From: La Riposte
Grandes manœuvres militaires des Etats-Unis dans les Caraïbes : le Venezuela et
Cuba menacés
Un article de Jorge Martin
Le lundi le 27 mars, un communiqué du Southcom - le commandement Sud de l’armée
des Etats-Unis - annonçait que « des porte-avions de la marine américaine,
déployés à partir de la côte Est des Etats-Unis, seront dans la mer des
Caraïbes, pour l’opération Partnership of the Americas, du début avril jusqu’à
la fin du mois de mai 2006 ». Ce groupe d’attaque sera composé du porte-avion
USS George Washington, du croiseur USS Monterey, du destroyer USS Stout et de la
frégate USS Underwood. La marine américaine enverra donc quatre navires, dont
l’un transportera 60 avions de combat, et au total 6 5000 soldats, pour prendre
part à un imposant exercice militaire.
Le but déclaré de l’exercice est de « renforcer les rapports militaires avec les
partenaires régionaux, améliorer la préparation opérationnelle et encourager la
bonne volonté ». Par « encourager la bonne volonté », il faut comprendre :
envoyer un message fort au Venezuela et à Cuba. Le commandant du Southcom, le
général Bantz Craddock, s’en est pris à plusieurs reprises au gouvernement du
Venezuela. La décision d’envoyer dans les Caraïbes cette force militaire d’une
envergure inhabituelle a été annoncée à peine deux semaines après que le général
Craddock a déclaré, devant une commission sénatoriale, que le gouvernement
vénézuélien est un « facteur de déstabilisation », du fait de son activité sur
la scène internationale et de sa volonté d’acheter des armes, notamment à la
Chine. « L’achat d’équipement militaire n’a pas été un processus transparent.
C’est un facteur de déstabilisation dans une région où différents pays
s’efforcent conjointement de faire face aux menaces internationales, plutôt que
de se combattre les uns les autres », a-t-il dit. Et il a ajouté : « Nous ne
sommes pas tout à fait convaincus que ces nombreux et imposants achats soient
justifiés par une volonté de défense nationale du Venezuela. »
Lors d’une conférence de presse qu’il a tenue, en juin dernier, lors de sa
visite en Uruguay, il a été encore plus précis : « Je ne considère pas Cuba
comme une menace militaire pour les Etats-Unis. Mais j’y vois une influence qui
crée, ou peut créer, l’instabilité et l’incertitude en Amérique latine, parce
que Cuba, évidemment, est un Etat totalitaire, un Etat communiste, et au
Venezuela il semble que les processus et institutions démocratiques soient en
péril. Cela peut créer, encore une fois, de l’instabilité et l’incertitude dans
toute la région, si ces processus sont exportés. Nous sommes donc préoccupés et
nous croyons que nos voisins, dans la région, devraient l’être aussi. » Il a
laissé planer une menace à peine voilée d’intervention militaire en disant : «
Le volet militaire est là pour créer les conditions de réussite des autres
solutions : les solutions économiques, politiques et sociales. »
Dans son récent document Strategy for National Security 2006, Washington définit
clairement le Venezuela comme une cible : « Au Venezuela, un démagogue dont les
poches sont pleines de l’argent du pétrole sape la démocratie et cherche à
déstabiliser la région. »
Il est clair que ces exercices militaires américains doivent être compris dans
ce contexte. Un article de la revue Virginian Pilot abonde dans ce sens : « La
présence de porte-avions américain dans les Caraïbes sera sans doute interprétée
comme un signal par les gouvernements cubain et vénézuélien », écrit Loren
Thompson, de l’Institut Lexington, qui ajoute : « Le fait que nous le fassions
maintenant sera interprété par Castro et Chavez comme l’indication de quelque
plan ou initiative de la part des Etats-Unis. »
Le Southcom dispose déjà de plusieurs bases militaires à portée du Venezuela.
Cela comprend des « zones de sécurité coopérative » à Aruba et Curaçao, près des
côtes du Venezuela, mais aussi à Manta, en Equateur, et au Salvador - en plus
des bases, plus grandes, à Soto Cano (Honduras), à Guantanamo (Cuba) et en
Colombie. Le Southcom vient d’élaborer une nouvelle « stratégie de théâtres
d’opération », dont une partie a été rendue publique. Son objectif premier est
de garantir que « les approvisionnements régionaux d’énergie circulent librement
sur les marchés internationaux et ne puissent pas être la cible d’agressions ».
Pour atteindre cet objectif, précise le Southcom, il est essentiel d’améliorer
la capacité des « forces de sécurité des pays partenaires à protéger les
infrastructures névralgiques » de l’industrie énergétique dans la région. Cela
vise de toute évidence le Venezuela, qui est le troisième fournisseur de pétrole
des Etats-Unis.
Plusieurs des objectifs de cette nouvelle stratégie demeurent classés (non
publics), mais l’objectif numéro six est d’« empêcher les Etats délinquants de
soutenir des organisations terroristes ». Dans la mesure où n’y a pas d’« Etats
délinquants » en Amérique latine, il ne peut s’agir que d’une référence au
Venezuela, que Washington accuse - sans preuve - de soutenir les guérillas des
FARC, en Colombie (qualifiées par le général Craddock de « narco-terroristes »).
En général, les grands médias capitalistes boycottent les avertissements du
président Chavez à propos du danger d’intervention militaire américaine contre
la révolution bolivarienne. Mais selon les informations disponibles, il s’agit
d’un danger très réel. Dans le contexte actuel, alors que l’armée américaine est
embourbée, en Irak, dans une guerre qu’elle ne peut pas gagner, il est peu
probable que Washington déclenche une guerre ouverte contre le Venezuela.
Cependant, il ne fait pas de doute que des préparatifs sont en cours. Une
intervention militaire pourrait venir appuyer des revendications autonomistes
artificiellement suscitées dans le Zulia, un Etat du Venezuela riche en pétrole,
situé près de la frontière colombienne, et dont le gouverneur est un opposant au
gouvernement central. Des politiciens de la région s’affairent depuis quelques
temps à réclamer un référendum sur l’autonomie de cet Etat vénézuélien. On
pourrait envisager un scénario dans lequel ils déclarent l’indépendance,
unilatéralement, et demandent une intervention étrangère pour garantir leurs «
droits démocratiques ». Ce type d’intervention pourrait se faire sous prétexte
de « maintien de la paix » (comme c’est le cas, en ce moment, de l’intervention
impérialiste en Haïti).
Ce ne serait évidemment pas une tâche facile. Chavez a déjà averti, à juste
titre, que le lendemain d’une intervention militaire contre le Venezuela,
l’ensemble du continent serait en flammes. L’Amérique latine connaît un virage à
gauche depuis quelques années, comme en témoignent les mouvements de masse, les
grèves générales, les insurrections et les élections de gouvernements que les
masses considèrent comme étant de gauche, etc.
Les Etats-Unis sont très inquiets de l’impact de la révolution vénézuélienne sur
le reste de l’Amérique latine. Ils accusent Chavez d’ingérence dans les
élections au Pérou et au Mexique, de même qu’ils l’ont accusé d’ingérence dans
les élections de décembre, en Bolivie, qui ont vu la victoire écrasante d’Evo
Morales. L’accusation selon laquelle le gouvernement vénézuélien finance
directement des candidats d’autres pays est évidemment sans fondement. Mais il
est tout à fait vrai que la révolution bolivarienne crée de l’espoir parmi les
masses ouvrières et paysannes du continent - et bien au-delà. Elle montre qu’il
est possible de défier les politiques imposées par Washington. Par le passé, les
événements suivait un cours bien précis, en Amérique latine : les masses
ouvrières et paysannes se mobilisaient et élisaient un gouvernement progressiste
qui était aussitôt renversé par un coup d’Etat militaire orchestré par les
Etats-Unis. Cela avait un effet démoralisateur sur les mouvements de masse du
continent. La révolution bolivarienne a changé la donne : le mouvement populaire
a fait échec à la tentative de coup d’Etat militaire contre le gouvernement
Chavez, en avril 2002.
Les effets de cette révolution se font sentir non seulement en Amérique latine,
mais également aux Etats-Unis, où vivent et travaillent des millions de
latino-américains, qui gardent souvent des liens avec leur pays d’origine. Les
centaines de milliers d’immigrants latino-américains qui, en ce moment,
manifestent et font la grève pour leurs droits, aux Etats-Unis, ne resteraient
certainement pas les bras croisés si les Etats-Unis s’engageaient dans une
provocation militaire contre le Venezuela.
Tout cela rend la révolution bolivarienne d’autant plus dangereuse pour la
classe dominante américaine. Elle se prépare systématiquement à y mettre un
terme. Cela implique le sabotage économique et des pressions permanentes, par le
biais des médias et de la diplomatie, pour empêcher le Venezuela de se procurer
des armes. Et les exercices militaires, dans les Caraïbes, sont à la fois une
menace claire et des préparatifs concrets pour une future intervention
militaire.
Ainsi, il est plus que jamais nécessaire que le mouvement de solidarité avec la
révolution vénézuélienne redouble d’efforts. Pas touche au Venezuela !
Le 30 mars 2006
Jorge Martin
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