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Edgar Morin: ce qu'on lui reproche

asterix, Sábado, Junio 18, 2005 - 06:52

Alain Finkielkraut

 
Suite à la condamnation d'Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave, il faut lire les arguments d'Alain Finkielkraut. Cela mérite un débat de fond.

 
Extrait de l'article d'Alain Finkielkraut dans L'Arche, auquel Edgar Morin se réfère dans son interview par Silvia Cattori.

Deux ans ont passé depuis la publication de l’article d’Edgar Morin, Sami Naïr et Danièle Sallenave. Pour me rafraîchir la mémoire, je l’ai relu et j’ai été, une nouvelle fois, saisi d’épouvante : « Dans les derniers temps de la reconquête de la Cisjordanie, écrivent-ils, Tsahal s’est livrée à des actions de pillages, destructions gratuites, homicides, exécutions où le peuple élu agit comme la race supérieure. On comprend que cette situation dégradante suscite sans cesse de nouveaux résistants, dont de nouvelles bombes humaines ». Il faut replacer cet article, publié le 4 juin 2002, dans son contexte. C’est l’époque de l’opération « Rempart », décidée par le gouvernement israélien en réponse à une vague d’attentats ayant, au mois de mars de la même année, fait plus de cent morts. C’est aussi celle d’un autre événement qu’Edgar Morin persiste à appeler « le massacre de Jénine » alors qu’il sait qu’il ne s’agit pas d’un massacre : 54 morts du côté palestinien, 23 soldats israéliens tués.

Quant à la phrase « Le peuple élu agit comme la race des seigneurs », qu’on ne nous raconte pas d’histoires ; elle ne désigne pas un homme, ni un gouvernement, ni même un État, une politique ou une idéologie. Elle désigne une nation tout à la fois contaminée par la férocité de ses anciens bourreaux et intoxiquée par le privilège métaphysique dont elle se croit investie.

L’horreur de cette formule, c’est qu’elle est réversible. Le peuple élu agit comme la race des seigneurs, qui se prenait elle-même pour le peuple élu. L’idée de supériorité raciale n’est-elle pas dans la Bible ? N’est-elle pas la contribution de l’Ancien testament à l’histoire de l’inhumain ? Voici, en tout cas, l’antinazisme et l’antijudaïsme mobilisés tout ensemble contre Israël.

De surcroît, compter les « bombes humaines » au nombre des « résistants » que suscite la situation faite aux Palestiniens par un peuple méprisant et ayant satisfaction à humilier, n’est-ce pas, littéralement, une apologie des actes de terrorisme ? Pour en décider, nul besoin d’un tribunal, il suffit d’un Petit Robert. L’apologie y est définie comme un « discours visant à défendre ou à justifier une doctrine, une personne, un agissement ».

Il faut aussi citer ce que les auteurs de cet article appellent « l’incroyable paradoxe » : « Les Juifs d’Israël, descendants d’un apartheid nommé ghetto, ghettoïsent les Palestiniens. Les Juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés, humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens. Les Juifs qui furent victimes d’un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les Juifs victimes de l’inhumanité montrent une terrible inhumanité. »

Encore une fois, où est Sharon ? Le procédé emphatique de l’anaphore ne nous laisse aucun doute. Il s’agit des Juifs. Les criminels, les coupables, ce sont les Juifs et personne ne s’y trompe. Ce texte provoque la même épouvante, le même effroi chez ceux qui défendent l’Initiative de Genève et chez ceux qui la dénoncent ; car il n’émane pas de fascistes, de brutes au crâne rasé, mais d’humanistes. Aujourd’hui, c’est la religion de l’humanité qui demande des comptes aux Juifs ; ce sont des serviteurs de l’Universel qui nous clouent au pilori.

J’ai souvent en tête une phrase de Baudelaire : « Je m’ennuie en France car tout le monde y ressemble à Voltaire ». Eh bien moi, je dis qu’on ne fera pas que s’ennuyer : on ne pourra même plus vivre, on crèvera en France quand ce pays sera peuplé d’intellectuels, quand tout le monde y ressemblera à Alain Touraine ou Régis Debray. Cette hypothèse n’a rien de farfelu ; car la vérité de notre temps, c’est toujours moins de culture, toujours plus de culturel, toujours moins de vision littéraire du monde, toujours plus de chercheurs en sciences sociales, toujours moins d’art, toujours plus d’artistes, toujours moins de pensée, toujours plus de manipulateurs de symboles.

Ces manipulateurs de symboles et ces artistes se sont illustrés par une autre pétition, beaucoup plus massive celle-là, qui s’élevait « contre l’anti-intellectualisme d’État », « contre la guerre à l’intelligence ». Que faisaient-ils dans cette pétition ? En lieu et place du civisme, c’est-à-dire du partage des soucis, de la responsabilité, ils installaient la gravité vertigineuse de la pensée binaire, du simplisme adolescent. Ce qui nous menace aujourd’hui, nous Juifs, ce n’est pas le côté dégoûtant des Dupont-Lajoie, ce n’est pas le culte de l’élémentaire, de l’instinct, le culte fasciste de la force vitale. C’est le simplisme moral des pétitionnaires déchaînés.

L'Arche (mensuel juif français, de tendance laïque et pour le processus de paix israélo-palestinien).


Asunto: 
vous ne citez pas tout ce qu'a écrit Finkielkraut
Autor: 
Francis G
Fecha: 
Lun, 2005-06-27 08:47

plus haut dans son article A F écrivait :

"J’étais et je reste hostile à ce procès. Dans une telle affaire, on perd à tous les coups. Cet appel en fait foi. La victoire comme la défaite seront interprétées par nos adversaires de la même façon : une nouvelle preuve de l’intolérance, du sectarisme et, n’ayons pas peur des mots, du maccarthysme de la communauté juive.

Et si je parle d’« adversaires », c’est bien parce que les pétitionnaires implacables ne se contentent pas d’exiger de rapatrier dans l’espace du débat l’article de Morin. Ils vont même très au-delà de ce que peut leur dicter l’amitié, sentiment ô combien estimable. Ils reprennent le discours de Morin à leur compte en écrivant : « Les critiques qu’il fait à la politique d’Israël, partagées par un grand nombre d’Européens, sont de nature humaniste. (...) La tentative de faire taire Edgar Morin cherche à mettre fin à toute critique de Sharon et de sa politique. (...) Les accusateurs de Morin croient probablement défendre l’État d’Israël. En fait, ils risquent de relancer l’antisémitisme s’ils identifient complètement la politique actuelle du gouvernement israélien avec l’État d’Israël et avec l’ensemble des Juifs ». Autrement dit, selon les signataires, s’il y a de l’antisémitisme, ce n’est pas la faute des antisémites. C’est la faute des Juifs. Ces intellectuels, qui croient sincèrement être les héritiers des dreyfusards, sont en train de réinventer la question juive. "


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