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Petit résumé de la "démocratisation "de l'Irak...

pythagore, Viernes, Febrero 11, 2005 - 08:54

Comme ça, l'élection irakienne serait un "triomphe de la démocratie" et légitimerait après-coup l'invasion de ce pays par les États-Unis et leurs satellites. Une petite mise en contexte s'impose ici...

Quelle « démocratisation » pour l’Irak ?

« Victoire de la démocratie », « Jour historique en Irak », les grands titres se sont succédés au cours des dernières semaines. Aucune phrase n’était trop fleurie pour emboîter le pas à Georges W. Bush qui pavoisait dans son discours sur l’état de l’Union. On nous a dit que les Irakiens étaient sortis en grand nombre(taux de participation de 72 %) « malgré les attentats », lesquels avaient d’ailleurs « diminué » pour aller voter, « au risque de leur vie », validant par là, il fallait le comprendre, la guerre entreprise par les Etats-Unis il y a près de deux ans.
En fait, il y a aussi ce que les grands médias corporatifs n’ont pas dit. Par exemple, ce faramineux taux de participation de 72 %, d’où vient-il ? En fait, il a été annoncé par Farid Ayar, porte-parole de la « Commission Électoral Indépendante pour l’Irak » (CEIC), organisme créé par la coalition occupante mais surtout, annoncé avant la fermeture des bureaux de scrutins. D'ailleurs, pressé de questions sur la précision de ce chiffre, il devait abaisser son estimation à 60 % avant de dire que, finalement, ce n’était qu’un « guessing » , c’est à dire une devinette ! 1 à quoi il faut ajouter que l’on cite, à côté de ces taux de 60 ou 72 % un chiffre de 8 millions de votants. Or, il y aurait environ 18 millions d’électeurs potentiels en Irak, ce qui ferait de ce 8 millions un taux d’environ 45 %, et non 60 ou 72… 2
Le fait que ces chiffres n’aient rien eu d’officiels, ou même de sérieux, n’a pas empêché qu’ils soient répétés quasi-universellement par tous nos médias corporatifs.

Quant à la diminution des attentats, signalons que cette journée électorale a quand même vu 50 morts. Il est vrai qu’un seul était un soldat américain et que les autorités d’occupation tiennent tellement aux droits des Irakiens qu’elle ne comptent pas les morts irakiens, qu’ils soient combattants ou non-combattants…

Personne ne semble non plus avoir remarqué que cette élection s’est déroulée pratiquement sans campagne électorale, étant donné qu’une telle campagne aurait mis en danger la vie des candidats. Le résultant obligatoire est que les Irakiens ont largement voté pour des candidats dont ils ignoraient l’identité !

Pour leur part, des représentants des minorités chrétiennes, yézidis et turkmènes protestent déjà contre le fait que les bureaux de votes n’ont jamais ouvert dans leurs circonsriptions.3 Gageons qu’ils auront quand même des « représentants ». Un peu comme en Ohio en novembre 2004…

Évidemment, que des élections puissent se tenir en Irak est en soi un fait positif en autant qu’elles soient minimalement honnêtes ce qu’il est trop tôt pour affirmer et le passé de l’équipe républicaine dans son propre pays ne permet pas de lui donner le bénéfice du doute sans preuve. Pour l’instant, on ne peut que le souhaiter.
Après tout, ce sont des élections sous surveillance militaire. La présence de soldats armés autour des bureaux de scrutin n’a jamais été une garantie de démocratie. Voire l’Amérique latine.

Mais les élections ne sont qu’un aspect de la reconstruction de l’Irak. La principale puissance occupante, les USA, a déjà entrepris plusieurs projets qui permettent, mis ensemble, de se faire une idée du genre de destin politique qui attend ce pays.

Tout d’abord, il existe 4 bases militaires américaines permanentes en Irak et d’autres sont en construction, ce qui n’indique pas une volonté d’évacuer ce pays de sitôt, de la part de l’administration républicaine, qui refuse d’ailleurs toujours d’examiner un éventuel calendrier pour le départ de 100 000 soldats de la force d’occupation. 4
Par ailleurs, le Pentagone a présenté récemment un plan visant à créer en Irak des « escadrons de la mort » sur le modèle déjà éprouvé au Salvador et ailleurs en Amérique latine. Il s’agirait de commandos composés de « Peshmergas kurdes et de miliciens chi’ites triés sur le volet dans le but d’éliminer les insurgés sunnites et leurs sympatisant, même au delà de la frontière syrienne. » 5 C’est sous cet éclairage qu’il faut voir la nominaiton de John Negroponte comme ambassadeur à Bagdad. Cet individu était ambassadeur américain au Salvador en 1980 et un ami personnel du général Gustavo Alvarez Martinez, chef de la police nationale et commandant du fameux « bataillon 316 », connu pour avoir kidnappé, torturé et assassiné plus de 100 personnes entre 1981 et 1984. 6 Signalons que la commission d’enquête de l’ONU sur le Salvador a trouvé que 90 % des atrocités commises dans le conflit du Salvador durant les années 80 ont été commises par l’armée salvadorienne et ses alliés des escadrons de la mort supportés par les USA, environ 5 % par la guerilla et 5 % « indéterminées ». 7

Ajoutons qu’à l’époque, malgré l’aide massive des Etats-Unis à l’armée salvadorienne et l’effondrement de l’URSS, principal soutien de la guerilla, celle-ci ne fut pas écrasée. On ne put obtenir mieux qu’une solution négociée ! Le prix pour en arriver là : 75 000 morts dans un pays minuscule.

Donc, à côté des « élections », les « escadrons de la mort » et les bases militaires sont deux volets du futur régime politique de l’Irak. Il y en a d’autres.

L’inconnue entourant les morts irakiens n’est pas sans rappeler la chape de silence qui pesait sur les pays sud-américains à l’époque des dictatures de droite des années 70. D’un côté, une revue scientifique, de « Lancet » qui, par une étude démographique arrive à la conclusion qu’au moins 100 000 irakiens ont péri dans l’année qui a suivi l’invasion de leur pays par la coalition, des suites de la guerre. Ce chiffre n’est pas démenti par les organismes tels que Human Right Watch qui additionnent les cadavres identifiés et arrivent à des totaux variant de 10 000 à 37 000. 8 Ceux-ci admettent qu’ils sous-estiment le total des décès et c’est compréhensible. Les autorités d’occupation seraient les mieux placées pour faire un tel dénombrement mais refusent de le faire. 9

Ce silence fait suite, rappelons-le, à une série de mensonges. L’administration Bush, depuis le 11 septembre 2001, n’a cessé d’aligner une campagne de désinformation après l’autre : les Talibans possédaient des armes biologique, Ben Laden était caché dans une immense forteresse souterraine capable d’abriter des tanks et des avions, l’Irak avait acheté de l’uranium enrichi au Nigeria, un « Axe du Mal » existait entre l’Irak, l’Iran et la Corée du Sud, l’Irak était complice des attentats du 11 septembre, des liens existaient entre Al-Qaeda et Saddam Hussein, l’Irak possédait un immense arsenal d’armes de destruction massive. Pour n’en citer que quelques-unes, toutes fidèlement relayées par la machine de propagande conservatrice que sont devenus les médias américains et une bonne partie de ceux du reste de l’Occident.

Certains, après tout cela, prennent au sérieux la dernière trouvaille de ce dispositif de désinformation : il s’agit cette fois, d’apporter la « démocratie » en Irak et la « liberté » aux Irakiens.

Un individu avec une pareille feuille de route en matière de vérité serait considéré comme un menteur pathologique. Mais il faudrait donner le « bénéfice du doute » aux autorités américaines et à leurs auxiliaires…

Il est plus probable que les vrais objectifs américains sont ceux exprimés par Dick Cheney dans un rapport sur la politique de défense en 1992 : « Notre principal objectif est de demeurer la puissance dominante dans la région et de préserver l’approvisionnement américain et occidental en pétrole. » 10
Ce qui est parfaitement cohérent avec la décision annoncée récemment par le ministre des finances du gouvernement provisoire irakien de privatiser la compagnie nationale irakienne de pétrole.11 Comme seules les entreprises des pays ayant participé à l’invasion de l’Irak peuvent participer à la « reconstruction » cela revient à dire que la principale richesse du pays sera désormais partagée entre BP et ses grandes sœurs américaines, dont la compagnie ayant fourni une bonne du personnel de l’administration Bush : Haliburton.
Ce qui se situe tout à fait dans la continuité par rapport aux premiers jours de l’invasion, durant lesquels les forces coalisées se saisirent immédiatement des bâtiments du ministère du pétrole pour en assurer la sécurité laissant les pillards se déchaîner sur les hôpitaux et les musées. Les priorités de l’administration Bush sont claires depuis longtemps. Et rien n’a changé pour les habitants du pays qui peinent toujours à trouver travail, nourriture et –comble d’ironie- de l’essence pour leurs voitures pendant que la « reconstruction » a absorbé 24 milliards de dollars venus des contribuables américains ! 12 À qui va cet argent ? Visiblement pas à cette population irakienne qu’on dit vouloir « libérer ».
Ajoutons que plusieurs des éléments qui faisaient du régime Baasiste ce qu’il était, une dictature, sont adoptés avec enthousiasme par les puissances occupantes. L’usage fréquent de la torture n’est plus un secret, de même que les arrestations arbitraires avec détenus maintenu « incommunicado » pour une durée indéfinie, sans possibilité d’exiger un procès. Les droits individuels des Irakiens ne sont pas plus protégés maintenant que sous Saddam. Des mercenaires recrutés dans des forces policières aussi connues pour leur respect des Droits de l’Homme que l’ancienne police secrète sud-africaine et d’anciens paramilitaires serbes 13 sont engagés pour assurer la sécurité des installations pétrolières. D’ailleurs le souci d’assurer la sécurité des puits de pétroles et des pipe-line contraste vivement avec l’insécurité galopante qui règne dans les rues des villes.
Cela commence à nous donner une idée du devenir politique de l’Irak dans les plans américains : un pays parsemé de bases militaires étrangères, aux ressources naturelles possédées par des grandes entreprises étrangères dans des enclaves protégées par l’armée, dont la population sera maintenue dans la soumission par la terreur et les privations, l’ « élection » douteuse de gouvernements fantoches devant maintenir l’illusion de la démocratie. Du Saddam sans Saddam, quoi.
Ceci dit le triomphalisme de l’administration Bush au sujet de cette élection comme justificatif à la guerre entreprise il y a près de deux ans fait oublier un fait important : le plan original des envahisseurs pour l’Irak prévoyait un échéancier beaucoup plus progressif avant d’en arriver à l’élection d’une assemblée constituante nationale (élections de conseils locaux, etc.). L’élection générale est une concession arrachée aux occupants à la suite de la révolte ch’ite des partisans de l’ayatollah Sistani. Lequel a émis une fatwa ordonnant aux ch’ites d’aller voter sous peine d’aller en enfer. 14
Ce qui conduit certains analystes à voir dans ce scrutin et la victoire annoncée de la liste ch’ite une victoire… de l’Iran. Obtenue sans que Téhéran ait eu à lever le petit doigt. Sistani, ne l’oublions pas, est né en Iran.
On ne peut pas exclure que l’administration Bush et ceux qui la soutiennent prennent leurs désirs pour des réalités. Relisons cette coupure de journal :

"United States officials were surprised and heartened today at the size of turnout in South Vietnam's presidential election despite a Vietcong terrorist campaign to disrupt the voting. According to reports from Saigon, 83 percent of the 5.85 million registered voters cast their ballots yesterday. Many of them risked reprisals threatened by the Vietcong. A successful election has long been seen as the keystone in President Johnson's policy of encouraging the growth of constitutional processes in South Vietnam."

– "U.S. Encouraged by Vietnam Vote," The New York Times, Sept. 4, 1967

Huit ans et des millions de morts plus tard, alors que les forces américaines évacuaient piteusement le Sud-Vietnam, ce pays qui n’existe plus, le « triomphe » annoncé alors prenait une couleur différente. Les Américains ont pleuré sur leur sort pendant une décennie alors que les Vietnamiens n’ont pas fini de subir les conséquences d’un conflit interminable. Encore aujourd’hui, les effets des défoliants employés à l’époque affectent la santé des bébés vietnamiens et des paysans sont encore victime des mines antipersonnel laissées par les Américains. Qui ont toujours refusé d’aider au déminage. Et la démocratie n’existe pas pour autant dans un des derniers pays communistes de la planète.
Triomphe, dites-vous ?

André Pelchat, L’Avenir , Québec

(1) Dahr Jamail What they’re not telling you about the « Election ». Iraq Dispatches February 01, 2005,
httP://dahrjamailiraq.com/weblog/archives/dispatches/000193.php
(2) Michell, Greg Medias Mangles Iraq Votes AlterNet.Org Viewed on February 5, 2005, printed on February 7, 2005, p 3 http://www.alternet.org/module/printversion/21180
(3) AFP, Plusieurs centaines d’Irakiens protestent contre des irrégularités présumées. Cyberpresse Le dimanche, 6 février 2005, Vu le mardi 8 février 2005. http://www.cyberpresse.ca/monde/article/article_complet.php?path=/monde/...
(4) Dahr Jamail, op.cit p 1
(5) Harvey, Christy and Judd Legum and Jonathan Baskin , The Death Squad Option . AlterNet.org Posted on January 10, 2005, printed on January 16, 2005, http://www.alternet.org/module/printversion/20941
(6) Ibid
(7) Ibid
(8) BBC News On Line Iraq death toll « soared post-war » Published 2004/10/29 Viewed on 2004/11/05 http://newsvote.bbc.co.ukmpapps/pagetools/prit/news.bbc.co.uk/2/hi/middl...
(9) Tirman, John , 100 000 dead in Iraq AlterNet.org Posted on October 30, 2004, Printed in November, 5, 2004
http://www.alternet.org/module/printversion/20352
(10) Dahr Jamail opt.cit p 3
Ibid p 4
(11)
(12)Ibid p 3
(13) Nevaer, Louis Hired Guns with War Crime Past AlterNet.Org May 4, 2004, Viewd on May 7, 2004
http://www.alternet.org/print.html?StoryID=18588
(14)Dahr Jamail op.cit. p 4



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