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Le savoir traditionnel ne sera pas enregistré

batiste, Jueves, Agosto 18, 2005 - 18:28

Batiste W. Foisy

Imperial Oil porte décidément bien son nom. La compagnie derrière le projet gazier du Mackenzie, le plus important projet d'exploitation de ressources naturelles de l'histoire canadienne, a décidé qu'elle baliserait seule ce qui ferait ou non les manchettes. Vive l'empire!

Gavé de soleil de minuit, j'ai décidé de prendre mes vacances annuelles dans la minuscule et charmante communauté de Fort Providence, située à l'entrée du Deh Cho, cet immense cours d'eau de l'Arctique canadien que les géographes coloniaux du ministère des Affaires indiennes persistent à nommer "fleuve Mackenzie".

Après avoir fait le tour de la place et fraternisé avec les Dénés Kasho Got'ine qui peuplent Fort Providence, je me suis rendu au magasin général pour me procurer un leurre de pêche qu'un type veanait de me recommander. "Je les ai tous eu avec ma Thompson", m'a-t-il confié en exhibant trois belles grayling d'au moins dix livres et un large sourire.

Au Northern Store -- la coop Déné owned a fermé ses portes quand le géant de l'alimentation nord canadien a ouvert une franchise --, mon regard est attiré par une affiche placardée sur le babillard. "Public Meeting...TK Study for the Mackenzie Gas Project... at the Snowshoe Inn... Tuesday July 26th... The presence of the following Elders and harvesters is requested..."

Journaliste en poste à Yellowknife, je savais très bien de quoi il s'agissait. Le Projet gazier du Mackenzie (PGM) sera le plus important chantier de l'histoire canadienne, depuis la construction du chemin de fer. Il sagit d'un pipeline de près de 2000 kilomètres qui doit transporter le gaz naturel de la mer de Beaufort jusque dans les "marchés du Sud", à savoir l'industrie des sables bitumineux albertains. Le tracé du pipeline traversera les territoires ancestraux des Inuvialuits, des Gwich'In, des Dénés du Sahtu, des Dénés du Deh Cho et des Dénés Tha. Le principal promoteur du projet est Imperial Oil -- Esso, ExxonMobil, du sang sur les mains en Indonésie,déplacement du peuple wayuu en Colombie, démentis répétés de l'existence du réchauffement climatique, alouette.

Pour l'instant le projet doit encore obtenir l'assentiment d'une commission d'évaluation environnementale -- le Joint Review Panel -- et de la Office nationale de l'Énergie. Pourtant, sans connaître l'issu de ses deux processus d'évaluation, les gouvernements du Canada et des Territoires du Nord-Ouest s'affichent déjà ouvertement en faveur du mégaprojet. Tour à tour, Andy Scott (Affaires indiennes), Paul Martin (premier ministre), Ann McLellan (vice-première ministre) et plus récemment Stéphan Dion (Environnement) se sont tous affichés pour la construction du pipeline. Du côté territorial, Joe Handley (premier ministre), Brendan Bell (Industrie) et Micheqal Miltenberger (Environnement) m'ont tous personellement assuré que le projet irait de l'avant. J'ai conservé les enregistrements.

Pour un nombre important d'ONGs, cependant, le PGM est loin d'être la clef du développement responsable dans le grand Nord. Des groupes comme Ecology North, Sierra Club Canada et le Canadian Arctic Resources Committee prévoient que la construction du pipeline provoquera, à moyen terme, une indistrualisation massive de la vallée du Mackenzie, un des derniers endroits au monde à être épargné par les affres du Dieu progrès. Des organismes du secteur social des Territoires du Nord-Ouest comme le NWT Sttatus of Women Council et l'Arctic Indigenous Youth Alliance craignent, quant à eux, que l'affluence de capitaux et d'ouvriers du Sud dans cette région à très forte majorité autochtone et pratiquement coupée du monde extérieur n'empire des problèmes sociaux déjà criants. Cela, disent-ils facilitera l'entrée d'alcool dans les communautés dry, accentura la crise du logement (la deuxième pire au pays juste derrière le Nunavut), fera augmenter la prostitution, développera de nouvelles voies d'entrée pour les drogues comme le crack et le crystal meth et accentura l'effritement du mode de vie traditionnel des Autochtones. C'est, entre autres, pour ça que, la fin de semaine dernière, le Conseil des Aînés du Sahtu s'est officielement positionné contre le projet.

Quant au "TK Study", il s'agit d'une étude sur le savoir traditionnel (en anlais, Traditional Knowledge) de ceux qui habitent dans la zone du projet et y pratiquent les activités traditionelles que sont la chasse, la pêche, la trappe et la cueillette depuis des décennies et sont, par le fait même, les mieux placés pour décrire l'état actuel de la Terre nouricière et les conséquenes qu'y ont eu des "développements" passés.

En juin, le Joint Review Panel a fait savoir à Imperial Oil que plus de données recueillies dans le cadre d'études de ce fameux savoir traditionnel devaient être fournies avant d'entâmer des audiences publiques sur leur projet. Le public meeting de Fort Providence s'inscrivait dans cette quête forcée de savoir traditionnel auquel Imperial Oil est contrainte si elle souhaite faire aboutir son investissement de 7 milliards de dollars.

Je ne pouvait pas résister à l'envie d'aller voir comment se déroule un TK Study, quand celui-ci est commandé par la plus grosse multinationale pétrolière au monde. Je me suis donc pointé au Snowshoe Inn muni d'un carnet de note, de mon magnétophone et de ma carte de presse.

De toute évidence, la tenue de cette réunion n’avait pas été ébruitée outre mesure. Moins de 15 personnes y ont assisté. Même le journaliste de l’hebdo local n’était pas là.

En entrant, un Déné a vu mon magnétophone et m'a demandé ce que je faisais avec ça. Je lui ai montré ma carte de presse. Il a sourit et m'a indiqué un siège.

Le gros de la renconte consistait en une présentation Power Point d'Impérial Oil. Ils expliquaient que le rojet entraînerait une augmentation du traffic fluvial durant la période de construction. Ils parlaient de "deux fois plus de barges que d'habitude". Ils ont également présenté des desseins de ce à quoi ressembleront les futurs camp de travail et désigné les sites où ils se trouveront probablement. " Nous estimons qu'il n'y aura pass d'impact significatif sur votre communauté", a déclaré le représentant d'Imperial.

La présentation était plutôt longue et pénible car tout était traduit en South Slavey pour permettre aux Aînés de comprendre. Les interprètes étaient des gens du village. Celui qui traduisait pour le compte des promoteurs avait été présenté comme "le contact d'Imperial" dans la communauté. Il portait une casquette à l'effigie du PGM.

Après deux bonnnes heures de babillage des promoteurs, on a demandé aux Aînés de bien vouloir parler de leur savoir traditionnel. Peu a été dit. Certains se sont plaint que les barges jettaient leurs déchets dans le fleuve et qu'à ça les écoeuraient. Le président de la compagnie de barges, NTCL, était présent. Il a vivement démenti ces pratiques. "Nous ne jetons nos poubelles dans le fleuve, a-t-il assuré. Du moins pas à ce que je sache."

J'enregistrais tout depuis le début.

Ensuite, celui qui semblait être le doyen de la salle a prononcé un long discours en South Slavey. Il a fallu trois interprètes pour traduire l'essence de son laïus. Il demandait à Impeial de respecter la Terre. Il disait que dans le passé d'autres Blancs avant eux étaient venu faire du développement dans a vallée du Mackenzie et que ces gens-là détruisaient tout et ne respectaient rien. "Nous ne voulons pas que cela se reproduise", traduisait un interprète.

Le passage de son discours qui m'a le plus marqué -- ou en tout cas la traduction qui en a été faite -- était constitué de quelques phrases dans lesquelles l'Aîné exprimait sa vision du savoir traditionnel. Le savoir traditionnel, a-t-il dit en substance, est quelque chose qui se transmet de génération en génération depuis les temps immémoriaux. Il s'aquiert en cotoyant la Terre. C'est quand on vit de chasse et de pêche, dans l'immensité sauvage, qu'on comprend les mécaniques qui font en sorte que le soleil se couche à l'ouest et que le fleuve coule vers le Nord. Vous ne pouvez pas venir ici discuter avec nous quelques heures et vous imaginer comprendre notre savoir traditionnel. C'est beaucoup plus complexe que ça.

C'est immédiatement après que l'Aîné ait dit ça, que le représentant d'Imperial Oil répondant au prénom de Peter s'est levé, a traversé la salle et est venu me voir. Il m'a demandé si j'enregistrais. J'ai dit oui et je lui ai montré ma carte de presse. Son visage est devenu cramoisi et des tics violents rendaient son accent albertain encore plus difficile à comprendre.

"Il s'agit d'une étude, a-t-il balbutié, vous ne pouvez pas enregistrer." Je lui ai dit que c'était annoncé comme une rencontre publique et que je ne faisais qu'accomplir mon devoir en la documentant pour ensuite en faire rapport au public, justement. "C'est une étude", a-t-il répété. Il transpirait.

Il a ensuite insinué que la rencontre n'était publique que pour la communauté de Fort Providence. Je lui ai répondu que j'étais le seul journaliste francophone de tous les Territoires du Nord-Ouest, que mon journal avait aussi des lecteurs à Fort Providence et que ces gens-là méritaient, eux-aussi, de savoir ce qui s'est dit à la rencontre publique qui s'est déroulée dans leur village.

Peter ne voulait rien entendre. Il a remis sur le tapis l'argument de l'étude -- que, du reste, je ne comprends pas encore -- et m'a dit que j'aurais du aviser Imperial de mon intention "au moins quelques jours l'avance". "Nous ne voulons pas de rapport", soutenait le représentant de la multinationale.

J'ai finalement accepté de fermer mon magnétophone et ma grande gueule. J'ai quitté la salle pas très longtemps après. C'était terminé de toutes façons et j'avais très faim.

Batiste W. Foisy
L'auteur est journaliste à l'hebdomadaire L'Aquilon publié dans les Territoires du Nord-Ouest. Il réside à Yellowknife.

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