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<B>LE MOUVEMENT COMMUNAUTAIRE À LA CROISÉE DES CHEMINS (I)</B>

karl9000, Miércoles, Enero 18, 2006 - 12:08

KARL9000

Que ce soit dans des domaines aussi divers que celui de la santé, de l`environnement, des communications ou des loisirs; que ce soit auprès des jeunes, des femmes, des personnes immigrantes ou des locataires, plusieurs milliers d`organismes communautaires au Québec oeuvrent sur une base quotidienne à tenter d`améliorer la qualité de vie des populations souvent les plus défavorisées et/ou discriminées. Chacun selon sa mission, ces organismes travaillent à la réalisation de leurs objectifs dans un cadre, formellement du moins, autonome et démocratique.
Pourtant, malgré l`importance prise par les activités du mouvement populaire et communautaire dans la société québécoise et malgré une certaine reconnaissance officielle auprès de l`État, rien n`est définitivement acquis pour le mouvement. Ainsi, le processus de restructurations impulsé par le gouvernement libéral de Jean Charest, élu en avril 2004, crée de nombreuses incertitudes : quelle sera la place réelle de l`action communautaire autonome dans le réseau des affaires sociales et de la santé qui se voit, une fois de plus, réformé ? Les problèmes financiers qui étranglent bien des groupes seront-ils enfin résolus par un financement récurrent et adéquat ?
Ces interrogations ne peuvent que nous amener à tenter d`esquisser un portrait de la situation actuelle des groupes populaires et communautaires.

Plusieurs personnes impliquées ou qui ont déjà travaillé dans le mouvement populaire se posent d`ailleurs des questionnements sur les impacts qui découlent d`une reconnaissance étatique strictement utilitariste de celui-ci. Les organismes communautaires, dans ce contexte, ne courent-ils pas le risque d`être réduit à l`état de sous-traitant d`un État qui se désengage toujours plus de ses responsabilités sociales? Ou, plus insidieusement, les groupes ne sont-ils pas amenés a adopter une logique et des pratiques qui ne leurs sont pas propres mais qui proviennent des appareils d`État et dont la finalité est de gérer d`une manière technocratique (1) et marchande, les questions sociales?

Avant d`aborder plus à fond cette thématique, il importe cependant de définir ce qu`on entend communément par « mouvement populaire et communautaire », définition qui a quelque peu variée depuis la naissance du mouvement.

Une mouvance diversifiée

Comités de citoyens, groupes populaires ou organismes d`action communautaire autonome, les expressions n`ont pas manqué pour désigner cette nébuleuse d`initiatives populaires qui a surgi au Québec à partir de 1960. Dans la foulée de la « Révolution tranquille » et par la suite, des citoyens et citoyennes se sont organisés pour revendiquer des améliorations à leurs conditions de vie dans des domaines comme la santé, le logement, le droit, la consommation ou l`aide sociale. Pour les acteurs impliqués dans ces initiatives aussi bien que pour les chercheurs qui les ont étudiés, les termes utilisés pour définir les actions impulsées par les groupes populaires témoignent souvent d`un certain flottement : luttes, animation sociale, mobilisations populaires, collectifs autogérés, actions communautaires, éducation populaire, groupes de services, etc. « En d`autres termes, nous ne sommes pas ici placés devant un mouvement homogène, fortement structuré et organisé et dont il serait facile de dégager l`évolution ou les étapes de transformation » (2).
Malgré cette hétérogénéité, on peut quand même relever des traits communs significatifs. Il s`agit, d`abord et avant tout, d`organismes basés sur la participation volontaire des citoyens et citoyennes, ayant comme objectif des activités solidaires ou de défense des droits et qui sont autonomes de l`État. Cette autonomie dérive du fait que les organisations populaires reçoivent leur mandat de leurs membres issus de la communauté et qu`ils sont redevables envers ceux-ci de leurs actions. En ce sens, les organismes communautaires sont des pôles dynamiques dans la structuration de ce qu`on appelle la « société civile », cet espace social qui ne relève ni totalement de l`État, ni totalement du marché même s’il entretient des liens avec ces deux instances. Pour Simon Dumais, coordonnateur du Comité logement du Plateau à Montréal, un des acquis du mouvement communautaire, c`est d`avoir « développé une certaine démocratisation, un certain pouvoir où les gens puissent prendre part à des débats sur des enjeux sociaux qui sont fondamentaux ».
En ouvrant des espaces alternatifs aux institutions établies, que ce soit les partis politiques ou les instances gouvernementales, les groupes populaires favorisent donc le développement de l`autonomie dans des couches de la population exclues politiquement et socialement (comme les femmes, personnes assistées sociales ou les minorités ethniques), tout en tentant d`apporter des solutions à leurs problèmes et en permettant, bien souvent, l`apprentissage de compétences. Le caractère autonome des organismes s`explique alors, théoriquement, non par la forme juridique prise par ceux-ci (organisme à but non lucratif) ou par une action sociale qui ciblerait une population plus particulièrement « mais plutôt par la capacité effective de l`organisme de permettre aux citoyennes et citoyens associés volontairement d`avoir un pouvoir sur leurs actes sociaux et donc d`en définir collectivement tous les contours. Il en va de la survie même de la spécificité de l`action communautaire » (3). À la suite, on comprendra que si les personnes impliquées dans un organisme ne peuvent définir collectivement les paramètres de leur démarche, entre autre par l`imposition d`un modèle social déjà prédéterminé par d`autres acteurs, alors le processus de rappropriation des actes sociaux se trouve mutilé et l`autonomie n`est guère plus que formelle. Par ailleurs, cette rappropriation des actes sociaux par les classes dominées de la société constitue pour plusieurs auteurs, dont Alain Touraine (4), un élément central dans la constitution des nouveaux mouvements sociaux qui ont surgi dans les pays du Nord à partir des années 60-70.
En corollaire, on peut lire dans les résolutions qui ont émergés à la suite d`une réunion nationale du mouvement populaire, en novembre 1996, que les organismes d`action communautaire autonome se définissaient comme constituants d`un mouvement social engagé dans des actions contre la pauvreté et la discrimination, pour une transformation sociale visant à plus de justice et d`égalité ainsi que « dans la création d`espaces démocratiques et la revitalisation constante de la société civile » (Pour la reconnaissance et le financement de l`action communautaire autonome, Comité aviseur du Secrétariat à l`action communautaire autonome, décembre 1996).
Les organismes, représentés auprès du gouvernement québécois par un Comité aviseur, sont actifs dans de multiples domaines. À partir de la liste des membres du Comité aviseur et en laissant de côté les regroupements multisectoriels comme le Mouvement d`éducation populaire et d`action communautaire du Québec ou la Table des fédérations et organismes nationaux en éducation populaire, on peut dénombrer 14 secteurs d`intervention: logement, jeunes, défense des droits, communications, femmes, action bénévole, famille, alphabétisation populaire, environnement, réfugiés et personnes immigrantes, loisirs, consommation, Premières nations et éducation à la solidarité internationale.
En termes numériques, on dénombre 4 000 organismes communautaires autonomes au Québec, répartis un peu partout sur le territoire mais avec une nette concentration dans les milieux urbains. En leur sein, c`est autour de 25 000 travailleurs et travailleuses (en fait, 80% sont des femmes) qui, entre autres choses, pourvoient au maintien d`une permanence des groupes, assument des tâches de sensibilisation et d`éducation populaire ou qui assurent des services. En tout, annuellement, c`est plus de 18 millions d`heures d`implication bénévole et militante que génèrent le milieu communautaire. Enfin, on estime qu`environ 1,3 millions de personnes sont rejointes par les groupes populaires (5). Au vu de ces chiffres, on peut mieux apprécier la place prise par le communautaire dans la société québécoise. C`est là la résultante d`une histoire fort complexe dont il peut être utile de tracer, très brièvement, un tableau. Historique qui sera d`autant plus important que, nous le verrons, les transformations qu`ont connu les groupes populaires renvoient non seulement à leur dynamique interne mais aussi à la nature des rapports noués avec l`État, le tout surdéterminé par des éléments de contexte comme la situation socio-économique.

D`hier à aujourd`hui : constitution d`un mouvement (6)

L`ouverture, en 1960, d`un processus de modernisation, la « Révolution tranquille », constituait une nouvelle étape dans l`histoire des politiques et des services sociaux québécois : c`est à ce moment que ceux-ci se laïcisent et se professionnalisent, entre autre à la suite du rapport de la Commission Boucher. Parallèlement à cette transformation de l`État et de ses modes d`intervention dans le champ social, des couches de citoyens, marginalisés par le système politique et économique, commencent à s`organiser sur leur propre base. Constitués dans les limites des paroisses des grandes villes, ces groupes exerçaient des pressions pour solutionner des problèmes quotidiens très pointus : salubrité de certains immeubles, problème de circulation, etc. Très rapidement, les comités de citoyens vont déborder cet espace limité et ces problématiques pour se développer au niveau des quartiers et toucher des problèmes plus vastes : santé, justice, endettement, etc. Durant cette période, donc, les réformes répondaient à certains intérêts politiques et économiques dominants mais elles rejoignaient aussi « des demandes populaires et elles ont eu un effet important sur la participation sociale » (7).
La belle unanimité entre l`État et les mouvements sociaux va cependant se fissurer à la fin des années 60. Cette période voit une radicalisation politique de plusieurs secteurs de la société dont les comités de citoyens. Parmi ces derniers, plusieurs militants et militantes sentent la nécessité de surmonter la fragmentation des groupes et de mettre l`accent sur le contenu politique des luttes. En jonction avec un mouvement syndical qui lui aussi, à cette époque, connaît une forte combativité, les groupes populaires (on peut dire que cette dénomination a commencé à s`imposer à ce moment) développent une foule d`initiatives dont la formation de comités d`action politique. Ceux-ci, à Montréal, vont se regrouper pour créer en 1969, un parti municipal, le Front d`Action Politique. On voyait ainsi surgir les éléments d`un projet politique alternatif à tendance socialisante et démocratique. Pour Marc-André Houle, contractuel et travailleur dans le secteur communautaire de 1988 à 2003, « il y avait là un mouvement de rupture, une manière alternative de parler de politique et des questions sociales ».
Pourtant, les années 70 verront se désagréger cette tentative par le mouvement populaire et syndical de constituer un contre-pouvoir. Le contexte créé par la crise d`octobre de 1970 et l`imposition des mesures de guerre n`explique qu`en partie cet échec. D`autres tendances sont en effet à l`œuvre dans la société québécoise. D`une part, il faut relever l`apparition d`une gauche politique marxiste-léniniste dont les pratiques envers les groupes populaires ont eu comme effet d`en saborder un grand nombre et d`en réduire d`autres à de simples courroies de transmission du « parti ». Ces manœuvres de récupération par les organisations M-L ont eu, à long terme, des conséquences néfastes, provoquant un effet de repoussoir pour beaucoup de militants et militantes et les dégoûtant pour longtemps de tout projet politique global. D`autre part, l`État québécois encadre de plus en plus le champ social, en récupérant, lui aussi, certaines initiatives du mouvement populaire. Ainsi, les expériences de cliniques populaires de santé et les cliniques juridiques serviront à la création des Centres locaux de services communautaires (CLSC) en 1972 et au service d`aide juridique (8).
Cette tendance va s`accélérer avec l`arrivée au pouvoir, en 1976, d`un nouveau joueur sur la scène politique, le Parti Québécois. Souverainiste et avec un discours vaguement social-démocrate, cette formation politique a réussi assez rapidement à monopoliser une bonne partie du soutien des mouvements syndical et populaire. En continuité avec l`esprit des débuts de la Révolution tranquille, le gouvernement péquiste tente de ressouder le bloc État-mouvements sociaux. Dans la traduction que va alors donner le PQ du développement social, en lien avec son projet de souveraineté-association, il s`agit de créer une « communauté » nationale par une intense « mobilisation » de tous les acteurs. Cette mobilisation sera assurée grâce à des mécanismes de consultation/participation (Sommets, espaces de partenariat, concertation, décentralisation des services publics, etc) soigneusement balisés par l`État québécois. En d`autres termes, les instances gouvernementales élaborent « un système de règles et les objectifs que doit atteindre la société tout en laissant à chacun le soin de s`autogérer. La bureaucratisation cède le pas à un système plus souple et dynamique qui transforme l`exercice du pouvoir SANS (nous soulignons C.B) en diminuer l`emprise » (9). Dans ce contexte, l`autonomie des organismes populaires risque de n`être plus que formelle, débouchant sur ce que Michel Parazelli nomme la communautique. Ce concept renvoie à une pratique qui découpe les problématiques sociales en un certain nombre de populations à risque qui sont prises en charge par des sous-systèmes d`intervention : « Mais c`est en faisant appel à la mobilisation communautaire que ces sous-systèmes prennent forme à travers un réseau d`organismes sans but lucratif » (10).
Notons que le PQ n`est pas le seul parti politique a avoir tenter d`articuler ce genre de projet, le Parti libéral a lui aussi (comme on le verra avec la loi 120) pousser quelque fois en ce sens. C`est là, sans doute, une tendance inhérente à l`État québécois (et de tout État), peu importe le parti au pouvoir, de vouloir toujours plus arrimer la société civile à la société politique. La seule différence passe par le mode que prendra cet arrimage : par un coup de force (comme dans le cas de la « réingénierie » du gouvernement de Jean Charest) ou par le consensus.
Enfin, il va de soi que cette vision technocratique du développement de la société québécoise n`a jamais pu être intégralement concrétisée. La réalité sociale n`obéit pas qu`à une seule logique, des contradictions et des contre-tendances surgissent sans cesse. À ce niveau, l`éclatement d`une crise généralisée du capitalisme mondial, à partir du milieu des années 70, a bouleversé pas mal de paramètres économiques, entre autre avec l`introduction des politiques néo-libérales . D`autre part, les organisations populaires, au début du moins, ne se sont pas laissées intégrées si facilement que cela, les groupes de défense de droits, entre autre, continuant à maintenir une distance et une certaine opposition à l`État. ¨À SUIVRE...

NOTES

(1) Sans se perdre dans les détails, on pourrait définir le technocratique comme une vision qui découpe les questions sociales en multiples problématiques s`exprimant par des symptômes. Ces derniers, portés par des populations précises (dites « à risque »), peuvent être remédiés par l`entremise d`organismes spécialisés disposant de certains savoirs techniques. Le but de l`opération est de permettre une régulation optimale du système social TEL QU`IL EST, sans remise en cause des fondements mêmes des problématiques, à savoir des relations sociales inégalitaires. Pour Jean-Jacques Simard, le but ultime d`une gestion technocratique vise à « un modèle de société-machine aux rouages parfaitement huilés, intégrés fonctionnellement dans un appareil centralisé de commande autorégulateur où les mécanismes de feedback se substituent à la force… » (La longue marche des technocrates, Montréal, Albert Saint-Martin, 1979, page 25). On relèvera la saveur « cybernétique » ou « informatique » (qui rejoint, actuellement, la vogue autour de l`Internet et de la mise en réseau de la société) de cette vision. Là dessus, lire aussi Henri Lamoureux, Les dérives de la démocratie, Montréal, VLB, 1999.
(2) Pierre Hamel et Jean-François Léonard, Les organisations populaires, l`État et la démocratie, Montréal, Nouvelle optique, 1981, page 14.
(3) Michel Parazelli, « La productique sociale : un point de vue communautaire sur les risques sociaux du chapitre 42 des lois du Québec (loi 120) », Service social, vol. 41, No.1, 1992, pages 129-130. Il y aurait un parallèle à faire entre cette vision de l`autonomie et un élément central de l`éthique développée par le philosophe allemand Kant où un sujet autonome est celui qui est capable de se diriger soi-même selon une loi propre fixée de l`intérieur et non de l`externe.
(4) Alain Touraine, Pour la sociologie, Paris, Le Seuil, 1974, page 188 : « Dans les sociétés les plus avancées économiquement, (la revendication centrale des mouvements) porte plus largement contre un système d`organisation sociale, à la fois contre l`accumulation du pouvoir par les appareils et contre la manipulation croissante de tous les secteurs de l`activité sociale ».
(5) L`ensemble de ces données sont tirées de L`action communautaire autonome : cela vaut le coût ! , Comité aviseur de l `action communautaire autonome, printemps 2004. Disponible sur le site de l`organisme : www.comavis-aca.org.
(6) Pour disposer de plus d`éléments sur l`historique du mouvement populaire, on peut lire : Louis Favreau, Mouvement populaire et intervention communautaire de 1960 à nos jours, Montréal, CFP/éditions du Fleuve, 1989 et Donald McGraw, Le développement des groupes populaires à Montréal (1963-1973), Montréal, Albert Saint-Martin, 1978.
(7) Gilbert Renaud, À l`ombre du rationalisme, Montréal, Albert Saint-Martin, 1984, page 33.
(8) Là dessus, lire Jean-Guy Lague, « Un pas en avant, deux (trois?) en arrière! », Le temps fou, No.5, printemps 1979 et Robert Boivin, Histoire de la clinique des citoyens de Saint-Jacques, Montréal, VLB, 1988.
(9) Gilbert Renaud, Op. cit., pages 136-137.
(10) Michel Parazelli et Gilles Tardif, « Le mirage démocratique de l`économie sociale » dans L`économie sociale : l`avenir d`une illusion sous la direction de Louise Boivin et Mark Fortier, Montréal, Fides, 1998, page 61. On remarquera que ce concept de communautique n`est, somme toute, qu`une application particulière au secteur communautaire de la gestion technocratique évoquée en note 1.

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