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Un silence complice dans la province d'AcehAnonyme, Jueves, Enero 6, 2005 - 21:41
David Murray
Survol de la situation actuelle dans la province d'Aceh où a toujours lieu la répression de l'armée indonésienne et le silence des médias à ce sujet. Que de désolation en Asie du Sud-Est. Mais que de désolation aussi passée sous silence par les médias occidentaux qui accourent là-bas pour témoigner de la catastrophe. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la province d’Aceh, au nord de l’île de Sumatra, en Indonésie. On fait souvent référence au conflit sévissant au Sri Lanka, mais beaucoup moins pour ne pas dire pas du tout de celui qui a cours dans la province indonésienne. C’est que là-bas, la catastrophe du tsunami n’est venue que s’ajouter à celle de la répression menée par l’armée indonésienne sur la population civile. Depuis près de 30 ans, une guerre civile y fait rage, conflit qui a repris de plus belle en mai 2003 entre le Mouvement pour une Aceh libre (GAM) et l’armée indonésienne (TNI). La loi martiale y a alors été décrétée par le gouvernement de Jakarta et depuis, la répression frappe durement la population civile qui aspire à l’indépendance. À la veille de la catastrophe du tsunami, la situation au niveau des droits humains dans certaines parties de la province y étaient considérée comme problématique. Plusieurs cas d’extorsion, de kidnappings, de tortures et de répression politique y ont été relevés. Vous n’avez probablement jamais entendu parler de ce conflit et c’est normal puisque jusqu’au 26 décembre l’accès à la province était pour ainsi dire interdit, à moins d’obtenir des permissions spéciales du gouvernement sous la supervision étroite de l’armée ou de s’y aventurer à ses propres risques et périls, comme ce fut le cas du journaliste Billy Nessen, à qui l’armée indonésienne empêchait de quitter les lieux, lui qui en mai et juin 2003 était parti couvrir le conflit aux côtés du GAM. Et maintenant que les journalistes du monde entier y ont accès beaucoup plus facilement et que ceux-ci n’en finissent plus de rapporter à coups de reportages sensationnels la douleur et la désolation bien tangible et présente dans la province, il semble qu’on n’entend pas plus parler du conflit. Et cela malgré le fait que la répression semble se poursuivre, l’armée y ayant d’ailleurs renforcé ses effectifs. Il fut fait état par des civils, des organisations humanitaires et même des militaires d’opérations actuellement en cours. Il fut aussi fait état d’aide humanitaire et de secours aux victimes bloquée, sinon conditionnelle. Il existe en effet une situation où dans certains cas, pour avoir accès à de l’aide, il faut détenir une carte d’identité spéciale conçue uniquement à l’intention des habitants de la province et qu’ils doivent se procurer eux-mêmes aux divers postes de police et qui a pour but d’assurer en gros qu’ils n’aient pas de liens ou sympathies de quelque sorte envers le mouvement indépendantiste. Étant donnés les dommages encourus par la population civile à cause du tsunami et la sévérité de la répression en cours on peut facilement se douter que ce n’est pas tout le monde qui détient ce papier spécial, et cela que ce soit par conviction ou simplement par crainte. Existe donc dans certains cas une aide discriminatoire patente où les victimes se doivent de quémander à leurs bourreaux du secours. On en vient donc à une situation qui n’est pas sans rappeler celle de l’Irak durant les sanctions où la population devait se tourner vers un régime honni pour assurer sa survie. Il faut toutefois savoir que le mouvement indépendantiste à Aceh n’est pas que le fait d’une poignée et qu’il n’est pas seulement armé, loin de là. Il est aussi civil et pacifique. Par exemple, en 1999, une manifestation pacifique demandant l’indépendance de la province devant la grande mosquée de Banda Aceh a attiré entre 400 000 et un million d’individus, soit entre 10 et 25% de la population de la province, ce qui en fait en proportion l’une des plus importantes manifestations politiques de l’histoire récente. Mais l’armée semble tout faire pour faire perdurer le conflit, elle qui a même été accusée de fournir des armes aux rebelles. Ce conflit lui permet surtout d’assurer sa raison d’être en démontrant qu’elle est nécessaire pour assurer la stabilité dans le pays, elle dont la légitimité est déclinante depuis la chute de Suharto en 1998, et aussi de renflouer ses coffres via la corruption. Il faut en effet savoir qu’il a été estimé que seulement 40% des coûts opérationnels de l’armée est assuré par Jakarta, l’autre 60%… et bien à travers diverses formes d’extorsion. L’armée indonésienne est une des plus corrompues au monde. L’importance d’Aceh pour l’Indonésie l’est aussi au niveau géopolitique puisque le quart des ses revenus issus des ressources naturelles provient des champs gaziers de cette province. Et dans ce cadre, il y a une grande corporation américaine qui y joue un rôle considérable, Exxon Mobil, elle qui dans un élan de « générosité désintéressée » a décidé de donner 5 millions de dollars pour venir en aide aux victimes du tsunami. Simplement il faut savoir que la compagnie fait de l’argent sur le dos de la population depuis nombre d’années – les habitants d’Aceh sont en effet loin de profiter de la manne des hydrocarbures de leur province, eux qui vivent pour l’essentiel dans une pauvreté abjecte – et que le géant américain en a assurément donné beaucoup plus à l’armée indonésienne elle-même, que ce soit en argent, fournitures diverses ou accès à ses facilités et propriétés, en échange de quoi l’armée se doit d’assurer la sécurité des installations de la compagnie. Bref, la situation est assez catastrophique dans la province d’Aceh. La population est loin d’être au bout de ses peines et plusieurs craignent que l’armée ne profite du chaos engendré par le tsunami pour pousser plus loin sa répression. En ce moment, Jakarta centralise l’aide aux victimes et c’est ainsi que le 3 janvier dernier, une manifestation de réfugiés et de responsables d’organisations humanitaires a eu lieu devant la mission indonésienne de l’ONU, pour demander que l’aide soit acheminée de façon impartiale et effective à toutes les victimes du tsunami et en appeler à la communauté internationale pour que les dons soient directement versés au près des organisations travaillant directement sur le terrain ou en lien avec celles-ci, comme le People’s Crisis Center, le TAPOL ou le East Timor Action Network. En espérant que les habitants et habitantes de la province d’Aceh recouvrent un peu de dignité et d’espoir de construire un monde à eux, il est à espérer que les médias occidentaux brisent leur silence complice et rapportent ce qui passe réellement sur le terrain là-bas, au-delà de la désolation apparente. Une terrible répression y a lieu, avec des armes achetées en majeure partie de nos gouvernements et il serait peut-être temps que cette situation atteigne la lumière du jour, surtout dans une période où on tente de se donner bonne conscience en abordant la question des conflits oubliés. Pour en savoir plus : |
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