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Pérou: Les ONGs entre chien et loupAnonyme, Miércoles, Diciembre 13, 2006 - 21:32
Alex Boissonneault
Arrivé au pouvoir depuis quelques mois, le président Garcia peut se targuer de s’être attiré la faveur populaire. En revanche, le projet de loi présenté récemment et devant mener à un resserrement du contrôle de l’État sur les ONGs du pays, polarise la société péruvienne. Les motivations qui sous-tendent cette initiative légale relèvent de ce que les éléments conservateurs du Pérou entendent juguler l’influence de la gauche progressiste sur les organisations non gouvernementales. Or, encore une fois, les milieux défavorisés risquent fort d’être les premières victimes de cette nouvelle lutte pour le pouvoir. Par Alex Boissonneault, Professeur, Lima Déjà 100 jours. L’heure est au bilan pour le second gouvernement de Alan Garcia Pérez. À en croire les sondages, les péruviens sont plutôt satisfaits de leur nouveau président. Pas moins de 84% de la population approuvent jusqu’à maintenant sa gestion, selon la firme APOYO. Après la catastrophe du premier mandat de Garcia à la fin des années 80, certains diraient que l’on se contente de peu! Néanmoins, une première pierre s’est glissée dans la botte du Président. Si ses résolutions quant au retour de la peine de mort pour les abuseurs d’enfant, les terroristes et les « traîtres à la Patrie » ont été relativement bien avalées par la société civile, il en va bien autrement de son projet de loi sur le contrôle des organisations non gouvernementales, rendu public récemment. L’opposition n’a jamais été aussi forte depuis la prise du pouvoir de l’APRA (Alliance Populaire Révolutionnaire des Amériques –Parti de Alan Garcia). Et la critique aussi virulente. Pourtant, cette opposition n’est pas le fait des médias de communication, ou alors bien peu, taisant soudainement à l’annonce du nouveau projet de loi leurs vilipendes contre le Président vénézuelien Hugo Chavez, lequel on accusait de vouloir contrôler les ONGs. La gauche péruvienne et les ONGs L’opposition est venue d’ailleurs, et pour cause. Sans puiser sa force d’une seule source, la critique n’en émerge pas moins surtout d’un secteur désormais marginal de la politique péruvienne : la gauche progressiste. Une autre querelle entre cette dernière et l’APRA, selon le quotidien El Comercio. Car en s’attaquant aux ONGs, c’est l’ensemble des mouvements progressistes que le gouvernement cherche à affaiblir. En outre, on peut craindre sérieusement les dommages collatéraux de cet assaut du dernier bastion de la gauche. Brillant par son absence dans l’arène politique du pays, la gauche avait été littéralement humiliée lors des dernières élections. Mis ensemble, tous les partis dits progressistes n’avaient recueillit qu’un dérisoire 1,5% du vote populaire, ne gagnant pas même un seul siège au Congrès. Alors que deux décennies auparavant la droite pouvait compter sur un opposant aux reins solides, proprement organisé et fortement enraciné dans les masses, aujourd’hui, les conservateurs se disputent le pouvoir entre eux. Le panorama politique repose sur l’antagonisme des partis de la droite traditionnelle, du populisme nationaliste, du centre droit apriste et du Fujimorisme néolibéral. Même les évangélistes y trouvent leur place, avec le pasteur Humberto Lay, lequel avait surpris le Pérou aux dernières élections avec 4% des suffrages. De fait, d’aucuns ne saurait nier que les organisations non gouvernementales sont le dernier retranchement des sociaux-démocrates, communistes et socialistes péruviens de tout acabit. La guerre civile qui a secoué le vieux Tahuantinsuyo durant les décennies 80 et 90 a été fatale aux partis progressistes, qu’ils aient ou non participés à la lutte armée. Victimes de la répression, les militants de la gauche légale et illégale durent fuir la scène publique et se réfugier là ou on leur permettrait de continuer leur labeur en attirant le moins possible le feu des projecteurs. Le mouvement progressiste a conservé comme il le pouvait sa place dans les organisations qui lui étaient traditionnellement fidèles, mais il a trouvé son refuge dans les ONGs. Or, cette guerre, qui a fait plus de 60000 morts (Commission de la Vérité et de la Réconciliation, 2004), correspond dans sa durée aux mandats de trois gouvernements vigoureusement hostiles à la gauche. Ces derniers, par un fin jeu de répression et de propagande, ont réussit non seulement à abattre les mouvements progressistes mais à discréditer presque complètement les idées qu’ils véhiculaient. Au Pérou, accoler un « social » à toute étiquette politique est devenu subversif. Gauche rime désormais avec terrorisme. L’atmosphère est plus détendue à l’heure actuelle, et certains s’affairent déjà à réintroduire l’agenda social dans la politique péruvienne. Mais, comme on l’a vu aux dernières élections, la partie est loin d’être gagnée. Jadis omniprésents dans les universités, la fonction publique et la société civile en général, il est désormais connu que la gauche, chassée partout, n’a maintenue une présence que dans quelques syndicats ainsi que dans le lobby paysan. De même, si elle a pu amasser un certain capital politique dans sa campagne contre le traité de libre-échange avec les États-unis, il est indéniable que la véritable force des gauche se trouve dans l’influence qu’elles peuvent exercer sur les organisations non gouvernementales. Le projet de loi Selon le responsable de l’Agence péruvienne de coopération internationale (APCI), Augustin Haya de la Torre, éminence de l’APRA mais ancien militant socialiste, le Pérou reçoit chaque années approximativement 400 millions de dollars en aide internationale non remboursable. Notons toutefois qu’il s’agit seulement de l’argent canalisé par l’agence. Ce montant provient de l’aide de certains États, financement bilatéral, d’organismes internationaux tels que la Banque Mondiale, financement multilatéral, ou de sources privées. L’État est récipiendaire d’environ 180 millions de dollars de cette aide, alors que les quelques 900 ONGs actives inscrites à l’agence se partagent 210 des 220 millions restants (le reste est administré en bonne partie par des entreprises privées). Le Président Garcia, cité par la BBC, avance quant à lui le chiffre de 500 millions de dollars comme montant total reçu par les ONGs provenant de fonds publics et privés. Or, la majorité de l’aide internationale dont bénéficie le Pérou provient de source étasunienne et est consacrée à la lutte contre la production et le trafic de drogue. Pour un pays dont les dépenses publiques se chiffrent à moins de 20 milliards de dollars par an, il est aisément constatable que par leur seul poids économique les organisations non gouvernementales se posent en acteur clef du développement national. Une situation problématique pour le régime. Car cet outil considérable, définitivement influencé par ses éléments progressistes, s’est toujours avéré profondément critique face aux gouvernements et aux grandes entreprises. Les ONGs sont fortement engagées au Pérou dans la défense de l’environnement, du respect des droits humains et de lutte contre la pauvreté. Elles ont joué un rôle primordial, notamment, dans la chute de la présidence autoritaire et largement corrompue d’Alberto Fujimori. « Neutraliser les ONGs qui incommodent les groupes de pouvoir économique et politique », tel serait le véritable objectif du gouvernement avec sa loi sur les ONGs selon Humberto Campodonico, journaliste à La Republica. Effectivement, le Projet de Loi 25/2006-PE, en plus de « favoriser la transparence », aux dires des Fujimoristes, entend (article 3) octroyer à l’APCI la responsabilité d’harmoniser les priorités des ONGs avec la politique de développement national du gouvernement. « L’aide sera attribuée en fonction de l’intérêt public », est-il écrit dans le projet de loi, et l’agence, donc l’État, devra définir ce que l’on doit comprendre par intérêt public. Dans cette optique, toute organisation non gouvernementale devra s’inscrire dans les registres de l’APCI et se soumettre aux directives prescrites, et ainsi, aux objectifs de développement de l’État. Dans le cas contraire, non seulement l’ONG en cause risque de perdre sa licence mais ses coopérants sont de surcroît susceptibles d’être « bannis » de leur secteur d’activité pour 5 ans. En dépit des critiques, le projet de loi a déjà été approuvé par le Congrès le 27 octobre dernier. Seule la formulation de certains articles est à revoir, ce qui nécessitera toutefois un nouveau vote du corps législatif. Dès lors, il suffira de l’aval du Président Garcia pour que le tout prenne effet, ce qui ne devrait par tarder. L’assaut concerté des ténors de l’ordre établit Le processus même qui devra mener à l’application de la nouvelle loi expose les motivations réelles des ses partisans. Le projet est une initiative de la Commission des relations extérieures, dirigée par Rolando Souza, avocat d’Alberto Fujimori. Quant à son approbation au Congrès, sa réussite tient à une alliance parlementaire entre l’APRA, l’Union Nationale (UN) et les Fujimoristes. Une entente révélatrice : toute l’affaire repose sur une coalition des forces de la droite formelle liée aux intérêts des classes dominantes. Il s’agit là de deux partis qui assumèrent le pouvoir et d’un autre qui fut à maintes reprises très près de le faire, dans le cas de l’UN. Trois partis qui, par le passé, furent durement attaqués par les ONGs comme par la gauche. De fait, le vice-premier ministre et le président actuels sont accusés de crime contre l’humanité par de nombreuses organisations non gouvernementales de défense des droits humains. Ces mêmes ONGs militent énergiquement pour l’extradition de l’ex-président Fujimori, qui a fuit le pays en 2000, dans le but de le soumette à un tribunal péruvien. Quant à l’Union Nationale, généralement considérée comme le promoteur officiel des intérêts de la grande entreprise, elle doit depuis longtemps répondre aux critiques des ONGs environnementales contre le secteur minier et l’entreprise privée. Il ne s’agit ici que de quelques exemples, parmi les plus connus, des désagréments actuels que peuvent occasionner les ONGs et leurs éléments « gauchisants » à l’ordre établit. Car ces dernières se sont toujours présentés comme le chien de garde de la société civile péruvienne, et plus particulièrement des secteurs pauvres et marginalisés. D’ailleurs, la Commission de la vérité et de la réconciliation (CVR), vaste enquête sur l’époque de la guerre contre la subversion révolutionnaire, fut le produit du travail de progressistes reconnus. Cette ONG et les résultats de ses recherches furent décriés par une droite unanime : sa critique du travail des forces armées et ses accusations de violation des droits humains contre des figures militaires et politiques importantes (de l’APRA et des fujimoristes) firent scandale. Elles furent qualifiées d’injustes, d’anti-patriotiques, voire même de subversives. Hans Landolt, directeur de l’Institut de défense légal (IDL), affirme que le projet est tout simplement inconstitutionnel. Selon lui, la loi vulnérabiliserait en neuf occasions les droits fondamentaux des citoyens de la république, plus particulièrement celui de la liberté d’association. Il est vrai que les ONGs, qui sont des organisations a but non lucratif dont le statut légal est celui d’entreprise privée, ont toujours dû se soumettre à la supervision de l’État. Ainsi, des comptes ont toujours été rendus au Ministère du travail, à l’équivalent du Ministère finances, à la gestion nationale des fonds de pension et à l’APCI, comme se doit de le faire toute entreprise privée. Jamais pourrait-on imaginer imposer aux firmes péruviennes non seulement de faire montre de transparence dans sa gestion financière, mais bien de quelle façon il leur faudrait investir pour « harmoniser » leur output avec les priorités gouvernementales. Ce projet est « mille fois pire que ce qu’entend faire le président Chavez avec les ONGs vénézuéliennes» d'après M.Landolt. Victimes du conflit et dommages collatéraux Immobiliser les dernières ressources effectives de la gauche progressiste, isoler ses éléments perturbateurs, exercer un contrôle plus ferme sur des ONGs dont la critique et le travail ont posé tant de problèmes jusqu’à maintenant aux grands groupes de pouvoir politique et économique, tels sont les résultats officieux recherchés par la concertation APRA-Fujimoristes-UN. Or, l’impact de cette offensive contre la gauche risque d’être capital pour la collectivité péruvienne. Par la voie d’un communiqué public, une trentaine des ONGs les plus importantes du pays expriment non seulement leur désapprobation de la loi, mais y énumèrent aussi plusieurs conséquences possibles de son application: - Une baisse des montants de l’aide internationale au développement, Il ne fait aucun doute que les premières victimes de la nouvelle loi seront les secteurs les plus démunis et les plus marginalisés de la collectivité péruvienne. Ces manœuvres politiques visant à laisser le champ libre à ceux qui pourraient avoir à répondre de leurs actes au plan des droits humains, de la gestion des affaires publiques, de l’environnement et de la lutte contre la corruption sont incompatibles avec la définition la plus laxiste de ce que doit être un État de droit. Pour le congressiste Mauricio Mulder, secrétaire général de l’APRA, « les ONGs servent d’imbéciles utiles au terrorisme, à ceux qui sont contre le pouvoir judiciaire et à ceux qui poursuivent les mines ».(El Comercio, 11 septembre 2006). Venant du numéro trois du parti au pouvoir, un commentaire de cette nature donne à réfléchir. Il doit être un argument supplémentaire devant convaincre la population péruvienne tout comme la communauté internationale de l’impérieuse nécessité de voir les ONGs continuer leur travail sans avoir à souffrir le contrôle partisan du gouvernement en place. |
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