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Charles Gagnon Un engagement intense, une révolte sincère, mais quel bilan?Anonyme, Sábado, Marzo 25, 2006 - 09:16 Deux ex-militants d’En Lutte!, une organisation maoïste des années 70, publient une lettre qui fait la critique politique de Charles Gagnon. Le stalinisme et le maoïsme de Charles Gagnon puis son humanisme après sa période de militantisme font que celui-ci ne fut jamais un marxiste à aucun moment de sa vie. ____________________________________________________________________________________________________________________________________ Un engagement intense, une révolte sincère, mais quel bilan? Le « leader des communistes québécois est mort » titrait Le Devoir du 19 novembre 2005. On s’étonnera peut-être qu’une publication de la Gauche communiste souligne le décès de Charles Gagnon. N’y a-t-il pas si longtemps qu’à peu près tout le monde l’avait un peu perdu de vue? Ce serait à tort. Nous faisons volontiers nôtre le dicton de Karl Marx : Nihil humanum alienum est – Rien de ce qui est humain ne nous est étranger. Acteur important du mouvement social au Canada pendant plus de vingt ans, le personnage mérite qu’on revienne sur son itinéraire politique. Nous tenions à le faire d’autant plus que certains d’entre-nous ont suivi ce même itinéraire pendant un bon moment. Nous ne voulions pas non plus laisser le dernier mot à la presse bourgeoise, grande et petite, qui a été en général particulièrement dure et revancharde à son endroit dans les divers articles nécrologiques qui lui ont été consacrés. C’était sans doute le prix que les nationalistes ont voulu lui faire payer une ultime fois pour sa critique, somme toute fort incomplète, du mouvement nationaliste québécois et des mouvements de libération nationale dans leur ensemble. Membre éminent du Front de libération du Québec, puis secrétaire général de l’Organisation communiste marxiste-léniniste du Canada En Lutte!, de tendance mao stalinienne, Gagnon, du moins tout au long de sa vie publique, fut fort éloigné des positions que nous défendons. Nous parlons ici de la vie publique de Charles Gagnon car, après la dissolution d’En Lutte!, il semble s’être replié dans une existence où la déception personnelle et le besoin de recul se confrontaient et le plus souvent l’emportaient face à une folle envie de peser à nouveau sur les événements. Notre critique politique de Charles Gagnon n’est pas personnaliste. Elle cherche à analyser les idées plutôt qu’à accabler l’homme, et cela, indépendamment de la noblesse de ses intentions. Karl Marx, dans sa célèbre préface à sa Critique de l’économie politique avait déjà noté qu'on ne pouvait s’en tenir à juger un individu selon l'idée qu'il se fait de lui-même. Notre courant politique a déjà décrit ailleurs sa méthode générale d’appréhension du rôle de tel ou de tel individu dans l’histoire. Dans Le Bordiguisme et la Gauche italienne, nous écrivions : « Tout d’abord, comment doit-on appréhender l’œuvre d’un militant de l’avant-garde révolutionnaire, la contribution plus ou moins importante qu’il a apportée à l’élaboration des problèmes d’ordre théorique en général, économique et historique, ou bien ceux qui concernent plus directement la pratique politique et la tactique ? Nous pensons qu’elle doit être considérée de la façon la plus impersonnelle, y compris lorsqu’elle est personnelle à l’extrême ; en ce sens que le révolutionnaire, quelle que soit l’époque de son apport théorique, quel que soit son nom, opère à partir des matériaux provenant du champ d’expérience historique de la classe ; il reprend les éléments que d’autres avant lui sont parvenus à dégager et à développer jusqu’à un certain point, tel que le permettait alors un degré donné de développement de l’expérience de la classe sous la pression des conditions objectives et des besoins propres à un moment donné de la vie du capitalisme ». Né dans une famille nombreuse et pauvre du Bic, Charles Gagnon a fait ses études classiques au Séminaire de Rimouski durant les années 50, puis au début des années 60, il s’est inscrit à la Faculté des Lettres de l’Université de Montréal où il militera dans les associations étudiantes puis participera une certain temps à la revue Cité Libre de Pierre Elliott Trudeau. En 1963, il fera la rencontre de Pierre Vallières auquel il sera associé étroitement (on se souviendra des Comités Vallières-Gagnon) dans divers projets politiques nationalistes de gauche dont : Révolution québécoise, Parti Pris, le Mouvement de libération populaire puis le Front de libération du Québec (FLQ) en 1966. (1) Il sera arrêté et emprisonné à New York avec Vallières la même année (ils s’y étaient rendus pour travailler à la création d’un front multinational de libération), puis les deux seront extradés au Québec en janvier 1967, où ils seront longuement détenus à la prison de Bordeaux. C’est là que Gagnon écrira Feu sur l’Amérique – Une proposition pour la révolution nord-américaine. Libéré de prison en février 1970 après 41 mois d’incarcération et après avoir été acquitté d’une accusation de meurtre, il sera à nouveau emprisonné lors de la Crise d’octobre 1970 et ne sera finalement relâché que le 16 juin 1971. Il allait alors tourner une nouvelle page de sa vie. Le début de ce nouvel épisode sera marqué par une rupture très médiatisée avec son camarade et ami Pierre Vallières, qui publie en 1971, L’urgence de choisir et devient membre du Parti Québécois. En général, on identifie la rupture des deux anciens camarades au refus tout à fait raisonné de Gagnon de suivre Vallières dans son aventure péquiste. Cela serait oublier commodément que leur première rupture politique était survenue plus tôt, au sujet de l’action armée minoritaire que menait le FLQ, et que Vallières allait soutenir jusqu’à la veille de son tournant spectaculaire au profit du PQ. (2) La réponse de Gagnon au virage de Vallières sera un modeste opuscule d’une quarantaine de pages et qui ne payait pas de mine, publié le 29 octobre 1972 et dont le titre était Pour le parti prolétarien. Ce document bénéficiera d’une très importante diffusion militante. Nous nous souvenons qu’à la première lecture de ce texte, avoir été particulièrement impressionnés par le paragraphe suivant, en démarcation importante avec tout ce que nous croyons auparavant et qui caractérisait d’ailleurs le Charles Gagnon de la période du FLQ. « Notre histoire nous a déjà appris que « la nation des nationalistes » est une notion fort trompeuse. Dans les programmes des partis nationalistes et en périodes électorales, surtout quand la victoire paraît possible, la « nation » désigne tout le monde sans exception : les pompiers, les ouvriers, les politiciens, les policiers, les juges, les industriels, les ménagères et les chômeurs, sauf les Juifs et les Anglais! Mais, dès la victoire remportée, au premier conflit important, on voit les policiers « nationaux » matraquer les ouvriers « nationaux » sur l’ordre de l’État « national » maintenu coûte que coûte dans la légalité par les juges « nationaux »; les ménagères « nationales » et leurs enfants manquent alors de l’essentiel, les industriels « nationaux », fussent-ils juifs ou anglais, maintiennent leur taux de profit et les société de prêts personnels « nationales » font des affaires d’or… » (3) À l’époque, cette rupture apparente nous avait donné l’impression d’avoir été opérés de la cataracte. Enfin, nous voyions clair! Cependant, nous avons été frappés lors de la relecture de ce pamphlet 34 ans plus tard, de constater comment l’ensemble du document reste tout de même englué dans le nationalisme et le tiers-mondisme du gauchisme de bon ton de l’époque. Malheureusement, les choses n’ont pas vraiment changé de ce point de vue. Ce manifeste deviendra en quelque sorte le document fondateur du mouvement « marxiste-léniniste » du Québec, pour un temps l’un des plus puissants en Occident, avec ceux de la Norvège, du Portugal, de la Belgique et de l’Espagne. (4) C’est autour de cette brochure que l’Équipe du Journal (EDJ) commence à se constituer. Le 1er mai 1973 paraît le premier numéro du journal En Lutte! en français. En septembre de la même année, l’EDJ entreprend de publier le journal à toutes les deux semaines, à travers le Québec. Elle s’associe dès lors au Comité de solidarité aux luttes ouvrières (présent lors des luttes prolétariennes dures et très nombreuses de cette époque), comme à l’Atelier Ouvrier, composé notamment d’ouvriers de la chaussure, et qui produira une critique étonnement juste du rôle de la convention collective et du syndicalisme. En novembre 1974, le groupe En Lutte! tient son premier congrès. Il se constitue autour d’un document qui sera publié en supplément du numéro 29 du journal sous le titre « Créons l’organisation marxiste-léniniste de lutte pour le parti. » (5) La critique initiale du syndicalisme sera rejetée comme le sera la lutte de libération nationale du Québec. L’organisation confirme son orientation « marxiste-léniniste » et anti-révisionniste. Elle est le produit de toute une génération de rebelles, au Québec et dans le monde, qui se lève certes pour dénoncer toutes sortes de formes d’oppression et d’exploitation, et qui est rebutée par ce qu’elle connaît du goulag en URSS et dans le Bloc de l’Est, mais qui prend pour acquis les prétentions du maoïsme et de son mouvement de « jeunesse » à renouveler le projet socialiste. On connaît la suite. À peine une dizaine d’années plus tard, En Lutte! tout comme des dizaines d’autres organisations (quelques fois assez puissantes) du « new communist movement » à travers le monde seront emportées comme fétus de paille dans une vague de dissolutions successives. Ce phénomène mériterait une analyse en soi. Notre groupe publiera d’ailleurs bientôt une analyse critique du maoïsme qui bénéficie d’une légère reprise en Amérique du Nord et conserve des bastions en Asie (assez pour que le prestigieux Financial Times lui accorde récemment un article substantiel). Quitte à dire, qu’après des débuts prometteurs, l’organisation sera ébranlée par les solides coups au corps de l’abominable politique extérieure de la Chine, et ce du vivant de Mao, de la scission sino-albanaise et de l’ensemble du mouvement « marxiste-léniniste » qui s’en suivit, de la guerre entre les patries « socialistes » sœurs qu’étaient la Chine et le Vietnam, des horreurs avérées cambodgiennes, etc. Une ancienne bureaucrate syndicale et politicienne déchue, Monique Simard, transformée en productrice de cinéma, a voulu voir dans la disparition d’En Lutte! et du PCO (voir la note 4), la preuve que ces organisations avaient accompli leur sale boulot « anti-nationaliste » au référendum de 1980 et pouvaient donc maintenant disparaître (voir Il était une fois…le Québec rouge). Son ignorance crasse et son délire sur une prétendue conspiration aussi large nous laissent pantois… Il reste qu’au Québec, la prise de position en faveur de l’annulation aura sans doute eu un certain effet catalyseur et dissolvant. Bon nombre des anciens « ml » d’hier étant devenus des pontes des institutions nationalistes d’aujourd’hui. Ce n’était pas le cas de Gagnon. En fait, son désir avoué « d’être un très mauvais nationaliste » du même coup qu’il n’a jamais trempé dans le fédéralisme canadien (contrairement aux infamies propagées par la presse bourgeoise), aura sans doute un peu contribué à sa marginalisation professionnelle ultérieure. Vers la fin d’En Lutte!, Gagnon entreprendra une étude et une production d’articles critiques d’un assez haut niveau et faisant preuve d’une pensée relativement indépendante, tenant compte de ses affiliations idéologiques de l’époque. Le quatrième congrès de l’organisation votera sa dissolution en juin 1982. Charles Gagnon ne s’en remettra jamais tout à fait. Sa profonde déception d’alors, une déception dont il ne s’est jamais vraiment remis, est marquée autant par les amitiés trompées et trahies par une lutte intestine féroce, que par le désarroi idéologique et la débandade organisationnelle après tant d’années d’efforts et de sacrifices. Les années suivantes seront marquées par un certain isolement. En définitive, la dernière période de sa vie aura été difficile sur le plan humain et, si ses interventions politiques ont finalement été plutôt ponctuelles, nous croyons tout de même utile de noter qu’elles se situèrent toujours dans une perspective critique de la société capitaliste. Mais en fait, ses textes seront de plus en plus vagues. De manière croissante, il fera référence à des conceptions vaguement humanistes et/ou faisant appel à des entités a-classistes tel la jeunesse. En fait, il devient un être quelque peu shakespearien qui tend à s’abîmer dans ses réflexions tout en conservant un désir inassouvi de reprendre du service. C’est comme s’il attendait qu’on le rappelle. Dans le dernier texte publié de son vivant, nostalgique, il écrira de ses années d’engagement : « Je savais pourquoi je me levais tôt, pourquoi je me couchais tard. Je retrouvais mes camarades avec joie. Ensemble, nous allions quelque part ; nous savions où nous allions et pourquoi. » (6) Replié sur lui-même, relativement déconnecté des luttes sociales qui ont alimenté sa révolte initiale, sa pensée politique et son engagement, Charles Gagnon nous rappelle Antée, ce personnage de la Mythologie grecque. Réputé fils de Poséidon, le dieu de la mer et de Gaia, la Mère Terre, Antée était un lutteur coriace qui était invincible tant qu’il conservait le contact avec la terre. Sa mère Gaia décuplait alors ses forces. Cependant, Héraclès devina la source de son énergie et lors d’un combat singulier, il souleva Antée en le prenant à bras-le-corps. Il put alors lui briser les os de son torse et le maintint en l’air jusqu’à ce qu’il expira. Ainsi, Charles qui n’avait pas été vaincu par ses années d’emprisonnement et par les difficultés publiques et personnelles lié à son engagement et la place qu’il a pris pendant de nombreuses années dans l’histoire du Québec, aura en fin de compte été terrassé politiquement par le splendide isolement qu’il s’est imposé volontairement ces vingt dernières années. Coupé des luttes et du contact avec les prolétaires avec qui il avait naguère su communiquer de façon si naturelle et si « organique », (7) il perdit graduellement le fil de la recherche théorique relativement prometteuse (8) qu’il avait entreprise dans la période menant à la dissolution d’En Lutte ! Il avait alors amorcé de faire le bilan, de comprendre l’échec du socialisme au XXe siècle, en vue d’un net dépassement, d’un aufhebung (9) de ses convictions gauchistes et staliniennes antérieures. Même si nous avions récemment repris la discussion avec Charles sur la question syndicale, nous ignorons complètement les détails et les circonvolutions de l’évolution de sa déconstruction/dissolution théorique. Marx parle assez souvent de « l’apparence trompeuse des choses ». Dans le Capital, il écrit qu’une « marchandise paraît au premier coup d’œil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c’est une chose très complexe, pleine de subtilités métaphysiques et d’arguties théologiques.» Imaginez alors la complexité de l’être humain lui-même ! Surtout chez un individu de la trempe et du registre de Charles… Alors que chez bon nombre de ses anciens camarades, la dissolution d’En Lutte ! les mènera à rompre explicitement avec le marxisme (10), pour quelques éléments, la poursuite de la réflexion théorique et un engagement maintenu dans les luttes ouvrières les mèneront, après bien des travers et des tâtonnements, à la Gauche communiste et au Bureau International pour le Parti Révolutionnaire. Ceux d’entre nous qui avons choisi cette voie ardue conservont de Charles le souvenir ému d’un homme et d’un militant profondément humain et sincère, mais qui n’a finalement pas pu résister autant que nous l’aurions espéré et qu’il eut été nécessaire, aux difficultés du combat communiste. De nos expériences partagées avec lui, nous tenterons de conserver « ses moments de vérité » mais de poursuivre plus loin et bien autrement son combat pour la construction du parti prolétarien. Pas le parti d’une simple révolution québécoise ou canadienne, mais bien le parti international et internationaliste de la révolution prolétarienne mondiale. C’est cette révolution, et elle seule qui pourra sauver le monde du pourrissement environnemental et social produit par la logique de la production pour le profit, et la remplacer enfin par un système de production basé sur l’usage social et le partage fraternel. Salut Charles ! Réal Jodoin 1) En 1986, dans une entrevue accordée à la revue Révoltes, il dira : « J’ai appartenu au FLQ de 1966. Je tiens à faire la distinction parce que les premiers groupes du FLQ, à partir de 1963, étaient beaucoup plus nationalistes que celui de 1966 où les questions sociales étaient plus présentes. D’ailleurs, les actions du groupe auquel j’appartenais se sont faites surtout dans les conflits ouvriers comme Lagrenade et Dominion Textile ». Groupe Internationaliste Ouvrier, section canadienne du Bureau International pour le Parti Révolutionnaire Courriel: can...@ibrg.org Site Web: www.ibrp.org
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