|
Lire HEGEL I - LE SYSTÈME SCIENTIFIQUE DU VRAIAnonyme, Lunes, Agosto 2, 2004 - 11:35
Christian Charrier
Essai de la Matérielle sur la pensée de Hegel et ses suites logiques intéressant pour la philosophie politique LA MATÉRIELLE mardi 11 décembre 2001 Cet article est paru initialement dans la Matérielle n°1 'A prigessione addo' jèsce, trase § 41 - La première chose à dire de la systématicité de la théorie post-prolétarienne est qu'elle est conservée de la systématicité marxienne telle qu'elle s'exprime au bout du compte dans le syllogisme de la constitution en classe du prolétariat (§ 4) - j'y reviendrai prochainement -, laquelle est la stricte continuation de la systématicité hégélienne dans le paradigme ouvrier de la révolution ; la « philosophie comme système de la science » se posant pour sa part comme achèvement et réalisation de toute la pensée occidentale dans son dualisme conscientiel (séparation du sujet et de l'objet réconciliés dans leur identité processuelle)… Tout ça vient donc de loin ! Enfin, la liaison entre la systématicité post-prolétarienne et le paradigme ouvrier tient à l'inachèvement de la critique de celui-ci par celle-là, en ce qu'elle laisse intouché son fond rationnel, c'est-à-dire, précisément, sa systématicité (§ 7). 1. « Les philosophes ont seulement interprété le monde, ce qui importe, c'est de la changer. » Depuis ce « coup de clairon » de Marx dans l'ultime thèse sur Feuerbach, la philosophie est disqualifiée dans le camps des théoriciens de la révolution communiste au nom de son irréductible « idéalisme »… « C'est beau, mais ça ne veut rien dire. » Tel est le commentaire lapidaire d'Althusser sur cette dernière thèse. « Les philosophes », en effet, « ont tous voulu agir sur le monde, pour le faire avancer comme pour le faire régresser ou le maintenir en son statu quo » [2] Mais « la philosophie » reste un sujet tabou… alors que tout le monde continu à « en faire », sans le vouloir, sans le savoir ou en se cachant les yeux et en se pinçant le nez… à commencer par les théoriciens post-prolétariens qui, au travers de la conservation de la systématicité spéculative, s'inscrivent de fait dans l'histoire de la philosophie occidentale. § 42 - Ce n'est là que la façon extérieure de prendre la chose, donc limitée ; mais on voit déjà par cette mise en perspective le poids de l'héritage (de l'hypothèque ?) que doit assumer la théorie post-prolétarienne de la révolution… et qui s'engage dans sa critique. C'est le paradigme ouvrier de la révolution qui appelle la systématicité comme schème logique de la théorie qui le sous-tend et non celle-ci qui constitue celui-là, lequel s'explique par le rapport de classe qui caractérise la subordination formelle de la classe prolétaire par la classe capitaliste ainsi que par des raisons de conjoncture politique et théorique (philosophiques)… J'y reviendrai. § 43 - Hegel n'est pas le premier à présenter sa philosophie comme systématique : Aristote, Leibnitz et Kant… l'ont fait avant lui, « mais cette présentation n'est qu'une prétention dans la mesure où la pensée de l'être qu'ils proposent, bien loin d'être cette unité avec soi-même constitutive de tout système, comporte en elle-même la différence non surmontée (sous la forme de juxtaposition, de mélange ou de domination unilatérale) du développement de l'être pensé et du mouvement de la pensée de cet être. Le système hégélien est, au contraire, véritablement un système et le système, parce que en lui l'ordre des raisons de connaître et l'ordre des raisons d'être, le processus logique et le processus ontologique sont identiques (…). » [3] § 44 - C'est en ce sens que Hegel peut énoncer dans la préface des Principes de la philosophie du doit son célèbre « Was vernünftig ist (ce qui est rationnel) das ist wirklich (est effectif) und was wirklich ist (et ce qui est effectif) das ist vernünftig (est rationnel.) » [4] 1. On verra une autre fois comment, en ce sens, le syllogisme marxien du Prolétariat est l'exposé d'un tel procès d'effectivité, moyennant le prolétariat comme sujet politique dans son parti. § 45 - Cette affirmation fondamentale de l'hégélianisme permet de comprendre qu'il n'est pas conforme à l'essence de la systématicité d'exposer ce qu'elle est de manière formelle, c'est-à-dire comme une méthode extérieure à l'objet sur lequel elle s'appliquerait : en tant que forme, elle suppose son contenu, lequel procède de sa mise en forme… La systématicité ne s'expose pas pour elle-même, elle s'effectue, elle est tout de suite dans son contenu : pas de « discours de la méthode » préalable. C'est ainsi que pas plus Hegel que Marx ne se livrent à une réflexion systématique pour elle-même sur la méthode (et que la théorie postprolétarienne ne s'occupe de la question que du bout des lèvres ou incidemment). Tout au plus peut-on dire que « le commencement et le terme du système exposé sont eux-mêmes systématiques : la première proposition est déjà en elle-même son auto-suppression en direction de la dernière, et la dernière la reconduction de la première (circularité absolue du système) » [6], ou bien, dit autrement : « le texte spéculatif [synonyme de systématique - je vais y revenir] identifie, en ses propositions, à chaque fois, son point de départ et son point d'arrivée, son commencement et sa fin, et par là s'organise, se configure en un tout » [7] ; bref, la systématicité c'est « la compréhension achevée de la fin en sa nécessité se présupposant dans son origine. » [8] § 46 - La systématicité ne saurait être un nouveau formalisme logique qui s'applique à n'importe quelle représentation ; au contraire elle est intelligence, au sens latin du terme (intuslegere), c'est-à-dire lecture de l'intérieur, du dedans, démarche qui nécessite « qu'on s'abandonne à la vie de l'objet, ou ce qui signifie la même chose qu'on ait présente et qu'on exprime la nécessité intérieure de cet objet. » [9] Cette attitude théorique est fondatrice de la systématicité lorsque Hegel reproche à Kant sa « manière de procéder (…) consistant, au lieu de dériver du concept les déterminations d'un ob-jet, à le placer simplement sous un schéma tout prêt par ailleurs » [10]… et ainsi de ne pas « saisir la logique qui est propre à l'objet en ce que l'objet est en propre » [11], - formule que Marx reprend à son compte pour l'opposer à Hegel lui-même en le taxant d'inconséquence dans la mesure ou, selon lui, a contrario du programme qu'il énonce il ne fait que « reconnaître partout les déterminations du concept logique » [12] et non la logique propre à ce qu'est l'objet… c'est-à-dire les déterminations du concept logique. C'est pour cette raison que la systématicité est nécessairement spéculative, c'est-à-dire « miroir (speculum) pensant du concept même immanent à l'être » [13] ou « identité concrète de cet être et d'une pensée qui n'a qu'à le refléter (speculum) en son dire. » [14] Pour cette raison la spéculation hégélienne, dans sa systématicité, avant d'être une théorie de la contradiction est une pensée de l'identité. Sur le fond, Hegel ne contrevient pas au principe de (non)contradiction (ou d'identité) qui caractérise l'entendement : il en fait au contraire un moment essentiel (mais qui doit être dépassé) de la Raison comme nécessité intérieure de l'objet (logique propre à l'objet en ce que l'objet est en propre), « rythme du tout organique ». § 47 - La nécessité de la philosophie hégélienne comme système scientifique du vrai est la nécessité d'une philosophie affirmant l'identité de l'identité à soi qu'est le sens éternel de l'être (l'être est toujours identique à lui-même dans sa permanence) et de la différence d'avec soi qu'est l'être temporel du sens (cette permanence n'existe que dans ses formes temporelles diverses) ; c'est ainsi que B. Bourgeois peut faire remarquer que dans le hégélianisme « l'identité empiète sur la différence (la raison est identité de l'identité et de la différence). » [15] Dit autrement, la scientificité hégélienne réside dans l'identité processuelle (au sens où elle n'est pas simultanée mais opère à travers des médiations) de l'essence (identité) et de la forme (différence) de l'être vrai. § 48 - Cette théorie de l'identité pose immédiatement - et c'est fondamental - une double nécessité : une nécessité d'existence, de fait, historique, chronologique - puisque la raison éternelle dont le système se veut la manifestation vraie est dans l'histoire - ; une nécessité d'essence, de sens, spéculative, logico-ontologique - puisque ce qui se réalise historiquement ne fait que déployer le contenu de l'un des moments de l'autodétermination éternelle qu'est le sens rationnel. Il existe donc une étroite intimité entre la nécessité historique et la nécessité logique qui fait la systématicité scientifique, intimité dû au fait que leurs expositions respectives se font écho comme expression d'une même nécessité totale de la Raison dans l'Esprit absolu : la nécessité historique n'existe que logiquement et la nécessité logique qu'historiquement… 1. « Philosophie comme système de la science » ou comme « système scientifique du vrai », « savoir vrai », « systématicité scientifique » ou « spéculative », « encyclopédie des sciences philosophiques »… Tout ces termes sont plus ou moins synonymes et s'imbriquent. Il est difficile de les isoler les uns des autres dans une définition unilatérale… par définition, dans la mesure où ils n'existent que dans le passage de l'un dans l'autre. § 49 - Cela pourrait rester toutefois encore trop formel si l'on ne dit pas que la nécessité totale dont il s'agit (nécessité historique et logique) implique l'existence d'un Sujet dans l'identité duquel tout se résout comme auto-différenciation de son identité absolue : « la science de l'Absolu est essentiellement un système, écrit Hegel, parce que le vrai concret existe seulement en se développant en lui-même, en se saisissant et se maintenant comme unité, c'est-à-dire comme totalité » [16]. Sans Sujet, il n'y a pas de systématicité qui tienne , et pour cette raison la forme et le contenu sont identiques (ce qui revient à définir la spéculation, comme on vient de le voir) ou, si l'on préfère, « la forme est un aspect du processus essentiel, non sa figuration abstraite et séparable » [17] : « c'est pourquoi il n'y a aucune nécessité d'appliquer de l'extérieur au contenu concret le formalisme ; celui-là est, en lui-même, le passage dans celui-ci, lequel cependant, cesse d'être un tel formalisme extérieur, parce que la forme est le devenir indigène du contenu concret lui-même » [18] qui est « quelque chose d'effectif, un sujet, ou un advenir à soi-même. » [19] (§ 44) § 50 - Deux conséquences essentielles découlent de ce qui précède. D'abord le fait qu'il n'est pas possible de distinguer, comme le fait Engels, la « méthode » qui serait le « côté révolutionnaire » de la spéculation hégélienne, du « système » qui serait son côté réactionnaire, mystifié ou, comme le dit Marx de « découvrir dans la gangue mystique le noyau rationnel ». Toute systématicité embarque nécessairement sa nature spéculative, c'est-à-dire son noyau rationnel qui n'est pas, comme Marx feint de le croire, raison ratiocinante ou entendement, mais pensée concevante de l'unité, c'est-à-dire du Sujet se pensant lui-même. § 51 - La seconde conséquence porte sur ce que cela induit du point de vue du théoricien spéculatif et de son activité théorique. 1. En ce sens Althusser a raison d'écrire à propos de la conception marxienne de la critique que « c'était le réel, la lutte de la classe ouvrière qui agissait comme véritable auteur (agent) de la critique du réel par lui-même » et que « l'individu nommé Marx "écrivait" pour cet "auteur", infiniment plus grand que lui, pour lui mais d'abord par lui, sous son insistance. » [20] § 52 - De cette « modestie » découle deux attitudes. J'ai déjà évoqué la première comme refus de tout discours méthodologique préalable, à laquelle il faut ajouter au niveau pratique le refus de toute utopie : pas plus que Hegel ne s'est laissé aller à définir un État idéal, Marx n'a définit ce que doit être le communisme. La seconde attitude de cette modestie est… l'immodestie phénoménale du théoricien spéculatif comme seconde nature : doublement légitimé par le fait qu'il ne parle pas de lui-même mais ne fait qu'exposer la vie propre de son objet et que de ce fait il ne peut qu'exprimer la totalité (l'objet dans son être-là, son advenir et son Autre), le système exposé est nécessairement unique, hégémonique et exclusif : il est forcément un système clos. Il en va ainsi du hégélianisme qui se pose lui-même comme résolution de toute la pensée occidentale depuis ses origines, contre toutes les philosophies qui l'ont précédé ; du « marxisme » comme alpha et oméga de la théorie de la révolution communiste, contre tout ses concurrents théoriques et politiques passés et présents ; des différents courants de la théorie postprolétarienne comme « moment groupusculaire » de celle-ci, les uns contre les autres - mais à des degrés d'agressivité différents selon le niveau de systématicité atteint. § 53 - Il faut insister sur une chose : il n'y a de nécessité que systématique ou rationnelle - ou spéculative, ce qui veut dire la même chose - c'est-à-dire que comme rythme intérieur du tout organique qu'est le Sujet en ses multiples déterminations. Dans cette nécessité qui est autodéploiement, automouvement vers soi, autodé-termination, identification à soi… le Sujet ne sort jamais essentiellement de lui-même (s'il s'aliène ce n'est que pour mieux se retrouver) dans la mesure où il s'agit d' « avoir la contradiction pour ne pas l'être » de « se contredire pour ne pas être contredit » [22] : le devenir rationnel dans sa nécessité est un advenir, une identité processuelle ou un processus identitaire dans lequel la chose trouve son sens, c'est-à-dire se (re)trouve dans son concept. Je l'ai déjà dit et je le répète : sans Sujet, il n'y a pas de systématicité qui tienne, il n'y a pas de pensée qui soit en mesure de tenir la totalité : il n'y a que le heurt de déterminations finies, donc PAS DE NECESSITE, seulement actions conséquentes ou inconséquentes, des circonstances, une conjoncture particulière… (§ 32) § 54 - Chez Hegel cette situation de disparition du Sujet peut exister historiquement : « Le besoin de la philosophie, écrit-il, [i.e. de la spéculation rationnelle] ne peut naître qu'à des époques de crise lorsque "la puissance de l'unification disparaît de la vie des hommes et les oppositions perdent leur rapport vivant et leur réaction réciproque et deviennent indépendantes ». La philosophie ne peut surgir que sur la base d'une certaine situation historique et celle-ci est la "scission". "La scission est à l'origine du besoin de la philosophie" » [23]. § 55 - « Un temps d'arrêt n'est pas l'arrêt du temps. Le creux de la vague n'est pas l'océan. Le "Tout" hégélien n'était pas le "Vrai" et sa vérité n'était pas le Tout. Le résultat n'était pas la fin. La taupe n'avait pas fini son travail. La négativité s'appellera désormais Révolution. Lorsque la Révolution aura accompli son travail souterrain, alors, dit Marx, "L'Europe sautera de sa place et jubilera : Bien creusé, vieille taupe ! "
Site de la Matérielle, une des revues très intéressantes du courant de la communisation
|
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ceci est un média alternatif de publication ouverte. Le collectif CMAQ, qui gère la validation des contributions sur le Indymedia-Québec, n'endosse aucunement les propos et ne juge pas de la véracité des informations. Ce sont les commentaires des Internautes, comme vous, qui servent à évaluer la qualité de l'information. Nous avons néanmoins une
Politique éditoriale
, qui essentiellement demande que les contributions portent sur une question d'émancipation et ne proviennent pas de médias commerciaux.
|