Reprenant les conceptions marxistes de l'histoire, les blogueurs ironisent : "Nous sommes parvenus à l'étape du communisme primitif et, selon les lois du matérialisme historique, nous en arrivons à la période esclavagiste, qui est désormais notre avenir".
Ainsi, en un mois, est parti en fumée tout le travail mené depuis cinq ans par les dirigeants actuels quant à la nécessité pour le parti d'être proche du peuple et quant à la construction d'une "société d'harmonie". Le terme même de "société harmonieuse" a pris un sens ironique : "harmoniser" est devenu synonyme de réprimer ou de censurer. On ne dit plus : "on l'a arrêté", mais "on l'a harmonisé" ; "on a censuré mon article" est remplacé par "mon article a été harmonisé"... Ces discussions ébranlent profondément la crédibilité du parti et son autorité. Elles mettent en cause jusqu'à son rôle historique et à sa nature au moment où on s'apprête à en fêter l'anniversaire. Mais le malaise ne s'arrête pas là : il touche aussi l'organisation du PCC.
En octobre 2006, un jeune chercheur de l'Institut politique de la jeunesse (à Pékin), M. Chen Shengluo, a remis un rapport de recherche menée sur le terrain pour observer comment le parti s'organisait au sein des entreprises d'Etat, naguère un de ses bastions. Conclusion : il n'y a pratiquement plus d'organisation à la base ; sur 70 millions de membres, 40 millions seraient inactifs ou "laisseraient glisser".
Il faut dire que, depuis dix ans, avec les privatisations et les fermetures d'usines, beaucoup de membres du parti ont été licenciés ; d'autres, les paysans membres du parti, ont quitté la campagne et abandonné leur groupe politique initial et sont devenus "communistes immigrants". En ville, ils ne trouvent pas d'association équivalente dans les entreprises étrangères dont le patronat, venu de Hongkong ou de Taïwan, s'intéresse peu à la présence de communistes dans ses entreprises.
Certains vont jusqu'à dire du PC qu'il s'agit d'un parti clandestin ! En effet, 60 % des entreprises sont privées ou appartiennent à des capitalistes étrangers. Nombre de patrons n'ont donc pas de carte du parti, bien que ce soient eux qui prennent les décisions ; la cellule du parti se borne à soutenir leurs choix. Autrement dit, dans l'entreprise, c'est plutôt les capitalistes qui dirigent le parti que l'inverse ; ils peuvent licencier les salariés, membres ou non du PC.
Dans cette situation peu glorieuse, nombre de communistes n'avouent plus leur appartenance. Ils redoutent les moqueries et, en outre, se faire reconnaître comme communiste compliquerait pour eux la recherche d'un autre emploi. Dans l'entreprise, d'ailleurs, avec des journées de travail de douze ou quatorze heures, il n'y a souvent ni temps ni local réservé pour mener les activités du parti.
Dans l'idéologie officielle, le parti constitue toujours une "avant-garde" de classe ouvrière et de paysans, dirige le pays vers la société communiste. Mais personne ne croit plus à cette fiction dans une Chine où la croissance s'emballe sur les marchés extérieurs. Cette crise n'est pas sans engendrer de graves problèmes, et d'abord sur les motifs d'adhésion.
Pourquoi aujourd'hui adhérer au Parti communiste ? Les motivations glorieuses d'autrefois ont disparu, et il n'y a plus guère d'idéologie depuis la fin des années 1970. Maintenant, l'on adhère par intérêt personnel, pour obtenir une promotion, par arrivisme. Les candidats se recrutent donc souvent dans les milieux affairistes. Les pratiques courantes de corruption les éloignent des gens honnêtes et talentueux, soucieux de garder leurs distances envers le parti. On doit cependant reconnaître que l'organisation se maintient dans plusieurs sphères de la société, et notamment dans l'armée, dans la police et dans l'administration. Mais ailleurs, dans les campagnes ou dans les usines, on peut dire qu'il s'agit pratiquement d'une coquille vide.
Un tel parti, sans organisation de base ni prestige et dont les membres s'attirent le mépris de la population, ne peut plus absorber les élites politiques et les forces vives de la population. Il dirige un pays à la puissance grandissante et de plus en plus complexe. Il lui faut donc inévitablement se poser la question de son avenir et de celui du monde. A 86 ans, il est entré dans une crise aux multiples aspects et symptômes, mais dont on ne voit pas l'issue pour l'instant.
02/02/07

Cai Chongguo, dissident chinois en exil en France, auteur de "Chine, l'envers de la puissance" (Editions Mango)



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