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France: Depuis des années c'est la fuite en avant libérale à EDF (2)

Anonyme, Viernes, Octubre 28, 2005 - 10:43

Infonucléaire

Ouverture du capital d'EDF, mais le management libérale est déjà là depuis des années...

LE " DROIT " À LA DOSE

C'est alors que peuvent se développer les pratiques dites de "tricherie" qui consistent pour le salarié à laisser de côté le dosimètre pour éviter que l'enregistrement de doses trop élevées lui porte préjudice en terme d'emploi. Les salariés sont d'autant plus conscients du risque pour l'emploi que la mise en service d'un fichier informatisé des expositions par EDF, depuis 1992, conduit à des interdictions de site ceux pour lesquels le crédit de doses individuel est épuisé. Car il ne s'agit plus pour eux d'une mesure de prévention mais d'un "droit" qui les "protège" contre la menace du chômage.
"On a droit à 5 rems/an (selon la législation en vigueur au moment de l'enquête, sachant que la législation, sur le point d'être adoptée va "réduire ce droit" à 2 rems) On prend des doses, c'est obligé parce qu'il y a un manque de personnel: ici où on devrait être quatre ou cinq, il n'y a que deux gars. Maintenant il y a un programme qui commence à se faire sur les centrales par ordinateur. (C'est le système DOSINAT qui enregistre sur ordinateur, en temps réel, la dosimétrie individuelle, à l'aide d'un dosimètre électronique. Ces enregistrements sont nominatifs, interconnectés entre les différents sites, ce qui permet à tout moment à EDF de connaître la dose cumulée de chaque intervenant) Si vous prenez tant de doses ici tout est cumulé sur ordinateur. Si vous arrivez sur une autre centrale et que vous êtes à la limite de dose, vous ne pouvez plus rentrer. C'est EDF qui fait ça..
Pour les grosses boîtes avec personnel stable et interventions nombreuses et diverses, il y a possibilité d'alterner les chantiers en zone et hors zone. Mais pour les " gens en location", les intérimaires, il n'y a plus de travail pour eux s'ils ont dépassé la dose d'où les tricheries sur le port du saphymo, pour ne pas être interdit de zone à cause de la dose. Vous en avez sûrement vu des gars qui sont dans des boîtes de location. Après un arrêt de tranche, quand ils arrivent à la dose et qu'ils savent pas ce qu'ils vont faire, qu'ils risquent de se retrouver à la maison pendant deux ou trois mois. On va les foutre au tiroir et quand on n'aura plus besoin d'eux, on les sortira du tiroir. Ça c'est réel. Pourquoi certains enlèvent leur saphymo pour travailler ? Pour qu'on ne sache pas la dose qu'ils ont prise, pour pouvoir travailler plus longtemps. J'en connais. " (Alain, robinetier, CDI, 26 ans).
Ces pratiques ne relèvent pas seulement du salarié. Plusieurs travailleurs interviewés ont subi des pressions de l'employeur pour laisser le dosimètre lors d'une intervention fortement exposée. Cela concerne également ceux que menace la "mise au vert" avec chômage partiel en cas de forte exposition.
" Quand on prend des doses comme ça, c'est des interventions très courtes, c'est spécifique aux GV. On passe une demi-heure à s'habiller, on travaille entre une et trois minutes et après c'est fini, on passe le reste de la journée à jouer au tarot. Si on dépasse 5 rems "on a droit à 5 rems par an", on va être mis au vert. Éventuellement en chômage partiel, payé 27,50 francs de l'heure.
Parfois on peut rentrer en zone pour faire un petit truc, mais on nous appelle les " bêtes à rems", si vous voulez savoir... Et puis il y a ceux qui bouchent les trous de GV, les trous qui sont "fuyards", eux on les appelle les " jumpers ". Ils en prennent encore plus que nous ! Les GV, c'est tout des tubes, c'est des échangeurs de chaleur. Les tubes s'usent, il y en a qui fuient et quand ils fuient ils se débouchent des deux côtés.
Qui fait ça ?
C'est d'autres entreprises avec beaucoup d'intérimaires. (Jean-Louis, mécanicien CDI, 37 ans).
Un jeune de 23 ans exprime son ambivalence entre protection de sa santé et maintien dans l'emploi, par rapport à la gestion de l'emploi par la dose:
" Quand je bosse, s'il y a un endroit où le débit de dose est trop élevé j'y vais pas... Je vais voir le chef et je lui demande de mettre un petit jeune qui n'a pas de doses. Parce qu'ils prennent des petits jeunes en cours d'année. Nous ça fait depuis le début de l'année qu'on prend des doses et eux ils sont tout neufs. Autant les envoyer eux qu'ils prennent un peu de doses et deviennent au même niveau que nous. Parce qu'après ils vont nous mettre au taquet et nous remplacer par des petits jeunes qui ne connaissent pas le métier. La dernière fois il me restait 600 millirems à prendre pour atteindre la limite des 5 rems/an. J'ai préféré partir quinze jours avant la fin de mon contrat. 600 millirems ça va vite J'avais pas envie de prendre le risque. Le patron n'était pas content... Je ne me suis jamais trop renseigné mais je pense qu'au niveau de la santé ça doit pas être très bon à la longue... "
L'atteinte des limites de dose a pour conséquence l'interdiction pure et simple d'entrer en centrale. EDF délègue ainsi aux entreprises sous-traitantes la responsabilité de la gestion des conséquences de cette mesure d'interdiction, en termes d'emploi et de salaire. Ces entreprises n'étant pas liées par les garanties du statut EDF, elles gèrent ces conséquences par le recours au chômage. Lorsqu'il s'agit de travailleurs permanents, le préjudice concerne essentiellement le revenu, lors de mises en chômage partiel. Quand il s'agit de salariés temporaires, le préjudice est double: ils perdent l'emploi et parfoistoute forme de revenu, compte tenu des modalités de constitution des droits à indemnisation-chômage que met en question l'emploi intermittent sauf dans le cas de statut particulier comme celui des intermittents du spectacle.
C'est donc, en ultime ressort, le travailleur DATR lui-même qui est mis en demeure de choisir entre son emploi ou un risque pour sa santé, soit librement en laissant spontanément le dosimètre à la porte, soit parfois même sous la pression de son employeur qui tente ainsi de s'abstraire de la contrainte de radioprotection et de ses conséquences. On est à des années lumière de ce qu'était censé représenter le droit de retrait des situations dangereuses introduit dans le Code du Travail en 1982. Cette division du travail et des doses rend irréel le recours possible à ce droit par ceux dont le travail est justement d'être exposé aux rayonnements ionisants.

CONCLUSION

En sous-traitant les travaux de maintenance, l'exploitant nucléaire réussit, non seulement à en diminuer le coût financier, mais aussi à imposer une externalisation du travail sous rayonnements sans contestation ni de la part des organisations syndicales, ni des pouvoirs publics. Le fractionnement de la dose collective sur une population de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs intermittents permet à la direction d'EDF d'affirmer que l'exposition aux rayonnements ionisants est sous contrôle et ne met pas en péril la santé des travailleurs. Du simple point de vue épidémiologique, cette affirmation demande à être discutée au regard des données internationales qui récusent toute notion de seuil dans la pathogénicité des rayonnements ionisants. Mais, l'intense précarisation des emplois et donc du suivi médical, les situations fréquentes de cumul de risques chez les intermittents du nucléaire, rendent particulièrement aléatoire la mise en évidence de pathologies spécifiques liées aux faibles doses de rayonnements. En revanche cette invisibilité socialement construite permet aux autorités sanitaires françaises, comme dans le cas de l'amiante, de ne pas considérer les conséquences de cette situation comme étant préoccupantes du point de vue de la santé publique.
Au-delà de la question des rayonnements ionisants, la santé comme un tout est elle-même menacée par cette organisation du travail: non seulement à cause des risques cumulés d'accidents du travail, de maladies professionnelles et d'atteintes à la santé non spécifiques, liées à des conditions de travail éprouvantes physiquement, nerveusement et psychologiquement, mais aussi et peut-être surtout par le silence, individuel et collectif, imposé aux travailleurs qui vivent cette division sociale du travail et des risques. Or ce silence est structurel. Les relations de sous-traitance permettent au donneur d'ordre EDF de s'affranchir de toute confrontation directe à la parole, à l'expression des travailleurs "extérieurs" DATR, sur leurs conditions de travail et sur les implications de celles-ci pour leur santé et celle de leurs familles.
Au nom de la compétitivité, ce silence permet aux industriels du nucléaire " donneur d'ordre et sous-traitants", mais aussi à l'État, de faire reculer ainsi au plus tard possible le moment d'affronter réellement la contradiction qui est au coeur même de la production nucléaire et qui explique la stratégie adoptée. La crainte est grande, chez ceux qui ont compris cette contradiction et la stratégie mise en oeuvre pour la contourner, que seule la survenue d'un accident grave permette enfin d'ouvrir un débat qui, à terme, ne pourra être éludé. A moins qu'une socialisation de la parole des travailleurs DATR, qui se dessine à travers certains conflits récents engagés par ces travailleurs et soutenus par des syndicalistes EDF, permette qu'elle soit entendue et prise au sérieux par les responsables syndicaux et politiques. Car si l'accident nucléaire constitue une terrible menace pour la France entière, il est, humainement, socialement et politiquement, tout aussi inacceptable de voir renaître, au sein de la société française, des formes de servitude qui renouent avec l'esclavage.

Annie THEBAUD-MONY
La Gazette Nucléaire n°175/176 juin 1999

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