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Non à la Constitution Européenne !

La Riposte, Martes, Noviembre 23, 2004 - 06:12

Jérôme Métellus

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La crise du capitalisme mondial frappe l'Europe de plein fouet. Dans tous les pays européens, l'heure est aux coupes budgétaires, aux privatisations et à la régression sociale. L'Europe des Quinze compte officiellement 16 millions de chômeurs, soit quelques 9 % de la population active. La pauvreté touche 70 millions de personnes, dont 17 millions d'enfants. 5% des européens souffrent d'insécurité alimentaire. Ces statistiques illustrent à elles seules la faillite complète du système capitaliste. Sur un continent riche et moderne, la vie de dizaines de millions de gens se résume à une lutte permanente pour survivre.

Longtemps, en France comme dans la plupart des pays d'Europe, la droite et une partie des dirigeants de la gauche ont expliqué que la « construction européenne » allait porter ses fruits. Moyennant quelques sacrifices, la jeunesse et les salariés finiraient par en bénéficier. Les « Accords », les « Traités » et les années ont passé. L'Euro a été introduit. Mais au lieu de la prospérité et du progrès social annoncés, nous avons une augmentation de la misère et du chômage. L'argument selon lequel « demain, grâce à l'Europe, ça ira mieux », est usé jusqu'à la corde. Dans ce contexte, il n'est pas surprenant qu'un grand nombre de salariés de notre pays se prononcent contre le projet de Constitution Européenne.

La très large majorité d'entre eux n'ont pas une connaissance détaillée du texte. Mais ils comprennent qu'il ne règlera aucun de leurs problèmes. Après tout, ceux qui l'ont écrit et négocié ne sont-ils pas les mêmes qui, en France, mènent une politique de casse sociale ? Et le fait qu'on ait confié la direction du travail préparatoire à Valery Giscard d'Estaing, l'un des représentants les plus accomplis des intérêts capitalistes, n'en dit-il pas assez long sur le caractère réactionnaire du résultat ? Pour tous ceux qui subissent les attaques du patronat et du gouvernement, le référendum que Chirac s'est engagé à organiser sera une occasion de manifester leur mécontentement et d'infliger une nouvelle défaite à la droite.

Vers une Europe capitaliste unifiée ?
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Historiquement, la formation de l'UE est une tentative, de la part des capitalistes européens, de libérer l'économie du continent des limites étroites des Etat-nations. Si, dans la phase ascendante du système capitaliste, les Etat-nations ont joué un rôle progressiste en permettant de constituer et de protéger des marchés nationaux, ils se sont par la suite transformés en un obstacle au développement de la production. Les énormes forces productives développées dans le cadre du capitalisme et la constitution d'un marché mondial se heurtent sans cesse aux frontières des marchés nationaux. La formation de l'Union Européenne est en elle-même un aveu de cette contradiction. Les capitalistes européens ont notamment besoin de constituer un bloc économique pour tenter de résister à la concurrence des puissantes économies des Etats-Unis, du Japon, et désormais de la Chine.

L'écrasante supériorité économique et militaire des Etats-Unis, en particulier, pousse les classes capitalistes européennes à s'unir. Mais cette tendance est sans cesse contrecarrée par les antagonismes internes à l'Europe elle-même. Derrière la structure formelle de l'Union Européenne, les principales puissances – France et Allemagne en tête – s'efforcent de dominer l'édifice européen au détriment des autres. Les sourires forcés et les courbettes diplomatiques, lors des « sommets » européens, n'empêchent pas la lutte pour des marchés et des zones d'influence de se poursuivre et de s'intensifier.

Dans un contexte économique favorable, les contradictions fondamentales entre les classes capitalistes européennes pouvaient provisoirement passer au second plan, ce qui leur permettait de poursuivre l'intégration européenne. Celle-ci s'appuyait dans le même temps sur une offensive systématique contre les services publics, les salaires, le marché du travail et les budgets sociaux. Les classes capitalistes nationales étaient d'autant plus en mesure de s'entendre que chacune parvenait à réaliser d'énormes profits à travers l'intensification de l'exploitation du salariat.

Cependant, dans le contexte mondial actuel, celui d'une énorme instabilité économique, politique et diplomatique, l'intégration européenne est condamnée à connaître d'intenses secousses. On l'a vu avec la guerre en Irak, qui a immédiatement déclanché une grave crise au sein de l'« Union ». L'OTAN était complètement divisée. Demain, d'autres chocs, qui là encore ne seront pas forcément d'ordre économique, soumettront l'Union Européenne à d'insoutenables pressions. Le tout finira par s'écrouler au milieu des récriminations mutuelles.

La raison fondamentale en est que les intérêts nationaux de chaque classe capitaliste sont trop contradictoires. Les inévitables convulsions d'un capitalisme pourrissant, qui a complètement épuisé ses potentialités historiques, dressera les capitalistes européens les uns contre les autres – au point, finalement, de briser la fragile structure de l'UE. Le projet d'unifier l'Europe sur des bases capitalistes reste ce qu'en disait Lénine au début du XX ème siècle : une « utopie réactionnaire ». Une utopie , car c'est irréalisable. Une utopie réactionnaire , parce que si cela pouvait se réaliser, cela ne serait pas dans l'intérêt de la classe ouvrière européenne. De fait, l'Europe n'a réellement été unifiée – temporairement et partiellement – qu'à une occasion historique : lorsqu'elle était sous la botte des Nazis.

La Constitution Européenne
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De manière générale, les capitalistes européens souhaitent que l'UE se dote d'institutions stables, centralisées et susceptibles d'introduire des éléments de direction politique dans ce qui n'est, pour le moment, qu'un immense marché commun. Mais à peine posé, le problème se révèle immédiatement insoluble. Les contradictions entre les différentes classes capitalistes excluent toute véritable centralisation stable. Et en réalité, par « centralisation » ou par « unité politique », les capitalistes français, allemands et anglais entendent chacun la même chose : « sous une direction privilégiant les intérêts de notre capitalisme national ». D'où le jeu complexe et fluctuant des alliances qui se tissent entre les grandes puissances européennes. Quant aux « petits pays », il ne leur reste qu'à jouir de leur droit de se taire et de contempler la lutte à partir du banc de touche.

Le projet de Constitution Européenne porte la marque de cette situation. Officiellement, il s'agit d'établir les règles de fonctionnement d'un gouvernement européen centralisé. Or, en réalité, il ne s'agit que d'un pas très timide dans cette direction. Sur toutes les questions qui touchent aux intérêts fondamentaux des différentes classes capitalistes, le projet de Constitution établit clairement que les gouvernements nationaux sont souverains, notamment du fait du système du veto. Autrement dit, le Conseil Européen n'aurait d'autorité que sur les questions secondaires. Et en effet, comment imaginer, par exemple, que les capitalistes allemands vont se laisser dicter leur politique industrielle par le Conseil Européen ? De même, on a bien vu comment l'Etat français est intervenu dans le « sauvetage » d'Alstom, au grand dam des industriels des autres pays européens, qui ont alors vainement protesté contre cette « atteinte aux règles de la libre concurrence ».

Par ailleurs, il faut bien voir que cette Constitution est le fruit d'un compromis très fragile entre les capitalistes européens. La première copie du texte avait été rejetée en décembre 2003. Or, la source de nouveaux désaccords n'est pas tarie. Au contraire, l'instabilité économique et internationale de notre époque l'alimentera sans cesse. Dores et déjà, le Traité de Maastricht, qui était supposé établir les cadres rigides d'une politique monétaire commune, n'est plus qu'un malheureux bout de chiffon. Les déficits budgétaires de la France et de l'Allemagne ont allègrement passé la limite des 3% stipulée par les « critères de Maastricht ». Et toutes deux ont répondu d'un haussement d'épaule à ceux qui leur rappelaient leurs « engagements européens » et les menaçaient d'une amende. Raffarin s'est même permis, en septembre 2003, de critiquer publiquement les « chefs de bureaux comptables bruxellois » qui protestaient contre la volonté délibérée du gouvernement français de laisser filer le déficit au-delà de 3%. Certains médias ont qualifié cette formule de « dérapage verbal ». Mais en réalité, elle illustre beaucoup mieux les dispositions du patronat français à l'égard de l'UE que toutes ses belles phrases au sujet de l'« idéal européen ».

Les partisans du « oui »
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Dans un référendum sur la Constitution Européenne, le devoir de tout militant de gauche est d'appeler à voter « non » et de dénoncer les mensonges de la droite sur les progrès que l'intégration de l'Europe capitaliste serait supposée apporter aux peuples. Quel que soit son degré d'intégration, l'Europe capitaliste, dominée par une poignée de multinationales et de grandes banques, ne permettra jamais de résoudre les problèmes de la jeunesse et des salariés. Nous devons dire non à cette Europe au même titre que nous nous opposons au capitalisme en général. Malheureusement, bon nombre de dirigeants socialistes en appellent à nouveau à suivre la voie du capitalisme européen. Une fois de plus, Hollande et la droite du PS se rangent au côté du patronat pour vanter les vertus de l'Europe capitaliste et, cette fois-ci, de sa Constitution.

Ces dirigeants socialistes s'appuient la plupart du temps sur deux arguments. D'une part, ils préviennent avec emphase : « ne vous laissez pas tenter par le " non ", car celui-ci provoquerait une grave crise de l'Europe ! » Cette idée exprime parfaitement leur soumission aux intérêts de la classe dirigeante. Au fond, elle signifie : on comprend que les salariés, les jeunes et les chômeurs qui subissent la crise du système capitaliste veuillent marquer leur colère en rejetant le projet de Constitution – mais qu'ils n'en fassent rien, surtout, car cela déstabiliserait le camp du patronat européen !

L'Europe est déjà en crise. Elle est en crise du point de vue des capitalistes, mais également et surtout du point de vue de la classe ouvrière. Et les choses ne vont pas en rester là. Les années à venir verront une intensification de la politique agressive du patronat, qui s'en prendra à tous les aspects de nos conditions de vie : temps et conditions de travail, santé, logement, droits démocratiques, etc. Dès lors, que peut bien signifier, du point de vue du salariat, l'avertissement qui lui est lancé : « ne provoquez pas une crise de l'Europe » ? Rien d'autre que la faillite politique de ces dirigeants, qui ont complètement adhéré au système capitaliste.

Le deuxième argument des dirigeants socialistes partisans du « oui » consiste à dire : « il n'y a pas de recul dans cette Constitution, et s'il n'y a que de modestes avancées, ce sont tout de même des avancées, et donc nous ne pouvons pas les rejeter. » Même en admettant l'absence de « recul » dans le texte, cela n'empêche pas la régression sociale de se poursuivre, dans la réalité, à un rythme effréné. Mais les partisans du oui se gardent bien de le rappeler. Quant aux soi-disant « avancées », elles seraient de deux sortes. D'une part, il y a celles qui concernent l'intégration européenne. Or, encore une fois, on ne peut pas considérer cela comme un progrès du point de vue du salariat. Mais d'autre part, il y aurait aussi quelques « avancées sociales ». Les droits syndicaux, les services publics, la lutte contre le chômage et d'autres belles promesses de cet ordre ont trouvé une place dans le projet de Constitution. François Hollande et ses amis ont sauté sur ce petit bout de texte et le brandissent aux quatre coins du pays. Mais la question se pose : que peuvent bien valoir de telles promesses lorsque ceux qui les formulent sont les mêmes qui, dans leurs pays respectifs, se livrent à des attaques en règle contre les droits syndicaux, l'emploi et les services public ? En France, Hollande évoque ces « avancées » au moment même où le gouvernement Raffarin remet en cause le droit de grève, propose de faciliter les procédures de licenciement et poursuit le mouvement de privatisation du secteur public.

Que les capitalistes européens fassent de vagues promesses dans le but de tromper les salariés, c'est dans l'ordre des choses. Mais des dirigeants socialistes dignes de ce nom ne devraient pas prendre ces promesses pour argent comptant. Leur rôle ne doit pas être de semer des illusions parmi les travailleurs au sujet des intentions du patronat, mais au contraire d'œuvrer à les rendre conscients de la contradiction insurmontable entre les intérêts des deux classes. Tous les acquis fondamentaux du mouvement ouvrier ont été le résultat de grandes luttes. Aujourd'hui comme hier, notre seule arme pour défendre les droits syndicaux, les emplois et les services publics, c'est la force organisée de notre classe et la lutte. Seule la mobilisation massive des salariés permettra de faire obstacle à la destruction des conquêtes sociales qui sévit sur l'ensemble du continent. Parler d'« Europe sociale » en dehors de cette perspective, c'est semer la confusion dans nos propres rangs.

L'impasse du réformisme
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Une victoire du « non » au référendum achèverait de détruire le semblant de légitimité qui reste au gouvernement Raffarin depuis les élections régionales et européennes. Elle renforcerait le camp des salariés. Elle mettrait le PCF et la gauche du PS en position de force. De tels développements seraient évidemment très positifs. Mais les partisans du « non » ne doivent pas se contenter d'un simple refus de la Constitution. La lutte pour contre celle-ci doit aller de pair avec une campagne expliquant la nécessité d'une Europe socialiste.

Le caractère réformiste des programmes du PS et du PCF en constitue la faiblesse majeure. Nulle part n'est évoqué ce qui devrait être l'axe central de tout programme socialiste ou communiste : la rupture avec le système capitaliste, c'est-à-dire la nationalisation des principaux leviers de l'économie sous le contrôle démocratique des travailleurs. Sur la question de l'Europe, il en découle une grande confusion aussi bien dans l'appréciation de la Constitution Européenne qu'au sujet de l'alternative à l'Europe capitaliste.

Les dirigeants de gauche qui militent pour le « non » partagent tous l'idée fausse que l'adoption de cette Constitution aurait de graves conséquences, à très long terme, pour le mouvement ouvrier. La direction du PCF redoute que « les principes du libéralisme soient coulés dans le marbre d'une Constitution », lequel marbre pèserait alors sur les travailleurs européens pendant… 50 ans. Jacques Nikonoff, président d'Attac France, évoque également « la menace d'une peine incompressible de 50 ans de néolibéralisme ». Mais pourquoi 50 ans, au juste, et non 10 ans, 20 ans ou encore trois siècles ? Dans un argumentaire en faveur du « non », Gérard Filoche, dirigeant de la gauche du PS, nous donne peut-être la réponse : « Le président de la Convention européenne, Valéry Giscard d'Estaing, a affirmé à maintes reprises que cette Constitution serait là pour 50 ans ». Filoche est cependant lui-même un peu moins alarmiste, puisqu'il évoque plus loin la perspective que « le projet de Constitution fige le caractère profondément libéral de l'Europe pendant 30 ans. » Ce ne serait donc plus 50 ans « incompressibles », mais 50 ans dont 20 avec sursis !

Tout cela n'est pas sérieux. Il est clair que cette Constitution porte la marque de la classe capitaliste. Les principes de la « libre concurrence » y sont affirmés, et ils sont là pour servir d'excuse à toutes les régressions sociales. C'est précisément pour cela que nous devons la combattre. Mais ce n'est pas une raison pour en surestimer le poids dans le rapport entre les classes sociales. Les principes capitalistes que renferme la Constitution n'empêcheront pas les travailleurs de se mobiliser. Ils ne se laisseront pas hypnotiser par un texte émanant d'instances qui prêchent une politique qu'ils combattent au quotidien. Surtout, ils se laisseront d'autant moins abuser que les directions du PS et du PCF ne se soumettront pas elles-mêmes aux sacro-saints « principes constitutionnels ».

Prenons un exemple concret. Admettons que le « oui » l'emporte et que la Constitution soit ratifiée. Admettons par ailleurs, comme c'est très probable, que le PS et le PCF gagnent les prochaines élections législatives. Si un tel gouvernement PS-PCF s'engageait, comme c'est souhaitable, dans la renationalisation des services publics et des grandes entreprises qui ont été privatisés au cours des vingt dernières années, ce programme entrerait immédiatement en contradiction avec les principes de la Constitution Européenne. Quelle devrait être alors l'attitude du gouvernement de gauche ? Renoncer aux nationalisations, sous prétexte qu'elles seraient « anti-constitutionnelles » ? Ce serait se condamner à ne jamais avancer sur la voie du socialisme.

Le fond du problème, c'est que les dirigeants du PCF et de la gauche du PS ont renoncé au programme de la transformation socialiste de la société. S'ils exagèrent le poids de cette Constitution, c'est parce que leur champ de réflexion ne sort jamais du cadre du capitalisme européen. Ils ne s'opposent pas à l'Europe capitaliste, mais à l'Europe « libérale ». Le terme « libéral » est là pour suggérer la possibilité d'une Europe capitaliste « non libérale », c'est-à-dire une version européenne de la fameuse « économie de marché à dominante sociale » – celle-là même qui, dans sa version nationale, nous a mené au 21 avril et au retour de la droite au pouvoir.

L'absence d'alternative, de la part de ces dirigeants, apparaît de façon nette lorsqu'ils répondent à l'argument selon lequel le rejet de la Constitution provoquerait une « crise » de l'Europe. Le député européen Francis Wurtz (PCF) écrit : « Dans quelle situation nous retrouverons-nous, au lendemain d'une victoire désormais possible du " non " en France ? Ce ne sera ni le chaos ni le statu quo. Juridiquement, tout reste en place, mais politiquement, tout change. D'un côté, le projet de Constitution serait caduc, mais les traités actuels resteraient en vigueur et s'appliqueraient. Pas de chaos, donc. » C'est là un raisonnement typiquement réformiste. Les « traités actuels » sont présentés comme le socle de stabilité grâce auquel va pouvoir se mener la lutte politique. Mais comme ces traités eux-mêmes n'ont de sens que dans le contexte de l'Europe capitaliste, comme ils en sont l'œuvre et l'expression, cela revient à présenter le chaos du capitalisme européen comme le cadre convenable de la lutte « politique » pour des droits sociaux, l'emploi, le niveau de vie et toutes ces choses auxquelles s'attaque « actuellement » le patronat européen.

Le fait que Wurtz présente sous un jour favorable des traités que la direction du PCF rejetait, lorsqu'ils n'étaient pas encore « actuels », est le résultat d'une fuite en avant inhérente à la logique réformiste. Les réformistes de gauche se prononcent toujours contre les traités capitalistes en préparation, mais une fois que ceux-ci sont entérinés, ils se transforment en éléments de « stabilité ». Ce qui, la veille, était combattu au nom de la lutte contre le « libéralisme », devient le lendemain une arme contre le chaos. Le ressort de cette politique, c'est l'illusion réformiste dans la possibilité d'améliorer durablement le sort des travailleurs dans le cadre du capitalisme.

De son côté, Gérard Filoche écrit : « Ne pas ratifier Bruxelles, serait-ce en rester au traité de Nice pour faire fonctionner l'Europe à 25 ? Non, car l'Europe à 25 ne pourrait fonctionner que très difficilement avec les règles de Nice. Il faudra donc bien chercher d'autres solutions. Ils discuteront. Et rediscuteront. » Autrement dit : le Parti Socialiste doit rejeter toutes le Constitutions Européennes jusqu'à ce que les capitalistes, à qui l'on concède ad vitam aeternam l'initiative de les rédiger, nous en fassent une conforme aux intérêts des travailleurs. Autant demander à un tigre de se convertir à la gastronomie végétarienne ! Les capitalistes ont mieux à faire, de leur point de vue, que de rédiger des Constitutions conformes aux intérêts des travailleurs.

Certes, Filoche ajoute un peu plus loin : « ils [les capitalistes] devront refaire le projet de constitution, mais cette fois sous NOTRE pression », autrement dit sous la pression du mouvement ouvrier. Mais cela ne nous mène pas plus loin. On se retrouve face à la perspective suivante : sous l'amicale « pression » du mouvement ouvrier, les capitalistes européens se résoudraient à rédiger une Constitution « sociale » qu'ils respecteraient scrupuleusement. Malheureusement, pour ceux qui ont retenu les principales leçons de l'histoire du capitalisme, et considèrent sérieusement ce qui se passe en Europe, les choses se présentent sous un jour moins féerique. Constitution ou pas, du fait de la crise de son système, le patronat européen poursuivra ses attaques contre les conditions de travail et le niveau de vie de la majorité de la population. Et il en sera ainsi tant qu'il aura le contrôle des principaux leviers de l'économie. Dès lors, dans le cadre du capitalisme, sous quelque Constitution Européenne que ce soit, le mouvement ouvrier restera confronté à la nécessité d'arracher à la classe dirigeante le contrôle de l'économie. Mais Filoche ne semble pas reconnaître cette nécessité. Il se contente d'en appeler à l'avènement d'une « économie sociale de marché » à l'échelle européenne. Et c'est précisément pour cela qu'il s'accroche à la branche vermoulue d'une Constitution progressiste dans le cadre du capitalisme.

La campagne pour le « non » au référendum doit être placée dans le cadre de la lutte contre le système capitaliste lui-même. Nous devons expliquer le caractère réactionnaire, non seulement de la Constitution, mais également du système dont elle n'est qu'un élément particulier. A cet égard, il est urgent d'imposer un changement, dans les orientations du PS et du PCF, pour qu'ils rejètent une fois pour toutes les illusions du réformisme et renouent avec le programme et les perspectives du socialisme.

La lutte pour des réformes est évidemment indispensable. Mais elle doit être liée à la nécessité de rompre avec le système capitaliste. En fin de compte, il n'y a pas d'autre alternative à la domination capitaliste de l'Europe que l'expropriation des banques, des compagnies d'assurances, des grandes entreprises, et l'établissement d'une planification de l'économie sous le contrôle démocratique des salariés. Sur la base des énormes ressources matérielles et humaines de l'Europe, il serait alors possible de réduire immédiatement la semaine de travail, et, ainsi, de donner un emploi aux millions de chômeurs que compte aujourd'hui l'UE. Libérée des contraintes artificielles que sont la production pour le profit et les frontières nationales, l'économie européenne se développerait à un rythme beaucoup plus rapide que les misérables 2 ou 3% auxquels aspirent aujourd'hui les défenseurs du capitalisme. On pourrait éliminer très rapidement la misère et son cortège de fléaux – y compris dans les régions les plus pauvres du continent. Dans ces conditions, le problème national se résoudrait dans le sens d'une coopération fraternelle entre les peuples, qui en même temps jouiraient tous et dans l'égalité du droit de parler leur langue et de développer leur culture. Telle est la perspective qui s'ouvrira aux travailleurs européens lorsqu'ils seront parvenus à briser la domination de l'économie européenne par une poignée de banques et de multinationales.

Jérôme Métellus,

Le 12 novembre 2004

Pour la transformation socialiste de la société. Analyses marxistes, perspectives économiques, sociales et politiques en France et dans le monde.
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