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Budget Harper: la bourgeoisie à visage découvert

Eric Smith, Lunes, Mayo 8, 2006 - 12:08

Arsenal-express

Ce qu'il y a de bien avec le nouveau gouvernement Harper, c'est que contrairement à ceux qui l'ont précédé, il n'hésite aucunement à afficher son préjugé favorable aux capitalistes. Finies les entourloupettes par lesquelles l'ancien gouvernement libéral prétendait respecter les soi-disant "valeurs progressistes canadiennes", tout en mettant en place des politiques servant les intérêts de la bourgeoisie!

Le budget déposé mardi dernier par le ministre des Finances Jim Flaherty respecte en tous points les engagements des Conservateurs et surtout, ce pourquoi ils ont été élus: à savoir, défendre les intérêts de la bourgeoisie impérialiste canadienne, dans le cadre d'une alliance renforcée avec l'impérialisme US.

Grâce aux énormes surplus budgétaires dont il dispose, le gouvernement Harper n'a pas eu besoin de procéder à des coupes dans les budgets consacrés à la santé, à l'éducation ou au logement social. Néanmoins, les mesures fiscales qu'il a annoncées indiquent clairement à quelle enseigne il loge.

Le Parti conservateur se targue d'être le champion des baisses d'impôts. Pour les entreprises, cette prétention s'avère exacte: l'énoncé budgétaire du ministre Flaherty vient en effet confirmer la réduction de 2% du taux d'imposition des sociétés ainsi que l'élimination de la surtaxe de 1,12% qu'elles devaient assumer, qui avaient déjà été annoncées par son prédécesseur. Le budget prévoit également l'accélération du plan qui vise à éliminer progressivement l'impôt sur le capital. Ces mesures visent à permettre à la bourgeoisie canadienne de mieux tirer son épingle du jeu, dans le cadre de l'accentuation de la concurrence entre les grands groupes et pays impérialistes qui caractérise le monde actuel.

Mais la volonté affichée par les Conservateurs de diminuer les impôts n'est pas vraie pour tout le monde: ainsi, les contribuables les moins fortunéEs verront leur taux d'imposition passer de 15% qu'il était en 2005 à 15,25% cette année, puis à 15,5% l'an prochain. L'annonce de la diminution d'un pour cent de la taxe sur les produits et services est bien loin de compenser cette hausse. On calcule en effet qu'une famille dont le revenu est de 40 000$ devra acheter pour plus de 14 000$ en biens et services taxés pour rentrer dans son argent; pratiquement, il s'agit là d'une quasi impossibilité.

Quant à la fameuse prestation de 100$ par mois qui sera versée aux parents qui ont un enfant de moins de six ans -- qui vise à terme à remplacer le financement des services de garde et à faire reposer le fardeau de la garde des enfants sur le dos des familles -- on sait déjà qu'elle sera imposable, ce qui diminue d'autant l'impact qu'elle aurait pu avoir pour certains.

Le budget Flaherty vient également confirmer le réalignement opéré par la bourgeoisie canadienne, qui souhaite défendre ses propres intérêts en se collant de plus en plus ouvertement à la superpuissance US. Encore là -- on ne le répètera jamais assez -- ce réalignement avait été amorcé il y a déjà quelques temps par le gouvernement Martin. De fait, c'est lui seul qui a pris la décision de déployer massivement les troupes canadiennes en Afghanistan; cette décision n'a été que confirmée suite à l'élection du gouvernement Harper. L'orientation plus agressive du Canada au plan militaire se voit confirmée dans le budget Flaherty, qui prévoit l'augmentation de 5,3 milliards $ sur cinq ans du budget de l'armée canadienne, qui recrutera quelque 23 000 nouveaux soldats et réservistes.

Les Conservateurs ont également annoncé des investissements supplémentaires de 1,4 milliards $ sur deux ans dans le cadre de la "lutte contre la criminalité", qui englobe aussi la sécurisation des frontières. Cette décision vient répondre aux pressions exercées par l'impérialisme US, qui souhaite intégrer de manière plus serrée les systèmes de défense et de contrôle frontalier des deux pays. Sur le plan intérieur, le budget Flaherty se traduira par l'embauche d'un millier de policiers supplémentaires à la GRC et par l'agrandissement des prisons, voire même la construction d'un nouvel établissement pénitentiaire; le budget prévoit pour ce faire une "somme indéterminée" -- il s'agit en quelque sorte d'un "budget ouvert", dont profiteront sans doute quelques entrepreneurs véreux qui se spécialiseront dans la gestion des prisons, comme c'est on le voit aux États-Unis).

Le gouvernement Harper est conscient que les exigences actuelles de la bourgeoisie canadienne conduiront inévitablement à l'appauvrissement des plus démuniEs, et donc à l'augmentation des troubles sociaux. Le Canada de demain sera de plus en plus répressif et impitoyable à l'égard des laissés-pour-compte et des oppriméEs: les couches les plus pauvres au sein du prolétariat ainsi que les peuples autochtones, pour qui le budget de cette semaine vient d'ailleurs abolir l'entente que le gouvernement Martin avait conclue en novembre 2005 avec les chefs de bande, qui prévoyait l'octroi de sommes totalisant plus de 5 milliards $ sur cinq ans pour l'amélioration des conditions de vie des autochtones.

Réactionnaire jusqu'à la moelle, le budget Harper n'a suscité que fort peu de réactions au Québec, où la mouvance syndicalo-péquiste n'hésite pourtant pas en temps normal à dénoncer tout ce qui vient du gouvernement fédéral. Le président de la FTQ, Henri Massé, a ainsi raté l'occasion de donner un autre de ces formidables coups de poing sur la table dont il est spécialiste (des coups de poing jamais suivis par quelque action sérieuse que ce soit, faut-il le préciser). Le leader syndical s'est plutôt joint au concert de louanges que les organisations patronales et le gouvernement québécois ont accordé au budget Harper, en disant qu'il contenait une "série de bonnes petites mesures".

Quant au chef du Bloc québécois Gilles Duceppe, il a tenu à assurer Stephen Harper qu'il allait voter en faveur du budget, sans même réclamer la moindre modification! Certains y verront un simple "repli tactique" dicté par les résultats des plus récents sondages, qui incitent certes le chef bloquiste à faire en sorte que le gouvernement Harper fasse un bout de chemin, dans la mesure où le déclenchement d'élections anticipées s'avérerait surtout défavorable au Bloc. En fait, il y a bien plus que ça: comme défenseur des intérêts de la bourgeoisie nationaliste québécoise, le Bloc québécois, lui-même issu d'une scission au sein du Parti conservateur, est fondamentalement d'accord avec le genre de mesures proposées par Stephen Harper, y compris sur les questions sociales (rappelons que le Bloc a participé lui aussi à la campagne hystérique et irrationnelle des Conservateurs sur les questions de criminalité et de sécurité, lors de la dernière campagne électorale).

La question qui se pose maintenant, c'est de savoir combien de temps il faudra avant qu'un véritable mouvement populaire se développe, dans la rue, pour barrer la route aux mesures réactionnaires mises de l'avant par le gouvernement Harper -- cela, indépendamment des intérêts parfois contradictoires et des jeux de coulisse qui caractérisent la sphère politique bourgeoise.

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Article paru dans Arsenal-express, nº 100, le 7 mai 2006.

Arsenal-express est une liste de nouvelles du Parti communiste révolutionnaire (comités d'organisation).

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