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La violence et la haine en méditerranéeAnonyme, Lunes, Junio 19, 2006 - 03:06
RUBY BIRD
Par RUBY BIRD - Journaliste indép. Des courts extraits de deux textes suivent décrivant la violence, sa symbolique et son utilisation, la référence concerne principalement l’ALGERIE. Comprendre La Violence LA GUERRE EN IMAGES : Comprendre La Violence et surmonter La Haine en Méditerranée – Revue : Rencontres Averroès n°9 (Editions Parenthèses) « …Pour court-circuiter l’idée que la Méditerranée est l’épicentre de la violence, le lieu de cruautés extrêmes, on a construit, peut-être trop rapidement, une image inversée, celle d’un lac de paix…. La Méditerranée n’a jamais été véritablement un lac de paix…. La violence n’es pas cantonnée dans un quelconque espace géographique. Elle se disperse, se diffuse d’un bord à l’autre, à commencer par ici, en Europe, en France….On peut en prendre plusieurs exemples : c’est la mémoire non assumée de la brutalité de la décolonisation, une mémoire forte exprimée dans le « re-jeu », dans la répétition de ce qui s’est passé en Algérie. C’est aussi la mémoire, qui se manifeste en France de façon tapie, secrète et inavouée, d’une revanche tournée en direction des hommes du sud….Ce serait de plus une vision extrêmement simplificatrice et réductrice de ne pas rendre compte des phénomènes de mondialisation de la violence, qui vont de pair avec les replis identitaires, avec ces formes de sursauts terribles que sont les intégrismes, ou avec les recherches de construction de nouvelles identités…. » « Cela étant posé, il est vrai que l’on ne peut éviter de regarder aussi la violence qui se déroule sur la rive sud… Ce sont des actions qui sont reprises quasiment telles quelles aujourd’hui par les islamistes, comme une remémorisation de la première guerre d’Algérie. Ce que je dis aussi, c’est que, dans les deux cas, le fait marquant c’est l’absence d’images de ces violences. C’est cela qui conditionne l’imaginaire et la mémoire de ces évènements. » « … Abraham Ségal s’est demandé si la question fondamentale n’était pas : « avoir des images ou ne pas avoir d’images », mais plutôt : « de quelles images parle-t-on ? »…. Cela lui permet d’avancer que c’est en fournissant tout le temps les mêmes éléments violents que l’on banalise l’image de la violence « William Klein disait qu’au moment de la guerre du Vietnam, la télévision vous diffusait tout le temps des images de la guerre. Mais c’était pris dans un flux tel que ces images passaient comme de la publicité ou comme les comédies musicales, comme si tout se valait »… » « Le Vietnam a été inventé par la télévision. Certes, l’Algérie l’a été aussi un peu au départ, plutôt par le transistor d’ailleurs, mais elle se révèle être aujourd’hui une véritable guerre invisible, un huis clos parfait…. Je persiste à dire que ce qui s’est passé en Algérie, pendant 10 ans, avec 100 000 morts, à une heure d’avion de Marseille, reste terrible parce qu’invisible…. Et même s’il y a eu partiellement, certaines images, ou photographies, qui nous sont parvenues, le sentiment général reste le suivant : l’Algérie est une immense tache noire, elle est perçue comme un pays qui s’est évanoui, un pays insaisissable, abstrait. Cette impression est largement partagé en France…. Ce qui n’est pas montré, ce qui n’est pas vu, est source de fantasmes et d’angoisses. L’Algérie fait peur parce qu’elle n’est pas montrée…. » « Pourquoi cette absence de visibilité ?…. Tous les acteurs se sont avancés masqués sur le devant de la scène, tous ont porté une cagoule un peu à la façon dont les ninjas s’avançaient dans les rues d’Alger. Tous ont cherché à dissimuler aussi leurs programmes et les visées qu’ils portaient en eux. Et c’est la terreur qui émerge de l’absence de représentation de la réalité. » « Aujourd’hui, c’est l’après coup qui m’intéresse, le déluge d’images actuelles, celui des documentaires sur cette guerre qui a déjà eu lieu en Algérie il y a 10 ans…. Un grand nombre de documentaires sur le drame algérien est multidiffusé. Nous sommes maintenant dans le trop-plein d’images, dans l’après coup de l’événement. Mais le problème reste posé : ce qui n’a pas été diffusé pendant peut-il avoir une réception identique lorsqu’il est diffusé après ? » « Car par ce procédé nous assistons à la guerre en différé…. Ce qui n’est pas montré pendant, et qui génère de l’angoisse…..peut, après et par l’image, apaiser, réconcilier ou aider à cicatriser. C’est vrai il y a 5 ans ou 7 ans, pour l’Algérie, mais nous nous trouvons au contraire actuellement face à une surmédiatisation, celle d’un événement qui s’est déjà produit, et qui fabrique un imaginaire à partir de ce qui s’est déjà passé. Or le décalage est important : les gens sont en train de découvrir à quel point les Algériens ont vécu une tragédie épouvantable..… qui s’est déroulé en 1993 ! » « Mais au même moment les Algériens, et là c’est mon travail sur la mémoire, sondent l’origine des massacres. Et ils redécouvrent également les massacres de la guerre de libération. On en arrive à quelque chose de complètement mélangé, d’intriqué, qui produit une sorte de ronde barbare : ce trop-plein de mémoire, cette sédimentation des images et des imaginaires produit encore plus de violence. » « En effet, les mémoires se réveillent et viennent par analogie, par comparatisme, se superposer, et, d’une certaine façon, s’éclairer mutuellement, c’est un fait extrêmement troublant ; les acteurs prennent les vêtements des conflits antérieurs pour essayer de rejouer ou de répéter leur scène…. Nous sommes dans un conflit, ou exactement des conflits, qui ont complètement changé de nature. La première guerre d’Algérie visait « tout simplement » à se débarrasser du système colonial, alors que le conflit d’aujourd’hui trouve son origine dans une redéfinition de la question nationale d’un pays entièrement indépendant et aux prises avec lui-même. » « Or, quelle est l’origine de cette diffusion, le point de départ de ces images et de la fabrication de ces stéréotypes ? Ca reste quand même en grande partie ici, en Occident, il faut bien l’admettre…..C’étaient les images venant de l’extérieur qui fabriquent l’imaginaire de ce qu’eux-mêmes vivaient ! » « Des produits qu’on déverse, sans bien mesurer d’ailleurs à quel point le travail de deuil n’a pas été suffisamment accompli et combien cela peut raviver de vieilles blessures. Une fabrication qui provoque, non pas une aide à cicatriser, mais au contraire une incitation à répéter. Et cet état de fait relève de la responsabilité de ceux qui « fabriquent de l’image » et qui la déversent à partir de lieux très séparés de ceux où s’est déroulée la tragédie. » « Pour conclure, je reprendrais encore une fois les propos d’Abraham Ségal qui cite une journaliste israélienne. Celle-ci pense que si l’on pouvait voir ou entendre, mettons pendant une semaine, dans les journaux télévisés israéliens, des reportages qui donneraient des noms aux victimes palestiniennes, qui montreraient les pleurs d’une famille dont le fils est mort, les villages démolis et leurs habitants assassinés, et pas seulement le colon ou le soldat victime, peut-être que l’image de l’autre pourrait changer… » ALGERIE, LA GUERRE REJOUEE « En Algérie, on a des images, celle de la piéta, celles des femmes éplorées, celles des destructions. C’est vrai que le régime politique a aussi beaucoup joué, selon les moments, avec ces images. S’il s’adressait à un public extérieur à l’Algérie, il voulait dire en montrant des images de cadavres : « Regardez ces barbares, voilà ce qu’il font ». Mais, pour les gens de l’intérieur, c’était souvent ressenti comme une manipulation. » J’ai assisté à des funérailles où l’on a empêché la famille et les amis de venir manger le couscous, qui a été donné aux chiens. Or le couscous est servi traditionnellement le jour de l’enterrement, c’est très important symboliquement. Cette image-là était sûrement plus importante pour la famille endeuillée que n’importe quelle autre image télévisuelle. » « Dans l’historiographie officielle, aussi bien que dans l’imagerie collective des Algériens, certains aspects de la guerre de libération sont sur-mémorisés, alors que beaucoup d’autres relèvent d’un oubli largement partagé. Pourtant, pour tous les Algériens, la guerre de libération nationale, fondement de leur « être ensemble », demeure un lieu de mémoire privilégié… » « La mémoire de la guerre, de la « révolution » telle qu’on la désigne ici, relève de l’imaginaire collectif parce qu’elle ne constitue pas un capital symbolique exclusivement entre les mains des représentants du pouvoir. Ces derniers ne sont pas les seuls à se réclamer de la guerre de libération comme source de légitimation ; leurs opposants le revendiquent également. » « Les leaders islamistes en Algérie, quant à eux, se réclament d’un tout autre symbole. A. Madani rappelle son statut d’ancien moudjahid et A. Benhadj celui de fils de shahîd. C’est d’abord au nom de cette proximité vis-à-vis de la guerre que l’un et l’autre se sentent autorisés à prendre la parole. Cela leur évite de tomber sous l’anathème de harki et/ou de fils de harki (supplétifs de l’armée coloniale), souvent agité par le pouvoir à l’encontre de ses opposants. » « Tous les présidents qui se sont succédés à la tête de l’Etat le doivent en grande partie à leur fréquentation plus ou moins active de la guerre. Même Mohammed Boudiaf, le plus civil d’entre tous, ne doit sa cooptation qu’à son passé « révolutionnaire ». « Usant de paradigmes prémodernes, l’idéologie officielle qualifie les représentants du pouvoir de « famille révolutionnaire ». Cette famille n’est pas que métaphorique, elle est bel et bien fondé sur la parenté. » « Les membres des groupes armés sont dénoncés comme fils de harkis, car « c’est de la souche que dérive la branche ». Mythe et référent généalogique, le sang structure le discours et les actes…. Certes, partout en terre d’Islam, la symbolique de la métaphore du sang est présente, mais il s’agit en général de la célébration de la continuité et de la préservation du sang et donc de la vie. » « Dans la guerre symbolique qui sous-entend la guerre concrète ente le régime et ses opposants islamistes, les uns et les autres se taxent mutuellement de harkis, ou de suppôts de la France, tout en se glorifiant d’être les véritables continuateurs de l’œuvre des martyrs tombés au champ d’honneur pour la libération de l’Algérie…. Pour les uns et les autres, le poids de l’histoire de la guerre de libération est présent, tel un boulet…. Les islamistes armés se vivent comme des moudjahidin, prêts à mourir en martyrs ; et, à ce titre, s’attaquent à un pouvoir qu’ils considèrent impie. Les représentants du pouvoir, quant à eux, parlent de défense d’un territoire arraché chèrement à la colonisation…. La France est omniprésente dans ce conflit. » « La colonisation demeure une référence de l’horreur et de l’injustice dans l’imaginaire social. » « Le moudjahid est celui qui mène un combat pour faire triompher l’Islam, mais la guerre de libération a nationalisé ce terme…. Qui, depuis, possède le sens de combattant pour la liberté et l’indépendance en Algérie. Il n’est pas superflu de rappeler qu’en Algérie djihad fut le mot d’ordre le plus mobilisateur durant la guerre de libération. » Aujourd’hui encore, l’ancien moudjahid algérien est considéré comme un citoyen de première catégorie par rapport au reste de la population ; et ses privilèges sont théoriquement fonction de sa plus ou moins grande proximité des faits d’armes. » Une expression passée inaperçue au début, quand Zéroual l’emploie au moment de sa campagne électoral, occasionne, à la fin de son mandat écourté, une polémique et des affrontements. Il s’agit de l’expression « victimes de la tragédie nationale » qu’un décret signé par un premier ministre sortant tente de consacrer avant de déclencher le scandale. Cette expression a indigné les associations des familles de victimes du terrorisme qui refusent d’être associées aux familles des terroristes. Le choix de cette expression répondait au souci de traiter toutes les victimes de violence de la même manière…. Ses auteurs considéraient que les enfants de terroristes n’avaient pas à payer pour les crimes de leurs parents….Son ambition était d’éviter de semer la haine (et donc le sentiment de vengeance) dans les générations futures….L’Etat semble craindre la répétition d’un scénario vécu après l’indépendance..…Longtemps après, des conflits meurtriers ont eu pour motivation ces haines archivées. Dans cette nouvelle guerre, des dizaines de moudjahidin auraient été tués par des enfants de harkis vengeant ainsi leurs parents… » « au regard de cette symbolique, les familles des victimes du terrorisme ne voulaient pas être associées aux parents des terroristes, leurs bourreaux. Elles considéraient cela comme une atteinte à leur dignité et à leur mémoire..… » « Par-delà le problème de gestion politique d’une réalité explosive, il s’agit d’un conflit autour d’un champ symbolique. Manifestement, le régime ne veut pas d’un lieu de fondation autre que celui dont il a le monopole…. Dans leur rage, les familles veulent dissocier entre aumône, assistance et droits. Elles réclament un statut qui souligne leur sacrifice et leur octroie un droit et non pas une aide. » « C’est symboliquement un autre lieu de fondation qui tente de s’instituer et auquel le pouvoir refuse l’accès. Cette nouvelle guerre risque de disqualifier la première et d’ouvrir des prétentions au partage de la rente symbolique et matérielle…. Avec la loi sur la « concorde civile », cette même question ressurgit. » « Le poids de l’histoire de la guerre de libération nationale pèse lourd dans les représentations des uns et des autres… pour toutes les parties, la figure du martyr, héritage de la guerre, est à la fois une référence et un enjeu disputé…. Très tôt déjà, une polémique autour de la qualité de martyr s’engage entre eux….Etant admis que le véritable martyr est celui qui consent délibérément à offrir sa vie en échange d’une ambition de haute valeur sociale, il est difficile d’appliquer aux victimes, à toutes les victimes du terrorisme….. pourtant, le pouvoir qualifie ainsi, presque systématiquement, toutes les personnes ayant servi ou pouvant servir sa cause, même à titre posthume… » « L’époque de la guerre constitue un réservoir qui continue à inspirer les mots et les attitudes des uns et des autres. Le lexique politique est truffé d’expressions renvoyant à cette époque…. La guérilla que mènent les islamistes s’inspire largement de la guerre de libération aussi bien dans son organisation que dans ses méthodes. Avant les groupes islamistes armés, ce sont les moudjahidin du FLN qui ont inauguré les lettres de menaces accompagnées d’un morceau de tissu blanc (linceul) et d’un savon (toilette des morts) pour signifier la mort prochaine. » « Le sabotage et les attentats urbains suivis de replis dans les zones inaccessibles ne sont pas non plus une innovation….L’annonce par le GIA, le 6 août 1994, de l’interdiction aux étudiants et aux enseignants de fréquenter les cours est une allusion claire, comme le souligne Benjamin Stora, à la grève des cours organisée par le FLN, le 19 mai 1956. Dans sa lutte contre l’opposition armée, le pouvoir usa de procédés de lors de la guerre de libération. Tortures, internement dans les camps du sud, destruction des biens des parents… »...
Journaliste indépendante
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