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Texte sur l'exploitation et interview de Francis Bouygues

Anonyme, Jueves, Diciembre 30, 2004 - 13:47

des empêcheurs de bétonner

Collage sur des chantiers Bouygues à Paris.

Le mercredi 22 décembre 2004 les palissades et panneaux de 7 chantiers Bouygues ont été couverts d'affiches à Paris. ( rue de l'Orillon, 91 rue Oberkampf qui sera le futur tribunal du XIéme, 108 quai de Jemmapes, 4 rue des Ecluses, 22 rue Hauteville, 14 rue Forest, 14 boulevard Haussman). Le tract ci-joint a été distribué aux passantes et aux ouvriers qui lui ont reservé un bon accueil. Nous avons appris qu'une note interne a circulé informant les responsables des chantiers de l'existence d'une mobilisation contre Bouygues. Il semble qu'un simple collage inquiéte les responsables de chantier, et cette premiere semaine d'action suffit déjà à faire perdre son calme à Bouygues. La campagne ne fait que commencer. Continuons à attaquer, harceler, saboter Bouygues.

ni prisons, ni rétention.

des empêcheurs de bétonner en carré

Le recto du tract :

« Cette main-d’œuvre étrangère est une main-d’œuvre que j’aime beaucoup » (Francis Bouygues)

En 1970, Francis Bouygues employait 88% d’étrangers sur ses chantiers. Comme il le disait si bien à l’époque : « y a 20 ans que je travaille avec une majorité d’étrangers, donc j’les connais bien. » Aujourd’hui, si la proportion d’étrangers employés par Bouygues est moindre, le travail des immigrés (avec ou sans-papiers) sur les chantiers du bétonneur, et dans le BTP en général, reste une des caractéristiques structurelles de ce secteur d’activité (Bouygues employait ainsi pour le chantier du stade de France au moins 70 sans-papiers).

Le secteur du bâtiment (comme d’ailleurs ceux, par exemple, de la restauration, de la confection ou de l’emploi à domicile), a beoin, pour bien fonctionner, de cette main-d’œuvre employable et débauchable à souhait. Par exemple, sur un chantier, le besoin d’effectif, qui varie selon le temps de travail et les tâches nécessaires, est comblé par une main-d’œuvre disponible..

Dans cette organisation de l’exploitation de tous, la catégorie des travailleurs sans-papiers est utile à plus d’un titre. Malgré des conditions de travail parmi les plus pénibles, ils sont payés moins cher que les autres, ce qui permet aussi de niveller par le bas les salaires et conditions de travail de tous. Il est d’ailleurs préférable pour un employeur que, lorsque se produisent des accidents du travail, ce soit à des catégories d’employés qui ne sont pas indemnisés. De surcroît, le statut de sans-papiers complique les possibilités de s’organiser et de lutter tandis que la pression constante à l’arrestation et à l’expulsion (effectives ou pas) constitue un bon moyen pour ne pas les payer à la fin du mois. Ce n’est pas une quelconque exception à une mythique bonne organisation du travail mais un mode particulier d’optimisation du travail parmi d’autres qui participe du bon fonctionnement de l’exploitation de tous.

Le travail au noir ne concerne pas seulement les sans-papiers. La légalisation éventuelle d’un travail en change les conditions, mais ne règle en rien le rapport d’exploitation qui nous enserre tous, avec ou sans emploi. La volonté actuelle de limiter le travail au noir permet en outre de renforcer en général les dispositifs de contrôle comme de faire intégrer à chacun la nécessité du contrôle dans son rapport au travail. Il s’agit sans doute plus d’empêcher des formes diffuses d’autoréduction du temps de travail (par le cumul du RMI et de salaires au noir par exemple) que d’assurer des « droits » aux salariés. Tendanciellement, on assiste d’ailleurs à la généralisation de formes contactuelles de travail précaire qui pourraient se substituer en partie au travail illégal. On tendrait alors vers des formes d’exploitation salariale dont le coût soit le plus bas pour l’employeur et dont l’efficacité en terme de flicage et de discipline pour l’Etat soit maximisée. Ainsi, entre un contrat OMI qui aligne le temps de présence d’un étranger sur le territoire sur la durée de son contrat et un RMA qui rend disponible un salarié en permanence et l’oblige à accepter n’importe quel emploi, la question est dans les deux cas celle de l’exploitation comme rapport social dans lequel nous sommes tous pris.

L’intrication entre le renforcement des dispositifs d’encadrement du salariat et la généralisation de l’enfermement comme modalité du contrôle social rend nécessaire la construction de nouvelles prisons et de plus de centres de rétention. Il va bien falloir trouver de la place pour enfermer tous les coupables de ces actes délinquants qui prolifèrent. Il va bien falloir trouver de la place pour enfermer les sans-papiers avant leur expulsion maintenant que les centres sont surchargés par le passage de la durée de rétention de douze à trente-deux jours. Et il va bien falloir en construire encore et encore puisque, de toutes façons, les lieux d’enfermements seront toujours surpeuplés et que de nouveaux délits seront sans cesse inventés. Or, Bouygues ne pouvait décemment pas se satisfaire de la simple exploitation directe de ses travailleurs, avec ou sans-papiers. Présent sur tous les terrains, le bétonneur se trouve être aussi un des principaux bénéficiaires du marché du programme de construction des nouvelles prisons comme des nouveaux centres de rétention.

Des empêcheurs de betonner en carré.

Organisons nous, dans les chantiers ou ailleurs, pour lutter contre les dispositifs de contrôle, le salariat ou le chômage, et la vie qui va avec.

Encarts :

Le 22 novembre 2004, la Police Aux Frontières arrête sept travailleurs sans-papiers, ou munis de faux papiers, sur le chantier Bouygues du Mégajoule au Barp (Gironde) situé près de Bordeaux. Ce chantier, qui n’en n’est qu’à ses débuts, est un immense Laser destiné à simuler les essais atomiques qui étaient, auparavant, réalisés en Algérie, et ensuite dans le Pacifique. Une procédure d’expulsion est en cours à l’encontre des travailleurs arrêtés

Sur le chantier Bouygues du siège du journal Le Monde en construction (au 74 boulevard Auguste Blanqui à Paris 13ème), alors qu’il y avait eu plusieurs accidents graves dont un mortel, 7 ouvriers turcs se sont mis en grève en juillet 2004 contre leurs conditions de travail et ce pendant 19 jours. Ils n’avaient ni contrat de travail, ni bulletin de paye, ni paiement des heures supplémentaires. En outre, 100 ou 200 euros leur étaient versés par mois au lieu des 1450 euros promis et cela pour six jours de travail par semaine et douze heures par jour. Les ouvriers étaient logés dans de très mauvaises conditions dans des bungalows situés au camping de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Les salariés turcs étaient une vingtaine selon la direction, et une cinquantaine selon la CGT. Ils avaient été recrutés fin avril à Istanbul auprès de leur employeur, la société d'import-export turque Metal Yapi. Suite à la grève, les salariés travaillent désormais huit heures par jour.

Le verso du tract :

Si nous diffusons cette interview de Francis Bouygues réalisée en 1970, c’est parce que, au-delà des changements évidents qui sont intervenus depuis dans la manière de parler de l’emploi de la main-d’œuvre immigrée, certains éléments, d’autant plus frappants qu’ils sont énoncés avec un paternalisme sans complexe sans doute impossible aujourd’hui, nous semblent toujours d’actualité. Si ce qui est en jeu pour le patron dans l’emploi de la main-d’œuvre immigrée c’est déjà une optimisation de la rentabilité du travail, la question se pose de manière complexe à bien lire ses propos. Certes, les travailleurs étrangers, sont, dit-il, « très courageux » ; certes, ils font un travail que des français n’accepteraient que payés « 25 ou 30 % plus cher ». Arrivés pour amasser le plus rapidement possible un pécule pour repartir, on imagine facilement qu’ils acceptent les heures supplémentaires, et que la grève est une arme qu’ils utiliseront moins facilement que ceux qui ont des conditions de travail à défendre sur le long terme. Pourtant, on peut lire dans ses propos, à la fois l’entière disponibilité de cette main-d’œuvre et son caractère relativement ingérable. Comme le déplore Francis Bouygues, la circulation des travailleurs ne permet pas, loin s’en faut, une optimisation de la rentabilité du travail fourni. En effet, le principal adversaire de la rentabilité c’est que l’idéologie du travail, cette prise par le discours sur les corps, ne fonctionne pas du tout. Ils s’en moquent, les travailleurs étrangers, cette « main-d’œuvre instable », l’esprit ailleurs, déjà tourné vers le retour, « sans aucun attachement à l’entreprise », ils s’en moquent de la maison Bouygues, et c’est sans doute cela qui peut constituer leur puissance.

Extrait de « M.O.I, etrange étranger ». Documentaire de 1970. réalisation collective.

En 1970 Bouygues emploie 5 000 ouvriers dont 88% d’étrangers

Francis Bouygues : « Cette main d’œuvre étrangère est une main d’œuvre que j’aime beaucoup, parce qu’y a 20 ans que je travaille avec une majorité d’étrangers, donc j’les connais bien. Les étrangers sont des gens qui ont beaucoup de qualités, et ils ont une qualité fondamentale pour moi employeur, qui a toute ma sympathie, c’est que si ils viennent chez nous c’est pour travailler, et à la base ce sont des gens très courageux. Que ce soient des nord africains, portugais, espagnols, ils viennent ; ils savent qu’ils viennent pour travailler, ils cherchent à travailler et ils sont très courageux. Alors ça c’est à leur actif, mais par contre, ils parlent pas notre langue, ils sont pas tellement qualifiés et puis ils viennent avec une idée en tête, c’est d’amasser un pécule et de nous quitter quand ils auront un pécule suffisant. Donc, ça n’est pas une main d’œuvre stable et c’est une main d’œuvre que nous ne pouvons pas former et nous n’avons pas l’espoir que si nous la formons, nous pourrons la conserver. Et finalement, des hommes qui vous apportent leurs bras tous les jours et qui laissent leur pays natal à 2000 kilomètres, leur femme, leurs enfants, leur foyer, disons leur cœur à 2000 kilomètres, on peut pas dire qu’ils soient vraiment disponibles. Le journaliste : Est-ce que ça ne vous arrange pas que ce soit une main d’œuvre instable justement ? Francis Bouygues : Oh non, c’est une catastrophe. Bah avoir une main d’œuvre sur laquelle on ne peut pas compter, qui du jour au lendemain s’en va, qui vous quitte, mais c’est une catastrophe. Le journaliste : Et parlons de vos efforts pour la garder, est-ce que vous êtes content… Francis Bouygues : Bah, vous me demandez, non mais attention, vous me demandez si ça nous arrange pas ? Pour nous monsieur c’est une catastrophe. Un ouvrier que vous embauchez, bon, il arrive sur un chantier, y connait rien, pas le chef, le matériel, pas les procédés, pas le chantier, rien, heu, il est même pas habitué au métro pour venir, y connait rien. Mais pendant 8 jours, il va avoir un rendement médiocre. Le journaliste : Pour vous, il est p’têt moins exigeant aussi par ailleurs ? Francis Bouygues : Beuh, non, parce que y a des tarifs hein, alors d’abord si vous voulez l’embaucher, il faut l’embaucher, il faut l’embaucher avec un tarif valable ; alors il rentre chez vous pendant 8 jours il a un rendement médiocre, mais le jour où y s’en va, puisqu’y a beaucoup d’ouvriers qui rentrent et qui partent, bah 8 jours avant d’partir, il a pas tellement l’moral ; donc si vous voulez pour nous, pour 1 000 ouvriers, quand on en a 2 300 qui passent dans la société, mais c’est une catastrophe, ils nous coûtent extrêmement cher ; ça prouve qu’ils n’ont aucun attachement à l’entreprise et ça prouve que si on voulait faire des efforts pour les former, ces efforts seraient pratiquement nuls, ils auraient un résultat qui serait pratiquement nul. Il est certain que si nous avions exclusivement ou pratiquement exclusivement la main d’œuvre française, pour arriver à l’attirer nous serions obligé de la payer entre 25 et 30 % plus cher, mais quant à moi, je suis persuadé que par une amélioration de la productivité, par une augmentation des rendements, par une meilleure organisation de nos chantiers, nous aurions finalement des prix de revient qui seraient probablement moins élevés. Le journaliste : J’vais vous poser une autre question. Vous avez participé à un débat à la télévisions l’autre jour, heu, beaucoup d’étrangers étaient là, qu’est-ce que vous avez pensé de ce qu’ils ont dit ? Francis Bouygues : Bah… J’ai pas trouvé ça sympathique du tout parce que moi j’vis au milieu des étrangers, j’les connais bien, et c’qui est certain c’est qu’si ils viennent en France c’est parce qu’ils peuvent pas faire autrement. Et c’est parce qu’ils trouvent en France des conditions de travail qui sont très supérieures à celles qu’ils peuvent trouver dans leur pays. Comme par ailleurs j’connais beaucoup d’pays dans l’monde, la France est un, un des plus beaux pays du monde, il me semble anormal que des travailleurs étrangers qui font une émission à la télévision française, unanimement, trouvent que la France est un pays où les conditions de travail sont épouvantables, où on est très mal accueilli, et où, euh… ils ne souhaitent pas rester. Alors que je sais que le personnel étranger qui vient chez nous, y vient pas par plaisir, y vient parce qu’il y est contraint et forcé ; il préfererait de beaucoup travailler dans son pays natal, mais il vient quand même dans notre pays parce qu’il sait que il est relativement bien accueilli, qu’il n’y a, en France, que très peu de discriminations entre un français et un étranger et qu’en définitive les conditions de travail que nous lui procurons sont quand même relativement intéressantes.



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