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La police incapable de protéger les citoyenNEs, 1er de 4 : L'AFFAIRE TOKARCHUK

Anonyme, Sábado, Julio 17, 2004 - 02:31

cobp

 
Comment la police de Winnipeg n'a rien fait pour empêcher l'assassinat de Kevin Tokarchuk alors qu'elle avait appris l'existence d'un complot pour meurtre sur sa personne.

 
Le Collectif Opposé à la Brutalité Policière présente :

LA POLICE INCAPABLE DE PROTÉGER LES CITOYEN-NES

Face à la violence meurtrière des guerres de motards, la police se pose frauduleusement comme l’unique protectrice des citoyens et citoyennes sans défense. Maintenant qu’une bonne partie des effectifs motards sont incarcérés, on commence à découvrir les dessous peu reluisants de la lutte des policiers contre le phénomène des bikers criminalisés.

On sait aujourd’hui que les différents corps policiers impliqués dans la lutte antimotards avaient souvent une connaissance intime des attentats et complots pour meurtre qui se tramaient dans le monde impitoyable des bikers criminalisés. Ainsi, à plusieurs reprises, la police s’est trouvée en position de sauver des vies -- et pas seulement des vies de membres des gangs antagonistes -- mais n’a absolument rien fait.

Et on ne parle ici d’une négligence occasionnelle causée par un quelconque flic insouciant de bas étage, mais bien d’une volonté d’auto-aveuglement cautionnée par la hiérarchie policière constatée tant à Montréal qu’à Halifax, en passant par Winnipeg. Il est donc grand temps que la population connaisse quelles sont les véritables priorités des corps policiers qui sont supposément chargés de notre protection et quelle est l’ampleur de leur mépris pour la vie humaine.

Dans ce premier article d’une série de quatre, nous allons nous pencher sur l’affaire Tokarchuk, à Winnipeg. De plus, nous allons aussi examiner les nombreux cafouillages entourant le méga procès que devait subir cinq présumés associés des Hells Angels du Manitoba—cafouillages qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’a connu le système judiciaire québécois relativement aux bikers locaux.

LA POLICE INCAPABLE DE PROTÉGER LES CITOYEN-NES

(1er de 4)

L’AFFAIRE TOKARCHUK

La police de Winnipeg a-t-elle fermé les yeux
sur un complot pour meurtre afin de protéger un mouchard ?

Depuis plus d’un an, un grave scandale secoue le service de police de Winnipeg. La police avait été informée d’un complot visant à assassiner Kevin Tokarchuk, mais n’a rien fait pour empêcher l’homicide. À peine remise de ce fiasco, la police de Winnipeg vient de connaître un autre important revers lorsqu’un arrêt des procédures fut ordonné relativement au méga procès de cinq présumés associés du chapitre local des Hells Angels.

Le 12 mai 2003, Kevin Tokarchuk, un futur enseignant sans casier judiciaire âgé de 24 ans, est abattu d’une balle dans la tête chez lui dans son garage, à Fort Rouge. Tout indique qu’il s’agit d’un geste en représailles au meurtre de Trevor " Boss " Savoie, un membre présumé du Zig Zag Crew, un gang affilié aux Hells Angels.

En effet, l’assassinat de Tokarchuk est survenu un an, jour pour jour, après le meurtre de Savoie. De plus, c’est nul autre que le frère cadet de Tokarchuk, Daniel, qui a été inculpé du meurtre au deuxième degré de Savoie.

Dans les semaines suivant la mort de Tokarchuk, les médias locaux révéleront qu’au cours du mois de juillet 2002, la police avait été informée par un trafiquant de drogue de l’existence d’un projet de meurtre contre Tokarchuk. L’informateur avait révélé ce tuyau dans le but de conclure un " plea bargain " avec la couronne. (1)

Un " plea bargain " est un arrangement hors cour qui permet aux parties d’éviter de faire un procès. Habituellement dans ce type de marché, l’accusé plaidera coupable à une ou plusieurs infractions, et, en échange, la couronne retirera le reste des accusations et suggérera au tribunal une sentence plus clémente en raison de la collaboration de l’inculpé.

Toutefois, il existe différentes variantes au " plea bargain ". Dans certains cas, le marché implique que l’accusé témoigne contre d’anciens complices. Si les négociations avaient abouties, le trafiquant serait passé du statut d’informateur à celui de " témoin spécial ", plus communément appelé un délateur.

Ainsi, l’offre de collaboration de ce trafiquant aurait fait l’objet d’une attention toute particulière puisqu’elle a été discutée lors d’une rencontre entre des membres de la police de Winnipeg et de la Gendarmerie Royale du Canada, en présence d’un procureur de la couronne. Les journaux ne nous ont pas permis d’en apprendre plus sur la teneur de ces négociations, sinon qu’elles se sont soldées par un échec et qu’aucun " plea bargain " n’a pu être conclu. (2)

À première vue, si autant de personnes étaient impliquées dans ces négociations entourant le sort de l’informateur / trafiquant, on est dès lors en droit de soupçonner qu’il y avait beaucoup plus qu’un simple plaidoyer de culpabilité qui était dans la balance. En fait, ça ressemble drôlement à une situation où un type du monde interlope cherche à marchander son témoignage.

En effet, un type qui aspire à devenir délateur cherchera évidemment à étaler l’étendue des connaissances qu’il possède sur le milieu criminel, de façon à faire augmenter sa valeur en tant que potentiel " témoin spécial ". Plus les connaissances du candidat au statut de délateur seront susceptibles de faire tomber des personnages influents du milieu, plus le système de justice trouvera de l’intérêt à conclure un marché avantageux pour lui.

Toutefois, pour des raisons qui demeurent inconnues, les négociations visant à en arriver à un " plea bargain " entre l’informateur et les autorités se sont soldées par un échec. La police n’a jamais prévenu Kevin Tokarchuk et sa famille du tuyau et ne leur a jamais offert de protection, avec le résultat que l’on connaît.

Confusion sur le rôle de la couronne

Le rôle du procureur de la couronne est loin d’être clair dans cette affaire. Le 21 mai 2003, la journée où le scandale a éclaté au grand jour, le Winnipeg Free Press a écrit que la police avait décidé de ne pas donner suite au tuyau concernant Tokarchuk après avoir consulté un procureur. Le même jour, CBC Manitoba a aussi rapporté que la police avait dit à la famille Tokarchuk qu’elle avait consulté la couronne à propos de l’information que les enquêteurs avaient reçue.

Cette prétention a cependant vite été démentie. Tout d’abord, le maire de Winnipeg de l’époque, Glen Murray, s’est employé à blanchir la couronne de toute faute. Il a entre autres déclaré à CBC que la couronne n’avait pas été informée des détails particuliers au sujet du tuyau. Le bureau des procureurs de la couronne a aussi émis un communiqué qui nie que ses procureurs furent consultés à ce sujet. (3)

Étant donné que cette prise de position officielle de la couronne n’a jamais été contredite par aucun policier par la suite, cette allégation sur le rôle joué par la couronne dans cette affaire souffre d’un grave problème de crédibilité et demeure pour le moins douteuse. Il n’en reste pas moins que des gens -- des flics, forcément -- se sont arrangés pour que cette allégation soit publiée et diffusée dans les plus importants médias de la région.

Vous ne trouvez pas que ça commence drôlement à ressembler à une opération de désinformation cette histoire-là ? Le but est simple : faire croire que la police n’a fait que suivre bien gentiment les conseils juridiques professionnels d’un avocat de la poursuite. En d’autres mots, ça reviendrait à rejeter la responsabilité légale de l’inaction policière sur le dos de la couronne.

D’un autre côté, s’il est exact que la police n’a jamais mentionné le tuyau de leur informateur, au sujet du projet de meurtre contre Tokarchuk, au procureur présent à la rencontre, ça rend la faute des flics encore plus grave, de même que cela rend encore plus suspectes leurs véritables motivations à cacher l’existence du projet de meurtre.

Par ailleurs, on ignore jusqu’à quel point le tuyau fournit par l’informateur était précis au niveau des détails. La police aurait-elle eue des motifs raisonnables de prendre à la légère le tuyau de son informateur ? Après tout, s’il fallait que la police croie dur comme fer tout ce que leur racontent leurs informateurs, les prisons seraient sûrement pleines à craquer (quoique qu’elles le soient déjà dans plusieurs cas) !

Par exemple, si l’information qu’a entendue l’informateur s’apparentait à une vague rumeur ou ressemblait davantage à une démonstration d’enflure verbale et de pétage de broue sans lendemain de la part de quelques gars chauds dans un bar, la police pourrait alors se défendre en disant que la menace ne leur semblait pas très crédible à première vue.

Pourtant, une telle défense n’a aucune chance de tenir la route. Le seul fait que le mobile du projet de meurtre consistait à exercer des représailles pour la mort d’un associé des Hells, aurait normalement dû tirer la sonnette d’alarme chez les policiers.

De la guerre de motards..
..à la guerre entre police et motards

Pour bien saisir l’ampleur de la bavure policière, il faut se replacer dans le contexte du climat de violence du monde interlope winnipegois qui sert de toile de fond à l’affaire Tokarchuk. Il faut tout d’abord noter que la présence des Hells Angels au Manitoba est relativement récente puisqu’elle remonte à la fin des années '90.

C’est le 21 juillet 2000, que le gang Los Brovos, formé en 1967, est devenu un club-école des Hells. En un temps record, les membres de Los Brovos sont rapidement passés du statut de " prospect " à celui de " full patch ", c’est-à-dire membres à part entière des Hells, le 22 décembre suivant.

Selon les journaux locaux, cette affiliation coïncide avec une hausse de la violence relié au contrôle du marché de la drogue. Ainsi, les forces policières rapportent qu’au moins sept " drive-by shootings " -- c’est-à-dire des fusillades au volant d’un véhicule -- sont survenus dans les rues de Winnipeg lors des dernières semaines de l’année 2000. (4)

Puis, durant l’été 2001, les hostilités reprennent de plus belle alors que les rues de Winnipeg deviennent le théâtre d’une guerre de motards impliquant les Hells Angels. Bien que le conflit n’ait causé aucune perte en vie humaine, il y a quand même eu pas moins de cinq autres " drive-by shootings " en l’espace de seulement six semaines, ainsi que deux attentats au cocktail Molotov.

Parallèlement au conflit entre bikers, la police de Winnipeg ne lâche pas la pression sur les Hells et leurs associés. À la fin de l’année 2001, sept des douze membres " full patch " du chapitre local des Hells font l’objet de diverses accusations criminelles, dont menaces, voies de fait contre un agent de police, tentative de meurtre, extorsion et possession de cocaïne dans le but d’en faire le trafic.

La stratégie anti-Hells de la police de Winnipeg a été clairement expliquée par l’ancien enquêteur de la Sûreté du Québec, Guy Ouellette. Selon cet expert autoproclamé en bikers, si plus de la moitié des membres du chapitre du Manitoba sont emprisonnés, le club tombera alors sous la tutelle d’une autre branche de la grande famille des Hells. (5)

Mais cette volonté ouvertement affichée de la police de rayer de la carte l’unique chapitre manitobain des Hells n’ira pas sans rencontrer une farouche résistance. C’est ainsi que la violence associée au milieu des bikers prend une nouvelle dimension alors qu’une policière qui a été membre de l’escouade antigang de la police de Winnipeg pendant 3 ans devient la cible d’attentats chez elle, à son propre domicile.

Le premier attentat survient aux petites heures du matin du 7 décembre 2001. La fourgonnette personnelle de la policière explose en flammes dans l’allée de sa résidence. Puis, le 12 février 2002, à 4:10 AM, une brique est lancée à travers la vitre de la façade de sa résidence. La policière qui était debout à cette heure tardive de la nuit (on se demande pourquoi...) a juste eu le temps d’allumer les lumières et d’entrevoir deux personnes prenant la fuite dans la nuit.

Les policiers dépêchés sur les lieux découvrent alors plusieurs cocktails Molotov abandonnés sur place, laissant ainsi croire que les assaillants avaient carrément pour projet d’incendier sa maison, avec elle et sa famille à l’intérieur.

Pour les collègues de la policière, les deux attentats sont automatiquement interprétés comme un défi ouvert à leur autorité, voire une déclaration de guerre contre l’ensemble des membres du service de police de Winnipeg et leur familles. En effet, l’instinct de clan est souvent aussi fort chez les policiers que chez les groupes criminalisés qu’ils combattent.

On peut donc facilement imaginer qu’à partir de ce moment-là, certains policiers ont fait de la lutte contre la grande famille des Hells une affaire tout à fait personnelle, et non plus une simple question d’appliquer la loi. Toutefois, lorsque l’émotion se mêle à leur boulot, les policiers courent toujours le risque de brouiller leur capacité de jugement et ainsi de commettre des erreurs qui pourraient leur coûter cher...

Trois membres du Zig Zag Crew sont par la suite arrêtés et accusés en rapport avec les attentats au domicile de la policière. À ses origines, au milieu des années '90, le Zig Zag Crew était une gang d’amateurs de skateboards -- et probablement aussi de joints roulés avec le légendaire papier à rouler Zig Zag. (6)

Puis, en 1998, la gang passe du skate aux motos lorsqu’un membre des Los Brovos chapeaute la fondation officielle du Zig Zag Crew. Depuis, les membres du Zig Zag Crew sont réputés publiquement être les soldats de la rue des Hells, qui exécutent les basses besognes pour le compte des motards " full patch ".

Le caractère public de la violence reliée au milieu des bikers criminalisés et sa médiatisation spectaculaire a fait en sorte que la question des Hells Angels ne s’est plus limitée à n’être qu’un simple problème de sécurité publique pour devenir un enjeu politique chez les élus manitobains.

À l’assemblée législative, le gouvernement NPD du premier ministre Gary Doer et l’opposition officielle s’affrontent régulièrement au sujet des mesures qui doivent être prises pour venir à bout du phénomène motard. L’État devait donc trouver une réponse avant de perdre complètement la face.

En novembre 2001, le ministre de la justice Gord Mackintosh a déposé un projet de loi sur les bâtiments fortifiés dont l’objet est notamment de s’attaquer aux bunkers des bandes de motards. Douze mois plus tard, le ministre Mackintosh soumet deux autres projets de loi dont l’objectif avoué est de " créer un milieu hostile au crime organisé dans cette province. "

Le premier projet de loi propose entre autres d’autoriser la police à demander à la cour du banc de la reine du Manitoba d’annuler ou de refuser de délivrer tout permis d’alcool lorsque le juge est convaincu que la personne qui gère ou qui possède l’entreprise est membre d’une organisation criminelle. Quant au deuxième projet, il s’agit d’amendements à la Loi sur la réglementation des alcools interdisant le port de couleurs d’un gang criminel dans tous les débits de boisson.

À la lumière de tout ceci, il semble évident qu’au moment où la police de Winnipeg apprenait l’existence d’un complot visant l’élimination du frère de Daniel Tokarchuk, les Hells du Manitoba avaient été désignés en tant qu’ennemi public no° 1 autant par la classe politicienne que par les forces constabulaires.

Il ne pouvait dès lors faire aucun doute dans l’esprit des policiers responsables de la répression des bikers criminalisés que la vie de Tokarchuk était sérieusement en danger. D’ailleurs, si Tokarchuk lui-même lisait les journaux ou écoutait la télé de son vivant, si les policiers avaient eu moindrement la décence de le prévenir du sort qui l’attendait, il y aurait fort à parier qu’il n’aurait pas pris la situation à la légère.

La vie des mouchards avant celle des gens ordinaires

Dès que l’affaire Tokarchuk éclate publiquement, le 21 mai 2003, le chef de police de Winnipeg, Jack Ewatski, annonce la tenue d’une enquête interne au sujet des informations dont disposait la police relativement à la menace qui pesait sur la vie de Tokarchuk. De son côté, le ministre de la justice du Manitoba, Gord Mackintosh, annonce qu’il y aura une enquête indépendante sur ces allégations.

Au-delà de l’indignation du public, l’affaire Tokarchuk suscite aussi beaucoup de grogne dans les rangs du service de police, particulièrement chez les enquêteurs de la division des homicides. Sous le couvert de l’anonymat, plusieurs d’entre eux se déclarent furieux face à une si piètre performance de la part de leurs collègues qui avaient reçu ce tuyau.

Par la suite, dans un communiqué de presse daté du 27 juin 2003, le chef Ewatski révèle que les premiers résultats de l’enquête interne l’ont conduit à imposer un " congé administratif " avec solde à huit membres du service de police, incluant son adjoint, Jim Thompson.

Thompson dirigeait alors la division en charge des enquêtes criminelles de la police de Winnipeg. Parmi les autres policiers en " congé ", on compte trois sergents (incluant deux sergent-détectives) de la division des crimes majeurs, de même qu’un sergent-détective et un constable de la division de la moralité (qui est aussi responsable de la lutte antidrogue). (7)

En décembre 2003, le chef Ewatski annonce que quatre de ces policiers pourront revenir au travail après sept mois de congé forcé. (8)   Toutefois, le chef adjoint Thompson décide de prendre sa retraite le 9 janvier 2004, après 31 ans de service. Quelques semaines auparavant, c’était au tour d’un autre policier mêlé à l’affaire, soit le sergent-détective Jeff Bellingham, d’en faire autant. (9)

Une fois à la retraite, l’ex-policier n’est plus tenu d’observer son serment de discrétion. Bellingham a donc accepté de donner sa version des faits dans un courriel adressé à CBC Manitoba, le 21 janvier 2004. Dans son courriel, Bellingham reconnaît d’entrée de jeu que l’information au sujet de Tokarchuk était " en effet sérieuse ". (10)

À l’époque où il a reçu cette information, Bellingham était enquêteur et superviseur d’une unité antidrogue de la police de Winnipeg. Il explique qu’il était alors pratique courante pour lui de recevoir divers tuyaux concernant d’autres infractions non-reliées à la drogue. Dans un tel cas, l’info était subséquemment acheminée à l’unité qui a pour mandat d’effectuer des enquêtes sur ce type d’infractions, selon lui.

Fait intéressant, Bellingham soutient que l’information au sujet de Tokarchuk " a été acheminée selon la chaîne de commandement ", c’est-à-dire aux échelons hiérarchiques supérieurs du service de police. Ce qu’il nous dit à mots couverts, c’est que si quelqu’un doit porter le chapeau pour cette affaire, hé bien il est en haut de moi !

Cette révélation devrait donc pouvoir clouer le bec de ces policiers anonymes qui essayaient d’insinuer à qui voulait bien l’entendre que le tuyau sur Tokarchuk s’était peut-être perdu quelque part à travers les labyrinthes bureaucratiques de l’appareil policier winnipegois.

Si l’information a été transmise à la hiérarchie, alors l’affaire Tokarchuk n’est plus le malheureux résultat d’une gestion inefficace de la communication interne de la police, mais bien plutôt le fruit sinistre d’une décision froidement calculée, dans laquelle la vie de Tokarchuk n’a pas semblé peser lourd dans la balance.

Mais alors qu’est-ce qui pouvait avoir plus d’importance aux yeux des hauts gradés de la police que la vie d’un jeune homme innocent ? Le courriel de Bellingham fournit encore ici un début de réponse qui méritera d’être approfondi.

L’ex-policier lève une grande partie du voile sur le mystère de l’inaction policière lorsqu’il évoque la responsabilité légale de la police de " protéger l’identité d’une source du mieux que nous le pouvons ". C’est d’ailleurs un secret de polichinelle que sans leurs informateurs, délateurs ou agents-source, la police n’arriverait pratiquement jamais à coffrer les caïds du monde interlope.

Mais qu’en est-il de la responsabilité légale de tout policier de protéger toute vie humaine ? Le courriel de Bellingham est silencieux comme une tombe sur cette question. Par contre, quand on lit son courriel, on se rend vite compte que la police n’est jamais à court de précautions pour protéger leurs précieux mouchards.

Voici comment Bellingham explique la raison pour laquelle il n’a pas personnellement donné suite au tuyau sur Tokarchuk :

"Si par exemple je recevais de l'information en ce qui concerne une entrée par infraction, et que je commençais à faire enquête et à faire des demandes de renseignement en ce qui concerne cette infraction spécifique, je révélerais ultimement que non seulement la source de cette information a une connaissance intime de cette infraction, mais aussi que c’est une personne qui est impliquée dans le monde de la drogue."

"Ces deux facteurs combinés pourraient immédiatement identifier la source de l'information, ou rétrécir les possibilités sur l’identité de la source à un niveau qui pourrait être dangereux. La taille limitée de Winnipeg, et du nombre de personnes impliqué dans son milieu criminel, dicte que cette source d’information doit être maniée avec le maximum de soin."

[traduction par l’auteur]

Pourquoi la police n’a rien fait pour protéger Kevin Tokarchuk ? Parce qu’il ne représentait rien pour eux. Par contre, l’informateur, lui, représentait apparemment un atout potentiellement inestimable aux yeux de certains policiers.

C’est à tout le moins ce que laissent entendre des policiers qui ont déclaré au Winnipeg Free Press, sous le couvert de l’anonymat, que les enquêteurs souhaitaient tirer le maximum de cet informateur en termes de renseignements sur les activités des Hells Angels et du Zig Zag Crew.

On peut évidemment s’imaginer qu’il ne doit pas être facile pour la police de recruter des informateurs dans un milieu aussi fermé et dangereux que celui des motards criminalisés. De la même façon, on peut aussi s’imaginer que quand la police réussit à recruter une source qui trempe dans un tel milieu, on ne tient pas à la perdre dans la brume, mais plutôt à la garder sous son aile à tout prix.

Par ailleurs, le fait qu’autant de policiers furent temporairement écartés de leurs fonctions dans le cadre de l’enquête interne suggère aussi que l’importance qui était accordée à cet informateur n’était pas moindre. Fait significatif, les tuyaux de l’énigmatique source intéressaient non seulement les enquêteurs antidrogue mais aussi ceux de la division des crimes majeurs. Bref, il y en avait apparemment pour tous les goûts et tous les genres.

Tout cela tend donc à indiquer que les policiers devaient accorder un certain intérêt et une certaine crédibilité à cet informateur, à défaut de quoi ce dernier n’aurait pas fait l’objet d’une telle attention. Si ceci est exact, cela constituerait alors un autre facteur aggravant, relativement au niveau de négligence de la part de la police.

L’obsession de protection de l’identité de l’informateur pourrait aussi être susceptible d’expliquer l’échec des négociations entourant le projet de " plea bargain ". En effet, les flics pouvaient avoir d’autres projets en tête pour leur source : ils voulaient utiliser leur source comme un informateur codé mais pas comme un " témoin spécial ".

Il faut savoir qu’il existe une différence fondamentale entre les deux statuts : l’identité de l’informateur codé est protégée par la loi tandis que la loi oblige la couronne a divulguer à la défense la liste de ses témoins, incluant ceux qui ont signé un contrat de délateur, et ce, avant le procès. Ainsi, si l’informateur codé était devenu un " témoin spécial ", il n’aurait alors plus été en position d’alimenter ses contrôleurs de la police en tuyaux juteux.

De plus, le souci des policiers de conserver à n’importe quel prix les services de leur informateur pourrait aussi expliquer pourquoi la police aurait passé sous silence le tuyau au sujet de Tokarchuk lors de la fameuse rencontre avec la couronne où il a été question du projet de " plea bargain ".

Ainsi, en taisant cette information, la police se serait trouvée à diminuer délibérément aux yeux de la couronne la valeur du témoignage qu’aurait pu offrir le candidat au statut de délateur et ainsi contribuer à faire échec au projet de marché avec l’informateur.

C’est quand même d’une tragique ironie que la police en soit rendue à mieux protéger des vendeurs de drogue qui placotent dans le dos de leurs partenaires plutôt que la vie des gens ordinaires ! C’est le prix que doit payer la société pour ne pas remettre en question l’existence d’une police qui sert davantage ses propres intérêts que ceux du public en général.

Chose certaine, si le complot d’assassinat avait porté non pas sur un illustre inconnu comme Tokarchuk, mais plutôt sur un collègue policier, alors la réaction des autorités aurait été tout à fait différente. La police aurait certainement donné suite à un tel tuyau, en procédant à des arrestations sans délai et en portant de sérieuses accusations criminelles contre les suspects impliqués. Qu’en dites-vous ?

Toujours est-il qu’un an après le meurtre de Tokarchuk, aucune arrestation n’a toujours pas été faite en rapport avec cette affaire. Et ce, même si la police devrait normalement avoir au moins une bonne piste en raison du tuyau de son informateur. Par ailleurs, le procès de Daniel Tokarchuk pour le meurtre de Savoie n’a toujours pas débuté.

Quant à l’enquête interne, ses résultats n’ont jamais été divulgués au public. Une fois l’enquête complétée, le dossier fut transféré à un corps de police externe, en l’occurrence la police provinciale de l’Ontario (OPP), par supposé " souci de transparence ". (11)

Par ailleurs, un procureur de la couronne de l’Alberta qui avait été mandaté par le gouvernement manitobain pour faire la lumière sur cette affaire a fait savoir qu’aucune accusation criminelle ne sera portée contre les policiers de Winnipeg pour leur implication dans l’affaire Tokarchuk. (12)

De toute évidence, ça pourrait prendre du temps avant que le public connaisse le fond de l’affaire. D’ailleurs, on peut raisonnablement soupçonner que la police et ses alliés n’ont aucunement intérêt à ce que la vérité soit dévoilée au grand jour. Ainsi, tout porte à croire que les policiers vont tout faire pour enterrer l’affaire et s’éviter d’avoir à rendre des comptes devant la justice.

Même la couronne dénonce la police !

En février 2004, les rapports questionnables entre la police de Winnipeg et ses informateurs ont à nouveau fait l’objet de controverses, cette fois-ci dans le cadre d’une affaire judiciaire très publicisée impliquant cinq présumés associés du chapitre local des Hells Angels.

Le ministre de la justice du Manitoba avait confié à un influent procureur de la couronne, Me Bob Morrison, le mandat d’examiner les opérations policières concernant un informateur. Le 16 février, tous les avocats impliqués dans la cause des cinq présumés Hells reçoivent une lettre signée par Me Morrison dans laquelle celui-ci va jusqu’à suggérer que les policiers en cause pourraient avoir commis des actes criminels en plus de contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés. (13)

Voilà qui n’est pas peu dire venant d’un procureur de la couronne, puisque ceux-ci sont perçus, à juste titre, comme étant les alliés traditionnels des flics. En effet, il est d’une extrême rareté que des procureurs de la couronne en viennent à laver leur linge sale en public.

Les avocats de la défense qui représentent les présumés associés des Hells ont réagi à cette brève lettre de trois paragraphes en demandant une divulgation additionnelle d’information. Mais le procureur Morrison s’est refusé à faire tout autre commentaire sur sa lettre, en se cachant derrière son obligation légale de protéger l’identité de l’informateur. Encore une fois, on nage en plein mystère.

Comment expliquer un changement d’attitude aussi drastique de la part de la couronne envers les policiers ? Il n’est pas déraisonnable de penser que la police de Winnipeg s’est mis plus d’un procureur à dos lorsque certains de ses membres ont tenté de faire porter le chapeau à la couronne au tout début de l’affaire Tokarchuk.

Se pourrait-il que la lettre faisait référence, à mots couverts, à l’affaire Tokarchuk ? En effet, l’inaction policière à l’égard du tuyau relatif à Tokarchuk relève purement et simplement de la grossière négligence criminelle. Il faudra pourtant regarder ailleurs puisque qu’un procureur de l’Alberta avait déjà blanchi la police de Winnipeg en rapport avec cette affaire.

Pour cette raison, tout porte à croire qu’il s’agit plutôt d’une affaire tout à fait distincte avec un informateur différent. Serait-ce alors un indice que nous sommes en présence, non plus d’un écart de conduite isolé, mais bien d’un problème qui a pris une ampleur épidémique ?

Le méga procès finit en queue de poisson

Toujours est-il qu’au moment où la lettre de Me Morrison a atterri dans les mains de la défense, les cinq présumés Hells attendaient derrière les barreaux le début de leur méga procès depuis près de deux ans. La plupart des cinq accusés sont d’anciens membres du Zig Zag Crew qui furent promus à divers degrés au sein des Hells. Parmi eux, on compte un membre " full patch ", un " prospect " et un " hangaround ".

Les cinq faisaient face à un total de 36 accusations, incluant 13 actes d’intimidation contre des victimes, des témoins et des policiers, de même que complot pour meurtre, participation à une organisation criminelle (gangstérisme), complot pour commettre un incendie criminel, complot pour utiliser une arme à feu dans le but de blesser, mutiler ou défigurer et menaces de causer des lésions corporelles.

Les procédures relatives au méga procès ont connu de nombreuses remises, causées en grande partie par une querelle entre la défense et le gouvernement manitobain autour des tarifs de l’aide juridique. La province avait offert de payer 2,4 millions $ aux cinq avocats de la défense, alors que ceux-ci estimait avoir droit à plus du double, soit l’équivalent de 1 million $ par avocat.

Dans un jugement rendu le 7 novembre 2003, la juge Holly Beard conclu que si les accusés ont un droit constitutionnel d’être représenté par un avocat raisonnablement compétent, rémunéré aux frais de l’État, ils ne peuvent toutefois pas espérer que la province accepte de payer les tarifs exigés par les avocats de leur choix. (14)

Fait intéressant, la juge Beard a invité le gouvernement à régler la question de l’aide juridique, à défaut de quoi les accusés pourraient revenir devant elle pour demander l’arrêt des procédures. Appelée à commenter ce jugement, la procureure Heather Leonoff a indiqué que la couronne n’avait pas du tout l’intention d’abandonner les accusations contre les cinq présumés Hells. (15)

Toutefois, le 24 juin 2004, on assiste à un autre coup de théâtre : la couronne annonce à la juge Beard qu’elle décrète l’arrêt des procédures contre les cinq présumés Hells. La défense a été prise par surprise par ce revirement inattendu puisque l’objet de l’audience du 24 juin consistait précisément à plaider des arguments de droit relativement au traitement d’un informateur par la police. (16)

Cette décision de la couronne a eu pour conséquence immédiate de remettre quatre des cinq accusés en liberté (le cinquième purgeait déjà une peine pour un autre dossier). À leur sortie de prison, les quatre prirent place dans des limousines aux vitres teintées sous les acclamations d’un groupe de supporters venus les accueillir pour savourer avec eux leur triomphe.

Ce dénouement vient évidemment renforcir la perception populaire voulant que les membres du crime organisé peuvent se moquer des lois et de l’autorité du système de justice en toute impunité.

La cause des cinq présumés Hells de Winnipeg avait déjà entraîné à elle seule des dépenses en fonds publics d’environs 2,2 millions $, selon un porte-parole du gouvernement provincial. Ce montant n’inclu même pas les coûts du méga procès, qui était prévu en automne 2004 et qui devait durer entre 18 et 24 mois, selon les estimations de la couronne.

Toute la faute sur le dos du délateur

Face à de tels enjeux, il vaut certainement la peine de s’attarder aux raisons invoquées par la couronne pour déclarer forfait avant même de monter sur le ring. En gros, la couronne a fait entièrement porter le blâme de ce retentissant fiasco sur les épaules de son principal témoin, Robert Sousa Coquete, un professionnel du kick-boxing et ancien membre en règle du Zig Zag Crew.

Coquete avait signé un contrat de délateur pour la coquette somme de 100 000 $ afin de témoigner dans le méga procès des Hells. L’entente conclue entre Coquete et les autorités prévoyaient notamment que l’État payerait pour l’enlèvement de ses tatouages, une formation pour un nouvel emploi ainsi que sa re-localisation à l’extérieur de la province avec une nouvelle identité.

Avant de revirer sa veste de bord, Coquete avait été accusé d’avoir battu le propriétaire d’un gymnase lors d’un party du nouvel an, en 2001. Le 2 avril 2002, le plaignant a été la cible de représailles seulement quelques heures avant qu’il ne doive témoigner en cour contre Coquete. Un coup de fusil de chasse avait alors été tiré dans la fenêtre de son domicile. Le 3 avril, Coquete était acquitté. Depuis, le plaignant a intenté une poursuite au civil contre Coquete. (17)

Coquete a de nouveau été arrêté le 6 avril 2002. La couronne l’inculpe alors de sept accusations, incluant kidnapping, extorsion, voie de fait et vol. Environ une semaine après son arrestation, des policiers d’une unité antigang lui aurait rendu visite à la prison où il était alors détenu, le Winnipeg Remand Centre. À la suite de cette rencontre, la police serait revenue chercher Coquete en plein milieu de la nuit et serait rapidement repartie avec lui. (18)

En l’espace de quelques jours, toute la ville savait que Coquete était passé dans le camp de la police. Dans un article paru à l’intérieur du Winnipeg Sun, le 18 avril suivant, " des sources proches de la scène des motards " doutaient déjà que la défection de Coquete puisse avoir un quelconque impact sur les activités de la hiérarchie locale des Hells puisqu’il serait " trop bas dans la chaîne alimentaire " du milieu des bikers criminalisés.

Puis, vers la mi-mai, un juge confirme que Coquete a fait une déclaration à la police, enregistrée sur vidéo et qu’il serait un " témoin clé " dans un procès à venir contre un présumé " prospect " des Hells, qui deviendra plus tard un des accusés du groupe des cinq. Des gangsters locaux réagissent avec assurance à ces nouveaux développements, affirmant au Sun que " Rob " Coquete n’a aucune crédibilité et que son témoignage n’arrivera pas à faire condamner qui que ce soit. (19)

En janvier 2003, la couronne annonce qu’elle opte pour un acte d’accusation privilégié dans le méga procès conjoint des cinq présumés associés des Hells. Cette option permet à la couronne d’éviter la tenue d’une enquête préliminaire, une étape qui est normalement prévue dans des causes impliquant de sérieuses accusations criminelles.

Lors d’une enquête préliminaire, la poursuite doit présenter sa preuve au tribunal afin de satisfaire celui-ci qu’il y a suffisamment de preuve pour passer à l’étape du procès. Dans les faits, la décision de la couronne aura pour effet que Coquete n’aura qu’à témoigner une seule fois, plutôt que deux, contre ses anciens associés. (20)

En octobre 2003, Coquete fait des allégations au sujet de la conduite des policiers, déclenchant du même coup une autre enquête interne au sein du service de police de Winnipeg. D’après le chef du service de police de Winnipeg, Ewatski, ces allégations tourneraient autour de certaines promesses qui auraient été faites, ou n’auraient pas été faites, à l’égard de Coquete. (21)

Huit mois plus tard, les allégations seraient toujours sous enquête. Encore selon Ewatski, Coquete lui-même n’aurait pas été d’une grande assistance pour aller jusqu’au fond des allégations. Peut-être que c’est à ça que le procureur Morrison faisait référence dans sa lettre de février 2004 ? Toujours est-il que cette situation indique que tout ne va pas pour le mieux entre Coquete et ses nouveaux parrains de la police.

Enfin, lorsque la couronne annonce l’arrêt des procédures dans le méga procès des cinq présumés Hells, c’est encore de la faute à Coquete. Devant la juge Beard, le procureur Brian Bell a expliqué la décision de la couronne en affirmant, au sujet de Coquete, qu’" il devenait apparent que sa volonté de témoigner était reliée à ses demandes, soulevant ainsi des inquiétudes au sujet de sa fiabilité ".

Selon certains, Coquete aurait pris goût à la gourmandise, une demande n’attendant pas l’autre. De son côté, Ewatski affirme que la couronne a perdu sa foi dans la crédibilité de son témoin. Toujours selon le chef de police, Coquete ne serait plus inscrit au programme de protection des témoins. Des sources policières prétendent au Winnipeg Sun qu’il aurait quitté volontairement le programme.

Du côté de la poursuite, l’assistant adjoint du procureur général du Manitoba, Rob Finlayson, affirme que la province est en train d’examiner si Coquete aurait contrevenu aux termes de son contrat de délateur et si des accusations devront être portées. Finlayson ajoute du même souffle que le rôle de la province est surtout financier et que le sort de Coquete est désormais entre les mains de la police de Winnipeg et de la GRC.

La position de la poursuite est qu’il devenait impossible de procéder en l’absence de Coquete. Devant la juge Beard, le procureur Bell n’a pas hésité à aller jusqu’à dire de Coquete qu’il était la " pierre angulaire " de leur dossier contre les cinq présumés Hells et que la preuve qu’il aurait à amener est " essentielle " pour la tenue du méga procès. Si Coquete n’est pas entièrement coopératif, la force de la preuve de la poursuite s’en trouverait " grandement diminuée ", selon Bell.

À première vue, il y a quelque chose qui cloche dans la position officielle de la poursuite. En effet, comment croire que le témoignage de Coquete était " essentiel " pour faire la preuve de chacune des 36 accusations alors que la poursuite disposait de plusieurs autres munitions dans son arsenal ?

Que fait-on alors du second délateur qui a accepté de témoigner pour la poursuite dans ce même méga procès ? En effet, selon une dépêche de Presse Canadienne, Arthur Pereira, un autre motard transfuge, devait recevoir 30,000 $ en bénéfices pour sa participation au méga procès des cinq présumés Hells. (22)

Et que fait-on aussi des 189 autres témoins potentiels que la poursuite avait l’intention de faire entendre ? Que fait-on aussi des 250,000 conversations enregistrées secrètement par la police ? Fait significatif, un juge de la cour du banc de la reine du Manitoba a évoqué dans deux jugements interlocutoires que la couronne disposait de d’autre preuve que celle du témoignage de ses deux délateurs.

Les deux décisions du juge Jeffrey Oliphant furent rendues dans le cadre de requêtes pour remise en liberté présentées par certains des cinq accusés plus tôt cette année. Dans chacun des cas, la demande de remise en liberté leur avait été refusée.

Une des questions abordées par le juge Oliphant dans chacun de ses deux jugements est la force de la preuve qui sera présentée par la couronne au méga procès. À chaque fois, le juge motive sa décision de refuser les requêtes pour remise en liberté provisoire en affirmant que le dossier de la couronne contre les accusés est suffisamment solide. Ainsi, dans le premier des deux jugements, rendu le 18 février 2004, Oliphant écrit :

" Bien que le Couronne devrait compter lourdement sur la preuve de deux témoins dont la crédibilité sera l’objet de sérieuses questions au procès, je suis convaincu, sur la base de la preuve devant moi, qu’il y a d’autre preuve disponible pour la Couronne qui tend à soutenir ce que ces deux témoins iront affirmer. "

[traduction par l’auteur]

Pour consulter la décision du juge Oliphant, voir : http://www.canlii.org/mb/cas/mbqb/2004/2004mbqb50.html

Dans son second jugement, rendu cette fois-ci le 6 avril 2004, Oliphant exprime la même opinion, en élaborant toutefois davantage sur ses motifs :

" Un des facteurs que je dois prendre en considération est la force apparente, ou autrement, de l’accusation contre chacun des deux requérants-accusés. Comme j'ai déjà observé, le dossier de l’accusation ne peut pas être qualifiée de faible, à tout le moins à cet étape-ci. Si les témoins qui seront appelés par la poursuite sont crus par le juge des faits, les condamnations des deux requérants-accusés suivront presque inévitablement. "

" Bien que les avocats des deux requérants-accusés aient tous deux lancés une attaque impressionnante contre la crédibilité de certains des témoins que la poursuite a l’intention d’appeler au procès, témoins qui sont délateurs et qui ont reçu une rétribution de la part de la poursuite pour leur témoignage, je ne suis pas prêt à conclure que la preuve qu’ils doivent donner est incroyable. Il existe une preuve indépendante de celle de ces témoins, dont la crédibilité fut attaquée par l’avocat de la défense. " (23)

[traduction par l’auteur]

Bref, les deux décisions rendues par le juge Oliphant contredisent catégoriquement la position officielle de la couronne relativement au rôle supposément indispensable que devait jouer la preuve apportée par le délateur Coquete, advenant la tenue du méga procès.

Autrement dit, en l’absence d’une explication véritablement crédible de la part de la couronne, on ne peut écarter du revers de la main que le mobil réel de la décision d’arrêter les procédures soit plutôt tout autre.

Après tout, la décision de mettre un terme aux procédures ne fait pas qu’arranger les membres et associés du chapitre local des Hells Angels ; elle accommode sans doute aussi plus d’un policier winnipegois, particulièrement ceux qui sont au centre des allégations de conduite criminelle mentionnées par le procureur Morrison dans sa lettre, dont certains d’entre eux pourraient certainement être aussi mêlés à l’affaire Tokarchuk.

Et si au lieu d’être une " pierre angulaire ", Coquete ne serait-il pas plutôt devenu le parfait bouc émissaire d’un désastre annoncé ? Après tout, le délateur semble être passé du statut de source d’information à celui de source d’embarras, de " témoin spécial " à témoin gênant pour les autorités.

Si le témoignage de Coquete pouvait révéler que la police a violé la loi, alors il était clairement dans l’intérêt de la police que ce procès n’aie jamais lieu. On appelle ça enterrer une affaire -- ou un " cover-up ".

Cela permet aux policiers d’éviter d’avoir à répondre de leurs actes, et à empêcher l’éclatement de la vérité, surtout si cette vérité est susceptible de nuire à la carrière de certains policiers ambitieux et de ternir encore plus qu’elle ne l’est déjà l’image du service de police de Winnipeg.

Tout ceci n’est pas très limpide, évidemment. Mais, comme nous le verrons dans les prochains articles de cette série, la guerre secrète de la police contre les bikers criminalisés renferme encore bien d’autres affaires macabres et nauséabondes.

Sources :

(1) Winnipeg Free Press, 21 mai 2003.
(2) Winnipeg Free Press, 22 mai 2003.
(3) Winnipeg Free Press, 22 mai 2003 ; CBC Manitoba 21 mai 2003.
(4) Winnipeg Sun, 27 janvier 2001 ; Winnipeg Sun, 1er octobre 2003.
(5) Winnipeg Sun, 31 janvier 2002.
(6) Winnipeg Sun, 8 mars 2002.
(7) CBC Manitoba, 27 juin 2003.
(8) Winnipeg Sun, 12 décembre 2003.
(9) Winnipeg Free Press, 10 janvier 2004.
(10) CBC Manitoba, 27 janvier 2004.
(11) CBC Manitoba, 12 mai 2004.
(12) Winnipeg Sun, 12 mai 2004.
(13) Winnipeg Free Press, 17 février 2004.
(14) Pour consulter la décision complète de la juge Beard, voir : http://www.canlii.org/mb/cas/mbqb/2003/2003mbqb254.html
(15) Winnipeg Sun, 11 novembre 2003.
(16) Canadian Press, 24 juin 2004.
(17) Winnipeg Sun, 26 juin 2004.
(18) Winnipeg Sun, 18 avril 2002.
(19) Winnipeg Sun 25 mai 2002.
(20) Winnipeg Sun, 29 janvier 2003.
(21) Winnipeg Sun, 26 juin 2004.
(22) Tiré d’une dépêche de Presse Canadienne publiée dans le Journal de Montréal, 28 octobre 2003.
(23) Pour consulter la décision du juge Oliphant, voir : http://www.canlii.org/mb/cas/mbqb/2004/2004mbqb89.html



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