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Dieudonné : La vérité finira par se savoirAnonyme, Viernes, Noviembre 26, 2004 - 15:39
Silvia Cattori
Entretien réalisé par Silvia Cattori en Novembre 2004 Accusé d’antisémitisme, victime d’attaques verbales et physiques, traîné devant la justice pour des délits qu’il n’a pas commis, Dieudonné n’a pas été épargné. Aujourd’hui il relève la tête. Il a gagné tous les procès intentés contre lui. Et, comme tout homme dont on a bafoué la dignité, Dieudonné se bat. Il vous parle des moments difficiles, sans faiblesse. « Ils ont voulu faire de moi le chantre de l’antisémitisme » vous confie-t-il d’une voix claire, les yeux droits dans les vôtres. Dieudonné : La vérité finira par se savoir Accusé d’antisémitisme, victime d’attaques verbales et physiques, traîné devant la justice pour des délits qu’il n’a pas commis, Dieudonné n’a pas été épargné. Aujourd’hui il relève la tête. Il a gagné tous les procès intentés contre lui. Et, comme tout homme dont on a bafoué la dignité, Dieudonné se bat. Il vous parle des moments difficiles, sans faiblesse. « Ils ont voulu faire de moi le chantre de l’antisémitisme » vous confie-t-il d’une voix claire, les yeux droits dans les vôtres. Interdit d’antenne depuis décembre 2003, Dieudonné a payé le prix fort. Toutefois, ses déboires, n’ont fait que le rendre plus sensible et plus attentif aux autres. Centré surtout sur l’humain, il porte, sur les infamies essuyées, un regard qui lui permet de ne pas s’attendrir sur ses propres blessures. Donc, pas d’esprit de revanche mais, une volonté de lutter pour le respect de la dignité des êtres. Il émane de sa personne, une force, quelque chose de magnétique et d’enchanteur. Conscient des attentes du public, qui l’a accompagné et soutenu envers et contre tout, il se sent aujourd’hui un devoir de vérité. C’est tout le message du nouveau spectacle « Je m’excuse », que cet humoriste de grand talent donne chaque soir dans son théâtre « La main d’or » (1). Il y a du feu en lui, et une soif d’authenticité et d’humanité que son public - pris par la magie de son personnage délié, tout enveloppé de légèreté, mais aussi de gravité - ne se lasse pas de partager. S.C. Votre imitation d’un colon israélien, en décembre 2003, a déclenché une polémique. Que s’est il passé ensuite ? J’ai été victime d’un lynchage. Un lynchage particulièrement brutal de la part de la famille sioniste de France. Parce que j’ai interprété le rôle d’un colon israélien extrémiste dans un sketch comique, j’ai eu droit à un lynchage en règle ! Quelque chose d’unique en France ! On n’avait jamais interdit à un artiste comique de jouer ses spectacles ! Tout cela est hallucinant. Il y a eu des pressions très fortes sur les villes et les Mairies où mes spectacles étaient déjà annoncés, aussi bien en France qu’en Suisse et en Belgique. Elles ont été telles que de nombreuses villes ont tout annulé et les organisateurs m’ont prié de ne pas venir. L’Olympia, avec qui j’avais un contrat, l’a également rompu. J’ai eu sur le dos toute la panoplie des sionistes. Ils ont répandu l’idée, en France et hors de France, que j’étais « antisémite ». Bernard-Henri Lévy en tête. Tout ceci vous montre qu’il y a en France un climat d’intolérance ; qu’il y a des gens qui peuvent peser de manière décisive pour orienter les décisions politiques. Il a suffit que ces gens disent: « Si vous n’interdisez pas le spectacle de Dieudonné vous aurez à en payer le prix ». J’ai dû faire intervenir la validité des contrats cassés auprès du Tribunal administratif, parce que je subissais un grave préjudice. J’ai gagné en génér al. Les villes ont versé le cachet prévu. Mais dans quantités d’endroits où le cachet était attaché à la recette, j’ai tout perdu. Qui étaient ces groupes prêts à vous faire « payer le prix » ? Le commando formé de plus de cent cinquante personnes, qui a insulté et frappé les gens qui étaient venus à mon spectacle à Lyon, était lié à des organisations extrémistes violentes, connues sous le nom de Betar ou Ligue de Défenses Juive. Une jeune fille d’origine marocaine a été aspergée d’un liquide acide et a dû être hospitalisée. Le Betar est une organisation considérée comme étant l’aile militante du Likoud, le parti d’Ariel Sharon. Ces militants sont dotés de moyens financiers et logistiques importants, ils se croient tout permis. Ce sont eux qui ont proféré par écrit des menaces de mort contre moi, contre les gens qui travaillent avec moi, contre le personnel de l’Olympia, si mon spectacle n’était par retiré de l’affiche. Les autorités ont donc cédé à leur chantage ? Que voulez-vous que je vous dise ? On ne peut que rester abasourdi là devant ! Les représentants des organisations juives en France ne demandent pas la dissolution de ces groupes sionistes qui violentent des citoyens. Alex Moïse (2), n’avait-il pas décl aré, au micro d’Europe 1, qu’il fallait « éradiquer Dieudonné de la scène humoristique. » Or ce personnage est devenu célèbre en mai 2004, quand la police a découvert qu’il s’envoyait des faux messages « antisémites » qu’il attribuait ensuite à des faux « antisémites ». Dominique Perben, ministre de la Justice, a appelé à ce qu’il y ait des sanctions très sévères contre Dieudonné. La France était tombée en plein délire. C’était une véritable hystérie. Etais-je au mauvais endroit au mauvais moment ? Se servait-on de ma personne à des fins politiques ? Vous voulez dire qu’il y a une intention délibérée de donner à l’antisémitisme une ampleur qu’il n’a pas et qu’accuser des personnalités publiques permet de lui donner un plus vaste écho ? Avec la multiplication de ces campagnes qui accusent perpétuellement les gens d’antisémitisme on est dans l’irrationalité la plus totale. Ce n’est plus de l’ordre du débat et de la critique légitime. On est dans le mensonge absolu. Ce terme, lié au nazisme, a été tellement galvaudé qu’il a perdu, de nos jours, tout son sens. Cela agite inutilement et empoisonne la vie des Français. L’antisémitisme ne veut plus rien dire aujourd’hui. Ne signifie plus rien du tout. Cela a existé. Mais le nazisme est terminé depuis 60 ans. S’il y a des racistes, tout le monde doit être mis sur un plan d’égalité. Accuser de racisme cela pèse moins lourd qu’accuser d’antisémitisme. Or dans les deux cas il s’agit de racisme. Pourquoi cette hiérarchie ? Au nom d’un « antisémitisme » qui n’existe pas, quantité de gens sont mis au ban de la société. Je trouve inacceptable que des simples citoyens puissent vous enlever votre gagne pain, taper sur vous et vos amis, vous soupçonner d’une intention mauvaise, vous diffamer publiquement, briser votre vie de cette façon. Cela est difficile à croire. Dans d’autres pays européens, l’on ne connaît rien de pareil. Il faut le vivre pour voir jusqu’où des sionistes, en France, sont capables d’aller. Si vous n’êtes pas d’accord avec leur vision idyllique du Grand Israël, vous êtes considéré comme « antisémite ». Donc on vous tient sous la menace. J’ai traversé cette période dans l’incrédulité la plus totale. A un moment j’ai eu l’impression que nous étions dans un pays en guerre, mais que je ne le savais pas. Que la République m’avait lâché. Le signal été très fort. Il fallait que chacun se tienne pour dit qu’on ne peut pas rire de la politique israélienne en France. Qu’on ne rigole pas avec Israël. On peut toujours pleurer ? Oui. Pleurer sur Israël, sur le parcours d’Israël, sur la Shoah, c’est admis. C’est même subventionné. Mais pleurer sur les Palestiniens, non. Pourquoi moi, Dieudonné, dois-je être obligé de dire et redire que je ne suis pas « antisémite » alors qu’il n’y a pas lieu ? Je suis un descendant d’esclave. Je n’ai pas participé à la persécution du peuple juif. Je suis extérieur à tout cela. Je ne vois pas pourquoi je dois demander pardon et me justifier sans fin. Dois-je conclure, de ce que vous venez de dire, qu’il y a, de la part des gens qui se servent de ce terme d’antisémitisme, l’intention d’introduire une sorte de guerre en France ? Une guerre entre juifs et non juifs, en accréditant l’idée que c’est un phénomène plus grave qu’il n’est en réalité ? Je ne veux pas théoriser là-dessus. Je suis un humoriste. Mais on est en droit de se demander si toutes ces accusations jetées à la légère ne sont pas une manière de faire l’impasse sur les vrais coupables de crimes en Palestine, et sauvegarder le statut d’éternelles victimes à ceux qui instrumentalisent les souffrances, à un moment où Israël est gravement mis en accusation. Je vous assure, quand on vous empêche de travailler, quand on tape sur les gens qui travaillent avec vous et votre entourage, quand vous voyez les ministres monter au créneau, il y a un moment où vous pouvez douter. Qui, parmi les personnalités publiques, vous a le plus attaqué ? Bernard-Henri Levy a, lui, plus qu’aucun autre, clairement exprimé sa volonté de me détruire moralement et financièrement. Il a appelé les gens à boycotter mes spectacles. Il a voulu que je sois « frappé au porte-monnaie ». Lui, dont la famille a fait fortune dans l’exploitation des bois précieux africains, a eu la perversité d’écrire noir sur blanc, lors de ses vœux de bonne année, qu’il souhaitait que les Français n’aillent plus voir Dieudonné. (3) Le journaliste Jean-Pierre Elkabach avait, lui, carrément dit au micro d’Europe 1 : « On va vous taper au porte monnaie ». Quant à Alain Finkelkraut, il a dit au sujet de mon sketch « qu’il s’agissait d’un acte antisémite majeur » et que ce n’était pas parce que les juifs ne sont pas ma seule cible « que Dieudonné n’est pas antisémite ». Voilà qui illustre la dynamique du lobby sioniste en France. Donc, vous savez, quand j’ai vu arriver, à Lyon, ces hordes déchaînées du Betar en blousons de cuir noir, venues de Paris et d’ailleurs pour empêcher le public d’assister à mon spectacle, insulter, frapper et crier « Dieudo sale négro, les juifs auront ta peau », je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien avec les appels haineux de notre « philosophe » national. Ces nervis, qui castagnaient les gens qui étaient venus à mon spectacle, répondaient, de toute évidence, aux incitations à la haine contre moi, l’ « ennemi » juré, que Bernard-Henry Levy, avait au préalable désigné, livré à la vindicte de groupuscules sionistes. Les choses ne pouvaient être plus p arlantes. C’était une parfaite démonstration de haine raciste. Tout cela, qui fait partie du lynchage, ne fait pas la une des journaux. Je le raconte de façon détaillée dans mon livre. (4) Vos détracteurs ont-ils réussi à vous sortir de vos gonds ? Non, non. Je regarde ce qui me touche de près avec détachement. Malgré l’odieux de leur critique, Bernard-Henri Levy, et la bande d’islamophobes et négrophobes qui gravite autour de lui, ne m’ont pas « sorti de mes gonds ». Je suis serein. Mais une chose est certaine. Je suis plus que jamais conscient d’être fondamentalement en opposition avec certaines pratiques, et une certaine hypocrisie. Il n’y a aucun esprit de revanche de ma part. Mon rôle se limite simplement à expliquer aux noirs de France que, nous aussi, avons droit à notre histoire. Et à être entendus. Il y a eu des centaines de films pour dénoncer les horreurs nazies. C’est très bien. C’est une souffrance que je respecte infiniment. Mais il ne peut y avoir de hiérarchie dans la souffrance des peuples. Mon peuple a droit, lui aussi, à ce que l’on fasse la lumière sur le commerce des esclaves. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que l’on a organisé un trafic d’hommes de façon industrielle, comme s’il s’agissait de bétail. Pourquoi n’arrivons-nous pas à faire reconnaître les torts causés par la traite des noirs ? Les noirs n’ont pas droit à une mémoire. Ils n’ont pas accès aux archives qui leur permettraient de déterminer qui sont les gens qui se sont enrichi en faisant commerce de leur chair. On est dans une période où les peuples demandent réparation. Les pays qui ont collaboré avec les nazis sont fortement mis sous pression par les enfants des victimes juives. Ils doivent payer réparation. Notre peuple a droit aussi à ce respect là. On interdit aux africains, de consulter leurs archives. Comme on interdit aux Palestiniens de retourner sur leurs terres volées. Les Palestiniens ont droit, comme toutes les victimes, à être reconnus dans leur souffrance. Ce refus de reconnaître la souffrance des autres, est indigne. Avez-vous ressenti quelque chose d’humiliant dans leurs procédés ? J’ai ma dignité à défendre. J’ai une famille à charge. Je suis père de trois enfants. Je me dois d’être digne d’eux. De pouvoir dire à mes enfants, voilà notre histoire ! Je veux la leur raconter sans haine, mais avec détermination. Je veux leur dire que Bernard-Henri Lévy, qui a voulu me priver de ce qui est ma raison d’exister, me ruiner, est l’enfant d’une famille qui a bâti son immense fortune sur le sol africain, sur l’exploitation éhontée des bois précieux d’Afrique. Et que, finalement, vu sous cet angle, tout ce qui m’est arrivé, n’est qu’une suite logique. Un affrontement inéluctable que tout africain, doit assumer. Je me dois de prendre ma part de respons abilité dans la défense de mon peuple. Je connais son histoire, son parcours, je veux que la vérité soit faite sur quatre cent ans d’esclavage, deux cent ans de colonisation, soixante ans d’ère post coloniale. Notre indépendance n’est pas encore gagnée. Aussi longtemps que les peuples exploités ne peuvent pas compter sur les Nations Unies pour acquérir leurs pleins droits, ils doivent s’appuyer sur leurs propres forces, s’organiser. Mais vous êtes plus blanc que noir, plus Français qu’africain, non ? Pour vous je suis blanc comme le sont tous les métis. Ma mère est blanche. Mon père est noir. Je suis malgré tout, fait de ce mélange. Je suis, face à moi-même, universel. Mais face aux autres je suis un homme noir. Je l’accepte. En moi, avant ce lynchage, je ne connaissais pas ce sentiment de « frontière » intériorisée, que nombre de gens ressentent. Cependant, aujourd’hui, je sais que cette frontière est là, dans le regard des autres. Je la ressens profondément dans ma chair. Aujourd’hui, je sais que je suis pour les blancs un homme noir. Et que je me dois d’être conséquent avec ce vécu là. Je dois être cohérent avec moi-même et me situer par rapport à ce regard. Je ne peux pas le fuir. Je me dois de me situer par rapport à ce qui me sépare de ces idéologues qui déversent tant de haine et de mensonges sur la France. Donc, en tant que noir, je dis stop. Cela suffit. Moi, Dieudonné M’Bala M’Bala, je vous dis, à vous Monsieur Bernard-Henri Levy, l’héritier d’une famille qui a fait fortune en pillant les forêts dans cette région subsaharienne si vulnérable, confrontée aujourd’hui, à de graves problèmes de désertification, que vous n’avez aucune leçon de morale à donner à qui que ce soit. Si je comprends bien, la souffrance humaine, passée et présente, est ce que vous mettez au premier plan ? Je suis un artiste. Mais je suis, avant toute chose, un être humain qui a une histoire, un passé. Un passé tel qu’il a survécu dans notre mémoire collective. Je sais d’où je viens. Où je vais. Aujourd’hui je vis en France. J’ai appris à aimer la République. Je considère les valeurs qu’elle incarne formidables. Je suis très attaché à cette expression de « Liberté, Egalité, Fraternité ». Je crois fermement en cette humanité là. J’ai cette utopie. N’avez-vous jamais pensé que vous étiez allé trop loin ? J’ai grandi dans l’humour d’un Michel Leeb, d’un Boujenah : d’humoristes qui s’amusent et font rire avec des personnages noirs qu’ils présentent avec des narines qui sont aussi grandes que deux têtes de blancs. Il n’est jamais venu l’idée à personne de les condamner pour racisme ! Est-ce que j’y ai droit, moi, à la dérision des blancs ? Est-ce que c’est moi qui vais trop loin ou c’est eux ? Je pensais que dans l’humour il y avait une marge ! Parfois je me demande si les gens sont suffisamment bien informés pour prendre l’exacte la mesure de la gravité de la situation. Dans mes spectacles je parle de l’indifférence du monde devant les tragédies en cours. Je parle du système d’apartheid, mis en place en Palestine, comme hier en Afrique du Sud. Je parle de personnages, tels Bernard-Henry Levy ou Alain Finkelkraut, qui s’identifient à une idéologie, le sionisme, qui est une forme de racisme. Je ne suis pas religieux. Je suis athée. Je ne parle pas des juifs en tant que tels. Je sais que nombre de personnes de confession juive se désolidarisent de la politique raciste d’Israël. Que d’autres sont tout simplement induites en erreur par un projet qui les dépasse. Je me dis qu’on ne peut pas mentir sans fin aux gens. La vérité finira par se savoir. Auriez-vous tenu des propos aux accents aussi politiques, avant décembre 2003 ? Oui. Tout simplement, avant le lynchage je n’étais pas aussi pleinement conscient qu’aujourd’hui. J’ai simplement gagné en lucidité. J’ai pu vivre et ressentir dans ma chair qu’il y a, comme cela, des êtres qui ont toute latitude pour empêcher que la vérité soit dite. J’ai participé à la lutte antiraciste. Le discours de l’association SOS racisme était « on est tous frères, on doit se battre contre le racisme ». J’étais donc là dedans et il m’a fallu un temps pour comprendre que nous étions manipulés. Donc c’est un sentiment d’injustice qui vous anime ? Oui. Un grand sentiment d’injustice. Au travers de ce lynchage j’ai vu les négriers à l’œuvre. Et cela est difficile à accepter. Je les ai vu revenir pour me taper dessus. Je parle de ces négriers qui autrefois déportaient mes ancêtres, les exploitaient, les violentaient sans vergogne. Je pense que ce sont les mêmes, exactement les mêmes. Pareils. Je n’ai jamais pensé une seconde qu’il y avait un complot contre moi. Non. Il y a eu, de la part d’une certaine intelligentsia, sioniste donc raciste, des appels à la haine pour me faire taire. Haine pour le franc parler de l’artiste, doublée de haine raciale? Une chose est certaine : on n’avait jamais interdit auparavant à un artiste de travailler. Jamais. On est dans un pays qui a bâti ses richesses sur le commerce triangulaire. Sur la colonisation. Je suis l’enfant de cela. Et, à un moment, l’enfant veut avoir accès à son histoire, demande des explications et on lui répond : « Tais-toi ». Je vous ai dit que je suis un descendant d’esclave et que, au travers de ce lynchage, je me suis aperçu que j’étais, en tant que noir, traité comme tel. De toutes les façons, notre peuple est condamné. L’Afrique est condamnée. 80% des malades du Sida vivent en Afrique noire. Face à ce fléau les africains n’ont pas les moyens de se soigner. Il y a là non assistance à personne en danger. Nous avons toute raison de penser que c’est volontaire. Que la vie d’un noir ne vaut pas celle d’un blanc. Faut-il baisser les bras pour autant ? La moitié de ma fa mille vit là bas. J’y serai à Noël. OK. On va mourir, mais la tête haute. Et parfaitement conscients qu’on a voulu notre mort, que rien n’a été fait pour l’empêcher. On va pouvoir dire : « Vous nous avez tués ». La haine n’est-elle pas de tous côtés ? Là où les jeunes se révoltent de voir les soldats israéliens ou améric ains massacrer leurs frères arabes, n’y a-t-il pas de haine ? Je crois qu’il y a plus de jeunes de confession juive qui affichent la haine de l’Arabe que l’inverse. Les Arabes et les musulmans sont ceux qui sont les vraies victimes de discrimination en France. Ils sont considérés comme des citoyens de seconde classe. Mais de cela nul ne s’en préoccupe. Des noirs, n’en parlons même pas. Les noirs n’ont droit à rien. La souffrance des nègres ne compte pas. Nous sommes considérés comme des singes. Tout cela est dur à vivre ? Oui. Dans ce vécu qui est nôtre, il n’y a que les bonnes nouvelles qui peuvent encore nous surprendre. Mais je ne me plains pas. Par respect pour ce passé qui est celui de mon peuple, et des peuples qui ont comme lui, souffert, souffrent, je ne puis pas dire que ce qui m’est arrivé, était particulièrement dur. C’est notre quotidien. Je ne veux pas pleurer là-dessus. Ce qui m’est arrivé fait partie de notre histoire. Nous devons construire notre avenir là-dessus. Je ne veux pas faire comme ces sionistes qui sont dans la victimisation constante. Non. Je ne leur reproche rien. Je respecte leur passé. Il faut simplement qu’ils respectent et reconnaissent également le passé et les souffrances des autres. Vous relativisez, c’est très noble de votre part. Mais vos malheurs ne sont peut-être pas terminés ? Non, ce n’est pas encore terminé. Mais je n’ai pas fait vingt-sept ans de prison comme Mandela. J’ai perdu un peu mon travail. J’ai eu la mauvaise surprise de trouver un revolver et une kippa dans ma loge. Mais je suis encore vivant. Quand je vous vois comme cela empêtré… Non, pas empêtré. Je suis un homme libre. Mais on vous empêche de travailler. Où est votre liberté ? Ma liberté est de pouvoir rester moi-même et de ne pas avoir peur de dire ce qui est. Etes-vous toujours en procès ? Ils ont engagé des sommes considérables pour organiser quantité de procès contre moi. J’ai été mis en examen pour « diffamation et propos racistes ». J’ai affronté 17 procès. Je les ai tous gagnés. J’ai été relaxé par la justice. On vous a donc fait des procès politiques fondés sur rien ? Oui, Absolument. Ce sont des procès politiques. Il fallait faire un exemple. Le nègre qui quittait le champ de coton pour prendre le large, quand il se faisait attraper on le frappait à mort, pour faire comprendre aux autres ce qui risquait de leur arriver, si…C’est ce qui s’est passé avec moi. On m’a tapé dessus de manière violente, excessive. Il fallait montrer ce qu’une certaine France peut réserver aux « nègres », quand ils se mêlent de politique. Vous défendre devant les tribunaux doit être très onéreux ? Je n’ai pas d’argent. C’est l’argent du public. Actuellement je ne travaille que pour me défendre. Le public est là chaque soir, fort heureusement. Le théâtre est complet depuis avril. Je ferai une représentation au Zénith le 29 décembre 2004. (5) Nous verrons de quoi l’avenir est fait. Qu’avez-vous appris au travers de ces évènements ? J’ai appris que l’on n’a pas le droit de rigoler sur quelque chose comme la colonisation israélienne ni de caricaturer un colon juif. J’ai appris qu’un noir n’est pas autorisé à dire qu’un blanc peut incarner le mal. Un noir doit toujours dire que le blanc appartient à « l’axe du bien ». C’était, du reste, exactement ce que je disais dans le sketch mis en question. J’étais ironique, mais on n’a pas voulu voir cet aspect. On a voulu y voir autre chose. Alors que je disais ironiquement aux jeunes, par le biais de ce personnage de colon israélien, « cessez avec cet anti-américanisme prim aire. Rejoignez l’axe du bien qui vous permettra de vivre en bonne harmonie ». Donc vous avez fait là une expérience humiliante mais instructive ? Ce qui ne tue pas rend plus fort. Je suis resté debout. Mais quand on vous dit « Dieudo sale négro, les juifs auront ta peau » et que le négro ne dit rien et ne peut que ramasser les coups, oui c’est humiliant. Ce sont des individus qui ont un réseau et une latitude d’action impressionnante. Est-ce que le public a su faire la part des choses ? Les gens se sont montrés formidables. Et aussi très courageux. Je tiens à leur rendre hommage. Ils se sont fait insulter, accuser d’antisémitisme, parce qu’ils voulaient voir mon spectacle, mais ils n’ont pas cédé. Leur soutien est ce qui m’a permis de surmonter cette période de ma vie. Le 20 février restera pour moi un jour mémorable entre tous. L’Olympia avait fini par se plier aux menaces du Betar. Avec l’équipe qui travaille avec moi, nous avions décidé que nous allions quand même jouer le spectacle, dehors, dev ant l’Olympia. Nous nous attendions à ce qu’il y ait quelques cent aines de personnes. Nous avons eu la surprise de voir une foule immense déferler. Les gens étaient là par milliers, pour nous acclamer. Ce fut un moment de grande émotion. Il y avait là, parmi ces visages blancs, des visages noirs qui faisaient cercle pour me protéger. Avant votre interdiction de jouer en public, ils étaient déjà là ? Ce fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je crois que, pour les africains et les antillais, être présents à mes côtés ce jour là, était une manière de se solidariser avec un des leurs à un moment où il se trouvait en difficulté. Ils voulaient me protéger des attaques éventuelles. C’était aussi, de manière plus générale, l’expression d’une souffrance commune qui trouvait là, en cette rencontre spontanée de gens qui ne se connaissaient pas, une occasion de se faire entendre. L’expression de gens qui en avaient gros sur le cœur. Il y avait une forme de vie fervente dans ce rassemblement. Je me trouvais là en présence d’êtres qui portaient le fardeau d’une vie d’injustices qu’ils désiraient partager. J’ai réalisé que j’étais devenu pour eux une sorte de catalyseur. Qu’ils s’identifiaient à cette blessure du monde qui était mienne, qu’ils portaient en eux de longue date. J’étais un des rares noirs sur la scène artistique humoristique, qui écrivait lui-même ses textes et les interprétait. Le seul noir comique, je crois, qui écrivait pour parler en leur nom et en rire. Je me devais d’être digne de l’espoir qu’ils mettaient en moi. Leur humanité, en cet instant de communication intense, je la porte toujours dans ma chair. C’est cela qui m’a aidé à traverser cette période. C’est pourquoi, ce que j’apprends de mon public là au travers, m’enseigne l’humilité. C’est un peu le peuple que je me sens le devoir de protéger aujourd’hui. C’était le sentiment que vous aviez une respons abilité à leur égard ? Je suis profondément un humoriste. En général les choses me font rire. Etrangement, le plus dur pour moi, fut l’amour que j’ai reçu de cette foule de gens anonymes, devant l’Olympia. C’était un moment très dur psychiquement. Car il fallait maîtriser l’émotion qui m’envahissait, contenir les larmes qui m’inondaient. C’est dans ce sens là que je parle de dureté. On aurait pu me taper et me cogner. Je n’aurais pas versé une larme. Je m’étais préparé au pire. Mais à l’inverse, à autant de reconnaissance et d’amour, je n’étais pas prêt. J’allais à ce rendez-vous pour me faire lyncher, comme on a toujours lynchés les nègres, et je me suis trouvé face à une foule de gens venus pour me dire combien ils m’aimaient. Je ne m’y attendais pas, je n’étais pas habitué. Nul n’est accoutumé à cela. Cela était tellement inattendu. Et d’autant plus émouvant. C’est ce qui compte le plus pour vous, cette reconnaissance ? Oui. Je suis attaché au respect de la dignité des êtres. Comme je suis attaché aux valeurs de laïcité qui défendent le respect de toutes les croyances et de toutes les religions. Comment pouvez-vous concilier votre attachement à des causes graves avec les exigences de légèreté liées à l’écriture humoristique ? La seule chose qui nous reste est le rire. Mais rire ne veut pas dire se moquer. Cela peut être un moyen de surmonter ce qui nous met en peine. Le rire est quelque chose qui fait partie de ma culture. Il y a eu des études sur le rire. Les noirs sont les gens qui rient le plus. Cela permet de voir le monde avec un certain recul. Je crois que, dans ce monde dur, le rire est un facteur de thérapie. Il est important de vivre dans la joie. Et de se dire qu’à l’intérieur du désespoir il y a de l’espoir. L’Olympia, c’est fini ? Oui. L’Olympia m’est actuellement interdite. Tout comme m’ont été interdites durant cette année, les antennes de télévision. Y a-t-il encore, aujourd’hui une raison qui empêche votre retour ? La raison officielle est que la sécurité du public ne peut être assurée. Mais je puis toujours jouer dans mon théâtre. Je joue à guichets fermés, depuis avril, en présence de 250 personnes chaque soir. Si je n’avais pas ce théâtre je serais resté sans pouvoir jouer depuis décembre 2003. Votre assistant vous appelle ? Oui. Le public m’attend. Vous n’avez pas encore vu mon spectacle ? Venez le voir et on en parlera après. La porte de la loge s’est refermée derrière lui. Peu après, Dieudonné était là, étincelant sous les feux de la rampe, seul, face à un public enthousiaste, à qui il a donné le meilleur. Il y avait une ferveur visible sur les visages suspendus, comme aimantés. Et cette union invisible, où l’émotion et l’affection entrent en jeu et ne font plus qu’un avec l’artiste. Fin (1) Théâtre de la Main d’Or. 15, passage de la Main d’Or. 75011 Paris. Tél : 0033 1 43 38 06 99 - Métro Ledru-Rollin. (2) Alex Moïse est le représentant du Likoud (le parti d’Ariel Sharon) en France et secrétaire général de la Fédération sioniste de France. Confondu par la police, condamné en mai 2004, il a avoué s’être envoyé des messages antisémites pour ensuite aller déposer plainte pour « menaces et injures antisémites ». (3) Magazine LE POINT 02/01/04 « Rubrique Bloc Note. (4) Lire le livre d'Olivier Mukuna, Dieudonné. Entretien à cœur ouvert. Edition EPO. 2004 (5) Zenith, 211, av. Jean Jaures. 75019 Paris. Tél : 0033 1 42 08 60 00. Vente billets : FNAC, Carrefour Virgin. silv...@yahoo.it
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