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L’affaire CHOI-FM : conscience politique ou néo-populisme ?

Anonyme, Martes, Enero 31, 2006 - 20:48

Jean-Michel Marcoux et Jean-François Tremblay

Cet article rend compte de certaines des conclusions provenant d’un rapport de recherche construit sur la base de près de 150 entrevues effectuées auprès des auditeurs mobilisés, d’une analyse du discours entendu en onde, de la recension des lettres d’opinion dans les journaux et des données BBM - propose une interprétation globale du phénomène de mobilisation autour de la station radiophonique CHOI-FM radio X.

De l’apparence d’une conscience politique…
Le mouvement pour la sauvegarde de la station CHOI-FM radio X a certainement fait couler beaucoup d’encre. Dans cette affaire, la contestation de la décision du CRTC a ceci de particulier que la démarche juridique entre les parties concernées s’est accompagnée d’une mobilisation populaire massive et multiformes : pétitions, lettres d’opinion envoyées aux différents journaux, interpellation des élus et même de l’ONU, des apparitions télévisuelles, etc. Ces nombreuses sorties publiques ont connu leur apogée lors de deux grandes manifestations : l’une à Ottawa (3000 personnes) et l’autre à Québec (pas moins de 30 000 personnes !). De toute évidence, il s’agit-là d’un phénomène unique au Québec qui a, par son amplitude, polarisée l’espace publique et conduit de nombreux protagonistes du monde politique et académique à se prononcer sur sa signification et sa portée.

D’un grand nombre des interprétations formulées durant la période de mobilisation, un fait semble être pris pour acquis : cette mobilisation pour la défense de la station, reconduite en défense de la liberté d’expression, constitue un événement éminemment politique. L’affaire devient cependant plus ambiguë lorsque l’on constate que ce groupe d’individus mobilisés est essentiellement composé de jeunes hommes appartenant à la classe moyenne inférieure (ce que notre recherche a confirmé), lesquels sont traditionnellement réputés peu enclin à une participation active à la vie publique. Cherchant à interpréter ce paradoxe, certains idéologues qui ont accompagné ce mouvement ont avancé l’idée que cette consistance politique était une réalité profondément ancrée chez les auditeurs mobilisés. Cette lecture des événements, assez généralisée dans l’opinion publique, laisse à penser que l’affaire CHOI-FM aurait permis la traduction en acte d’une force politique latente composée d’une nouvelle génération d’individus qui ont en partage des valeurs foncièrement différentes des générations précédentes.

À ce titre, notre étude révèle en effet que cette contestation est à première vue porteuse d’une consistance politique, car les auditeurs et leur station semblent avoir en partage certaines valeurs sociales et politiques qui relèvent d’un conservatisme à l’américaine. Les uns comme les autres portent des valeurs individualistes et parlent d’un désengagement massif de l’État, de la libéralisation des marchés, tout ceci bien sûr animée d’un anti-syndicalisme cinglant, etc. Cette orientation se confirme si nous nous rapportons au comportement électoral des individus interrogés. En effet, nous observons que ceux-ci appuient massivement les mêmes Partis politiques (ADQ et PCC) encouragés par la station CHOI-FM (rappelons au passage que cette station a servi de tremplin pour l’élection d’un candidat adéquiste dans Vanier). Jusqu’ici, nos données rejoignent en quelque sorte l’interprétation générale qui est faite de cette mobilisation : les auditeurs interrogés tout comme les animateurs sont porteurs d’un discours fortement homogène et radicalement néoconservateur.

... à l’évidence du néo-populisme
Or, lorsque nous laissons de côté les interprétations idéologiques et le discours des animateurs pour ce concentrer sur celui des auditeurs mobilisés, nous constatons qu’un fort caractère d’asymétrie se dégage de ce phénomène d’homogénéité du discours. En effet, contrairement à la manière dont se présente cette mobilisation, les matériaux que nous avons analysés montrent clairement que cette affaire n’est qu’accidentellement politique. Aux nombres des faits, la grande majorité des auditeurs a affirmé ne s’être jamais intéressé aux questions politiques (même à celle de la liberté d’expression) avant la menace de la fermeture de la station. De même, leur participation aux démarches d’appui à la station est exempte de toute forme d’implication ou de dialogue à caractère politique, ce qui se confirme d’ailleurs lorsque nous jetons un coup d’œil du côté du Liberty club qui, créé dans la foulée des événements, se présente comme un « fans club » et non comme une organisation liée à la cause politique prétendue de la station. À plus forte raison, il a été frappant de voir comment les personnes interrogées ont exprimé leurs opinions de manière prompte, rapide et catégorique, sans pour autant être en mesure de les argumenter ou de les justifier. De plus, cette dépolitisation s’accompagne, du point de vue culturel, de la participation active des auditeurs à ce que nous qualifions de « société des loisirs » : les divertissements tels que le cinéma et la musique à la sauce américaine ainsi que les médias populistes arrivent au premier rang dans le choix des auditeurs. En outre, ils sont aussi de très bons consommateurs d’activités récréatives, notamment celles liées à la station CHOI-FM, et ils s’identifient fortement à la publicité et aux marques dont la station fait la promotion. Bref, l’attrait politique et les questions d’intérêts publiques ne sont que secondaires dans l’économie d’ensemble du mode de vie, en tout point axé sur la culture de la consommation de masse, de l’auditoire mobilisé dans cette cause.

Maintenant, quant au voile politique que revêt ce phénomène, il s’explique par le fait que le discours des auditeurs est en tout point le reflet de celui des animateurs. Ce mimétisme s’est confirmé lorsque nous interrogions les auditeurs sur les opinions sociales et politiques qu’ils défendaient : en effet, en ce qui a trait au volet social et politique, les réponses et leurs significations qu’avançaient les auditeurs étaient systématiquement limitées à celles que nous pouvions entendre sur les ondes le matin, le midi ou dans les jours précédents les entrevues. Il ressort donc que l’effet de mimétisme et de mode sur lequel repose la logique de consommation de masse s’est de toute évidence transposé ici dans le domaine politique au moment où cette station commerciale, cherchant à garantir sa survie, a recouru de manière tout à fait opportuniste quelques leviers politiques. De ce point de vue, le rapport de réciprocité entre la station et les auditeurs ainsi que la logique consumériste qui la sous-tend laisse à penser que le phénomène d'appui à la station CHOI-FM est en quelque sorte tout aussi éphémère et contingent que le contexte dans lequel prennent forme les opinions des animateurs.

Est-ce qu’il faut pour autant détourner notre attention de ce type de phénomène ? Notre réponse est définitivement non et nous aimerions terminer en insistant sur ce qui, de notre point de vue, constitue la véritable originalité de ce phénomène. Le fait le plus remarquable que nous avons relevé dans cette affaire est que le discours auquel adhèrent les auditeurs exerce une emprise extrêmement forte chez eux. Même si le contenu discursif est éphémère, le laps de temps pendant lequel ils y adhèrent, si court soit-il, les captive et les fascine : il les mobilise. Cette observation pointe du doigt un phénomène de société qui n’a cessé de prendre de l’ampleur ces dernières années : l’alliance entre une nouvelle forme de populisme et les médias de masse qui exploite un ressentiment de plus en plus grand de certaines couches sociales à l’égard des grandes institutions publiques. À ce titre, la ville de Québec semble être un véritable laboratoire au chapitre de cette nouvelle tendance de fond qui traverse beaucoup de démocraties occidentales.



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