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Outreau et la réforme de la justice française : déceptions

Anonyme, Viernes, Octubre 20, 2006 - 13:03

Isabelle Debergue

France: Noyées par la pré-campagne présidentielle, des affaires importantes comme celle d’Outreau et l’urgence évidente d’une réforme en profondeur de la justice paraissent quasiment enterrées. Les tentatives d’évoquer la responsabilité d’agents et auxiliaires de la puissance publique semblent s’acheminer vers un dénouement symbolique. Aucune réforme conséquente de l’Etat, même sectorielle, n’est à ce jour envisagée. Mais les problèmes de la justice et de l’ensemble des institutions qui l’entourent deviennent de plus en plus essentiels et incontournables pour quiconque se soucie sérieusement de l’avenir et de la stabilité citoyenne du pays. Notamment en ce qui concerne la transparence, l’impartialité, la responsabilité, l’accessibilité, l’égalité des justiciables et la défense équitable des plus faibles. Des questions par rapport auxquelles la surdité comporterait des risques politiques croissants pour les décideurs présents et futurs.

Article du site "Petite Citoyenne" (France), http://www.geocities.com/petite_citoyenne

Outreau et la réforme de la justice : vers une nouvelle cascade de déceptions ?

(Isabelle Debergue, 15 octobre 2006)

 

Alors que le juge Fabrice Burgaud devrait être auditionné le 23 octobre par les deux rapporteurs du Conseil Supérieur de la Magistrature, que Virginie Madeira a publié en septembre son livre "J’ai menti" avec Brigitte Vital-Durand, et qu’il est question d’une "petite réforme" de la justice avant les présidentielles, les justiciables sont amenés à constater que les experts de l’affaire d’Outreau ne semblent avoir fait l’objet d’aucune sanction.

Le 12 octobre, Le Monde nous apprenait que la Cour d’Appel de Rouen "siégeant en formation disciplinaire" a rendu le 29 mai dernier une décision "jusqu’ici passée inaperçue". Elle a estimé que Jean-Luc Viaux, l’expert de l’affaire d’Outreau (depuis 2002) qui s’était plaint (en novembre 2005) des "tarifs de femme de ménage" aboutissant d’après lui à "des expertises de femme de ménage", n’avait commis aucune faute susceptible d’entraîner sa radiation. Pour la formation disciplinaire de la Cour d’Appel, de tels propos "ne constituaient pas une faute disciplinaire" et, de surcroît, ils "n’ont pas porté atteinte au fonctionnement de la justice". Quant aux rapports de cet expert, ils ont été jugés "extrêmement fouillés et individualisés", malgré les griefs de répétition systématique et de manque de réalisme qui lui avaient été adressés.

Jean-Luc Viaux est professeur à l’Université de Rouen et directeur du laboratoire "PRIS clinique et Société". Il apparaît sur le site du CESDIP (Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, dépendant à la fois du Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS, et du Ministère de la Justice) en tant que responsable pédagogique pour 2004-2005 d’un diplôme universitaire intitulé "Psychologie et sociologie du crime", destiné notamment à la formation de "magistrats, praticiens du droit, psychologues, sociologues, cadres sociaux ou éducatifs, médecins de prison, cadres de la police judiciaire et de l’administration pénitentiaire, officiers de gendarmerie et de police". Bien intégré donc dans les coupoles universitaire, scientifique et judiciaire, ce psychologue influent était également connu du monde politique au moment de son audition. En septembre 2005, il avait été l’un des premiers signataires, en tant que "professeur de psychologie clinique, Université de Rouen" de la pétition de soutien à une demande de création d’un observatoire de la récidive des infractions pénales avec, notamment, des magistrats mais aussi des personnalités politiques : Christophe Caresche, Françoise Duthu, Jack Lang, Marie Noëlle Lienemann, Noël Mamère et le président de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau André Vallini, signataire en tant que "député de l’Isère, président du Conseil général, secrétaire national du Parti Socialiste aux institutions, à la justice, à la sécurité et à la réforme de l’Etat".

L’article du Monde ne fait état d’aucun recours du ministère public contre la décision disciplinaire de la Cour d’Appel de Rouen refusant la radiation du professeur Viaux en tant qu’expert. Si ce recours n’a pas été introduit en temps utile, il est trop tard maintenant que les citoyens apprennent la nouvelle. Il y a donc eu, pendant plusieurs mois, une situation d’information ambiguë aux conséquences potentiellement sérieuses. Le 8 mars, le Nouvel Observateur écrivait : "A la suite de cette déclaration [sur les "tarifs de femme de ménage"], le ministre de la Justice Pascal Clément avait demandé la radiation de M. Viaux. Il a été radié de la liste de la Cour de cassation. Une procédure est en cours devant la cour d’appel de Rouen à laquelle il est rattaché." Les médias ont très largement diffusé en mars dernier cette information sur une prétendue "radiation" de Jean-Luc Viaux en tant qu’expert. Il apparaît à présent qu’en réalité, le Ministère de la Justice avait saisi l’instance disciplinaire. Mais l’affaire n’a pas été évoquée lorsque, début juin, des acquittés d’Outreau ont déploré le rapport de mai 2006 de l’IGSJ (Inspection Générale des services Judiciaires) et les réactions de parlementaires ont amené le Garde des Sceaux à engager des poursuites disciplinaires contre Fabrice Burgaud.

Le décret 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires prévoit (article 24) que "le contrôle des experts est exercé, selon le cas, soit par le premier président et le procureur général près la cour d’appel, soit par le premier président et le procureur général près la Cour de cassation". S’il apparaît au procureur général qu’un expert "a contrevenu aux lois et règlements relatifs à sa profession ou à sa mission d’expert, ou manqué à la probité ou à l’honneur, même pour des faits étrangers aux missions qui lui ont été confiées" (article 25), il doit recueillir ses explications et, le cas échéant, engager des poursuites auprès de l’autorité (Cour de cassation ou Cour d’appel) ayant procédé à l’inscription de l’expert. L’article 27 précise que, devant la commission de discipline, "les débats sont publics" sauf décision contraire de la formation disciplinaire. Enfin, aux termes de l’article 29, un recours peut être formé devant la même juridiction contre la décision de l’instance disciplinaire. Le délai d’un mois "court, à l’égard du procureur général, du jour du prononcé de la décision". S’agissant d’une Cour d’appel, il faut en conclure que le rejet éventuel dudit recours est susceptible d’un pourvoi en cassation.

Le défaut d’information en temps utile sur la procédure concernant Jean-Luc Viaux est à regretter du point de vue de la transparence, vu les débats qui ont accompagné la diffusion, début juin, du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau. La décision disciplinaire de la Cour d’Appel de Rouen du 29 mai 2006 apparaît en phase avec le rapport daté du même mois de l’IGSJ exemptant le juge Burgaud de toute responsabilité de cette nature. On peut raisonnablement penser que, dans la logique qui prévalait au sein de la magistrature avant la controverse du mois de juin, la Cour ne pouvait pas être plus sévère avec l’expert que l’IGSJ ne l’avait été avec le juge d’instruction. Mais il aurait été souhaitable que, comme dans le cas du juge Burgaud, l’opinion publique et les élus soient mis à même de s’exprimer en temps utile sur cette question. D’autant plus que l’influence des institutions scientifiques et académiques n’est un secret pour personne, et que des membres de la haute magistrature sont en même temps des professeurs associés à des universités.

Ce n’est pas tout. La commission parlementaire reproche à Jean-Luc Viaux une « lettre ouverte » publiée par le journal Le Monde le 25 mai 2004, une interview pour l’émission télévisée Envoyé spécial le 27 mai 2004 et une interview dans le quotidien Le Parisien du 4 juin 2004. L’expert se plaignait de la mise en cause de la parole des enfants durant le procès de première instance, se déclarant "en colère" au motif que "l’absence de sérénité qui entoure ce procès est déplorable". La commission écrit à ce sujet : "Il est (...) manifeste que les interventions de M. Jean-Luc Viaux dans les médias, portant sur une affaire dans laquelle il intervenait à titre d’expert, constituaient une violation flagrante du devoir de réserve auquel est tenu tout auxiliaire, même occasionnel, de justice. Si cette obligation n’est pas prévue expressément par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 régissant le statut des experts judiciaires mais s’applique aux fonctionnaires (article 6 du statut général) et aux magistrats (CE, 5 mai 1982, Bidalou), on est fondé au demeurant à penser qu’il serait opportun de l’insérer dans la loi de 2004." Lue superficiellement, cette conclusion pourrait porter à croire qu’il n’y a manquement à l’obligation de réserve susceptible de sanction que si cette obligation est explicitement mentionnée dans les textes statutaires. Mais la réalité est très différente.

On peut lire sur le site du Ministère de la Fonction Publique : "Le principe de neutralité du service public interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l’instrument d’une propagande quelconque. (...) L’obligation de réserve est une construction jurisprudentielle complexe qui varie d’intensité en fonction de critères divers (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s’est exprimé, modalités et formes de cette expression)..." Et dans une réponse à une question écrite, le ministre de tutelle déclare en date du 8 octobre 2001 : "L’obligation de réserve, qui contraint les agents publics à observer une retenue dans l’expression de leurs opinions, notamment politiques, sous peine de s’exposer à une sanction disciplinaire, ne figure pas explicitement dans les lois statutaires relatives à la fonction publique. Il s’agit d’une création jurisprudentielle, reprise dans certains statuts particuliers, tels les statuts des magistrats, des militaires, des policiers..." La jurisprudence sur le devoir de réserve, introduite par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Bouzanquet du 15 janvier 1935, a une portée générale indépendamment de toute mention statutaire de cette obligation qui est d’autant plus sévère que les fonctions exercées sont élevées et que la thématique abordée est proche des missions dont l’auteur des déclarations est chargé.

La référence des parlementaires à l’article 6 du Statut général des fonctionnaires (loi 83-634 du 13 juillet 1983, dite Le Pors) paraît d’ailleurs peu précise. Cet article (y compris les bis à sexies) n’évoque pas l’obligation de réserve. Il rappelle très brièvement la liberté d’expression des fonctionnaires et agents publics, et aborde en détail les questions liés aux discriminations et au harcèlement au travail. On peut penser également à l’article 26, mais il porte en réalité sur l’obligation de discrétion. A savoir, de respect du secret professionnel, qu’il convient de ne pas confondre avec le devoir de réserve dont la base sont la neutralité, l’impartialité et l’image du service public.

En l’occurrence, le professeur d’université, responsable pédagogique et directeur de laboratoire qu’est Jean-Luc Viaux fait partie de la hiérarchie de la fonction publique. Ses déclarations aux médias de mai et juin 2004 n’ont pas porté sur des sujets académiques, mais sur des questions intéressant directement le coeur des débats d’une affaire de justice en cours où il était lui-même l’un des principaux experts. Que faut-il en penser, sur le plan de la neutralité et de l’apparence d’impartialité ? La loi 2004-130 du 11 février 2004, régissant entre autres le statut des experts judiciaires et modifiant à ce titre la loi 71-498 du 29 juin 1971, ne mentionne pas explicitement l’obligation de réserve. Mais l’obligation de neutralité et d’impartialité de l’expert est évidente de par la nature de sa fonction. Or, l’article du Monde du 12 octobre ne fait référence à aucune saisine des instances disciplinaires sur cette question spécifique et se référant clairement aux déclarations faites par Jean-Luc Viaux au moment du procès de première instance. Qu’en a-t-il été ? Il me semble qu’une plus grande transparence devant les citoyens aurait été normale et qu’il serait conforme à l’éthique que les services du Garde des Sceaux diffusent de plus amples renseignements.

De même, le devoir naturel et incontournable de neutralité et d’impartialité de toute mission à caractère public, ne devrait-il pas être regardé comme comportant automatiquement l’obligation, pour tout agent ou auxiliaire, de se faire remplacer dès lors qu’il apparaît que le dossier pourrait impliquer ses intérêts personnels ou ses relations proches ? Il ne semble pas que cette question de déontologie essentielle soit souvent considérée ni rappelée.

A propos d’une autre experte de l’affaire d’Outreau (depuis 2001) dont le rôle avait été mis en cause, et dont l’audition par la commission d’enquête parlementaire n’a pas été publique, cette commission rappelle que : "Mme Marie-Christine Gryson-Dejehansart, à laquelle avait été confiée la réalisation des expertises psychologiques de 16 mineurs, a été récusée [en juin 2004] pendant le procès d’assises de Saint-Omer après la remise en cause de son impartialité par plusieurs avocats. Il s’est avéré que Mme Gryson-Dejehansart était, depuis 2000, présidente de l’association « Balise la vie », association ayant pour objet « de prendre en charge les enfants une fois que le processus judiciaire est terminé ». Cette association était subventionnée par le département du Pas-de-Calais, qui par ailleurs était partie civile au procès dans lequel Mme Gryson-Dejehansart intervenait comme expert". Elle conclut : "En tout état de cause, il revenait à Mme Marie-Christine Gryson-Dejehansart de renoncer à cette mission", ce qu’elle n’avait pas fait. Mais les médias n’ont évoqué par la suite aucune mesure concrète tendant à sanctionner cette carence. Et le Conseil général avait-il vraiment fait de son mieux en temps utile pour éviter ce que l’avocat Franck Berton a qualifié de "mélange de genres scandaleux" ?

Globalement, on n’entend plus parler d’éventuelles séparations de carrières, des problèmes que peuvent poser les prérogatives des avocats vis-à-vis des justiciables, de réforme du fonctionnement de juridictions autres que la pénale et tout particulièrement du secteur stratégique qu’est la justice administrative, de la nécessité d’un inventaire global des problèmes de la justice et de l’Etat, d’une réforme plus générale des institutions sur la base de ces constats... Même lorsqu’il est question de "refonder la république", les propositions concrétes avancées présentent malheureusement peu de rapport avec la gravité des problèmes auxquels le citoyen doit faire face. Quant à la responsabilité des magistrats, il semble bien s’être mis en place un refus persistant d’envisager des réelles sanctions, une volonté à peine dissimulée d’en rester à la simple évaluation professionnelle suivie de mesures d’organisation du service présentées au public comme des sanctions sans l’être vraiment. Et les plaintes des justiciables feront en tout état de cause l’objet de filtrages avant d’être transmises et instruites, ce qui se prête à l’étouffement de dossiers "sensibles". Où passeront les garanties de transparence et d’égalité réelle de tous les citoyens ? On dirait que, partout dans les pouvoirs publics, la moindre remise en question fait peur.

Rien, donc, qui puisse permettre aux Français d’être optimistes sur l’avenir des institutions. Sauf à nous mêler nous-mêmes, d’urgence, de cette partie qui se joue très au-dessus de nous mais qui, laissée à son inertie, peut générer des dangers pour la démocratie.

 

Lien de l'article : http://www.geocities.com/petite_citoyenne/article151006.html



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