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Dieu, entre libéraux et conservateurs

Anonyme, Martes, Marzo 14, 2006 - 12:49

Aux États-Unis, l’idée est quasi unanime que les conservateurs sont des gens religieux et compassifs, pendant que les libéraux sont progressistes, qu’ils sont toujours en faveur des changements et de la socialisation de la compassion. Si en Amérique Latine un libéral est un indigne serviteur de l’empire américain, aux États-Unis c’est un stupide gauchiste, en certaines occasions un peu moins qu’un traître envers la nation bénie de Dieu.

Mais ces définitions ne sont pas seulement des définitions populaires; les discours moralisateurs sont toujours accompagnés par quelque type de pratiques qui les confirment ou les contredisent. Par exemple, ils ne sont pas peu nombreux les conservateurs compassifs anglo-américains attachés aux armes. Fréquemment, ce sont les mêmes qui se scandalisent de l’horrible spectacle que donnent les Espagnols torturant et tuant un taureau pour le plaisir, tandis que leur sport favori est d’aller tuer des cerfs, des oiseaux et toute bestiole qui bouge, non par compassion mais par divertissement civilisé. Il y a des exceptions : quelques millionnaires sortent tuer des animaux afin de s’alimenter, ce qui est un argument respectable, propre à une âme compassive. Ou c’est un problème de taille ou simplement c’est une vielle histoire : les sauvages, ce sont les autres, et non nous-mêmes. Les cartes de l’Europe médiévale appelaient l’Afrique du nom de ‘’ Barbarie ‘’; pour les Grecs antiques et les Romains, les barbares étaient les « rouges » du Nord, de la périphérie de l’empire, and so on.

La dernière tendance indique que pour être considéré un bon libéral – s’il y en a – parce que cette qualification maintenant s’emploie comme une insulte – il faut avoir au moins des valeurs et des principes conservateurs. Cette simplification est le produit de la scolarisation réalisée par les médias de désinformation, spécialement par les radios, où s’opère un paradoxe historique très commun dans d’autres pays : les antiques libéraux républicains sont maintenant les plus radicaux (et souvent les plus furieux) conservateurs.

Comme nous l’avons déjà vu, à la suite du terme « conservateur » l’adjectif associé par la répétition du discours social est celui de compassif, lequel indique un éternel soupçon de ce qu’un conservateur n’est pas un être compassif. Quelque chose comme dire ‘’ religion tolérante ‘’ ou ‘’ socialiste démocrate ‘’. Si c’est socialiste cela devrait être démocratique, mais comme l’histoire a démontré une tendance opposée du XX è siècle, on adjoint l’adjectif comme une forme de mise au point, d’avertissement inconscient. Ce qui est curieux, paradoxal, c’est que s’il y a un qualificatif ou une condition difficile à accoupler à la catégorie de ‘’conservateur’’ c’est celle ‘’d’écologiste’’. En résumé, selon les plus radicaux, la compassion conservatrice consiste en ce que l’aumône que reçoivent les nécessiteux soit reçue de la main propre du donateur, en des occasions à travers une église (en passant, Dieu en prend note). Mais jamais à travers un système abstrait, impersonnel comme celui de l’État. Pour que cette logique fonctionne, bien sûr, les impôts ne devraient pas exister – ce n’est pas par hasard qu’aux États-Unis les impôts sont déductibles. C’est comme abattre deux oiseaux d’un seul tir, quoique le saint se méfie.

La géniale idée économique qui domine la pensée conservatrice des dernières quarante années est la suivante : si les classes hautes s’enrichissent, cette richesse débordera vers les classes basses. On ne devrait pas pénaliser le succès, par conséquent, plus une personne est riche moins elle devrait payer d’impôts. Une fois, un harangueur radial a dit que les noirs pauvres aux États-Unis possédaient plus de richesses que ceux de la classe moyenne d’Afrique, selon lequel chaque noir devrait se sentir privilégié d’être né sur ce sol, en non sur la terre de leurs ancêtres. Il ne manquait que chaque afro-américain ne remerciât ceux qui servirent d’agent d’immigration pour les affaires africaines au XIX è siècle. Ces observations révèlent une mentalité irréversiblement matérialiste; on ignore que la violence morale ne se mesure pas en dollars mais en relations sociales (ce qui peut être une bénédiction dans un contexte est une humiliation dans un autre). Cette idée, l’idée que les classes bases reçoivent les bénéfices qui débordent des classes hautes est apparemment beaucoup éloigné d’être compassif, propre d’une morale religieuse où tous nous sommes ‘’enfants de Dieu’’. Le principe universaliste et démocratique de Jésus reste annulé, mais il est annulé par une autre idée religieuse beaucoup plus vieille : Dieu a voulu qu’il y ait des « groupes élus ». Cependant, l’idée que la richesse déborde naturellement lorsqu’elle s’accumule en excès assume que l’être humain possède une limite à ses ambitions. Idée qui a été réfutée historiquement dans la pratique, avec des exceptions honorables. Exceptions qui sont mises en exemples de façon répétée sans considérer qu’elles sont des exceptions et non la règle en elle-même.

Mais le point de vue qui m’intéresse maintenant est le premier. Quelle relation logique, nécessaire ou, à tout le moins, historique existe-t-il entre « être conservateur » et « être un esprit religieux » ? Nous n’allons pas réfuter l’innocente idée que pour être religieux il faille aller à l’église. Il suffirait qu’une seule personne se déclare profondément religieuse et anti-cléricale, religieuse et anti-dogmatique, religieuse et indifférente devant tout type de rituel ou de démonstration publique pour annuler cette condition nécessaire. Qui pourrait me nier le fait de m’auto définir religieux sans religion ? D’un côté, nous pourrions penser que l’idée que ‘’ tout passé fut meilleur ‘’ est dans la tradition religieuse (quoique d’origine grecque) et, par conséquent, tout changement nous corrompt chaque fois plus. Au contraire, « l’essence » du progressisme (pilier central de l’antique Modernité) est, précisément, que l’histoire évolue pour le bien : ‘’ tout futur peut être meilleur ‘’.

Maintenant, le consensus que pour être une personne profondément religieuse doit être en même temps conservatrice entre en contradiction avec l’histoire. Je ne connais pas un seul chef religieux qui ait été conservateur, quoique cela, sans doute, soit dû à ma vaste ignorance. Peut-être ma connaissance se limite-t-elle seulement aux grands révolutionnaires : Moïse, Bouddha, Jésus, Mahomet, etc. Même Martin Luther. Qui ne fut pas le père des conservateurs sinon un révolutionnaire ? Ce n’est pas par hasard que sa réforme s’est appelée ‘’ protestante ‘’, quoiqu’il suffirait de dire que ce fut une réforme. Un théologien pourrait dire qu’une partie de sa réforme mettait l’accent sur un retour aux Anciens Testaments, mais encore sur ce point de vue, ‘’ retour ‘’ signifie une profonde confrontation à des siècles d’autorité de l’église à laquelle appartenait ce même Luther. Et bien qu’il fut politiquement conservateur à certains moments de la lutte des paysans, il n’en est pas moins certain que ses réformes en terminèrent avec l’ordre médiéval d’organisation sociale, en plus de nier au Pape et à son église l’autorité d’interpréter les textes sacrés. Sa réforme fut un acte risqué de désobéissance et une révolution dans les structures sociales de son époque.

Encore moins en ce qui concerne Jésus nous ne pouvons découvrir quelque chose qui puisse être qualifiée de conservatrice. Au contraire, les exemples abondent de son désintérêt pour le dogme et les conventions sociales et religieuses de son époque. Je ne m’imagine pas le fils du charpentier sortant à la chasse avec un groupe de magnifiques pharisiens ou reprochant à la veuve sa misérable pièce de monnaie. Plus que désintérêt pour le pouvoir et le protocole : calme mépris. Il suffirait de rappeler chacun de ses questionnements à la loi, à l’ordre établi par sa propre religion et par la structure politique de l’Empire : il n’affronta pas le pouvoir politique en tirant des bombes ou promouvant des guerres, mais en niant sa valeur à la vie humaine, c’est-à-dire, cessant de reconnaître l’autorité, désobéissant. L’idée de rendre à César ce qui lui revenait est un mépris et non une claudication. Lorsqu’il sauva la femme adultère d’une mort certaine qu’imposait la loi de Moïse, il le fit annulant cette même loi; non en déclarant que la loi devait être ignorée, transgressée, mais procédant avec un raisonnement très simple et implacable : ‘’Que celui qui est libre de toute faute lui lance la première pierre’’.

Si la loi demeurait en vigueur, alors il ne pourrait y avoir de juge sur terre qui l’appliquerait. Ce qui est la même chose que son annulation. Bien sûr que si Jésus eut posé la même question en nos orgueilleux temps, plus d’un pécheur eut lancé non une pierre mais une merveille de la science. Que nous dirait le Christ de ces chrétiens compassifs qui défendent avec ardeur et sérénité la peine de mort ? Ce ne serait pas inutile de rappeler à ces puritains qui se frappent la poitrine pour leur haute morale, que non seulement l’orgueil est le pire des péchés profusément mentionné dans les livres sacrés (et dans les écrits luthériens), mais que le même Jésus, lorsqu’il fut abandonné et nié par certains de ses disciples, fut suivi et pleuré en solitude par une prostituée, Marie-Madeleine (quoique les théologiens de bataille ont fait d’inhumains efforts pour démontrer que Marie-Madeleine n’était pas une prostituée). Ils oublient aussi que la doctrine calviniste de la richesse matérielle comme signe d’être un des élus de Dieu, s’écroule devant une seule phrase de Jésus : ‘’Il sera plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux’’. Il faut voir Jésus, le fils d’un pauvre charpentier, qui jamais ne réalisa son rêve américain (ou romain) parce que cela ne l’intéressait pas de changer son rêve pour une Suburban Utility Vehicule ou pour les confortables premières classes des avions qu’utilise le Pape. Ou la subversive coutume de Jésus de s’entourer de pauvres et de malades, gens d’une unanime classe basse, veuves et qui sait d’autres marginalisés qui furent effacés de la mémoire de l’humanité trois-cent années plus tard, au concile de Nice, lorsqu’on élimina des dizaines d’évangiles qui furent immédiatement déclarés ‘’apocryphes’’. Ou son unique moment de colère, expulsant les commerçants du Temple, si bien représentés à ce jour par les obscènes alliances « morales » entre politiciens, entreprises financières, pétrolières et églises.(1)

L’expression ‘’God Bless America’’ (Dieu Bénisse l’Amérique) a été, en certaines occasions, paraphrasée et contestée par d’autres américains qui préfèrent dire : ‘’God bless america and every country in the world’’ (Dieu bénisse l’Amérique et tous les pays du monde). Paradoxalement, ces ‘’ libéraux’’ ont été accusés de traîtres. Paradoxalement, ces accusations sont venus des secteurs conservateurs, c’est-à-dire, de ceux qui professent la religion de l’Amour universel de Dieu.

Il est certain que la condition de libéral ou de conservateur n’a rien à voir avec la valeur morale de chaque individu. Le mensonge et la stupidité ne sont l’apanage d’aucun. Mais il y a des moments dans l’histoire dans lesquels une des bande accumule tout le pouvoir, l’orgueil, le mensonge véritable et la stupidité d’autrui. La coutume entre les plus puissants est de nier les actions immorales ou de prendre la totale responsabilité de leurs erreurs. Dans les deux cas les conséquences sont les mêmes : aucune.

(1) Matthieu 21 :12-13 : ‘’ Jésus entra dans le temple de Dieu. Il chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons. Et il leur dit : Il est écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous en faites une caverne de voleurs ‘’.

Jorge Majfud
Février 2006
Université de Géorgie

Traduit de l’espagnol par :
Pierre Trottier , mars 2006
Trois-Rivières, Québec, Canada



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