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L’impunité de l’homme blanc en Haïti

Anonyme, Domingo, Agosto 14, 2005 - 22:45

Emmanuel Dupont

Voici une mise à jour (en août 2005) de la situation en Haïti où l'on décrit l’aggravation des droits de la personne depuis un an et l'interventionisme impérialiste des puissances étrangères, tout particulièrement celui du Canada. On mentionne aussi la naissance d'un mouvement international de solidarité envers Haïti qui dénonce la mascarade qui se trame en ce moment. Les puissances étrangères se jouent actuellement du peuple haïtien et des faits très troublants doivent être étalés au grand jour. Cette analyse, loin d'être exhaustive, est basée sur des lectures dans de nombreux sites d'information alternatifs. Il n'est pas question ici de prendre parti pour Lavalas ou Aristide car les HaïtienNEs décideront eux-même, si cette chance leur est donnée… On tente ici de regarder froidement la situation actuelle et nous devons reconnaitre qu'elle semble pire aujourd'hui qu'avant le coup d'État de 2004, que le gouvernement intérimaire est plus à droite et réactionnaire que le précédent et que les puissances étrangères font grandement partie du problème.

L'image ci-jointe montre un officier canadien qui entraîne les forces d'unités spéciales de la police nationale haïtienne...

1. Introduction
Le 17 juin 2005 à Montréal, lors de la Conférence internationale de Montréal sur Haïti, Yves Engler, un militant pro-démocratie, a renversé de la gouache rouge sur les mains du ministre des Affaires internationales Pierre Pettigrew en lui assénant cette vérité bien sentie : « Vous mentez, le peuple haïtien se meurt et vous avez du sang sur les mains!». Un incident similaire est survenu le 1er juillet alors que le même ministre tentait de parader dans les rues du parc Extension. Sa sortie fut quelque peu gâchée par un comité d’accueil composé d’Haïtiens, d’Haïtiennes et autres personnes solidaires qui l’apostrophèrent ainsi « Canada, hors d'Haïti! Haïti aux Haïtiens! ».

Ces événements, quoiqu’encore anecdotiques, démontrent que, contrairement à ce que veulent nous faire croire les grands médias, tout ne serait pas si simple pour expliquer l’implication du Canada en Haïti. Les médias, comme le ministre Pettigrew, balaient du revers de la main cette contestation en alléguant que les protestataires contre le rôle du Canada en Haïti ne sont pas des Haïtiens, mais seulement des « Aristidiens ». Cette affirmation gratuite et sectaire ne vise qu’à diviser le mouvement croissant de solidarité qui se forme depuis plusieurs mois autour de la question haïtienne et, par la même occasion, cela permet au gouvernement d’esquiver le débat sur les véritables enjeux en Haïti. Diviser ainsi les Haïtiens en pro ou anti-Aristide ne correspond pas non plus au mandat officiel que s’est donné le Canada en Haïti à savoir, favoriser la réconciliation nationale et la « démocratie ». À l’instar de l’Afghanistan ou de l’Irak, nous avons appris qu’il y a tout lieu de s’interroger lorsque la «démocratie » est invoquée pour justifier l’interventionnisme des puissances étrangères dans les pays dits en « faillite », car, dans les mains des acteurs impérialistes, l’idéal démocratique s’est transformé peu à peu en un concept fourre-tout et trompeur, à géométrie variable au seul bénéfice économique ou politique des pays occidentaux. Nous verrons qu’Haïti ne déroge pas à cette règle, au contraire c’est le cas d’espèce par excellence…

Par ce geste audacieux du 17 juin, le militant Yves Engler a donc réussi à attirer l’attention sur le rôle du Canada en Haïti, ce qui inclut :

1. le rôle du Canada dans le renversement, longtemps prémédité, du régime de J. B. Aristide;
2. la formation de la police haïtienne, car celle-ci commet des actes criminels pour le compte d’un gouvernement qui a été imposé au peuple haïtien;
3. le financement de rapports très tendancieux sur les droits de la personne par le biais de l’Agence canadienne pour le développement international (ACDI);
4. le financement d’élections qui, tout comme en Irak ou en Afghanistan, ne manqueront pas d’être frauduleuses étant donné la campagne actuelle de répression contre les sympathisants de la Fanmi Lavalas, le parti politique le plus populaire chez les démunis, ceux-ci formant la vaste majorité dans cet État le plus pauvre de l’hémisphère occidental.

Nous allons faire le point sur ces aspects de l’interventionisme canadien en Haïti.

Le gouvernement du Canada cite souvent son intervention en Haïti pour illustrer les bienfaits de sa politique étrangère basée sur un concept indéfinissable et sujet à maintes interprétations à savoir : le « devoir de protéger »[1]. Cette responsabilité protectrice que l’homme blanc canadien s’est donnée n’est-elle pas un alibi pour intervenir militairement dans les pays dits en « faillite », mais où nos intérêts économiques et géopolitiques sont en jeu? Au regard de la situation haïtienne, la question mériterait d’être âprement débattue. Selon le nouvel énoncé de politique internationale de 2005, le « but ultime du Canada est de favoriser un engagement envers les droits de la personne, la démocratie et la primauté du droit en plaçant les citoyens au coeur de la société et en créant un État attaché à protéger leurs intérêts. »[2]. Cette phrase semble réconfortante au premier abord, mais les prétentions du gouvernement sur les succès de sa politique étrangère en Haïti sont totalement frauduleuses et font largement appel à la déformation de la réalité.

2. Le coup d’État de 2004 et l’Initiative d’Ottawa
Malgrè une vaste campagne de désinformation, de nombreux militants pour la paix et la justice continuent de penser que la destitution du président J. B. Aristide est un coup d’État savamment orchestré par les États-Unis avec l’appui de la France et du Canada. Ce que l’on réalise moins, c’est le long travail de sape et de délégitimation du gouvernement canadien à l’encontre de l’administration d’Aristide durant les années qui ont précédé le coup.

Nous avons commencé à en prendre conscience en avril 2001 lors du sommet des Amériques à Québec où les pourparlers officiels entourant la clause démocratique interaméricaine semblaient cibler spécifiquement le président haïtien. Ce n’était que le début d’un harcèlement diplomatique qui allait se solder par le renversement d’Aristide trois ans plus tard. En effet, le gouvernement canadien convoqua le 31 janvier et 1er février 2003, au lac Meech, une table ronde de haut niveau sur la situation politique en Haïti réunissant des ministres français, des hauts fonctionnaires du Département d’État américain, des représentants de l’Organisation des États américains, de l’Union Européenne, du Salvador, mais aucun représentant d’Haïti. Selon le journaliste M. Vastel qui s’est entretenu avec le secrétaire d’État canadien pour l’Amérique latine de l’époque, Denis Paradis, le renversement du gouvernement Aristide, le retour de l’armée haïtienne (dissoute par Aristide en 1995 à cause de sa longue tradition putschiste) et la création d’un protectorat auraient été évoqués lors de cette rencontre secrète appelée aussi l’Initiative d’Ottawa[3]. Des organisations non gouvernementales financées par le gouvernement fédéral ont emboîté le pas et se sont lancées elles aussi dans une campagne de salissage systématique contre l’administration Aristide et ce, sans aucun discernement ou enquête crédible. L’AQOCI, un regroupement d’ONG québécoises progressistes financées en partie par le gouvernement fédéral, alla même jusqu’à recommander en décembre 2003 la suppression de l’aide canadienne au régime Lavalas[4].

En 2004, des rebelles issus de l’ancienne armée haïtienne, réfugiés et entrainés en République Dominicaine avec le support des États-Unis, réussirent à agiter l’opposition haïtienne de droite[5] en son entier afin de déstabiliser et renverser Aristide. D’immenses contre-manifestations de soutien à la constitution haïtienne et au président Aristide (100000 personnes le 7 février 2004) ont répliqué au mouvement réactionnaire en marche. Les grands médias ont largement censuré ces faits pour ne présenter qu’un seul côté de la médaille. Les soldats canadiens de la Deuxième Force opérationnelle interarmées, ont joué un rôle important dans le coup d’État en sécurisant l’aéroport de Port-au-Prince pendant qu’Aristide était amené manu militari par les Marines vers une terre d’exil encore inconnue. Une Force Multinationale d’Intervention, composée des É.U., de la France et du Canada, renversa donc le 29 février 2004 un gouvernement élu et se réincarna trois mois plus tard en une mission onusienne, la MINUSTAH, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation d’Haïti forte de 8400 militaires et policiers et sous commandement brésilien[6]. Comme cela devient la norme, les États-Unis qui agirent en totale violation du droit international manipulèrent le Conseil de Sécurité afin qu’il définisse la réaction de la communauté internationale face à la crise qu’il créa lui-même. Rapidement, les États-Unis mirent en place un Conseil des sages qui nomma Gérard Latortue, un bureaucrate et économiste qui a fait l’essentiel de sa carrière aux États-Unis, afin de diriger jusqu’aux prochaines élections un gouvernement intérimaire qui allait très rapidement démontrer sa docilité envers les États-Unis et son ouverture au néolibéralisme. Au lendemain de son arrivée au pouvoir, Latortue qualifia les anciens militaires, qui avaient violemment renversé le régime Lavalas, de « combattants de la liberté » et nombre d’entre eux réintégrèrent la police nationale haïtienne. La Communauté des Caraïbes (CARICOM), le Vénézuela, Cuba et l’Union Africaine refusent toujours de reconnaître le gouvernement de facto.

Depuis ce bri de la constitution haïtienne, l’hypocrisie des supporteurs du coup est devenue de plus en plus évidente. Alors que le gouvernement du président Aristide était accusé d’autoritarisme, de corruption et de supposées violations des droits humains, le gouvernement de facto, non élu, mène impunément une campagne de répression sanglante contre tous ses opposants politiques. Étrangement, cela ne semble pas provoquer l’ire des fomenteurs du coup d’État qui, de par ailleurs, sont toujours prompts à clamer sur la place publique leur passion pour les droits humains. On ne sous-entend pas ici que l’administration d’Aristide était exempte de tout reproche, loin de là, mais toutes choses considérées, la situation des droits de la personne, le climat socio-économique, politique sont bien pires aujourd’hui qu’il y a quelques années, avec de surcroît, une perte totale de souveraineté des Haïtiens et Haïtiennes sur la destinée de leur pays. Sur la période 2000-2003, Amnesty International attribuait 30 morts violentes à la police nationale haïtienne et aux supporteurs de la Fanmi Lavalas agissant au sein de milices armées non officielles, les Chimères. Le parti Lavalas et Aristide ont toujours nié les allégations selon lesquelles ils soutiendraient les Chimères ou quelconque violence politique. Aristide préconise plutôt la résistance pacifique face aux gouvernements et c’est pourquoi il n’approuve guère le geste de Yves Engler[7]. Trente morts en quatre ans selon Amnesty International : c’est fort regrettable et justice doit être faite au sujet de ces crimes. Et aujourd’hui? Est-ce que la situation s’est améliorée depuis février 2004? Après tout, le Canada est responsable de la CIVPOL, la branche policière de la MINUSTAH (forte de 1900 policiers) qui est chargée de la formation des forces policières en Haïti.

3. Après le coup : unanimité pour décrire l’horreur inhumaine
Très tôt, des signaux d’alarme ont été émis par diverses organisations de surveillance des droits humains. En avril 2004, Amnesty International tirait la sonnette d’alarme à l’encontre du gouvernement intérimaire et de la force multinationale [8]: «le gouvernement intérimaire s’est empressé de procéder à l’arrestation des membres du parti de l’ancien président Aristide, Fanmi Lavalas, soupçonnés d’actes de violence politique et de corruption, tout en s’abstenant d’agir contre les auteurs connus d’atteintes graves aux droits humains. Louis Jodel Chamblain et Jean Pierre Baptiste (membres de l’ex-Front pour l'avancement et le progrès d'Haïti, FRAPH, groupe paramilitaire, reconnus coupables du massacre de Raboteau en 1994, un bidonville dont les habitants se sont illustrés par leur militantisme et leur attachement à la personne du président Aristide renversé), par exemple, sont toujours libres. […]. Amnesty International a également reçu des informations récentes faisant état d’homicides et d’enlèvements au sein de la base du mouvement pro-Aristide dans les quartiers pauvres de Port-au-Prince. Parmi les auteurs présumés se trouveraient plusieurs prisonniers en cavale, condamnés pour des viols et autres crimes de droit commun. Ces hommes travailleraient avec la police haïtienne et la force intérimaire multinationale pour identifier les personnes ayant eu des liens avec le régime du mouvement Lavalas».

Quant au nombre de victimes on réalisa soudain l’ampleur de la tragédie… En juin 2004, un rapport d’Amnesty International parlait de 500 victimes[9]: «En février et mars, la Commission Justice et Paix, animée par l’Église catholique, a rapporté quelque 300 affaires d’homicide pour la seule ville de Port-au-Prince, où elle estime que le nombre réel d’homicides pourrait approcher les 500.»

En mars 2004, l’Association nationale des juristes, un regroupement d’avocats progressistes des États-Unis, publiait un rapport accablant qui confirmait les attaques d’ex-militaires et paramilitaires contre les supporteurs du parti Lavalas ainsi que l’existence de charniers clandestins [10]. Un mois seulement après le coup, le directeur de la morgue de Port-au-Prince faisait état d’un millier de personnes tuées par balle et envoyées dans son établissement, mains liées dans le dos et plastique sur la tête. Souvent, les familles des victimes n’osent pas venir réclamer les dépouilles de peur de représailles. C’est particulièrement le cas si les victimes étaient des membres ou sympathisants de Lavalas.

Alors que la MINUSTAH est en place depuis plusieurs mois, que des officiers français et canadiens forment la police nationale haïtienne, les abus contre les droits fondamentaux de la personne semblent se poursuivent en toute impunité. Le 8 octobre 2004, l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti faisait état d’arrestations de syndicalistes au bureau de la Conféderation des travailleurs haïtiens à cause de leur accointance avec le parti Lavalas, ce qui confirmait une fois de plus l’existence de prisonniers politiques en Haïti. De plus, ce rapport faisait état de la mort de plusieurs manifestants pacifiques qui demandaient la fin des persécutions et le retour d’Aristide lors d’une marche rassemblant 10000 personnes pour commémorer le coup d’État du 30 septembre 1991[11]. Le premier ministre Latortue, loin de se repentir, confirma les faits et maintint sa ligne dure de répression. Depuis cette manifestation, la situation est des plus chaotiques. La criminalité prend des proportions très inquiétantes. Sous l’effet de l’extrême pauvreté, des gangs de rues criminelles se développent et exacerbent le climat de peur qui était déjà très pesant avant. Les manifestations sont fréquemment réprimées dans un bain de sang comme celle du 27 avril 2005[12]. Dans ce dernier cas, il semblerait que les forces de la MINUSTATH aient couvert la police haïtienne dans leurs forfaits. Pareille complicité de la MINUSTAH a été rapportée par l’agence Reuters lors du raid de la police contre la population de Bel-Air, le 5 juin 2005[13]. Pourtant, la responsabilité du regain de violence depuis l’automne 2004 est mise sur le dos des cadres du parti Lavalas qui auraient mis au point une « opération Bagdad », un plan d’insurrection générale contre le gouvernement de facto afin de saboter les élections prévues pour l’automne 2005. Les porte-parole de Lavalas ont beau nier l’existence d’un tel plan et condamner toute violence d’où qu’elle vienne, les grands médias occidentaux continuent de véhiculer la rumeur d’un plan Bagdad et ce qui leur permet de discréditer une fois de plus les supporteurs du président Aristide et de les associer à la violence ou aux forces antidémocratiques et déstabilisatrices du pays.

Environ 1000 détenus politiques croupissent en prison dont la plupart sans procès, sans accusation. Ces prisonniers politiques sont des partisans d’Aristide ou de la constitutionnalité. L’ex-premier ministre Yvon Neptune est en détention depuis plus d’un an et fait une grève de la faim au péril de sa vie. Ce dernier est accusé responsable du massacre de la Scierie à St-Marc le 11 février 2004. Pourtant les charges portées contre lui sont peu probantes et les preuves inexistantes[14]. D’autres figures de proue du mouvement Lavalas sont détenues sans accusation, comme Annette Auguste, ou sur des accusations cousues de fil blanc, comme le frère Gérard Jean-Juste. Ce dernier, a été arrêté le 21 juillet 2005 par la police nationale et la CIVPOL pour un meurtre de journaliste alors qu’il se trouvait à l’étranger au moment des faits. Amnesty International le considère comme prisonnier d’opinion et vient de lancer une campagne de mobilisation[15].

Plusieurs rapports indépendants sur les droits humains se sont multipliés ces derniers mois et tous mettent en lumière les persécutions, les meurtres ciblés et les expéditions punitives contre les habitants des bidonvilles traditionnellement favorables à Aristide. Tous ces rapports soulignent le rôle délétère de la MINUSTAH car celle-ci fournit de l’escorte, voire même un appui direct à la police nationale haïtienne dans ses campagnes de terreur. On mentionnera ici le rapport de mission du centre d’études des droits humains de faculté de droit de l’université de Miami qui contient des photographies très dérangeantes qui illustrent l’horreur inhumaine dans laquelle Haïti est plongé[16].

Une récente délégation des droits de la personne à Haïti envoyée par l’Université Harvard concluait de la façon suivante [17]: « Les violations des droits humains à Haïti couvrent un large spectre de l’horreur humaine, en allant d’arrestations et de détentions arbitraires, à des disparitions et exécutions sommaires, à l’assassinat de nombreux patients hospitalisés et jusqu’à l’entassement de leur dépouille dans des charniers. Comme ce rapport le décrit, la MINUSTAH a effectivement fourni une couverture à la police dans sa campagne de terreur menée dans les bidonvilles de Port-au-Prince. Encore plus troublant que la complicité de la MINUSTAH dans les abus de la police nationale haïtienne, il y a des allégations crédibles de violations de droits humains perpétrées par la MINUSTAH elle-même, comme documenté dans ce rapport. Cependant, la MINUSTAH a ignoré ces accusations en les reléguant comme affaires négligeables, ce qui a permis la perpétuation de ces abus. Au lieu de suivre précisément les prescriptions de son mandat, les échecs de la MINUSTAH ont favorisé la continuité de l’impunité en cours en Haïti. ».

Amnesty International dans sa dernière lettre de juillet 2005 accusait formellement la MINUSTAH et la CIVPOL de manquements très graves et affirmait que cela contribuait à la discréditer aux yeux du peuple haïtien. Nombre d’Haïtiens considèrent, sans doute avec raison, cette force internationale comme une armée d’occupation.

Même son de cloche de la part de Médecins sans frontières (MSF) qui rapporte des cas d’entraves à l’assistance médicale : «Selon le personnel médical, les hommes et les adolescents blessés rencontrent d'importantes difficultés pour accéder à l'hôpital Saint Joseph. Suspectés par la police d'appartenir aux groupes armés d'opposition, ils craignent d'être arrêtés ou exécutés par les forces de l'ordre avant même d'avoir bénéficié de soins». Finalement, MSF attaque vigoureusement le rôle de la MINUSTAH en concluant que : «la Minustah est devenue un acteur armé au conflit, source de violences contre les civils dans le cadre des opérations de police menées dans les bidonvilles. Un de ses représentants ne s'étonne même plus des "dommages collatéraux" dont sont responsables les soldats onusiens, prix à payer selon lui pour "stabiliser" Port-au-Prince. Peu importe si la Minustah est désormais perçue par une frange importante de la population comme une force d'occupation, soutenant un gouvernement de transition dont les pouvoirs sont limités.»[18].

Face à l’unanimité générale de ces organisations qui condamne l’action des forces de l’ONU, on aurait pu espérer une prise de conscience de la communauté internationale et une remise en question de l’approche militariste adoptée jusqu’à présent en Haïti. Cela ne semble pas le cas au lire de la conclusion de la conférence internationale de Montréal sur Haïti[19], où l’on suggère à la MINUSTAH «de cibler davantage son action en matière de sécurité sur les zones difficiles, d'adopter une approche plus ferme et de prendre toutes les mesures justifiées par la situation […]» et de collaborer plus étroitement avec la police nationale. Quant au gouvernement de facto on lui demande « d'agir en conséquence » pour appliquer « un plan efficace de sécurité et adapté à la situation haïtienne de désarmement, de démobilisation et de réintégration ».

4. Le 6 juillet 2005 : Un massacre ignoré
Le message semble avoir été bien compris par la MINUSTAH qui n’a guère attendu pour muscler son action contre les populations civiles trop loyales encore envers les forces « déstabilisatrices ». Alors que le monde entier s’émouvait à forte raison des attentats de Londres du 7 juillet, les grands médias faisaient l’impasse sur une tragédie survenue la veille dans le bidonville de Cité Soleil à Port-au-Prince. Selon l’agence Reuters, une troupe de 400 hommes de l’ONU, équipés de 41 véhicules blindés et hélicoptères et accompagnés de plusieurs douzaines d’officiers de la police nationale a mené un raid meurtrier dans ce quartier déshérité. Le porte-parole militaire de l’ONU justifie l’attaque par l’élimination de cinq criminels (il n’y a plus de justice, mais seulement des exécutions expéditives..) mais nombre d’observateurs ont noté l’étendue des « dommages collatéraux » qui s’éléveraient entre 25 et 40 personnes tuées lors de l’opération, dont des femmes et de jeunes enfants[20]. Le flux important et inhabituel de blessés accueillis la même journée à l’hôpital de MSF confirme bien l’ampleur de l’attaque. Une délégation des droits humains commanditée par le conseil du travail de San Francisco révèle qu’au moins 23 personnes auraient trouvé la mort[21]. Ces faits très choquants sont passés inaperçus aux yeux des médias, ce qui contribue au sentiment de plus en plus généralisé selon lequel les atrocités n’ont pas le même poids selon les pays où elles surviennent. Si ce n’est un commentaire dans The Guardian[22] cette tragédie très embarrassante pour l’homme blanc a été ignorée par les grands médias corporatistes. Cela n’a pas empêché des groupes solidaires du peuple haïtien d’organiser le 21 juillet dernier une journée d’action et de sensibilisation internationale sur ces massacres dans 15 villes d’Haïti, des États-Unis, du Canada, du Brésil et de la France[23]. Ces protestations ont porté fruit, car la MINUSTAH a été contrainte d’admettre les « dommages collatéraux » et a décidé de faire enquête sur ses propres crimes[24]. Bien sûr, un organisme indépendant devrait mener l’enquête, mais, déjà, ces premiers aveux prouvent à quel point la mission de l’ONU fait partie du problème et non de la solution.

5. Quelle est l’attitude du gouvernement canadien ?
En juin 2005, le gouvernement canadien, par le biais de l’ACDI, avait déboursé pas moins de 100 millions $ à la mise en œuvre d’un Cadre de coopération intérimaire dont les deux premières missions consistent à assurer une meilleure gouvernance politique et promouvoir le dialogue national, et à renforcer la gouvernance économique et contribuer au développement institutionnel[25]. Cet interventionnisme sur la gestion du pays paraît mieux, lorsqu’en parallèle, on prétend favoriser la relance économique et l’amélioration des services de base (la dernière des priorités). L’ampleur de l’investissement démontre donc l’intérêt que les dirigeants canadiens portent à cette île des Caraïbes. Nous verrons plus bas que cet intérêt n’est pas forcément désintéressé car l’île, même dans son extrème pauvreté apparente, comporte quelques avantages économiques et géopolitiques… Mais est-ce que les faits très troublants exposés plus haut feraient douter le gouvernement dans sa mission « protectrice » qu’il s’est donnée?

En effet, compte tenu de ses engagements définis dans l’énoncé de politique internationale, on pourrait s’attendre à ce que le gouvernement canadien exprime des inquiétudes sur cette catastrophe humaine et corrige le tir. Pas vraiment… En novembre 2004 le premier ministre Martin mentait aux médias internationaux en prétendant qu’il n’y a aucun prisonnier politique en Haïti[26]. De même, son conseiller spécial sur Haïti, Denis Coderre, osait affirmer que la situation est meilleure aujourd’hui qu’elle ne l’était avant le départ d’Aristide[27]. Pourtant, tous les rapports indépendants sur les droits de la personne en Haïti publiés ces six derniers mois contredisent Paul Martin et Denis Coderre. Rappelons que des membres du Congrès à Washington ont demandé une enquête sur la détention de prisonniers politiques.

L’Agence canadienne de développement international (ACDI) a financé, une organisation de surveillance des droits humains, la National Coalition for Haïtian Rights à hauteur de 100.000 $ pour les victimes des événements de la Scierie à St Marc, le 11 février 2004. Ce faisant, l’ACDI apportait sa caution à un rapport bâclé sur les droits de la personne rédigée par cette association. Selon la NCHR, et elle seule, 50 personnes auraient péri sous les exactions des partisans d'Aristide. Pourtant, selon tous les journalistes qui ont fait enquête, l'agence Reuters, Amnesty International, Human Rights Watch et même l'expert indépendant de l'ONU pour les droits de l'homme en Haïti, il y n'aurait pas eu massacre, mais 3 à 5 morts lors d'une confrontation entre rebelles et la police nationale[14]. La révélation de cette soi-disant tuerie aurait été le facteur déclencheur du coup d'État. La NCHR a formulé des accusations non fondées contre Yvon Neptune dans l'affaire de la Scierie ce qui a conduit à son incarcération. La NCHR, opposée idéologiquement au parti Lavalas, ne peut maintenir son impartialité et elle continue de donner un appui tacite à la campagne de terreur menée par le gouvernement Latortue. C’est la conclusion à laquelle est arrivée l’association nationale des juristes, qui visita la NCHR en avril 2004. Celle-ci déclarait qu’elle ne pouvait nommer un seul cas où des partisans de Lavalas furent victimes. Pourtant, son local était tapissé d’une immense affiche intitulée « Recherchés » avec les photos d’Aristide _qualifié de dictateur_ et de son cabinet[10].

En dépit des nombreux rapports indépendants cités plus haut et des quelques manchettes d’agences de presse, le cabinet Martin continue de nier les exactions de la police nationale contre les populations civiles, ainsi que la complicité de la MINUSTAH et de la CIVPOL dans ces forfaits. Au lieu de cela, dans les forums internationaux, le gouvernement canadien préconise une augmentation des effectifs étrangers en Haïti, revendique la coordination de la CIVPOL et prône une attitude encore plus musclée, plus proactive, contre les forces « déstabilisatrices ». Toute cette rhétorique guerrière ne fait qu’encourager l’impunité de la police nationale et de la MINUSTAH. Les raids menés dans les bidonvilles de Port-au-Prince ne sont pas sans nous rappeler les expéditions punitives sanglantes des Marines à Falloujah… Nous sommes donc très loin encore d’une véritable volonté de réconciliation nationale et d’un climat de justice.

Étant donné le bri de la constitution de février 2004, il est important de présenter les prochaines élections de 2005 comme libres et crédibles. Des élections apparemment « transparentes » permettraient de légitimer tout le processus de renversement d’Aristide, de gouvernement intérimaire et d’occupation militaire. C’est ce que la communauté internationale, Canada en tête, s’apprête à faire. À grand renfort de millions de dollars, Élections Canada a été chargée de coordonner la surveillance du processus électoral[28]. Et l’ACDI, par le biais d’O.N.G.s, se charge de former les journalistes locaux à l’éthique, de les sensibiliser sur leur rôle dans la démocratie, de leur inculquer les principes du reportage en période électorale[29]. Tout cela, au dire de l’ACDI, pour favoriser une information de qualité à travers des reportages « équitables et équilibrés » lors des prochaines élections et ainsi, améliorer la vie démocratique… Mais dans quelle mesure pourra-t-on qualifier ces élections de crédibles quand les leaders du parti politique le plus populaire parmi les pauvres sont systématiquement persécutés, emprisonnés, quand ses supporteurs vivent dans la terreur et quand ils sont des cibles potentielles ou de négligeables dommages collatéraux des raids policiers dans les bidonvilles? Dans de telles conditions, il serait compréhensible que le parti Lavalas décide de boycotter les élections. De plus, est-ce que la majorité de la population est prête, par son vote, à légitimer le renversement d’Aristide, et à embarquer dans le plan des grandes puissances qui se jouent réellement du peuple haïtien? Rien n’est moins sûr, car il semblerait que cette majorité réclame toujours le retour du président. En conséquence, ce ne seront pas des élections honnêtes et propres, mais plutôt un processus de légitimation trompeur et frauduleux visant à montrer à la face du monde que la page est tournée, que tout est « normalisé » comme en Irak ou Afghanistan… Tout cela risque bien de provoquer une scission encore plus grande au sein de société haïtienne et non la réconciliation nationale tant souhaitée.

6. Mais quels sont les enjeux en Haïti ?
La question mérite d’être posée, car, de par son extrême pauvreté, Haïti ne semble pas constituer un enjeu économique prioritaire pour les puissances impérialistes. Rien n’est moins sûr, car tout pays a sa valeur géopolitique et peut constituer un cas exemplaire que d’autres régimes feraient mieux ne pas suivre...

Il est très révélateur que la Banque Mondiale (BM) ait eu du mal à contenir son enthousiasme pour le coup d’État et ses conséquences. Dans une discussion sur la nécessité de réformer la gouvernance haïtienne, la Banque commentait ainsi « La période de transition et le gouvernement intérimaire ouvrent une fenêtre d’opportunités pour mettre en place des réformes économiques qui pourraient être difficiles à défaire par un futur gouvernement. » [30]. La Banque Mondiale reconnaît donc qu’il y a en Haïti une opportunité d’imposer des changements permanents qu’un futur c’est-à-dire élu, gouvernement devra se conformer indépendamment de la volonté de la population. C’est ainsi que le dernier prêt de 61 millions de dollars de la BM était conditionnel à un partenariat et une gouvernance partagés entre secteurs publics et privés dans les domaines de la santé et de l’éducation. Pourtant, le parti Lavalas avait obtenu des résultats tangibles dans ces domaines en adoptant une approche volontariste et assez progressiste. Sous sa gouverne, les conditions de vie, bien qu’encore très précaires, se sont un peu améliorées : construction de 300 nouvelles écoles et réduction de l’analphabétisme, subventions de manuels scolaires, uniformes et lunchs pour les enfants, rénovation de cliniques et hôpitaux, création d’une nouvelle école médicale gratuite, accord Haïti-Cuba sur la santé avec 500 médecins cubains travaillant en régions rurales[31], diminution du taux d’infection par le VIH et de la mortalité infantile, début de réforme agraire et recul de la malnutrition, augmentation du salaire minimum à 70 gourdes[32].

Lors d’un entretien avec la journaliste Naomi Klein, le président Aristide en exil apporte des éléments de réponse qui nous éclairent sur le «lâchage» des puissances étrangères et le coup d’État de 2004[33]. Le président Aristide avait été remis en selle à Port-au-Prince en 1994 par l’administration Clinton sous la promesse de réformer l’État haïtien, de vendre les entreprises d’État, d’appliquer la thérapie de choc des ajustements structurels. Selon cette entrevue, il affirme avoir refusé le troc odieux de vente d’entreprises d’État qui allait enrichir une oligarchie affairiste et accentuer la paupérisation de la vaste majorité du peuple haïtien. Il promit seulement de démocratiser ces entreprises. Dans les faits, Aristide résista aux pressions des États-Unis/BM/FMI et il ne procéda pas à la privatisation des télécommunications, de l’électricité, des banques, des ports et de l’aéroport. Tout au plus, il cassa des monopoles d’État, il ouvrit les marchés de certains services. Néanmoins, Aristide mit en place des zones de libre-échange avec la République Dominicaine[34] et coupa les droits de douane sur les importations de riz et de maïs. La méthodologie du « consensus de Washington » fut donc partiellement appliquée. En somme, Aristide louvoyait entre droite et gauche. Face aux hésitations et résistances d’Aristide, la Maison Blanche cria à la trahison et commença à sanctionner Haïti en diminuant graduellement, et finalement en éliminant, l’assistance au développement et en redirigeant l’argent à l’opposition politique. Soulignons aussi que l’aide canadienne pour Haïti a suivi de près la courbe descendante de l’aide américaine.

Pour les États-Unis, il semble assez clair que la présidence d’Aristide était devenue intolérable, car ce dernier penchait vers la gauche et exerçait le pouvoir de façon populiste. Il était, et de loin, le politicien le plus populaire parmi la vaste majorité haïtienne composée de paysans et d’habitants de bidonvilles. Un peu à l’image d’Hugo Chavez au Vénézuela même si la comparaison entre ces deux chefs d’État peut paraître abusive puisque Aristide ne fut pas un leader vraiment socialiste. Pour Washington, il est hors de question que ces pays constituent un modèle de développement pour l’Amérique latine. Hugo Chavez n’a pu être contenu, mais cela semblait fort faisable dans le cas d’Haïti. À preuve, le gouvernement de facto est un fier supporteur des privatisations et du cadre général néo-libéral qu’affectionnent particulièrement les gouvernements canadien et étasuniens. Le 12 avril 2004 devant le American Enterprise Institute, Roger Noriega, alors secrétaire adjoint aux affaires latino-américaines, encourageait le nouveau gouvernement à aller de l’avant dans la restructuration et la privatisation de certaines entreprises publiques[30]. Il y a de grandes chances ses paroles reçoivent une oreille attentive, car, déjà, les programmes sociaux ont été coupés comme les subventions pour l’équipement scolaire des enfants ou les programmes d’alphabétisation pour adultes. On évoque aussi une possible diminution du salaire minimum à 36 gourdes.

Les raisons de l’interventionnisme canadien en Haïti semblent moins évidentes. On soupçonne que le gouvernement ait voulu se montrer coopérant envers l’administration Bush après la rebuffade de la non-participation canadienne en Irak. La fondation canadienne pour les Amériques a probablement fait des pressions dans ce sens comme en témoigne un rapport empreint d’opportunisme[35] présenté lors d’audiences parlementaires en avril 2004. L’intervention canadienne cache aussi des motifs économiques. Selon le Toronto Star du 23 mars 2004, SNC-Lavalin, la compagnie québécoise d’ingénierie et d’armement, est très bien cotée par les Nations unies relativement à un fonds de reconstruction en Haïti de plusieurs centaines de millions de dollars qu’elle gère. Des négociations ont lieu entre l’ACDI, SNC et l’OEA pour un lucratif contrat de construction de routes. Pour compétitionner face à l’industrie chinoise de l’habillement, la société montréalaise Guildan Activewear sous-traite la fabrication de vêtements dans les ateliers de la misère d’Andy Apaid, un riche dirigeant du Groupe des 184[5] qui finance des milices anti-Lavalas. Les compagnies minières canadiennes telles que St. Genevieve Resources et KWG Resources ont des droits d’exploitation exclusive sur les réserves de cuivre et d’or d’Haïti qui sont estimées à plusieurs centaines de millions de dollars[36]. Et les affaires de la compagnie canadienne Place Dome qui opère sur des gisements d’or en République Dominicaine sont intimement liées à la situation politique haïtienne. On ne s’étonnera pas que la « bonne gouvernance » et la « démocratie » en Haïti revêtent une importance particulière aux yeux d’Ottawa, car il s’agit par la même occasion de créer un climat propice au bon déroulement des opérations des multinationales canadiennes, autrement dit de piller les ressources naturelles de ce pays déjà sérieusement appauvri…

Le « lâchage » de la France s’explique aisément alors qu’Aristide demandait la restitution par la France de la rançon totalement injuste et illégale du roi Charles X[37]. En guise de dédommagement pour la perte de la colonie et de ses sujets esclaves lors de la révolution haïtienne de 1804, Charles X imposa en 1825 une amende de 150 millions francs-or (22 milliards $ actuels) sous la menace de 12 navires de guerre, et d'un possible retour de l'esclavage. Le paiement de cette rançon a pesé sur les finances haïtiennes jusqu'en 1947, ce qui explique pourquoi le pays est le plus appauvri de l’hémisphère à l’heure actuelle. À l’été 2003, le président Jacques Chirac se montrait assez menaçant relativement à cette demande de restitution et, quatre jours avant le coup d’État de 2004, le quai d’Orsay exigeait la démission du président Aristide. Comme par hasard, une fois Aristide mis dehors, il se trouve que le nouveau gouvernement d’Haïti abandonne la demande de restitution…

7. Est-ce que l’on reconnaît le droit des Haïtiens à se gouverner ?...
Aujourd’hui, les informations sur la situation des droits humains en Haïti et sur le rôle désastreux de la MINUSTAH circulent peu à peu grâce aux médias alternatifs, aux manifestations, aux nombreuses conférences et réunions organisées à travers le pays par des groupes solidaires de la cause haïtienne. De nombreux citoyens se sentent concernés par la tragique histoire de ce peuple et se questionnent sérieusement sur le nouveau mantra de la politique étrangère canadienne, à savoir le « devoir de protéger ».

En payant les salaires de hauts fonctionnaires du gouvernement de facto, l’ACDI n’est-elle pas en train de cautionner la répression et l’impunité en cours en Haïti? En formant des policiers haïtiens qui agissent en violation flagrante du respect de la dignité humaine est-ce que nous ne cautionnons pas là aussi l’impunité du gouvernement Latortue? Et ce, au nom de quoi? D’un programme néo-libéral, néo-colonial dans les Amériques? C’est un peu le sens général de cet article, mais est-ce qu’il n’y aurait pas une raison pire encore, inavouable? Est-ce que la communauté internationale nierait le droit des Haïtiens de se gouverner? Malheureusement, cette dernière hypothèse n’est pas si invraisemblable. En effet, un membre du comité d’action Haïti-Canada alors présent à Port-au-Prince le 31 décembre 2003 a entendu le secrétaire adjoint de l’Organisation des États Américains (OEA), Luigi Einaudi, déclarer que : « Le vrai problème avec Haïti c’est que la communauté internationale est tellement divisée qu’elle a laissé les Haïtiens gouverner le pays. » . Cette déclaration, tout aussi incroyable qu’elle soit, démontre que la communauté internationale ne fait toujours pas confiance au peuple haïtien pour qu’il assume sa destinée. Ce dernier a pourtant eu le courage de se libérer du joug esclavagiste bien avant les autres nations.

8. Un puissant mouvement de solidarité en marche
L’histoire ne peut pas s’arrêter sur une note si négative. Dans leur histoire, les Haïtiens et Haïtiennes ont démontré leur incroyable sens de la résistance à travers les occupations militaires, maintes dictatures et juntes militaires. Le mouvement international de solidarité envers Haïti semble bien lancé, comme en témoigne la déclaration de Porto Alegre de janvier 2005[38] et les manifestations grandissantes de solidarité à travers le monde. On note aussi un nombre croissant de lettres d’opinions dans les journaux pour dénoncer les abus de la police et le rôle des pays impliqués au sein de la MINUSTAH. Au Canada, on peut rejoindre le Comité d’action Haïti-Canada réparti en sections régionales dans différentes villes. Ce réseau vous permettra d’obtenir de l’information et vous donnera l’opportunité d’agir localement[39]. Les groupes de solidarité envers Haïti dénoncent le rôle des puissances étrangères dans le coup d’État de 2004 et mettent de l’avant cinq revendications principales:

1. Non aux massacres de la police et des forces de l’ONU;
2. Non aux emprisonnements politiques;
3. Non à des élections trompeuses;
4. Fin de l’occupation d’Haïti par les forces onusiennes;
5. Annulation des dettes odieuses.

Au Canada, ces comités sont très actifs et on vous invite fortement à les rejoindre. Par notre implication, il sera peut-être temps d’arrêter le gouvernement canadien dans une tragédie qu’il ne fait qu’exacerber. Nous n’avons pas su prévenir le drame rwandais, serons-nous capables d’éviter pareille tragédie en Haïti? Nous sommes nombreux à croire cela encore possible.

RÉFÉRENCES

[1] Voir la définition du «devoir de protéger» selon Bill Graham, l’ancien ministre des affaires étrangères
http://www.securitehumaine.gc.ca/freedom_from_fear-fr.asp

[2] «Fierté et influence : notre rôle dans le monde» , Énoncé de politique internationale du Canada,
http://www.dfait-maeci.gc.ca/cip-pic/IPS/EPI-Survol.pdf

[3] M. Vastel, «Haïti mise en tutelle par l'ONU?» , L’Actualité, 15 mars 2003, p.14

[4] «Le Gouvernement canadien doit cesser d’appuyer un président contesté par son propre peuple» , Communiqué de presse de l’AQOCI, 15 décembre 2003.

[5] composée principalement de la Convergence Démocratique, un parti politique unifiant la droite haïtienne et le monde des affaires, et du Groupe des 184, une soi-disant coalition de la société civile qui réunit l’élite haïtienne et qui est financée par les États-Unis et un riche patron d’atelier de la misére, Andy Apaid.

[6] Ce chiffre inclut l’augmentation de 1000 hommes tel que décédé par Conseil de sécurité avec la résolution 1608 du 22 juin 2005. Le site de la MINUSTAH est : http://www.un.org/Depts/dpko/missions/minustah/index.html

[7] «Aristide: on the record about Canada and Haiti» , interview entre Noémi Klein et J. B. Aristide, http://rabble.ca/rabble_interview.shtml?x=40078

[8] «HA

Site d’un nouveau réseau canadien de solidarité envers Haïti, le Comité d’action Canada-Haïti (en anglais principalement)
www.canadahaitiaction.ca
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