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Otto Rühle ,Fascisme Brun, Fascisme Rouge

blackcat, Lunes, Julio 26, 2004 - 15:48

Otto Rühle
Fascisme Brun, Fascisme Rouge
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Source : http://scalpamiens.ifrance.com/scalpamiens/telechargement/FASCISMEBRUN.z...
Publié dans les années 70 par les Éditions Spartacus
Traduction :J.M.Laurian and Arthur.
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SYNOPSIS
LE TOURNANT HISTORIQUE
LE FIASCO ALLEMAND
L'EXPERIENCE RUSSE
LA RUSSIE ABANDONNE LA REVOLUTION
RETOUR A L'AUTORITARISME
LE PARTI, C'EST LA BUREAUCRATIE
CONTROVERSES ENTRE THEORICIENS
LE BOLCHEVISME DEVIENT CONTRE-REVOLUTIONNAIRE
DICTATURE SUR LE PROLETARIAT
LENINE COMBAT LA GAUCHE ALLEMANDE
UN PARTI ? QUAND ET POURQUOI ?
REVOLUTIONNER LES SYNDICATS
PARLEMENTARISME
POLITIQUE DE COMPROMIS
LA POLITIQUE EXTERIEURE BOLCHEVIQUE
PERSPECTIVES

SYNOPSIS

Ce qui caractérise la situation mondiale actuelle, ce sont d'abord des facteurs européens, à la tête desquels se placent l'Allemagne et la Russie. Ces facteurs, incarnés par le nazisme en Allemagne et par le bolchévisme en Russie, sont le résultat d'une évolution qui est celle de l'après-guerre européenne, en économie et en politique. Cette après-guerre est économiquement enracinée dans le monopolisme ultra-impérialiste, qui tend au système du capitalisme d'Etat. Politiquement, elle ouvre la voie à une forme d'Etat totalitaire, qui culmine dans la dictature.
La compréhension profonde et réelle du bolchévisme aussi bien que du fascisme ne peut être obtenue que par l'examen critique et analytique de ces phénomènes et de leurs rapports. Tous les autres faits sont marginaux, secondaires ou découlent de ces causes premières; placés au centre de l'analyse scientifique, ils ne peuvent que dévier l'examen et donner une image fausse de la situation.

Ce livre a la prétention d'être le premier essai d'analyse scientifique, qui, partant de l'évolution économique et politique d'après-guerre en Allemagne et en Russie, donne la clé qui ouvre la compréhension de tous les problèmes de premier plan qui dominent aujourd'hui la scène politique mondiale.

Brièvement brossées et placées dans la clarté d'une argumentation historique et dialectique apparaissent, dans l'ordre, les preuves édifiantes :

1. de l'effondrement inévitable et nécessaire de l'ancien mouvement ouvrier, dont le représentant typique était la social-démocratie;
2. de la conception ahistorique et de l'échec des techniques d'organisation de l'expérience socialiste en Russie, dont le bolchévisme était l'agent;
3. de la logique interne de la nouvelle orientation de la Russie vers le capitalisme d'Etat et la dictature bureaucratique qui fut la tâche historique du stalinisme;
4. de l'existence d'une nouvelle révolution industrielle en Europe dont les conséquences politiques et sociales ne peuvent plus être maîtrisées au niveau traditionnel du libéralisme et de la démocratie;
5. du développement de l'impérialisme en un ultramonopolisme et du succès de ses prétentions au pouvoir totalitaire par la montée du fascisme, dont la fraction la plus active et la plus caractéristique est le nazisme;
6. de la concordance interne des tendances vers le capitalisme d'Etat en Allemagne et en Russie, de leur identité structurelle, organisationnelle, tactique et dynamique, dont le résultat fut le pacte politique et l'unité d'action militaire;
7. qu'une deuxième guerre mondiale est inévitable en tant que conflit entre les puissances ultramonopolistes du capitalisme d'Etat d'une part, et les puissances libérales-démocratiques de l'autre; l'Europe, dont la division nationale, les conditions du droit à la propriété individuelle et les rapports d'administration démocratique doivent se trouver sacrifiés à la primauté des exigences politiques du pouvoir totalitaire et omnipotent d'un monopolisme global en gestation, à défaut d'un nouveau système socialiste, se retrouve l'enjeu de ce conflit;
8. de l'impossibilité de résoudre vraiment et complètement ces problèmes dans un système capitaliste, même si celui-ci se change en capitalisme d'Etat, libéré des liens de la propriété privée, développé en économie planifiée et favorisé par les rapports internationaux d'une large fédération d'Etats.

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LE TOURNANT HISTORIQUE
La guerre mondiale avait été dure. La défaite générale qui l'avait suivie fut plus dure encore, mais le pire de tout fut l'aveuglement complet de ses participants, leur incapacité à reconnaître la défaite.
C'est pour cela que personne ne prit conscience du contenu historique de la situation ni du côté des vaincus, ni de celui des vainqueurs.

Quoi d'étonnant à ce que les gouvernements, chargés du destin de leurs peuples, aient fait des erreurs si graves et si fatales ? Les gouvernements des Etats victorieux se rengorgèrent, dans l'inanité de leur triomphe, d'un succès final chèrement payé. Ils se glorifièrent dans le monde, ruminèrent une vengeance à l'endroit de leurs ennemis abattus et leur dictèrent des traités de paix impitoyables, lourds de sacrifices ou ignominieux. L'individualisme, reconverti en chose nationale et dégénéré en chauvinisme, vécut là son heure la plus étourdissante.

Si les vainqueurs avaient compris que la guerre avait été pour eux aussi un changement de phase, un retournement radical de leurs conditions d'existence, ils auraient sans doute adopté une autre attitude. Il n'y aurait eu ni réparations, ni chantages matériels, pas un met de «crime et de châtiment»

Mais ils étaient ivres de l'arrogance des vainqueurs, la fureur les avait rendus aveugles et la haine sourds. Non seulement parce qu'eux-mêmes étaient aussi des capitalistes, dont les mauvais instincts se sont trouvés excités par la guerre, forme ultime et sauvage de la concurrence économique, mais surtout parce que les vaincus, maintenant livrés à leur vengeance, n'avaient pas cessé une minute d'être les vieux loups de l'égoïsme et des hyènes assoiffées de butins. Ils s'imaginaient trop bien, d'après leurs récentes et sanglantes expériences, que les vaincus auraient exercé à leur place des méthodes encore plus cruelles et plus rusées pour les soumettre et exiger des réparations.

Sans doute y eut-il des tentatives pour prôner l'humanité et présenter les traités de paix avec bon sens et intelligence. «Union avec les pays et les peuples vaincus pour édifier d'un libre accord une communauté plus grande et plus enrichissante ! Fraternisation sous l'égide de droits communs et égaux pour nos intérêts les plus hauts ! Dépassement des limites étroites de la petite bourgeoisie nationale et union dans un état fédéral continental ou dans une confédération internationale !» Tels étaient les thèses, les programmes, les manifestes et les objectifs conformes aux données et à la situation historiques. Mais l'égoïsme des pillards les a fait taire et la folie dominatrice des individus les a balayés des tables de conférence.

C'est ainsi que la vieille idéologie resta inentamée. Mieux, elle se donna des fêtes bruyantes en y mettant moins de frein que jamais. Dans l'ivresse de la victoire, le drapeau national fut hissé à tous les mâts et à tous les créneaux. L'inflation rhétorique fêta mille fois ses orgies sur les tribunes lors d'inaugurations de monuments aux morts. on traça de nouvelles frontières et l'on s'empressa de doubler les barbelés et les chevaux de frise derrière les frontières, de renforcer les troupes et de leur donner des ordres stricts. Les antagonismes nationaux furent exacerbés avec tous les artifices de la démagogie.

Derrière cette mascarade idéologique, le vieux capitalisme privé se dressait, menaçant, tel le phénix qui renaît de ses cendres. Qui prétendait qu'il eût abdiqué? Où en était la preuve ? Il fallait être fou ou visionnaire pour élever de telles prétentions. N'était-il pas clair que la guerre lui avait permis de renaître plus magnifique encore !

Et le capitalisme, dans son égoïsme borné, raflait de nouveau ses profits, comme si le système d'exploitation et d'enrichissement était sauvé à jamais de tous risques et périls.

Même tableau de l'absence la plus totale de compréhension et d'éducation politiques de l'autre côté, chez les Etats vaincus, au premier chef en Allemagne. Ici, ce n'étaient pas l'orgueil et le ressentiment qui empoisonnèrent la raison, mais la honte et l'opprobre.

Le vieux pouvoir avait été jeté à terre comme d'un coup de foudre. L'empereur était un déserteur. Ludendorff un mendiant d'armistice. L'armée un colosse vacillant.

C'est une émeute populaire spontanée, mais trouble et largement divisée dans ses objectifs, qui porta au pouvoir gouvernemental le parti socialiste.

Mais une tragique erreur voulut que les hommes choisis par les masses pour détenir et exercer le pouvoir révolutionnaire fussent ceux-là mêmes qui, tremblants de peur devant l'insurrection des masses et mûs par des sentiments hostiles de voir leur autorité battue en brèche, avaient déclaré «haïr la révolution comme le péché» [2]

La bourgeoisie démissionna, sa volonté de pouvoir étant brisée et sa espoirs déçus. Elle attendit un nouveau cours des choses pour reprendre l'initiative.

Mais l'occasion ne se présentait pas et les hommes nouveaux regardaient, désemparés, vers les anciens. Il s'avéra que la gauche n'était qu'un bien piètre et bien impuissant succédané de la droite.

Cette gauche était entrée dans la guerre aux côtés de la bourgeoisie «pour défendre la patrie». Elle avait planté là le socialisme et abandonné son rôle révolutionnaire. Pendant toute la durée de la guerre, elle était restée fidèle à son ennemi de classe pour le meilleur et pour le pire. Elle avait oublié tous les principes et tous les mots d'ordre de la lutte des classes.

Tout au long de la guerre, le soutien supposé provisoire au nom de la défense nationale s'était transformé en union permanente sous le signe de l'unité nationale. Cette unité, destinée à être celle de la victoire, fut finalement celle de la défaite.

Cependant cette défaite offrait la chance de se souvenir d'un passé meilleur et de revenir au lustre révolutionnaire de sa doctrine. Elle aurait pu renverser la vapeur de sa malheureuse politique de guerre et se laisser glisser de nouveau dans le sillage des luttes de classes. Décision qui n'aurait pas seulement soulevé l'enthousiasme de la classe ouvrière allemande, mais aurait également rencontré acclamations et échos de la part de la révolution russe.

Mais il est impossible de faire un lion d'un mulet. L'alliance de guerre avec la bourgeoisie a ramené la social-démocratie allemande à ses véritables raisons d'être. Elle n'a jamais été qu'un semblant de mouvement socialiste. Pendant des décennies, elle a réussi à faire illusion sur le principe, en fin de compte bourgeois, de sa nature. Jamais elle n'a réussi à le surmonter. Elle était et resta un parti réformiste petit-bourgeois, celui des déçus et des victimes du développement capitaliste. Ce n'était pas un mouvement révolutionnaire, mais l'expression de la révolte des laissés-pour-compte enragés du capitalisme. Ceci explique son empressement à s'allier à la bourgeoisie lorsque le principe bourgeois, qui était son propre principe, fut sérieusement menacé. De là provient l'abandon impudent de son étiquette socialiste et de son emballage estampillé lutte-des-classes. De là aussi sa répugnance intime et sa résistance extérieure à toute activité pouvant logiquement conduire à la révolution. Elle était partie en guerre avec l'enthousiasme des boutiquiers pour sauver les biens sacrés de la propriété privée, du profit, de la nation et de l'individualisme. C'était avec l'épouvante des boutiquiers et la mauvaise conscience des traîtres qu'elle battait maintenant en retraite devant toute révolution qui promettait ces biens sacrés à une ruine certaine.

Le mouvement ouvrier allemand Ñ comme, plus largement, celui des Tchèques, des Autrichiens et des Hongrois Ñ aurait pu asseoir les gouvernements de gauche d'Europe centrale et orientale et, avec la Russie, créer un pôle invincible d'orientation économique et politique face aux démocraties occidentales. C'eût été démasquer d'un seul coup la pseudo-victoire de ces Etats démocratiques et révéler leur défaite en tant que défaite effective et définitive du système capitaliste. ( . . . ) [3]

Ceci aurait pu être démontré pratiquement et positivement par les peuples libérés qui auraient préparé les fondations d'un système social vraiment socialiste en faisant valoir fructueusement leurs intérêts sociaux et économiques. Le fort développement industriel, notamment en Allemagne, aurait pu s'allier aux richesses de la Russie en produits agricoles et en matières premières. La civilisation occidentale se serait fondue avec l'orientale en un contenu culturel nouveau infiniment plus riche. L'homme capitaliste et l'homme féodal se seraient combinés pour donner un type d'homme supérieur qui aurait trouvé la voie menant au socialisme. A partir de là, il eût été possible d'enfoncer les portes d'un avenir meilleur pour toute l'humanité.

Malheureusement toute la constitution de la social-démocratie allait à l'encontre de cet objectif; c'était pour l'essentiel la constitution, tant interne qu'externe, du prolétariat allemand. Sans parler des résistances qu'elles a rencontrées du côté russe et qui ont empêché sa réalisation. Alors, qui dira que la social-démocratie eut absolument tort de fonder son attitude sur les questions qu'elle posa : «Qui a la preuve que la guerre a défait le capitalisme en tant que système ? Où sont les signes tangibles d'une telle affirmation ? Le prolétariat doit-il se laisser conduire par des fous et des visionnaires et tenter le saut dans le néant ?»

Les masses affaiblies, à peine revenues du saut meurtrier dans le néant de la guerre, n'avaient ni la force ni le courage d'une seconde tentative du même ordre. Elles n'avaient ni la certitude, ni la conviction qu'il n'y a pas de succès, ni de développement dans l'histoire sans ce saut dans le néant. Les boutiquiers eurent donc le dernier mot. L'opportunisme l'emporta. La défaite militaire entraîna celle de la révolution. Au tournant de l'histoire, aucune décision historique n'intervint.

LE FIASCO ALLEMAND
Il ne s'agit pas d'écrire un réquisitoire. La question peut donc rester en suspens de savoir lesquels des représentants de la révolution allemande ou de la révolution russe portent la plus grande responsabilité dans le manque de coordination entre l'Allemagne et la Russie soviétique pour édifier en commun un ordre socialiste. Les deux parties ont mal manoeuvré.
Même sans cette liaison directe avec la révolution russe, la social-démocratie aurait été en mesure d'établir le contact avec la nécessité historique si elle avait possédé l'organe révolutionnaire adéquat. Ce n'est pas par sa politique de guerre qu'elle a perdu cet organe, elle ne l'a jamais possédé. Simplement, c'est dans sa politique de guerre que cette absence devint alors évidente pour tous. Et se trouva de nouveau confirmée dans son manquement aux tâches révolutionnaires.

Il ne semble pas superflu de considérer aujourd'hui encore ces tâches, ne serait-ce que pour constater combien leur réalisation était proche et quels moyens relativement minces auraient suffi. Toutes les conditions objectives étaient réunies, il ne manquait qu'un petit rien avec lequel le marxisme vulgaire n'a naturellement jamais compté : la volonté subjective, la confiance en soi, le courage d'innover. Mais ce petit rien était tout.

Avec l'appel unanime à la socialisation, la révolution allemande a mis à l'ordre du jour la tâche essentielle. Cet appel, éveillé par la révolution russe, et martelé dans les cerveaux comme le signal de la rupture, est parti de la classe ouvrière, s'est répercuté dans la petite bourgeoisie, s'est propagé dans les cercles intellectuels et s'est même introduit dans les rangs de la bourgeoisie. Le sentiment que le capitalisme s'était complètement effondré et que sa domination était terminée était en effet général. Le sauvetage du chaos ne semblait possible que grâce au socialisme. La devise du jour était : Hic Rhodus, hic salta !

Les représentants officiels du parti du prolétariat ne surent que faire de ce mot d'ordre de socialisation. Ils récitaient bravement leur catéchisme de propagande traditionnelle et se débattaient dans le petit réduit d'une politique sociale réformiste. Il ne leur était jamais passé par l'esprit que la politique sociale n'est au fond que la renonciation à la révolution, que ses acomptes ne font que rendre le capitalisme un peu plus supportable aux masses, qu'elle endort et tue à petit feu l'intérêt et le goût pour l'étude des problèmes révolutionnaires.

Un marxisme plat et mécanique les a fortifiés dans cette démission. Le socialisme Ñ pensaient dans leur naïveté ces bons apôtres Ñ viendra tout seul dès que le prolétariat aura pris le pouvoir. Il ne devient réalité qu'au lendemain de cette fameuse révolution. Toute tentative visant à l'étudier comme un phénomène humain complexe et difficile passait pour une utopie déplacée dont on ne pouvait que rire et à laquelle il fallait s'opposer.

Or, dans le tourbillon de la révolution, la rue s'est insurgée contre ce refus commode de penser des dirigeants. Les masses souffraient des affres de la faim aussi bien que des séquelles de la guerre. Elles pensaient, avec raison, qu'elles ne pouvaient en être libérées que par le socialisme. Elles ne voulaient pas être trompées une seconde fois et exigèrent la socialisation.

Et elles réussirent à imposer la formation d'une Commission pour la socialisation qui fut chargée Ñ aux termes du décret gouvernemental Ñ de «déterminer quelles branches d'industries, d'après leur développement, étaient mûres pour être socialisées et dans quelles conditions ceci pourrait advenir».

Le style de ce décret était aussi mauvais que les idées qu'il contenait. On n'y faisait pas la moindre mention du programme alors répandu partout : «Abolition de la propriété privée des moyens de production !» Pas un mot au sujet des expropriations, confiscations, avec ou sans indemnités. Pas de suppression du monopole privé de l'armement, aucun contrôle d'Etat sur le capital bancaire et financier, aucune saisie des profits de guerre. Aucune intervention dans la puissance économique de la citadelle de toutes les réactions, les grands domaines agraires appartenant aux Junkers, à l'est et à l'ouest de l'Elbe. Rien de tout cela !

Ce ne fut que craintes et hésitations, manque total de décisions et d'activité résolue, ignorance et mollesse sur tous les points déterminants. On était au lendemain de larévolution mais le socialisme ne s'instaurait pas de lui-même.

Pour masquer ce fiasco total, les dirigeants ouvriers, devenus hommes d'Etat, mirent tout en oeuvre pour exhorter les masses à la patience ou pour dénaturer la situation qu'elles regardaient d'un oeil critique et défiant. Un démagogue endurci, le leader des mineurs Hué, le doigt vengeur levé, mit en garde son parti contre le rôle de syndic de faillite, l'avertissant que ce n'était pas le capitalisme qui serait socialisé, mais sa banqueroute. Otto Braun qui s'était hissé jusqu'au fauteuil de président du conseil de Prusse déclara, avec la mine d'un homme auquel Dieu a donné l'intelligence en même temps que la place, qu'il n'était pas de «pire moment pour la campagne de socialisation» que celui de l'effondrement général du capitalisme. Scheidemann, Ebert, Eisner, David et toute la clique des leaders de deuxième et de troisième catégorie entonnèrent le même air apaisant. Au Congrès des Conseils d'ouvriers et de soldats de Berlin, Hilferding, l'économiste distingué de la social-démocratie, produisit un petit chef-d'oeuvre de rapport qui visait à déprécier et saboter la tâche de la socialisation. Tout d'abord, il en exclut par principe la production paysanne et les industries d'exportation. Il refusa ensuite catégoriquement la formation d'associations de production contrôlées par les ouvriers. Là-dessus, il divisa les branches industrielles selon qu'elles étaient prêtes ou non à être socialisées. 11 inventa aussitôt tout un clavier de socialisation : intégrale, à moitié, au quart. Pour finir, quand il ne resta plus rien du problème qu'il avait si bien taillé, dépecé et vidé de sa substance, il exigea encore « un certain temps » avant d'entreprendre la tâche effective de socialisation. Le dernier mot de sa sagesse fut : «On ne socialise pas un capitalisme en faillite. Il nous faut attendre de lui avoir rendu ampleur et vigueur. Quand nous le verrons de nouveau sain et fort, alors nous entamerons notre oeuvre de socialisation !» Charlatanerie dont la bêtise n'eut d'égale que l'impudence mais qui remporta le succès escompté.

Après d'infinis atermoiements, discussions, manoeuvres et détours, la Commission pour la socialisation finit par admettre le principe, tout platonique, de la nationalisation des mines de charbon. Le résultat pratique fut une résolution votée à la majorité, sans queue ni tête, consistant en une proposition qui recommandait de «créer une organisation des charbonnages qui devrait être gérée par les ouvriers, la direction des exploitations et des représentants de l'intérêt général». Une confusion et un galimatias difficiles à surpasser !

Mais déjà, s'étalait sur les colonnes d'affichage et sur les murs le tract prétentieux et mensonger signé Scheidemann : «Le socialisme est arrivé ! La socialisation est en marche !»

Au même moment, les troupes de Noske investissaient le bassin de la Ruhr : il s'agissait en effet de protéger le capital des charbonnages contre la révolte des esclaves des mines, qui, plus énergiques et mieux avisés, avaient commencé à s'en emparer, de liquider les conseils que les ouvriers des houillères avaient mis en place de leur propre autorité révolutionnaire, et de mettre un terme à l'activité de la Commission des Neuf, qui poussait à une véritable socialisation révolutionnaire.

Tout ce qui est arrivé en délibération au Parlement en fait de lois sur la socialisation, sur l'organisation des mines de potasse, en fait de décret réglant les attributions de la Commission pour la socialisation, ainsi que de loi sur la socialisation de l'industrie du charbon, s'est heurté à la résistance acharnée et passionnée du capital des charbonnages et de la finance. Les premiers signes de l'incapacité et de la faiblesse du gouvernement social-démocrate étaient suffisants pour rendre au capitalisme le sentiment du retour proche de sa puissance. Il a donc pu jeter à la corbeille le programme de socialisation qui était d'un dilettantisme ridicule et le remplacer par un programme de super-trusts capitalistes. Stinnes, qui a tiré parti de la guerre et de la révolution, sut en faire, devant le Conseil économique du Reich, l'objectif de ses plans audacieux pour rétablir les profits.

Loin d'être délivrées du capitalisme, les masses avaient été précipitées dans un esclavage encore pire. Malgré tout, elles n'envoyèrent pas leurs dirigeants à tous les diables. Les traîtres et les trahis se tenaient en grande estime.

L'EXPERIENCE RUSSE

Les hommes n'apprennent rien de l'histoire. Les ouvriers non plus. Ils auraient pu apprendre de la Russie comment on fait une révolution. Les enseignements du modèle soviétique avaient été impressionnants et ils les ont suivis avec enthousiasme.
Mais, lorsqu'ils furent eux-mêmes surpris par les événements révolutionnaires, ils ne surent que faire.

Cela ne dépendait pas d'eux, pas uniquement d'eux du moins, mais d'abord du fait que la Russie n'était pas l'Allemagne et qu'une situation historique ne se répète jamais de façon identique.

C'est pour cela qu'il y a une différence frappante dans la dynamique des deux mouvements.

Le mouvement ouvrier d'Europe centrale, notamment l'allemand, est resté en-deçà des tâches que lui fixait l'histoire, alors que la classe ouvrière et paysanne russe y ont satisfait et au-delà. Cela avait des raisons profondes.

Tandis que l'Allemagne possédait un vieux mouvement ouvrier, une organisation bien implantée faisait totalement défaut en Russie. Ne fût-ce qu'à cause de cette carence, il n'était pas possible d'y préparer méthodiquement une révolution de grande envergure. Le système barbare de réaction féodale que représentait le tsarisme s'était puissamment renforcé après sa victoire sur la révolution de 1905 pour être en mesure de réprimer avec succès dans le sang toute tentative de nouveau soulèvement des masses. Mais, le tsarisme s'étant brusquement effondré pendant la guerre mondiale, la tournure imprévue prise par les événements menait au bord de l'abîme, abîme qu'il fallait absolument franchir. Les masses ne savaient que faire. C'est alors qu'intervint une couche d'intellectuels, qui étaient avant tout des émigrants et qui avaient reçu à l'étranger une formation marxiste. Elle s'empara de la direction de la révolution et força le cours des événements dans une vie déterminée, conformément aux données de sa doctrine. C'était d'une audace, d'une témérité sans pareilles.

Il s'avéra bien vite que cette témérité avait été folle. De plus en plus rapidement, cette voie s'est éloignée de la réalité. Dans l'abstraction de la théorie, tout était juste, chaque pas pouvait se justifier en s'appuyant sur Marx. Seulement Marx n'avait pas écrit pour la Russie, mais pour l'Europe occidentale hautement industrialisée. Le gouffre se creusait entre l'idée et la réalité sans le vouloir et sans pouvoir l'éviter, la pratique s'enfonçait à chaque pas plus profondément dans un monde imaginaire. Le courage de l'utopie finit en utopie.

Le conflit avec le tsarisme, la propriété terrienne et la paysannerie, dans un pays où les 4/5 de la population étaient encore occupés dans l'agriculture à la veille de la révolution, aurait dû provoquer une révolution comme celle qu'il y avait eu en Angleterre au milieu du 17e, en France à la fin du 18e et en Allemagne au milieu du 19e siècle : une révolution de caractère bourgeois.

De fait, la révolution de février 1917 fut d'abord un soulèvement des masses paysannes et du prolétariat, encore sans conscience de classe. Elle se dressa contre le tsarisme qui, malgré son renforcement apparent depuis la révolution de 1905, était blessé à mort dans ses bases mêmes. Elle agit sans programme révolutionnaire particulier, comme dans un acte de défense instinctif, comme on abat un animal enragé ou comme on écrase du pied un champignon mortel...

Si, après cette rupture radicale, les représentants de la bourgeoisie prirent possession des organes gouvernementaux, à leur tête Milioukov, Goutchkov, Rodzjanko, Kerenski, entre autres, cela correspondait parfaitement à la loi de la succession historique. C'était le tour de la bourgeoisie. C'était à elle de prendre l'initiative et de représenter l'ordre nouveau selon le schéma traditionnel.

Il dépendait de la bourgeoisie russe d'être à la hauteur de sa tâche historique. Réclamer la succession au pouvoir ne pouvait suffire pour l'exercer. Il y fallait aussi les aptitudes, la force et l'efficacité. Et là, il s'avéra rapidement que la politique bourgeoise confuse, impuissante et sans imagination allait au fiasco. La révolution perdit ainsi très vite son caractère bourgeois. A sa place, le facteur prolétarien prit une influence qui finit par devenir décisive. Non seulement la bourgeoisie n'était pas à la hauteur, mais les leaders prolétariens étaient plus conscients de leurs buts et plus instruits politiquement, mieux préparés à leur rôle révolutionnaire. La révolution gagna ainsi un nouveau visage, elle se mua en révolution prolétarienne.

Il serait pourtant faux d'en conclure que la révolution russe a aboli pour toujours les lois qui régissent la succession des phases révolutionnaires.

Le mécanisme de cette loi de l'histoire de tous les peuples a démontré depuis des décennies que le capitalisme fait invariablement et nécessairement suite au féodalisme. Quelles seraient les raisons qui permettraient de faire une exception pour la Russie ? Et quelles raisons y aurait-il pour que cette exception remette en cause la validité de cette loi pour l'avenir ?

Selon la logique historique, la bourgeoisie capitaliste devait donc suivre l'aristocratie féodale dans la domination de la Russie. Non pas le prolétariat ou le socialisme. Même pas si quelques fractions minimes des masses révolutionnaires, voire du prolétariat industriel, en faisaient profession.

La Pravdase fit pourtant l'interprète de cette idée dans son premier numéro de 1917 en reconnaissant comme «devoir fondamental» de la révolution «l'institution d'un système démocratique et républicain».

Mais la couche intellectuelle dirigeante poursuivait d'autres buts politiques. Elle ne s'occupait pas des lois de l'histoire. Elle préférait s'en remettre à la situation au jour le jour.

Les actions de masse s'accumulaient aussi bien en quantité qu'en qualité. La possibilité de gagner le pouvoir en une nuit a toujours exercé un charme irrésistible. Ce fut un raz de marée, qui voulait engloutir non seulement ses victimes mi également es maîtres. C'est ainsi que tout le pouvoir politique tomba entre les mains des bolchéviks.

Pendant l'été 1917, Lénine soutenait encore l'idée qu'il s'agissait, après les combats révolutionnaires, d'ériger un régime bourgeois de gauche avec une large influence socialiste-prolétarienne. Et dès octobre, les extrémistes bolcheviks obtenaient la victoire pour eux seuls.

Pour eux, il était évident que le pouvoir ainsi gagné irait dans le sens de leurs théories politiques et de leurs objectifs socialistes. Ce qui semblait hier encore utopie allait donc pouvoir se réaliser.

La contre-révolution féodale n'avait pas résisté à l'assaut de la révolution. Elle ne présentait plus la moindre résistance à la prise du pouvoir par les bolchéviks. La contre-révolution bourgeoise inclinait d'autant moins à se soumettre.

Pas tant la contre-révolution bourgeoise russe que celle du monde entier. Consciente de la solidarité de tous les intérêts capitalistes face à l'ennemi de classe, elle se sentait frustrée de la succession historique de la terre russe, dans le cadre de l'histoire russe. C'est pourquoi elle a tenté d'arracher au bolchévisme ce qui, d'après elle, lui appartenait. Tant que ces tentatives venaient de l'extérieur et tant qu'elle a tenté de réclamer son droit historique à l'aide d'armées d'invasion blanches, elle a échoué. Ce fut l'exploit le plus sensationnel et l'époque la plus glorieuse du jeune gouvernement révolutionnaire.

LA RUSSIE ABANDONNE LA REVOLUTION

La contre-révolution ne vient pas obligatoirement de l'extérieur, elle peut aussi se développer à l'intérieur. Elle peut prendre sa source dans le contrecoup dialectique qui suit d'habitude chaque poussée révolutionnaire.
C'est l'arc trop tendu des revendications et des objectifs révolutionnaires qui revient, comme sous l'effet d'une loi physique, en deçà du niveau précédemment atteint pour parvenir à équilibrer les tensions. Si le contrecoup n'est pas freiné ou contrôlé, il y a contre-révolution.

La révolution russe avait vaincu sous le signe des soviets, avec le mot d'ordre : Tout le pouvoir aux conseils ! Ce cri de ralliement fascinant avait libéré des forces insoupçonnées et conduit à de très importants résultats tactiques. La société socialiste devait maintenant, dans l'imagination des nouveaux potentats soviétiques, être construite sur la base de l'idée des soviets.

Mais le système des soviets avait besoin d'hommes qui ne se contentent pas de s'exalter à cette idée, mais qui soient également assez mûrs et assez conscients pour en entreprendre la réalisation pratique. L'expérience de l'esprit communautaire du communisme primitif, encore très vivace en Russie, n'y convenait pas mieux que l'école du patriarcat féodal, qui fournissait au tsarisme son matériel humain. Et le peuple russe arriéré n'avait rien de plus à offrir. Il lui manquait avant tout cette éducation des qualités spécifiquement personnelles que permet l'ère bourgeoise capitaliste. Il lui manquait aussi, et ce n'est pas là le moins important, la formation psychologique et intellectuelle que donnent les méthodes de travail et les techniques de production de l'industrie moderne. Car le capitalisme ne crée pas seulement des usines et des machines, d'autres modes de travail et une plus grande rentabilité, il crée aussi des hommes nouveaux, des hommes pourvus de nouvelles qualités d'esprit, de caractère et de rendement.

Ce n'est pas sans raison que Marx a lié la victoire de la révolution prolétarienne à l'apparition préalable, dans le monde capitaliste, du plus haut degré de développement économique, social et culturel, et qu'il en a fait une condition décisive. Car ce n'est qu'alors que la révolution prolétarienne et le commencement de construction du socialisme disposent d'une matière première appropriée. Matière humaine sans laquelle une société socialiste n'est pas pensable.

Cette condition élémentaire n'était pas remplie en Russie et il lui manquait donc le facteur décisif qui eût garanti une réelle victoire.

Les dirigeants bolchéviks s'étaient illusionnés en utilisant trop adroitement et sans hésitation le mot d'ordre des soviets et en s'emparant du pouvoir qui gisait dans la rue.

Le mot d'ordre des soviets n'était pas le produit de leur propre orientation révolutionnaire, c'était un bien étranger dont ils ont profité. Ce fut un grand avantage pour eux, mais qui leur est bientôt devenu fatal. Car les hommes soviétiques ne répondirent pas au mot d'ordre des soviets et firent défaut à l'Etat soviétique. Rien ne put combler ce vide. On avait pu se tromper soi-même, tromper un peuple entier, mais on ne trompe pas l'histoire. Elle a inexorablement remis en question la victoire de la révolution russe dans son caractère socialiste-prolétarien.

C'est sur ce point, au maillon le plus faible de la chaîne, que la stratégie interne de la contre-révolution a repris, s'appuyant sur l'antagonisme constitutif inhérent au pouvoir soviétique.

Pour repousser les tentatives d'invasion des armées blanches du capital d'Europe occidental, la Russie avait besoin d'une armée rouge qui défendrait les frontières du nouvel empire, étoufferait la guerre civile et écraserait les forces de la contre-révolution armée.

Elle réussit à constituer cette armée en un temps très bref, à lui insuffler une énergie et un mordant extraordinaires et à en faire l'outil sûr de la défense et la garantie du succès de la révolution. Mais cette performance a été obtenue au prix du sacrifice du principe des soviets, tant théoriquement que pratiquement, dans la structure de l'organisation militaire, la dynamique de l'action et notamment la direction des opérations de guerre.

C'est contre ce fait que s'est créée au sein de l'armée une opposition menée par Frounzé, Goussev, Vorochilov, etc. Elle pensait que l'Armée Rouge devait se différencier de celle des Etats capitalistes, non seulement dans ses buts politiques, mais aussi dans sa structure, sa tactique et sa stratégie. Elle exigea une doctrine militaire prolétarienne et une organisation réellement soviétique. Ce n'était pas, comme Trotski, adversaire acharné de ce mouvement, le présente, «une tentative d'élever les méthodes de francs-tireurs de la première période de la guerre civile en un système durable et universel», c'était plutôt la tentative de faire valoir le principe des soviets dans la construction de l'Armée Rouge.

Cette tentative échoua. Ce n'est pas parce que Trotski, comme chef militaire suprême, avait le pouvoir de la réprimer avec violence, ce n'est pas non plus parce que ses arguments auraient été plus justes ou plus percutants, mais parce que cette tentative ne s'appliquait pas à son objet. Le principe des soviets avait toujours été pour le bolchévisme un corps étranger. Il n'y trouvait ni base, ni milieu favorable, ni aliment, ni possibilité de se développer. Il ne pouvait donc pas s'affirmer ni devenir réalité.

Le Parti Communiste refusait, et de son point de vue il avait pleinement raison, de donner satisfaction aux revendications de l'opposition. La bureaucratie, qui avait déjà gravi les premières marches de l'escalier qui la conduirait à la domination, s'est avidement emparée des hautes positions dans le commandement militaire. Elle y voyait une nouvelle occasion de satisfaire son besoin de puissance et les considérait comme d'importants points d'appui pour raffermir sa position sociale et politique particulière.

L'armée des soviets pour une défense socialiste a été détournée de son but et ramenée aux clichés habituels de l'armée autoritaire impérialiste et bourgeoise. Et l'autorité de commandement, la discipline, l'obéissance et la subordination aveugle y ont de nouveau fait leur entrée.

Trotski, qui ne veut pas avouer qu'il est lui-même l'un des fondateurs de la bureaucratie russe, justifie cette transformation (il a été amené à l'antidater pour sa polémique avec Staline) comme suit : «Pour gagner la confiance des alliés bourgeois et ne pas trop exciterl'adversaire il fallait, non plus différer à tout prix des armées capitalistes, mais au contraire leur ressembler le plus possible. Derrière les changements de doctrine et le ravalement de la façade s'accomplissent des évolutions sociales d'importance historique». En réalité, il s'agit avant tout du procès de développement qui va des barricades à Thermidor. Evolution qui n'a pas commencé avec Staline mais sous Trotski.

En une autre occasion, Trotski expliqua encore autrement pourquoi l'Armée Rouge avait été la première institution du pouvoir soviétique à abandonner le principe des soviets. Dans la défense de la révolution contre les armées contre-révolutionnaires, il n'était pas possible d'attendre qu'un nombre suffisant d'hommes soviétiques aguerris aient été formés pour leur confier des tâches et des responsabilités militaires. Il fallait agir vite avec les moyens disponibles pour assurer la défense.

Ceci est juste, mais pas tout à fait conforme cependant à la réalité historique. A Paris, la contre-révolution a jadis déchaîné toutes les puissances de la guerre pour détruire les acquis de la Grande Révolution. Le danger dans lequel se trouvait la capitale de la France, pays relativement petit, était certainement plus grand que celui qui menaçait la grande Russie avec ses lointaines frontières et son large espace de manoeuvre et d'approvisionnement. La Convention trouva alors en Carnot un homme qui sut réorganiser, dans les conditions les plus difficiles qui soient, l'armée française et les techniques militaires de fond en comble. Son remarquable succès fut de reconnaître et d'appliquer les nouveaux principes de la doctrine bourgeoise, de démocratiser les bases de l'armée et de la rendre ainsi bien supérieure aux armées réactionnaires. Carnot agissait là en révolutionnaire et non en épigone d'une tradition morte. Et c'était ce qui importait s'il fallait sauver la révolution. Cette nouvelle réforme de l'armée était elle-même un acte révolutionnaire.

Il manqua un Carnot à la Russie. Il lui manqua une transformation révolutionnaire de l'armée et la révolution prolétarienne ne put pas saisir le moment décisif pour constituer sa puissance militaire.

Le principe bourgeois a repris en Russie une position centrale dominante. La forteresse de la révolution a été délibérément livrée à l'ennemi. C'est ce qui a permis à la contre-révolution de reprendre pied au coeur même du nouveau régime. Elle n'avait plus besoin de venir de l'extérieur; les Kornilov, Youdenitch, Dénékine et Wrangel, elle pouvait s'en passer.

Alors que Carnot, en tant que dirigeant, activait les masses, les dirigeants russes s'activaient sur les masses. Pour ne pas être expulsés du pouvoir, ils expulsèrent du pouvoir son principe de base. Ils semblaient sauver la révolution, alors qu'ils la dotaient d'une âme contre-révolutionnaire.

RETOUR A L'AUTORITARISME

Lénine dans son livre l'Etat et la Révolutiona défendu, en s'appuyant sur Marx, l'idée que l'Etat, forme caractéristique de la domination bourgeoise, doit disparaître après la révolution prolétarienne.
Mais non pas en l'écartant d'un coup. Plutôt, en l'amenant à s'éteindre lentement mais sûrement. C'était la tâche du bolchévisme en Russie d'entamer et de conduire cette extinction. Il faut admettre que cette entreprise s'effectuait dans des conditions très défavorables et extrêmement difficiles.

Le seul atout que Lénine avait pour mener à terme ce projet était les soviets. Mais les soviets n'avaient aucune place dans le système bolchévik qu'il avait créé.

La question n'était pas simplement : avec les soviets ou sans les soviets ? Avec les soviets ou sans eux, cela signifie qu'il subsiste de profondes différences dans la structure organique, la stratégie révolutionnaire, les moyens de lutte, les méthodes tactiques, les objectifs sociaux, la réorganisation pratique et les principes de la société nouvelle.

De ces constatations, il résulte qu'un Lénine, avec pour mot d'ordre les soviets, aurait pu être un tout autre homme qu'un Lénine sans ce mot d'ordre.

Il en résulte également que ces difficultés et ces obstacles peu communs étaient d'une importance vraiment secondaire dans sa tentative d'ériger le communisme en Russie et dans son éventuelle réussite.

Si Lénine avait créé son système bolchévik pour un mouvement internationaliste des travailleurs et s'il avait eu la chance de pouvoir le mettre à l'épreuve dans le pays le plus développé du monde, dans le combat révolutionnaire d'un prolétariat industriel, il est à parier à cent contre un qu'il aurait essuyé le même échec qu'en Russie.

Car l'échec de la révolution russe, d'une révolution qui devait mettre un terme à l'exploitation, supprimer l'Etat, libérer les hommes de leur destin de prolétaires et réaliser le socialisme, n'était pas conditionné par l'absence de révolution mondiale, les pêchés de la bureaucratie, ni par Staline. Il était uniquement conditionné par le système bolchévik.

Pendant les années qu'il consacra aux études et à la chute du régime tsariste, Lénine ne pensait qu'à l'avènement d'un gouvernement bourgeois de gauche contre lequel un prolétariat, instruit et dirigé par les bolchéviks, pourrait lutter.

Il n'était préparé en aucune façon, ni pratiquement, ni théoriquement, à un gouvernement prolétarien.. Rien n'est plus significatif dans ce sens que le fait qu'il ait écrit son livre l'Etat et la Révolution juste avant la lutte décisive, au moment même où se posait le problème de la révolution prolétarienne, au moment où pour ainsi dire il lui brûlait les doigts.

Puis, quand la révolution russe devint prolétarienne, les événements le dépassèrent. Ils le placèrent subitement et de façon inattendue devant le problème d'une nouvelle société socialiste que le système bolchévik devait créer de toutes pièces. Toutes les exigences sur lesquelles butèrent le tsarisme puis la bourgeoisie devaient maintenant être satisfaites par une économie socialiste. Devant l'ampleur de la tâche, l'insuffisance du système bolchévik éclata. Ce qu'il entreprit dégénéra en soi-disant communisme de guerre qui n'avait de communisme que le nom. La réalisation de l'idée des soviets ayant échoué dans l'armée, leur suppression suivit progressivement dans l'administration, l'appareil d'Etat et dans tout l'édifice social et culturel.

On procéda avec précaution, lenteur et ruse en voilant au mieux l'abandon, en masquant la déviation, d'abord pour tranquilliser sa propre mauvaise conscience et aussi pour ne pas réveiller et exciter la méfiance et la résistance des masses. La reconnaissance du système des soviets fut réaffirmée avec ostentation dans toutes les déclarations officielles. Et le pouvoir d'Etat ne se lassait pas de se déclarer pouvoir des soviets, alors même que celui-ci avait été réduit depuis longtemps au rang des accessoires. Il n'en a jamais eu honte, même lorsque la trahison est devenue évidente devant le monde entier et l'étoile rouge n'a jamais couronné que la dérision de l'idée des soviets, depuis longtemps mise au rancart.

Le Parti avait été, non exclusivement mais tout de même en premier lieu, l'aile marchante de la propagande et de l'expérience des soviets. C'est lui qui les a minés de l'intérieur et finalement supprimés. C'est lui qui a repris à son compte les tâches qu'ils s'étaient fixées.

Au fond, le parti n'est pas une forme d'organisation du prolétariat mais de la bourgeoisie. C'est sous la pression des événements que le prolétariat a dû depuis quelques décennies l'adopter. Car lorsque le prolétariat commença à participer au système électoral de la bourgeoisie et finit même par se tourner vers le parlementarisme, il n'avait pour ce faire aucun appareil propre. Ainsi furent créées des unions électorales qui avec le temps prirent de plus en plus nettement le caractère de partis. Par la suite, le parti s'est avéré être une structure d'action et de lutte à l'intérieur du milieu politique bourgeois si conforme aux intérêts de l'opposition prolétarienne qu'il fut conservé, élargi et doté d'une plus grande efficacité. Par conséquent, le mouvement socialiste de cette époque ne voyait aucunement l'intérêt de remplacer le parti par une autre forme d'organisation. D'ailleurs, plus le prolétariat déplaçait ses luttes vers les parlements et considérait la politique sociale comme le véritable but de son action parlementaire, plus le parti lui semblait être l'instrument adapté de la représentation des masses.

Le parti ne fonctionnait qu'avec l'aide d'une bureaucratie. Tout son appareil est construit sur le modèle de l'Etat bourgeois, autoritaire, centralisé, opérant de haut en bas avec la séparation typique de ses membres en deux classes. L'initiative, l'autorité se rencontrent exclusivement chez les dirigeants imbus de leur supériorité. Les masses n'ont qu'à attendre et exécuter les ordres, tourner et manoeuvrer au commandement et former une matière malléable entre les mains de leurs chefs. Elles reçoivent des mots d'ordre préparés, lisent les journaux écrits par la direction, elles obéissent aux décisions prises en haut et croient à la vérité de l'écriture sainte telle que les prêtres du parti la leur exposent. Le parti est en même temps église philosophique et militarisme politique, il est l'image de l'appareil d'Etat bourgeois dans laquelle se manifeste la perfection technique de l'organisation bureaucratique. En S'organisant autour d'un parti, les bolchéviks ont prouvé qu'ils n'étaient pas conscients du caractère réactionnaire et bourgeois de cette forme d'organisation. En faisant du parti l'organe de l'appareil d'Etat ils réintroduisent dans l'exercice et la représentation du pouvoir le principe autoritaire de classe. Le parti devint l'écueil sur lequel buta leur projet socialiste.

Certes, le parti avait tout d'abord été conçu comme un organe d'élimination de l'Etat. Lénine exigeait que la bureaucratie soit dépouillée de son caractère de « pouvoir privilégié, étranger aux hommes, placé au-dessus des masses ». Elle devait perdre son nimbe de «privilège supérieur» et faire des «fonctionnaires de simples exécutants des tâches qui leur étaient confiées». Lénine était la victime de la croyance naïve qui distingue une bonne bureaucratie d'une mauvaise. La mauvaise, il la voyait partout dans l'univers bourgeois; et la bonne, il l'attendait en premier lieu du Parti Communiste. Partant de ce principe, elle devait donc se développer dans la société soviétique. Et en bon bolchévik qu'il était, il pensait que la violence pouvait changer l'essence de la bureaucratie à sa volonté.

C'était une énorme erreur. Ce qui était prévisible ne tarda pas à se produire : la bonne bureaucratie qu'il avait appelée de ses voeux se révéla rapidement n'être que la mauvaise bureaucratie habituelle et bien connue.

On est étonné de voir comment Lénine, qui comme personne d'autre pensait avoir compris l'essence de la dialectique, en fit un usage si erroné. Sa prétention à vouloir être le meilleur dialecticien voulait justement cacher qu'il était l'un des pires. Il n'avait aucun sens de la dialectique, c'était un opportuniste. Cette confusion est caractéristique de tout son système et de toute sa politique. Elle est d'ailleurs devenue l'héritage de ses successeurs.. Aujourd'hui encore leur comportement a ceci de typique qu'ils essayent de justifier comme génial retournement dialectique le pire retournement opportuniste [4]. Une fois entré dans le cercle diabolique de ses erreurs, le bolchévisme ne pouvait plus en sortir. A force de se duper et se tromper soi-même, on fut amené en toute logique à tromper et à duper les masses déroutées.

Les soviets, qui ne surent pas détruire l'Etat, furent donc détruits par lui. Au lieu de mettre la bureaucratie au service du peuple, c'est le peuple qui est devenu l'esclave de la bureaucratie. Un autre roi Midas changea tout l'or en poussière.

Les fonctions des soviets et par là-même leur importance politique, ne cessèrent d'être rognées, tronquées et attribuées à d'autres organismes. Ils finirent par se voir cantonnés au rôle des comités d'usine allemands à l'époque de Guillaume II. Seules les questions et les affaires d'importance secondaire restaient de leur compétence et sous leur influence. En 1920 ils n'étaient plus que l'ombre de ce qu'ils avaient été. Ils faisaient bien dans les discours de propagande et ne constituaient plus guère qu'un élément décoratif sans contenu réel ni efficacité pratique.

Mais, au lieu d'avouer ouvertement et sans ambages l'abandon des soviets, on a prétendu devant les masses russes et l'opinion mondiale que le «pouvoir des soviets» régnait en Russie, comme forme d'organisation censée correspondre au socialisme et en assurer le développement. Aujourd'hui encore le stalinisme continue à parier de «Russie soviétique», de «régime soviétique» et de «politique soviétique», alors que ces impudentes contre-vérités sont depuis longtemps un secret de polichinelle.

C'est la bureaucratie elle-même qui s'accroche farouchement à cette mystification, et elle a de bonnes raisons de le faire. La tromperie consciente et organisée lui permit au début de se développer sans restriction et sans être dérangée, derrière la façade des soviets. Elle lui permet aujourd'hui de mener sa politique de façon totalement irresponsable, au détriment du système soviétique en quelque sorte, qui a lui-même réellement disparu. Elle y trouve aussi la couverture qui lui manque lorsqu'apparaissent les fatales conséquences de ses erreurs. En même temps, devant l'opinion mondiale, le système des soviets qu'elle hait, elle le présente comme une forme inefficace et dangereuse de diriger l'Etat.

Car si la bureaucratie ne veut pas des soviets, elle ne veut pas non plus de révolution prolétarienne. C'est pourquoi elle est dans l'obligation de la châtrer en discréditant sans appel le système des soviets, tant théoriquement que pratiquement.

LE PARTI, C'EST LA BUREAUCRATIE

Lénine avait doté la bureaucratie d'un contrôle ouvrier pour l'empêcher d'évoluer du «mauvais côté». Mais celui-ci ne pouvait éviter que la bureaucratie devienne ce qu'elle doit devenir, de par sa nature.
Comme les sous-officiers dans l'armée, les petits cadres du parti se recrutent généralement parmi les éléments les plus habiles, les plus intelligents, mais aussi les plus complaisants, les plus souples, les plus combinards et souvent même les plus corrompus de la troupe ou de la base. Il ne s'agit pas pour eux d'avantages matériels directs, comme une rémunération supérieure, de meilleures retraites ou de meilleurs logements, des vacances plus longues ou un travail plus agréable etc. Lénine a tenu à ce que, dès le début, en Russie, le dirigeant effectue beaucoup de travail non rémunéré et qu'il renonce en toutes circonstances aux avantages exceptionnels qui étaient alloués aux membres ordinaires du parti pour des tâches particulières. Le petit cadre était en règle générale financièrement plus mai loti que l'ouvrier qualifié.

C'était plutôt le pouvoir qu'ils exerçaient, lié à leur position élevée, qui fut la première motivation de cette catégorie de dirigeants. Non pas tant un facteur matériel que psychologique. Etre à la tête, pouvoir donner des ordres, tenir en main le pouvoir de décision, appartenir à la direction... leur apportent d'autres satisfactions, incomparablement plus flatteuses qui font oublier les inconvénients matériels. L'appareil bureaucratique exerce ainsi toujours et partout son pouvoir d'attraction sur tous les hommes ambitieux et avides de pouvoir qui voient dans la position de dirigeant ou de fonctionnaire l'occasion d'assouvir leurs besoins de promotion et leurs désirs de puissance.

Si l'on croyait en Russie avoir trouvé dans le contrôle ouvrier le moyen de faire obstacle à ces tendances, on oublia que la sélection des ouvriers ne répondait aucunement à des critères psychologiques. La psychologie a été et est encore traitée par les partis politiques comme le parent pauvre. Les marxistes vulgaires en particulier avaient peur qu'elle ne mit en péril l'orientation matérialiste-économiste de la doctrine marxiste. Ceux-là ne la connaissaient que de seconde ou de troisième main. Ils auraient pu trouver même chez Marx que le facteur psychologique joue dans les conceptions révolutionnaires de son enseignement un rôle capital.

Le Parti Communiste comme les autres manifestait un mépris supérieur pour la psychologie et refusait de concevoir que ses connaissances puissent être utiles à la pratique politique. Il s'ensuivait que les partisans de la lutte contre la «mauvaise bureaucratie», même sérieux et de bonne foi, n'avaient aucune connaissance de base en psychologie. Leur lutte était une fausse bataille et elle devait rester telle, même si la raison profonde de ce phénomène leur restait cachée. Car une lutte réelle contre la bureaucratie aurait dû se donner pour objectif le parti lui-même. Le traitement des problèmes russes se retrouvait dans le vieux cercle vicieux : une fois qu'on y est entré, on accumule les erreurs sang parvenir à en sortir.

L'utilisation pratique de la psychologie dans le combat contre la bureaucratie ne présuppose pas seulement que l'on ait des connaissances en psychologie, niais aussi que l'on trouve un milieu qui se prête à sa juste utilisation. Un couvercle ne convient pas à tous les pots ni une doctrine à toutes les situations. En Russie en tout cas, la situation politique et sociale était telle que l'application des procédés psychologiques modernes y était impossible.

Après un long et profond esclavage, le peuple russe avait accédé à l'émancipation et à la liberté politique. Dans l'antagonisme des changements historiques, seule l'antithèse du libéralisme bourgeois pouvait succéder au féodalisme patriarcal. Le libéralisme bourgeois est indissolublement lié à l'individualisme, à l'aspiration personnelle, au désir de s'élever, à la soif de puissance et au besoin de se mettre en valeur. L'homme libéral est égoïste, ambitieux, entreprenant, il entre dans la compétition individuelle, il vise à s'enrichir dans la vie économique et à conquérir la direction et le pouvoir politique. C'est l'homme de l'ère capitaliste. Le terrain sur lequel il se bat est celui des affaires et de l'économie de marché. Son terrain politique, le parti et le parlement.

En s'organisant en parti communiste, le mouvement socialiste ouvrier en Russie a créé le terrain historiquement favorable à l'époque individualiste qui s'annonçait. Mais en voulant être en même temps socialiste, en confisquant la propriété privée. en supprimant le système de production capitaliste et ses possibilités de profit individuel, et en éliminant le parlement, le nouvel Etat soviétique a privé l'homme individualiste de presque toutes ses possibilités de se développer et de tirer parti de son énergie propre. Les tentatives d'en faire un homme socialiste, de l'engager dans les soviets, dans les collectivités économiques ou dans les communes et de lui donner les moyens de s'épanouir et de se rendre utile dans des réalisations orientées vers la vie collective, échouèrent. Il ne lui restait donc qu'un seul secteur où il pouvait éprouver et développer sa personnalité : le parti. La vie du parti devenait sa propre vie. L'homme russe après 1917 devint le type classique d'homme de parti, avec toutes ses qualités et ses défauts, toutes les vertus et perfections, tous les vices, les dogmatismes et les intolérances qui tiennent aux partis.

L'homme russe n'était pas fait. pour les pas plus que les soviets, pas plus que le soviets pour lui. Issu de la féodalité, il était trop peu habile. En tant qu'homme individualiste il était trop individualiste. Il n'avait nulle part sa place.

Mais il a trouvé dans le parti le facteur qui lui convenait. Son désir de se mettre en valeur le mena tout droit à la bureaucratie. Du pouvoir dans le parti il s'éleva au pouvoir dans l'Etat. Pendant que la bureaucratie du parti se transformait en bureaucratie d'Etat, l'homme individualiste devenait bureaucrate. Il est ainsi devenu membre de cette «couche privilégiée, étrangère aux hommes, placée au-dessus des masses », de cette nouvelle classe qui s'opposait tout naturellement au prolétariat, comme son homologue bourgeois.

Tous ces développements furent favorisés par les conditions culturelles et sociales en Russie, la faiblesse numérique d'un prolétariat peu conscient, le profond délabrement politique et économique dû à la longue guerre civile, le risque menaçant d'effondrement du pouvoir de l'Etat, la présence aux frontières des armées d'invasion et le caractère provisoire du régime socialiste tâtonnant d'une expérience à l'autre.

D'après la conception de Lénine, le pouvoir d'Etat aurait dû être expressèment aboli. Or, on avait tout fait pour le reconstruire et le consolider. Ce n'est que lorsqu'il aurait été reconstruit et consolidé qu'on pourrait vraiment l'abolir. Qui devait comprendre, qui pouvait saisir une doctrine si curieuse ? La contradiction entre la théorie et la pratique était évidente.

Mais il y avait beaucoup d'autres contradictions du même genre : le combat contre la bureaucratie et la croissance très rapide de celle-ci était l'une d'entre elles.

Les masses n'avaient pas le temps de penser à toutes ces contradictions, elles avaient trop à faire pour assurer leur survie. D'ailleurs la dictature ne tolérait aucune contradiction, cette dictature du prolétariat qui devenait chaque jour un peu plus une dictature sur le prolétariat.

Les dirigeants mettaient tous leurs espoirs sur le coup de dé de la révolution mondiale. C'est d'elle que devait finalement venir le salut du pouvoir des soviets. Ils élaboraient la recette de cette révolution mondiale jusque dans les moindres détails, décalquée du modèle russe, et en faisaient l'éloge au prolétariat de tous les pays.

Mais la révolution mondiale ne vint pas et la Russie se trouva dans une impasse. Le modèle révolutionnaire n'était pas au point, les pronostics étaient faux, la doctrine de l'Etat aussi. La distinction entre bonne et mauvaise bureaucratie n'était pas au point. La pratique de la construction du socialisme non plus. Le bolchévisme tout entier n'était pas au point.

S'il arrive dans l'histoire, dit Marx, qu'il y ait quelque chose entre la théorie et la pratique qui ne s'accorde pas, la faute en est toujours à la théorie. La théorie bolchévique n'avait pu contraindre la nécessité historique à se dérouler selon ses désirs. C'est donc là nécessité historique qui a forcé le bolchévisme à évoluer sous la pression des faits.

Lénine a déjà changé le marxisme en léninisme, Staline transforme maintenant le léninisme en stalinisme.

Ce ne fut pas l'accomplissement de la révolution mais sa fin.

CONTROVERSES ENTRE THEORICIENS

Avant la prise du pouvoir, le bolchévisme était en mauvaise posture. Il ne comptait qu'une ridicule petite secte d'adhérents et ses nombreux adversaires le prenaient violemment à parti.
Que la bourgeoisie, les agrariens, les paysans et les petits-bourgeois, dans la mesure où ils connaissaient le bolchévisme comme théorie, l'aient craint et combattu comme leur ennemi mortel, est très compréhensible. Nous n'en parlerons pas ici.

Nous parlerons pas non plus des sociaux-démocrates qui, dans la droite ligne de leur opportunisme et de leur trahison favorisèrent par leurs attaques contre le bolchévisme les affaires de la classe bourgeoise.

Nous ne parlerons pas davantage des cercles radicaux-socialistes, communistes et anarchistes qui, bien que révolutionnaires, n'acceptaient pas la doctrine bolchévique et n'étaient pas d'accord avec sa pratique politique. Il serait inutile d'entrer aujourd'hui dans les oppositions, les différences et les déviations, tant du point de vue des opinions théoriques que des attitudes tactiques que l'on trouve pêle-mêle dans le bouillonnement politique de cette époque mouvementée où chacun essayait de l'emporter.

Il paraît beaucoup plus important de considérer les différentes orientations qui ont joué et jouent encore à un moindre degré un rôle, non pas tant dans les événements de l'époque que dans la critique qui en a été faite ultérieurement. La formule : «Rosa Luxembourg contre Lénine » a surtout servi de prétexte pour dresser l'une contre l'autre la tactique révolutionnaire bolchévique et celle de la gauche allemande. Pour ce faire, toutes les déformations des faits historiques et tous les jugements hâtifs et intéressés ont été utilisés pour faire triompher une thèse sur l'autre. Comme toujours dans pareil cas, les deux parties ont perdu de vue qu'elles avaient toutes deux à la fois raison et tort.

Nous résumons ici brièvement le contenu et la signification de la controverse, car elle est un exemple très instructif de ce que des hommes, une fois englués dans le système du parti, ne sont pas capables, même dans des conditions personnelles et politiques favorables, de voir et de comprendre le caractère profondément non-révolutionnaire du parti.

Lénine comme Rosa Luxembourg vinrent aux mouvements ouvriers modernes en passant par la social-démocratie.

La social-démocratie était à l'époque le seul parti qui menait la lutte de classe du prolétariat dans un sens vraiment marxiste. Elle a trouvé en Allemagne sa forme la plus évoluée du point de vue théorique et organisationnel, pour ne pas dire sa forme classique. August Bebel et Karl Kautsky furent ses dirigeants les plus remarquables. Aussi bien Lénine que Rosa Luxembourg comptaient parmi leurs inconditionnels. Ils voyaient en eux des autorités incontestées, et dans le parti allemand l'exemple d'une organisation de formation marxiste, parfaitement construite et organisée, ayant une tactique juste et un esprit profondément révolutionnaire. Rosa Luxembourg, qui trouva en Allemagne son terrain de prédilection pour agir, et qui a connu le parti de très près, fut pour plusieurs raisons rapidement déçue et commença à adopter à son égard dès 1904 une attitude critique.

Lénine, par contre, développait comme émigrant russe et tout à fait à la manière des émigrants, une activité révolutionnaire uniquement



Asunto: 
l'histoir
Autor: 
blackcat
Fecha: 
Mié, 2005-01-12 16:21

l'histoir est n'escessaire pour apprendre de nos erreurs, certaine personnes sont malheureusement obtinné ou aveuglé car il les refond toujours


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