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Spécialiste de la Chine, Frank Willems analyse un nouveau livre sur Mao

léniniste-trotskyste, Martes, Noviembre 1, 2005 - 22:03

Un livre saisissant par son manque d'honnêteté!
Spécialiste de la Chine, Frank Willems analyse un nouveau livre sur Mao

Son best-seller Les Cygnes sauvagesa rapporté près d'un milliard de francs belges à la romancière sino-britannique Jung Chang. Sur la jaquette de son tout dernier livre, Mao: The Unknown Story (Mao: l'histoire inconnue, pas encore paru en français), on peut lire : «C'est l'ouvrage le mieux documenté qui ait jamais été écrit sur le leader chinois Mao Zedong.» On y apprend que «l'objectif caché de Mao était de dominer le monde». Nous avons demandé à Frank Willems ce qu'il pensait de ce livre. Voilà près de 25 ans que l'ex-président de l'Association Belgique-Chine suit de près les événements en Chine. On peut donc le considérer comme un expert en la matière.

Peter Franssen
19-10-2005

Beaucoup de lecteurs avaient apprécié son précédent livre Les Cygnes sauvages. Sur de nombreux points, Jung Chang écrit dans son dernier ouvrage le contraire de ce qu'elle affirmait dans Les Cygnes sauvages. Comment expliquer ce revirement?

Frank Willems. La première partie très émouvante de son roman Les Cygnes sauvagesraconte la vie misérable de sa grand-mère sous le pouvoir des seigneurs de guerre dans les années 30. Alors que dans son dernier livre, la Chine ancienne est décrite comme un paradis idyllique, où les paysans pouvaient facilement devenir riches, où tout le monde était libre d'aller vivre là où il voulait, où tout le monde pouvait aller à l'école. Jung Chang écrit que les seigneurs de guerre menaient de temps en temps une petite guerre mais que les citoyens n'en souffraient pas.

Dans Les Cygnes sauvages, elle parle aussi avec une certaine sympathie des activités révolutionnaires de ses parents contre le régime dictatorial du Kuomintang. Mais dans son nouveau livre, elle présente le leader du Kuomintang, Tchang Kaï-chek, comme un bon père de famille, qui était en fait trop clément pour massacrer les communistes. Bref, ce sont les cruels communistes, et eux seuls, qui sont responsables de toutes les brutalités commises entre 1927 et 1949.

Le co-auteur du livre, Jon Halliday, n'est pas plus fiable. Par le passé, il a écrit un ouvrage sur la brutale répression de la révolte ouvrière par l'impérialisme britannique à Hong-Kong en 1967. Dans ce nouveau livre, cette répression est justifiée par «l'attitude provocatrice» des communistes de Mao. Halliday a également publié un livre sur la guerre de Corée, dans lequel il écrit tout le contraire de ce qu'il dit dans ce nouveau livre. Aujourd'hui, il prétend que Mao est le grand responsable des terribles conséquences humaines et matérielles de cette guerre.

Pour se justifier, Jung Chang dit que cette fois, elle a consulté plus de sources. La liste des sources consultées et des personnes interviewées couvre pas moins de 125 pages de son livre. Ce qu'elle a écrit doit tout de même être vrai. Non ?

Frank Willems. Le livre est un pamphlet de la première à la dernière page. Les 400 interviews et près de 1200 sources consultées ont été filtrées sur base de ses idées préconçues, ne conservant pour le lecteur que les sources les plus rebutantes et écoeurantes. Une chose que certains critiques étrangers ont également remarquée. The Independent a trouvé que le livre «constituait un véritable problème pour les personnes qui connaissent un peu l'histoire de la Chine». Il ajoute: «Le livre est de la mauvaise historiographie dans tous les sens du terme. Non seulement au niveau de la méthodologie mais aussi au niveau de l'interprétation des faits. (...) Cet ouvrage n'est ni de l'historiographie sérieuse, ni une biographie sérieuse.»

Selon un journaliste de la BBC, Philip Short, qui a lui-même publié une biographie de Mao en 1996, Jung Chang a «réécrit l'histoire de manière à ce qu'elle coïncide avec ses propres idées».

De page en page, Jung Chang fait un couper-coller de citations. Elle obtient ainsi un cocktail d'archives crédibles, de témoignages anonymes et de propagande douteuse. Elle sélectionne les faits comme bon lui semble et laisse tomber le reste. Elle interprète des données incomplètes et, si nécessaire, les complète par des assertions sans fondement. Il en résulte un ouvrage de crédibilité zéro.

Quel sentiment retire-t-on après avoir lu les 800 pages que compte le livre?

Frank Willems. C'est horrible! Le livre est négatif jusqu'à frôler le ridicule. C'est également l'avis du quotidien néerlandais Volkskrant. Le critique de la revue MO* a déclaré: «J'aimerais bien lire une autre ­ "vraie" - biographie. Le livre a la prétention d'être un ouvrage scientifique, mais on dirait qu'à chaque page, l'auteur s'est dit que plus elle écrirait du mal de Mao, plus le livre avait des chances d'accrocher.»

En Belgique, par contre, les médias néerlandophones ont accepté sans trop réfléchir les conclusions du livre, qui contiennent des slogans aussi simplistes que: Mao était pire qu'Hitler; Mao souhaitait la mort de la moitié de la Chine; Mao ­ et par extension le communisme ­ était l'incarnation du mal Franchement inquiétant.

Le livre commence par la phrase suivante: «Mao Zedong, qui durant des dizaines d'années a exercé un pouvoir absolu sur la vie d'un quart de la population mondiale, est responsable de près de 70 millions de morts en temps de paix, bien plus que n'importe quel autre leader du 20e siècle.» Sur quel fondement Jung Chang base-t-elle cette affirmation?

Frank Willems. Elle n'a donné aucune explication à ce propos. Mais au fil des chapitres de son livre, les Chinois morts se comptent par dizaines de millions.

Près de 38 millions lors de la campagne du «grand bond en avant» à la fin des années 50. Elle calcule le nombre de morts aux 10.000 près sur base de données démographiques détaillées, elle compare en effet les chiffres de la population avant et après le «grand bond». Tout cela a l'air très scientifique mais, en réalité, ces chiffres n'existent pas ! Les seuls recensements démographiques, qui sont plutôt des estimations, dont on dispose ont été réalisés en 1953, 1964 et 1982.

Dans l'histoire officielle du parti de 1992, où les erreurs commises par Mao sont bien mises en exergue, on estime qu'après le «grand bond» la population avait diminué de 10 millions d'habitants. Toutefois, cela ne signifie absolument pas que tous ont péri. En effet, il était déjà question, par exemple, d'un taux de natalité plus faible. Le sociologue néerlandais, Wertheim, qui en 1964 a mené une étude dans les campagnes chinoises sur l'agriculture et la démographie, estime sur base de ces mêmes chiffres qu'en réalité le déficit était bien moindre.

Jung Chang compte 27 millions de morts dans les camps de travail. Pour arriver à ce chiffre, elle effectue un calcul on ne peut plus farfelu: durant 27 années 10% de morts sur une population pénitentiaire moyenne de 10 millions de personnes. Elle ne dispose pour ce calcul d'aucune source officielle. Mais nous savons que le Kuomintang, qui s'était réfugié sur l'île de Taiwan, a déclaré en 1957 à l'Organisation internationale du Travail qu'il y avait 25 millions de forçats. A l'époque, personne n'a pris ce chiffre au sérieux.

Jung Chang parle également de plus de 3 millions de morts lors de la Révolution culturelle, dans les années 1966-1974. Tout comme les autres, ce chiffre n'est fondé sur aucune source. Elle aurait tout aussi bien pu écrire 2 millions ou encore 5 millions. Lors de leur procès en 1980 et 1981, la «bande des quatre» (les leaders ultraradicaux de la Révolution culturelle) ont été jugés responsables de la mort de 35.000 personnes. Evidemment, ce chiffre n'est pas complet, mais il illustre bien le caractère peu fiable de l'uvre de Jung Chang.

Mao Zedong a mis un terme à un type de société médiévale dans les campagnes, à l'humiliation coloniale de la Chine et à des années de dictature et de corruption. A sa mort, la grande majorité des Chinois avaient pour la première fois dans l'histoire suffisamment de nourriture, de vêtements et une maison. Mais Jung Chang n'écrit pas une seule ligne là-dessus. (Photo Xinhua)

Pire encore que ce traficotage sur le nombre de morts en Chine, c'est lorsqu'elle affirme que Mao était si mauvais qu'il a envoyé toutes ces personnes à la mort intentionnellement et volontairement. Cela revient sans cesse: les problèmes durant le «grand bond» ne résultent pas de mauvais calculs sur le plan économique, bien au contraire, c'est Mao qui intentionnellement a affamé la population en utilisant les denrées pour l'exportation, pour pouvoir ainsi payer l'importation d'armes nucléaires.

Jung Chang écrit que Mao n'a pas hésité à envoyer à la mort des dizaines de milliers de soldats chinois communistes, qui étaient sous le commandement de ses prétendus rivaux politiques. En proférant de telles inepties, Jung Chang se met elle-même dans l'embarras. En effet, comment va-t-elle pouvoir expliquer que les communistes chinois sont parvenus à vaincre l'armée du Kuomintang malgré sa supériorité et le fait qu'elle avait en plus reçu l'aide des Etats-Unis et qu'ils ont pu gagner la révolution en 1949 ?

Un autre reproche qui est fait à Mao et à la Chine, c'est que les communistes chinois n'ont pratiquement rien fait lors de la guerre de libération contre l'occupant japonais.

Frank Willems. Jung Chang tente de démontrer que les communistes chinois n'ont rien fait tandis que le Kuomintang se battait à mort contre l'occupant japonais. Selon sa version, les communistes sont des voleurs, des assassins et des terroristes, le Kuomintang de nobles nationalistes. C'est surtout sur ce point qu'elle se fait rabrouer par les vrais historiens. Même le gouvernement américain a reconnu que les communistes chinois avaient été dans la lutte contre le Japon un allié bien plus efficace que le Kuomintang.

Jung Chang ne dit pas un mot sur les mérites de Mao Zedong: la lutte contre la famine et la pauvreté, la construction d'un Etat, la libération et l'organisation des paysans, la réduction du chômage, la structure de l'économie, la lutte contre une série de fléaux: analphabétisme, prostitution, servage, travail des enfants, opiomanie... Comment une personne qui prétend avoir rédigé «l'ultime biographie» peut omettre ces choses?

Frank Willems. Jung Chang fait grand cas des innombrables victimes mais ne dit rien à propos des centaines de millions de Chinois qui, grâce à Mao, ont une vie (bien) meilleure. Mao est l'homme qui en 1949 a déclaré: «Le peuple chinois s'est enfin soulevé.» Il a mis un terme à un type de société médiévale dans les campagnes, à l'humiliation coloniale de la Chine et à des années de dictature et de corruption. Pour ces seules raisons, il est le père de la patrie. Il a partagé les terres entre les paysans qui représentaient 80 pour cent de la population. A sa mort, la grande majorité des Chinois avaient pour la première fois dans l'histoire suffisamment de nourriture, de vêtements et une maison. Ils avaient gratuitement accès aux services de santé, à l'enseignement primaire et à l'enseignement supérieur pour les plus doués.

Mao Zedong a émancipé les femmes, aboli l'opiomanie, les jeux de hasard et la prostitution. Suite aux spectaculaires améliorations des conditions de vie, la population a doublé en trente ans. La consommation alimentaire par habitant a également augmenté. L'économie a progressé de 6% par an. Mao a laissé à ses successeurs une économie agraire stable, une industrie lourde et légère entièrement développée, un réseau de routes, de chemins de fer, des ports et aéroports, des digues, des barrages, réservoirs et canaux d'irrigation, des écoles et des hôpitaux. Sans tout cela, Deng Xiaoping n'aurait jamais pu songer à son propre bond en avant. Mao a réussi à faire entrer la Chine à l'Onu et au Conseil de sécurité, il a fait de la Chine un partenaire fiable et pour certains un exemple à suivre. Il a amélioré de manière considérable le sort d'un quart de l'humanité.

C'est une chose que l'on ne peut oublier lorsqu'on analyse les erreurs qu'il a commises lors du «grand bond en avant» et de la Révolution culturelle. Le portrait de Mao ne trône pas seulement sur la place Tian An Men, dans la capitale Pékin, mais aussi dans la maison ou l'appartement de Monsieur Tout-le-monde et même dans les taxis. Le plus terrible des opposants politiques de Mao, Deng Xiaoping, a déclaré à son sujet : 70% de bonnes choses et 30% d'erreurs, essentiellement commises à la fin de sa vie.

Jung Chang passe sous silence, nie ou déforme tout ce qui est positif. Je ne peux expliquer ce manque d'honnêteté intellectuelle que par son anti-communisme aveugle : sa haine extrême pour Mao et le système socialiste qu'il a construit.

Il y a de cela 5 ou 10 ans, la Chine était pour les Etats-Unis un «partenaire stratégique». Aujourd'hui, la Chine est devenue un «rival stratégique». Nous entendons pratiquement tous les jours des commentaires tels que «les Chinois nous volent notre travail», «les produits chinois envahissent nos marchés», «la Chine veut dominer le monde»... On nous pousse à regarder la Chine comme l'ennemi de notre bonheur et de notre bien-être. Ce livre n'a-t-il pas pour but de dénigrer non seulement Mao mais aussi le Parti communiste chinois et la nation chinoise?

Frank Willems. Ce livre est avant toute chose un règlement de compte avec Mao et le maoïsme. L'ancienne génération de mai 68 qui avait encore un peu d'admiration pour Mao doit rougir de honte. Les jeunes, quant à eux, doivent savoir combien la révolution et le socialisme sont mauvais. Jung Chang joue donc sur les préjugés intellectuels occidentaux concernant la terreur communiste, le manque de liberté des individus, les idéaux trahis. Le seul point négatif sur la Chine après la mort de Mao on le trouve dans ce bref épilogue: dommage que le portrait de Mao soit toujours là.

Grand bon en avant. Tentative du Parti communiste, entre 1958 et 1961, d’améliorer en un temps record, via une industrialisation accélérée des campagnes, le niveau de vie et la modernisation. Elle va de pair avec la création des grandes communes agricoles. Le Parti communiste chinois dira plus tard que cette période a été caractérisée par « des erreur maladroites, inspirées par la volonté d’un progrès trop rapide, ne tenant pas suffisamment compte des conditions concrètes, matérielles et de l’opinion du peuple ».
Révolution culturelle. Période qui va de 1966 à 1976, caractérisée par d’importants mouvements de masse, des jeunes principalement, contre « les éléments capitalistes » au sein du Parti communiste. Plus tard, le Parti communiste qualifiera cette période d’essentiellement négative parce que les oppositions au sein du parti étaient exagérées, parce qu’on n’a pas employé les bonnes méthodes pour résoudre ces oppositions, parce que ce conflit politique a été principalement mené avec l’éviction de la direction et des structures du Parti et parce qu’elle a engendré pour le progrès économique de la Chine de sérieux dommages.

La bande des quatre. Groupe de quatre leaders du Parti communiste chinois qui, durant la Révolution culturelle, défendait une politique d’extrême-gauche et dogmatique qui a déstabilisé le Parti et l’état. En 1976, les quatre ont été arrêtés et accusés « d’avoir voulu déclencher une guerre civile ». Ils ont été condamnés à la prison à vie.

Kuomintang. Organisation politique de la bourgeoisie chinoise. Etait composé d’une aile patriotique et d’une aile pro-impérialiste. Le Parti communiste est parvenu à créer avec cette organisation un front unique (précaire) afin de mener ensemble la lutte contre l’occupant japonais. Le Kuomintang a été fondé par le progressiste et patriotique Sun Yatsen. Après la mort de ce dernier, en 1925, c’est le réactionnaire Tsjang Kai-shek qui a repris la tête de l’organisation. En 1949, le groupe a pris la fuite pour se réfugier dans la province de Taiwan. (P.F.)



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