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Création imminente de l'UGCCN"P"SN (et tutti quanti)

Anonyme, Domingo, Enero 29, 2006 - 22:42

Arsenal-express

C'est en fin de semaine prochaine qu'aura lieu, à Montréal, le congrès de fondation du nouveau parti dit "de gauche", issu de la fusion entre le mouvement Option citoyenne (OC) et l'Union des forces progressistes (UFP). Il s'agit évidemment d'un événement fort attendu par tous ceux et toutes celles qui s'agitent depuis déjà pas mal d'années sur l'encombré marché des "alternatives".

Depuis 25 ans au moins, plusieurs tentatives ont été entreprises dans le but de mettre sur pied ce qui devait apparaître comme L'Alternative (l'unique, la vraie): du Rassemblement pour le socialisme jusqu'à l'UFP actuelle, en passant par le Mouvement socialiste de Marcel Pépin, le NPD-Québec (devenu par la suite le "Parti de la démocratie socialiste") et le Rassemblement pour l'alternative politique (le RAP), toutes ces tentatives ont lamentablement échoué, sans exception aucune.

Cette fois-ci, le nouveau parti semble susciter une curiosité certaine, qui tient pour une large part à la personnalité de celle qui le dirigera d'une main de fer, Françoise David. Ex-militante du défunt groupe marxiste-léniniste En Lutte! (décidément, on en trouve partout de ces transfuges-là!) et surtout, ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec et organisatrice principale de la Marche mondiale des femmes, Françoise David incarne en effet on ne peut mieux le côté louvoyant de la gauche officielle québécoise. Adepte de la langue de bois et des réponses vagues à souhait, la porte-parole d'Option citoyenne a habilement réussi, jusqu'à ce jour, à faire plaisir à tout le monde et à son père et à éviter toute controverse. Cette situation confortable, voire idyllique, risque toutefois de changer du tout au tout, dans la mesure où son nouveau parti prétendra à l'exercice du pouvoir.

Ce côté louvoyant et foncièrement opportuniste, qui caractérise le parcours sinueux de Françoise David, aura également marqué toute la démarche ayant conduit à la fusion entre Option citoyenne et l'UFP. Celle-ci, bien que jouissant d'une base militante et de capacités organisationnelles bien plus grandes que le mouvement éparpillé et diffus dirigé par "tantine", s'est fait littéralement happer, au terme d'un processus auquel elle a été contrainte de se soumettre, au risque de se voir tout bonnement laissée de côté: en témoigne, notamment, le fait qu'il a déjà été convenu entre les deux groupes que la "responsable à la présidence" qui dirigera le nouveau parti (modernisation du discours oblige, c'est ainsi qu'on désignera le président ou la présidente!) sera obligatoirement... une femme d'Option citoyenne (tiens, tiens!).

Plutôt que de débattre ouvertement des positions respectives des deux groupes, qui divergent sur bon nombre de questions (Françoise David a déjà dit de l'UFP que sa plate-forme "manquait de fil conducteur et d'une orientation claire" et que son langage, son discours et son fonctionnement lui paraissaient "rébarbatifs"), on a choisi de faire l'unité autour du plus petit dénominateur commun, qui correspond pour l'essentiel à la "vision" défendue par Option citoyenne (c'est ainsi qu'on appelle un programme ou une plate-forme, dans la novlangue inventée par ce groupe).

Le congrès du week-end prochain sera appelé à discuter de la déclaration de principes qui fondera l'activité du nouveau parti, à adopter des statuts et à lui choisir un nom. Nous disons bien discuter de la déclaration de principes, car selon l'entente entre les deux partis, celle-ci ne sera pas soumise au vote. Tout au plus le congrès sera-t-il appelé à voter sur une proposition à l'effet qu'il "fasse siennes les grandes orientations de ce document et mandate le Comité de coordination national pour adopter et publier la version définitive en s'inspirant des travaux du présent congrès": sans doute est-ce là ce que ses dirigeantes et dirigeants entendent par faire de la politique autrement!

Cette déclaration de principes a été préparée et modifiée par le Comité de négociation entre l'UFP et Option citoyenne, qui a écarté d'office la majorité des amendements proposés par les membres individuels et les organisations de base des deux groupes, prétextant, dans la plupart des cas, qu'ils "débordaient des ententes négociées entre les deux organisations". À quoi bon tenir un congrès, alors, si tout se décide en vase clos, entre dirigeantes et dirigeants?

Un exemple d'amendement ayant été rejeté par le Comité de négociation UFP-OC est celui qu'a proposé l'UFP de la circonscription de Gouin, à Montréal, prévoyant que la plate-forme et le programme (à venir) du nouveau parti devront "s'inspirer des valeurs socialistes et progressistes qui ont jalonné l'histoire du mouvement ouvrier, étudiant et communautaire". Cet amendement a été rejeté pour la raison indiquée plus haut, mais aussi parce que "l'allusion au socialisme n'existe pas dans les textes fondateurs des deux organisations" (sic).

Que dire alors d'un "parti de gauche" qui n'est même pas prêt, ne serait-ce qu'à "faire allusion" au projet social porté depuis plus de 150 ans par le mouvement ouvrier international? Il est vrai que quand on lit la déclaration de principes adoptée conjointement par les dirigeantEs des deux groupes, on peut voir tout de suite que le parti qui sera créé le week-end prochain ne sera rien de plus qu'un PQ numéro deux, i.e. un instrument de défense de l'État capitaliste et de promotion de la collaboration de classes.

Ainsi, le nouveau parti se vouera "entièrement à la défense et à la promotion du bien commun" : non pas à la défense des intérêts de la classe ouvrière (une "notion" passéiste, sans doute...), ni même des travailleuses et travailleurs -- ni même encore des pauvres ou des "démuniEs". Non: on se proposera de défendre les intérêts de tout le monde, les intérêts soi-disant "communs" à toutes les classes, autour d'un programme dont on insiste déjà pour dire qu'il sera "réaliste" (au sens de faisable, dans le contexte actuel du capitalisme) et "chiffré". Bref, ce qu'on veut, c'est de montrer qu'il est possible de gérer le capitalisme "autrement"; qu'au-delà du "capitalisme néo-libéral", il y aurait place pour un bon vieux capitalisme à l'ancienne -- celui de l'époque où l'État-providence prenait soin de tous et de toutes (!) et où les grands monopoles ne contrôlaient pas tout...

Dans le livre qu'elle a publié en mai 2004 et qui devait donner le ton au groupe qu'elle a ensuite créé, Françoise David écrivait d'ailleurs très clairement (une fois n'est pas coutume!) qu'elle ne remettait aucunement en question les fondements du capitalisme: "Dénoncer le capitalisme sauvage ne signifie pas abolir la liberté d'entreprendre, d'imaginer un nouveau produit, d'ouvrir un restaurant ou de posséder une ferme!" Mais le capitalisme peut-il être autrement que "sauvage", à l'époque de l'impérialisme et de la globalisation?

Nous avons déjà montré, dans un article publié dans la revue Arsenal (1), comment le point de vue et la conception du monde véhiculéEs par Françoise David et ceux et celles qui adhèrent à son projet sont profondément idéalistes et tout simplement impossibles à réaliser dans le cadre actuel. Sans doute les gens comme elle sont-ils enclins à se taper sur les cuisses, quand ils voient un contingent maoïste apparaître dans une manifestation comme celle du 1er mai, en se disant quelque chose comme: "tiens, voilà nos 'pelleteux de nuage'", sans se rendre compte que ce sont eux, au fond, qui sont totalement déconnectés de la réalité.

Une réalité qui, justement, risque fort de les rattraper, et plus tôt que tard. Car leur projet se butera rapidement à quelques vérités, auxquelles ils seront confrontés: notamment, l'absence d'un mode de scrutin proportionnel, qui leur permettrait d'envisager rapidement l'élection de quelques députés; et surtout, l'existence de ce "bon vieux PQ", qui continuera pendant encore un bon bout de temps à monopoliser l'espace politique à gauche, et même "à gauche de la gauche" au Québec. Le nouveau parti, qui devrait porter le nom de Québec solidaire, ou quelque chose comme l'Union des forces citoyennes selon ce qui est proposé, sera-t-il prêt à jouer dans les plates-bandes du PQ et à risquer ainsi de favoriser la réélection du Parti libéral, ce qui reporterait d'autant la tenue d'un référendum sur la "souveraineté du Québec" (la déclaration de principes adoptée par le Comité de négociation UFP-OC se refuse elle aussi à utiliser le mot "indépendance", qui est pourtant plus clair mais qui est sans doute moins populaire ou "porteur", électoralement parlant)?

Déjà, lorsqu'elle avait annoncé la mise sur pied d'Option citoyenne, Françoise David s'était bien gardée de rompre les ponts avec le Parti québécois, allant même jusqu'à parler de "dialogue et de passerelle possible" avec ce parti (Le Devoir, 14/09/2004). Plus récemment, au lendemain de l'élection d'André Boisclair à la chefferie du PQ, les porte-parole de l'UFP ont tenu à "féliciter le candidat victorieux et lui souhaiter bonne chance dans la défense des intérêts du Québec", Amir Khadir d'ajouter que "l'UFP espère que le nouveau chef saura faire la promotion d'un projet de société équitable et solidaire pour l'ensemble des Québécoises et des Québécois". On voit bien à quel point tous ces gens, qui rêvent d'un siège -- un seul! -- à l'Assemblée nationale, tiennent à ménager la susceptibilité du PQ, qui est celui qui détient la clé qui pourra leur ouvrir l'une ou l'autre des portes du parlement québécois.

Chose certaine, il n'y a rien, mais absolument rien dans la déclaration de principes que le congrès du week-end prochain sera appelé à ratifier tacitement, qui soit incompatible avec le programme du PQ. Bien au contraire, tous deux partent du principe qu'il nous faut, au Québec, un État fort, qui continuera à agir pour que le Québec demeure, comme l'a déjà écrit Françoise David, "une société qui, malgré ses imperfections, continue d'offrir des espaces de solidarité sociale et des milieux de vie épanouissants pour une bonne majorité de gens" (vous l'avez déjà connue, vous, cette société?).

La question demeure posée, néanmoins, à savoir quelle sera réellement l'utilité de ce nouveau parti? Certes, il pourrait contribuer, dans une certaine mesure, à réhabiliter le parlementarisme et le système politique bourgeois, dont pas mal de gens au Québec ont commencé à décrocher depuis quelques années -- un phénomène qui inquiète bien sûr la classe dominante (et une inquiétude que partagent Françoise David et cie). Mais bon: la bourgeoisie a-t-elle vraiment besoin d'une "nouvelle alternative de gauche", à ce moment-ci? Le PQ n'est-il pas encore en mesure de faire le même boulot? C'est la réponse à ces questions, et non la grande capacité de Françoise David à "imaginer de nouvelles façons de faire de la politique autrement" (bref, à laver plus blanc!) qui déterminera l'avenir de cette nouvelle aventure.

(1) "Critique de l'Option citoyenne de Françoise David", Arsenal, n° 3, juin 2004.

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Article paru dans Arsenal-express, nº 82, le 29 janvier 2006.

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