Multimedia
Audio
Video
Photo

Le silence d'Elie Wiesel, ou : Comment être une Bonne Victime ?

Anonyme, Jueves, Septiembre 1, 2005 - 09:14

Le silence d'Elie Wiesel, ou : Comment être une Bonne Victime ?
par M. Shahid Alam *
on counterpunch.com, 27.08.2005
http://www.counterpunch.com/shahid08272005.html
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier

[« Le capitaine Gordon Pim a déclaré, dans son discours, que tuer les indigènes relevait de la philanthropie ; il y a, a-t-il dit, « de la miséricorde, dans un massacre » Sven Lindqvist, in Exterminez les Brutes ! (1996)]

Enfin, M. Elie Wiesel a daigné dire un mot des « dépossédés » en Palestine.
Il est bien qu'il le fasse ; c'est ce que le monde attend de lui, depuis si longtemps. Survivant de l'Holocauste et lauréat du prix Nobel de la Paix, M.
Wiesel a consacré sa vie à prévenir un nouvel holocauste, agissant suivant la conviction que « le silence et l'indifférence sont les pires de tous les péchés. »

Et c'est ainsi que M. Wiesel a évoqué la douleur d'être dépossédé, en des termes qui traduisent bien sa profonde empathie pour les victimes. Dans une tribune du New York Times, le 21 août dernier, il évoque les images « déchirantes » de la dépossession. « Certaines de ces images sont insoutenables. Des hommes en colère, des femmes en pleurs. Des enfants emmenés au loin, à pied. » Les victimes sont « contraintes à se déraciner, à prendre leurs biens les plus précieux et les plus sacrés, leurs mémoires et leurs prières, leurs rêves et leurs disparus, pour partir à la recherche d'
un lit où dormir, d'une table sur laquelle manger, d'une nouvelle maison, d'
un avenir, au milieu d'étrangers. »

Certains, parmi vous, seront sans doute surpris de voir que M. Wiesel éprouve de la peine pour les victimes, en Palestine. Cela semble tellement inattendu. Cependant, personne n'irait jusqu'à accuser M. Wiesel de réserver son action humanitaire aux seuls juifs. De fait, selon son propre témoignage, il est non seulement « un partisan inconditionnel d'Israël », il a également « défendu la cause des juifs soviétiques, les Indiens Miskito du Nicaragua, les Desaparecidos d'Argentine, les réfugiés cambodgiens, les Kurdes, les victimes de la famine et des génocides en Afrique, de l'
apartheid en Afrique du Sud et les victimes des guerres dans l'
ex-Yougoslavie. » Dans le monde de M. Wiesel, toutefois, les Palestiniens ne sont pas admises au club des victimes !

A juste titre, M. Wiesel accuse le monde d'indifférence - et de silence - tandis que les nazis oeuvraient à l'extermination des juifs. Et néanmoins, lui aussi, il a choisi - de plus, par principe - d'observer un silence assourdissant sur la souffrance des Palestiniens. Voici en quels termes il énonça ce principe, voici bien des années : « Je soutiens Israël. Point barre. Je m'identifie à Israël. Point barre. Je n'attaque jamais, je ne critique jamais Israël, quand je ne suis pas en Israël. » Ces mots auraient tendance à suggérer que l'engagement de M. Wiesel envers Israël est viscéral ; il s'agit d'une relation strictement monogame !

Ce n'est pas seulement que M. Wiesel ne critiquera jamais Israël quand il ne s'y trouve pas. Le problème, c'est qu'Israël ne peut jamais rien faire qui puisse s'attirer ses critiques. « Israël n'a jamais rien fait d'autre que réagir. Israël n'a jamais fait autre chose que ce qu'il était normal qu'il fît. Je ne pense pas qu'Israël viole en quoi que ce soit la charte des droits de l'homme. La guerre a ses règles propres. » Israël n'est pas seulement au-dessus de toute critique : il a toujours été la victime des guerres des Arabes et des Palestiniens. Israël est foncièrement innocent.

Malheureusement, il n'y a nulle surprise dans la tribune de M. Wiesel : il n 'y a donc aucun motif de se réjouir. M. Wiesel n'a pas renoncé à son grand principe. Les « dépossédés », dans sa tribune, ce ne sont pas les Palestiniens : ce sont les colons illégaux de la bande de Gaza ! Au lieu de s'apitoyer sur les Palestiniens, M. Wiesel s'aventure encore et toujours dans une nouvelle partie de son petit jeu consistant à blâmer les victimes - et à attirer l'attention sur une nouvelle forme de victimisation juive.
Implicitement, son message est le suivant : « Il n'y a jamais eu la moindre épuration ethnique des Palestiniens, ni en 1948, ni en 1967, ni depuis. Tout ceci, ce sont des mensonges, c'est de la diffamation antisémite. Mais observer ce qui est la réalité. Cela se produit sous vos yeux : l'épuration ethnique des juifs, en Palestine ! Vous pouvez voir cela partout : sur la Fox, sur CNN, sur CBS, dans le Washington Post et le New York Times. »

Il s'agit tout simplement en l'occurrence, de la dernière invention, ingénieuse, de la splendide stratégie sioniste consistant à peindre Israël et les Israéliens aux couleurs de victimes. Les Israéliens n'ont jamais dépossédé quiconque. Mais les Israéliens sont en train d'être « dépossédés », aujourd'hui, dans leur terre promise, dans leur propre pays.
Comme c'est tragique : ils sont les seuls juifs à jamais avoir été dépossédés par leur propre armée. Au cas où il aurait pu y avoir des confusions au sujet des intentions d'Israël vis-à-vis des Palestiniens, l'
expulsion des juifs de Gaza devraient les dissiper. Regardez : le gouvernement israélien est même prêt à déposséder des juifs israéliens, simplement pour faire plaisir aux Palestiniens !.

Dans leur nouveau rôle de « dépossédés », les Israéliens ont de nouvelles opportunités de blâmer les véritables victimes : les Palestiniens. Quel est donc le crime palestinien du jour ? Face aux « larmes et à la souffrance des Israéliens évacués », les Palestiniens ont décidé de ne pas « cacher leur joie et leur fierté ». Bien au contraire, ils ont organisé des « défilés militaires, avec des combattants masqués, mitraillette à la main, tirant en l'air comme s'ils étaient en train de célébrer une grande victoire sur le champ de bataille ». M. Wiesel est en train de dire aux Palestiniens qu'ils n'ont pas le droit de jouir, fût-ce de leurs petites victoires chèrement arrachées - pour lesquelles ils ont versé, tout au long des huit années écoulées, un lourd tribut de larmes et de sang.

La logique invoquée par les sionistes pour blâmer les Palestiniens est parfaitement extravagante. Ils exigent que les victimes sympathisent avec leur tourmenteur ; la victime doit comprendre le chagrin de son bourreau, ce chagrin qui l'amène à torturer ses victimes, et aussi le terrible chagrin qu 'il ressent, même quand il est en train de les torturer. Autrement dit, les victimes d'Israël doivent faire montre d'une sainteté inaccessible aux saints eux-mêmes. Si un Palestinien hait son bourreau, il est antisémite. S'
il résiste à son bourreau, c'est un terroriste. S'il célèbre ses maigres victoires, il est qualifié d'insensible.

Tel est le langage de la supériorité raciale - cette doctrine qui croit en une hiérarchie des races, dans laquelle les races supérieurs ont des droits et les races inférieures sont condamnées à disparaître ou à une vie marginale sous la tutelle de races plus élevées dans la hiérarchie. Selon la doctrine sioniste, les juifs appartiennent à la race supérieure. D'après certaines versions, cette supériorité est commandée divinement : Dieu a conclu son alliance avec les Israélites, et pas avec les Ismaélites. Cette supériorité est également établie de manière empirique : les sionistes voulaient prendre la Palestine aux Palestiniens - et ils l'ont fait.

Mais les Israéliens ne sont pas seulement supérieur par leur force. Ils le sont aussi par leur magnanimité. Les Palestiniens vivent toujours, n'est-ce pas ? N'est-ce pas là la preuve de la magnanimité israélienne ? Les Israéliens se sont contentés de pousser un peu les Palestiniens en-dehors de leur territoire ; ils ne les ont pas incinérés dans des fours crématoires.
Ils font sauter leurs maisons à la dynamite, mais ils leur donnent généralement [pas toujours., ndt] le temps d'en sortir. Les Israéliens ne sont-ils pas incomparablement plus gentils que les nazis ?

Que les Palestiniens célèbrent leur chance extraordinaire : ils n'ont pas été expropriés par les Allemands, ni par les Anglo-Saxons. Les Herero d'
Afrique du Sud, les indigènes des Etats-Unis, ou les Tasmaniens n'ont pas eu le quart de la chance qu'ils ont eue. Les Israéliens disent aux Palestiniens
: « Laissez tomber votre terrorisme futile ; acceptez les bantoustans que nous avons créés à votre intention ; et dites merci ! Nous avons à la fois le pouvoir et le fric : nous avons donc de quoi récompenser votre gratitude.
Si vous vous tenez tranquilles, nous pourrions même aller jusqu'à vous accorder des laissez-passer pour du travail, à la journée, en Israël. Vous pourriez vous faire un joli petit salaire, à gratter nos planchers et à récurer nos toilettes. »

Les sionistes sont outrés, quand les Palestiniens osent refuser cette « offre généreuse ». « Ce n'est pas prévu dans notre script ! » hurlent-ils.
Leur outrage est compréhensible ; ils ne s'attendent pas à une telle insolence de la part de gens qui leur sont inférieurs. Les sionistes ont du mal à comprendre comment quiconque ose rejeter leurs prétentions sur la Palestine. Mais c'est pourtant ce que les Palestiniens ont décidé de faire ; et n'importe quel peuple, à leur place, dans leur situation, ferait la même chose. C'est l'humanité des Palestiniens, ordinaire, et néanmoins incontrôlable, qui est si irritante pour des gens élevés dans la logique du sionisme.

Tandis que ce projet sioniste se développait, guerre après guerre, à travers des épurations ethniques, à travers des expropriations, à travers une occupation militaire qui a mobilisé une société entière dans la destruction impitoyable d'un autre peuple, combien de sionistes peuvent-ils sincèrement affirmer - en dépit des succès militaires remportés par leur projet - que leur humanité est toujours intacte, que les Israéliens, aujourd'hui, incarnent de meilleurs exemples des hautes valeurs des traditions juives que les générations de juifs qui les ont précédés ?

Israël s'est donné la forme d'une société dont la vocation première est d'
inventer toujours de nouveaux stratagèmes, de nouvelles murailles, et de nouveaux pièges où emprisonner un autre peuple, qui, par sa volonté de résister, continue à défier et à frustrer leur volonté d'expropriation. Les Palestiniens ont épuisé la capacité des Israéliens à conserver leur humanité, dans leur rôle d'occupants. Ceux qui ont dédié toute leur existence à la défense et illustration des atrocités israéliennes souffrent d'une même perte de leur propre humanité. Je suppose que M. Wiesel ne le sait que trop. Ou alors, peut-être sa maladie est-elle tellement avancée qu'
il est devenu aveugle à sa propre pathologie ?

[* M. Shahid Alam, professeur d'économie à la Northeastern University, contribue régulièrement à CounterPunch.org. Certains de ses articles ont été publiés sous la forme d'un livre : Is There An Islamic Problem ? (Kuala Lumpur ; The Other Press, 2004). On peut lui écrire à l'adresse e-mail suivante : alqa...@yahoo.com Site ouèbe : http://www.islamicity.com ]

www.bellaciao


CMAQ: Vie associative


Collectif à Québec: n'existe plus.

Impliquez-vous !

 

Ceci est un média alternatif de publication ouverte. Le collectif CMAQ, qui gère la validation des contributions sur le Indymedia-Québec, n'endosse aucunement les propos et ne juge pas de la véracité des informations. Ce sont les commentaires des Internautes, comme vous, qui servent à évaluer la qualité de l'information. Nous avons néanmoins une Politique éditoriale , qui essentiellement demande que les contributions portent sur une question d'émancipation et ne proviennent pas de médias commerciaux.

This is an alternative media using open publishing. The CMAQ collective, who validates the posts submitted on the Indymedia-Quebec, does not endorse in any way the opinions and statements and does not judge if the information is correct or true. The quality of the information is evaluated by the comments from Internet surfers, like yourself. We nonetheless have an Editorial Policy , which essentially requires that posts be related to questions of emancipation and does not come from a commercial media.