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France: Outreau, vidéosurveillance, marquage nominatif des bagages… N’y aurait-il pas un dénominateur commun ?Anonyme, Martes, Junio 13, 2006 - 09:23
Usager - administré
Le procès dit « d’Outreau » de première instance a eu lieu en mai-juin 2004 entre deux événements à connotation clairement sécuritaire : l’annonce en mars de la même année d’un important contrat entre la Régie Autonome des Transports Parisiens et le groupe Thales portant sur 5500 caméras vidéo couleur et la promulgation, en septembre 2004, d’un décret instaurant le marquage nominatif obligatoire des bagages dans les trains. Pour les analystes officiels, ces trois événements n’ont rien à voir : Outreau serait un « cas ponctuel de mauvais fonctionnement de la justice », la généralisation de la vidéosurveillance serait due à la « vie moderne » et à la « nécessité de se prémunir contre la délinquance », et l’obligation de marquage nominatif des bagages dans les trains aurait été instaurée « à cause des attentats de Madrid ». Toute apparence de coïncidence dans le temps serait donc accidentelle. Mais peut-on raisonnablement se satisfaire d’une telle explication, alors que les citoyens sont de plus en plus nombreux à constater et dénoncer une évolution institutionnelle globale vers un fonctionnement sommaire, expéditif, autoritaire et sécuritaire ? Au même moment où la commission d’enquête parlementaire diffuse son rapport sur l’affaire d’Outreau, la 2ème Sous-Section du Contentieux du Conseil d’Etat inscrit à une audience publique du 15 juin à 9h30 le recours d’un usager contre le décret de septembre 2004 interdisant dans les trains français les bagages « ne comportant pas de manière visible la mention des nom et prénom » du voyageur. Sur cette disposition, voir l’article : http://www.cmaq.net/fr/node/24689 et sur l’affaire d’Outreau : http://www.cmaq.net/fr/node/23638 http://www.cmaq.net/fr/node/24385 En même temps, la vidéosurveillance est devenue une pratique d’apparence banale. Pour des prix très accessibles, on peut s’acheter un « pack surveillance vidéo + audio » et ce que peut un « petit particulier », les entreprises et les administrations le pratiquent à bien plus grande échelle. La vidéosurveillance rentre donc « dans les mœurs ». L’enregistrement vidéo nous est même présenté comme une sorte de solution miracle pour éviter une partie des dysfonctionnements constatés dans l’instruction de l’affaire d’Outreau… Mais dans son discours à la dernière convention de l’UMP sur la Justice, Nicolas Sarkozy reconnaît que : « L’affaire d’Outreau n’est pas non plus la première qui secoue, ces derniers temps, le monde judiciaire et ébranle la confiance que les citoyens doivent avoir dans leur justice. En 2003, 210 personnes ont été placées en détention provisoire pour des faits de crime et ont été finalement acquittées. Leur détention a duré en moyenne 15 mois. L’affaire d’Outreau n’a donc rien d’exceptionnel, hélas ! » Autrement dit, « dix Outreau » par an en « volume global » d’emprisonnements d’innocents. On voit mal comment la vidéo pourrait remédier à un mal si profond, alors que chaque nouvelle dépêche met en évidence la réticence collective de la magistrature à rendre des comptes de ses actions. Et qui contrôlera l’usage d’ensemble des caméras vidéo mises à la disposition des actions judiciaires et policières ? En France, la vidéosurveillance est une bonne affaire pour le groupe Thales notamment qui, dans un communiqué du 22 mars 2004 paru une dizaine de jours après les attentats de Madrid et intitulé : « Auprès de la RATP, Thales prend part au plus important programme de vidéosurveillance embarquée jamais réalisé en Europe », déclarait notamment : « Thales et la RATP viennent de signer un contrat majeur pour l‘équipement en systèmes de vidéosurveillance de plus de 1 200 bus. (…) Ce contrat correspond à la poursuite du déploiement de solutions de vidéosurveillance embarqués à bord des bus et des tramways, programme engagé par la RATP en l’an 2000 avec déjà 2 000 bus équipés. Les systèmes de vidéosurveillance fournis doivent permettre l’identification des personnes et de leurs mouvements par l’enregistrement numérique des images provenant des caméras installées à l’intérieur des bus. La relecture de ces images est réalisée sur stations fixes dans des centres de supervision distants. Au titre de ce marché d’un délai de réalisation prévu de 18 mois, Thales fournira 5 500 caméras couleur dont 1 300 avec dispositif audio, 1 300 enregistreurs numériques, 1 400 disques durs amovibles et 220 écrans machinistes. » Les réactions à cette annonce, s’inquiétant des dangers d’une telle entreprise pour les droits et libertés fondamentaux, ont été très nombreuses. Dès le 31 mars 2004, un communiqué de l’association « Souriez, vous êtes filmés » dénonçait la « surveillance généralisée des personnes ». Mais la politique d’équipement sécuritaire des transports publics s’est poursuivie implacablement. Du 4 mai au 2 juillet 2004, après une instruction commencée en février 2001, a eu lieu le procès dit « d’Outreau » de première instance. L’article de Wikipédia rappelle que « sept des dix-sept accusés - qui tous sauf quatre avaient toujours clamé leur innocence - furent finalement acquittés et six faiblement condamnés après avoir été longtemps maintenus en détention provisoire, pour certains pendant plus de trois ans sur la seule foi de déclarations mensongères ou inexactes de certains adultes et enfants. Le verdict surprit toutefois l'opinion publique par la condamnation de six personnes pour lesquelles la plupart des charges semblaient s'être effondrées pendant le procès ». Ces six accusés seront acquittés en appel en décembre 2005. La montée progressive de l’idéologie sécuritaire depuis 2001 et bien avant, a-t-elle vraiment été étrangère à la chasse aux sorcières de l’affaire d’Outreau ? Deux mois après le jugement de première instance de cette affaire, le décret sur le marquage nominatif obligatoire des bagages dans les trains voyait le jour, avec une brochette de signataires « par le Premier Ministre » Jean-Pierre Raffarin, comprenant Gilles de Robien (Transports), Dominique de Villepin (Intérieur) et Dominique Perben (Justice). Le 4 octobre, un arrêté du Ministère des Transports appliquait le décret à l’ensemble des « trains assurant des services nationaux et les trains assurant des services internationaux, tels que mentionnés aux articles 5 et 6 du cahier des charges de la Société nationale des chemins de fer français ». Des mesures qui font de chaque voyageur un suspect. C’est cette affaire, qui touche pour l’essentiel tous les trains de voyageurs circulant sur le territoire français, qui passe en audience devant le Conseil d’Etat le 15 juin. La politique sécuritaire se caractérise par une généralisation des pratiques de surveillance et de contrôle, mais aussi par une généralisation du soupçon. Peut-on sérieusement prétendre que cette idéologie n’a joué aucun rôle dans l’affaire d’Outreau ? Un ouvrage de Marie-Monique Robin paru récemment s’appelle rien de moins que : « L’école du soupçon. Les dérives de la lutte contre la pédophilie ». Un titre fort parlant. Dans sa présentation du livre, le commentateur de Lien Social Jacques Trémentin écrit : « le soupçon s’est installé, le moindre geste devenant suspect. Personne n’est plus à l’abri d’un règlement de compte ou d’une rumeur malveillante…(…) Ce sont des centaines de mini-Outreau qui ont eu lieu aux quatre coins de la France… (…) Nous sommes à la croisée de deux dérives : faire repasser la protection de l’enfant au second plan derrière les droits élémentaires des professionnels ou continuer à prendre le risque de traîner des innocents dans une terrible épreuve dont tous ne sont pas sortis vivants. Le plus inquiétant, c’est que la haute administration ait pu affirmer un moment qu’il valait mieux sacrifier neuf adultes innocents que de risquer de passer à côté d’un enfant victime… ». Mais la situation serait-elle devenue si difficile si les démarches et appréciations des uns et des autres n’avaient pas été baisées par une montée en force de l’idéologie sécuritaire dans l’ensemble de la société ?
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