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Les empoisonneurs

mihelich, Lunes, Abril 24, 2006 - 14:34

R.S.

Cet article est tiré de la plus récente édition de Notes Internationalistes - mars 2006

Rouyn-Noranda - Les empoisonneurs
Dans un article paru au printemps 2001, Notes Internationalistes avait traité de la préoccupante apparition de la bérylliose à l’usine Horne à Rouyn-Noranda, à la fonderie Gaspé de Murdochville ainsi qu’à l’affinerie CCR de Montréal. Le béryllium est maintenant classé comme un carcinogène humain par l’International Agency for Research on Cancer. La CSST a publié une liste de 2800 lieux de travail au Québec où les prolos sont exposés à ce métal potentiellement mortel, notamment dans des entreprises où l’on recycle et l’où on traite la nouvelle calamité industrielle de notre temps, les e-déchets (provenant des ordinateurs, des appareils photo, etc.). Nous avons aussi parlé ailleurs des conditions de vie et de travail scandaleuses prévalant dans la ville de Guiyu, à 400 kilomètres de Hong Kong. Dans cette ville, 100 000 hommes, femmes et enfants décortiquent quotidiennement des e-déchets à mains nues. Ils et elles s’exposent ainsi au mercure des batteries, au plomb de la soudure, à l’arsenic des produits de traitement et au béryllium présent dans les puces. Mais comme le sait depuis longtemps la population de la ville minière de Rouyn-Noranda, à l’instar de celles de tous les autres centres industriels de la planète, on n’a pas nécessairement à couler du métal, à respirer l’air vicié d’une galerie souterraine, où à travailler dans une usine de traitements de déchets dangereux pour voir sa vie compromise à courte échéance. Parlez-en à Sylvie Maillé, une ancienne employée d’un commerce de nettoyage à sec de Rouyn-Noranda. Sylvie est en arrêt de travail depuis le printemps 2004 parce qu’elle a contracté la bérylliose chronique. Pourtant, elle n’a jamais travaillé à l’usine. Comment donc a-t-elle attrapé la maladie? Tout simplement en manipulant les salopettes des ouvriers qu’elle s’appliquait à nettoyer! Manque de chance? Et bien, parlons alors du cas de Daniel Mantha. Lui non plus ne travaillait pas à l’usine et pourtant, il a aussi contracté la bérylliose chronique. Dans son cas, son métier de mécanicien sous-traitant l’amenait à faire des travaux d’entretien et de mécanique générale sur sept véhicules de la compagnie. Ce fut suffisant pour l’empoisonner lui aussi.

Remarquez que seulement 40% de la population a un «marqueur génétique» qui est associé à une disposition à cette maladie. Mais n’ayez crainte, les empoisonneurs ont vraiment tout prévu à Rouyn-Noranda. La Horne (maintenant associée à la Falconbridge) est aussi la deuxième plus importante pollueuse du continent pour ses émissions de plomb. Les gouvernements canadien et québécois se pètent régulièrement les bretelles en comparant leurs préoccupations environnementales à celles des États-Unis. Kyoto par ci, Kyoto par là et blablabla... Or, à elle seule, l’usine Horne, a rejeté 103 616 kg de plomb en 2002 (à elle seule, vous avez bien lu!), alors que le pire État américain était le Missouri avec 90 000 kg. C’est dire! Enfin, pour donner bonne mesure, les empoisonneurs n’y vont pas non plus de main morte avec l’arsenic qu’ils versent tout de go dans le cocktail létal qu’ils servent en quantité généreuse à leurs travailleurs tout comme à la population en général. En 2000, la quantité d’arsenic qui s’échappait de l’usine, pas seulement par les deux énormes cheminées mais aussi par les émissions diffuses, souvent au ras le sol, émanant directement de l’usine était minimalement de plus de 60 tonnes par année. Et toutes ses émanations extrêmement nocives (le béryllium, le plomb et l’arsenic) n’ont que 25 mètres à parcourir avant de se retrouver dans les carrés de sable et les domiciles du quartier résidentiel de Notre-Dame. En novembre 2004, le ministère de l’Environnement avait donné 18 mois à la fonderie pour réduire ne serait-ce que ses émissions diffuses d’arsenic. Mais la compagnie a depuis annoncé qu’elle retardait les travaux en fonction de son propre plan de rentabilité et menace de fermer l’usine si on lui rappelle ses engagements. Il faut lire les récentes déclarations du nouveau directeur de l’usine, «Monsieur» Marcel Faucher au journal La Frontière. [1] Cela, même si la profitabilité est en hausse, du fait d’un prix du cuivre avantageux et un taux d’exploitation des travailleurs beaucoup plus élevé, suite à leur mouvement de grève aux résultats défavorables du printemps 2002 au printemps 2003. [2]

Les travailleurs et les travailleuses de Rouyn-Noranda, de Guyiu, et en fait de tous les pays du monde ne sont donc pas au bout de leur peine. En leur empoisonnant ainsi l’existence, la classe capitaliste, cette cruelle Agrippine moderne, leur fait montre encore une fois de sa nature à la fois spoliatrice et gangreneuse. Le regretté cinéaste Richard Boutet avait bien raison d’avoir titré un de ses films, «La maladie c’est les compagnies». Le contre poison à cette maladie, c’est le programme révolutionnaire indiquant la voie vers une société nouvelle et une meilleure façon de vivre : un mode de production dont le seul but est l’usage social et non pas la recherche effrénée et destructrice du profit individuel. La seule force potentielle et fondamentale capable de porter et de réaliser ce programme de respect mais d’impérieuse nécessité est la nôtre. Travailleurs, travailleuses, c’est à nous d’y voir!

R.S. (à partir des informations d’un correspondant ouvrier)
[1] Le même Faucher qui a été envoyé à Murdochville pour fermer la Gaspé…
[2] Des travailleurs de la shop tentent maintenant de s’organiser de manière plus efficace pour la prochaine bataille.



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