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Peut-on civiliser le capital ?Norm, Viernes, Julio 9, 2004 - 10:17 (Analyses)
Normand Landry
Oui, affirment un nombre croissant d’activistes de tous les milieux… À condition d’encourager activement ses détenteurs à le faire. L’idée fait tranquillement sa place. De plus en plus, les citoyens se mobilisent et exigent que les entreprises présentes dans leurs communautés se conduisent comme des citoyens corporatifs responsables. « Acheter, disent-il, c’est voter. » Et cela ne s’arrête pas là. Les actionnaires sont au rendez-vous. Puisque les dirigeants n’ont à rendre de compte qu’à leurs actionnaires, ceux-ci se servent de leur pouvoir pour faire adopter des clauses éthiques lors des assemblées. L’idée fait tranquillement sa place. De plus en plus, les citoyens se mobilisent et exigent que les entreprises présentes dans leurs communautés se conduisent comme des citoyens corporatifs responsables. « Acheter, disent-il, c’est voter. » Et cela ne s’arrête pas là. Les actionnaires sont au rendez-vous. Puisque les dirigeants n’ont à rendre de compte qu’à leurs actionnaires, ceux-ci se servent de leur pouvoir pour faire adopter des clauses éthiques lors des assemblées. Le célèbre et controversé économiste américain Milton Friedman, qui soutient mordicus que la « seule responsabilité sociale d’une entreprise est d’augmenter ses profits », ferait-il cavalier seul ? Portrait d’un mouvement dynamique qui fait son chemin. Il n’existe pas de définition unanime de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). La Banque mondiale définit quant à elle la RSE comme étant « l’engagement de l’entreprise à contribuer au développement économique durable, en travaillant avec leurs employés, leurs familles, la communauté locale et la société dans son ensemble pour améliorer leur qualité de vie, de manières qui sont bonnes à la fois pour les affaires et pour le développement. » De quoi faire frémir Friedman. S’agirait-il ici d’une nouvelle attaque contre le capitalisme ? C'est peu probable : les promoteurs de la responsabilisation des entreprises ne font que réaffirmer les discours tenus par les fondateurs des droits humains… de profonds libéraux. Jules Duchastel, titulaire de la chaire de recherche Mondialisation, citoyenneté et démocratie établie à l’UQAM, affirme que « le capitalisme a besoin de la démocratie. Les droits et libertés fondamentales, soutient-il, sont nécessaires au plein déploiement du capitalisme. » Les industriels ont donc selon lui tout avantage à se montrer responsables. Si le développement d’un cadre juridique fondamental et universel a servi les intérêts des détenteurs de capitaux, qui ont largement profité des nouvelles sphères de liberté s’offrant à eux, il a également encouragé la mise en oeuvre d’un processus de surveillance de leurs actions. « À partir du moment où tu mets ça dans la tête des gens, ajoute Jules Duchastel, qu’ils ont des droits et des aspirations au fonctionnement démocratique, ils peuvent les revendiquer. Dans ce sens-là, les compagnies sont prises à leurs jeux. » Le chercheur ajoute : « La conscience générale des populations, autant dans les pays du Nord que dans les pays périphériques, a fait en sorte que les compagnies se sont trouvées devant l’impossibilité de continuer des pratiques inadmissibles. » Les entreprises seraient-elles en train de promouvoir malgré elles le développement de normes publiques en matières de conduite responsable ? Pas selon le chercheur, qui déplore le fait que les entreprises « essaient de faire des codes de conduites privés, de promouvoir la même idéologie de l’autorégulation. Il y a eu des tentatives à l’ONU de faire des codes de conduites publics, mais cela a toujours un peu achoppé. » Un enjeu pour droits humains Béatrice Vaugrante, présidente de la section canadienne francophone d’Amnistie Internationale, va dans le même sens que M. Duchastel: « Tant que la responsabilité sociale des entreprises ne sera pas légiférée, elle sera récupérée par les entreprises, pour de bonnes ou mauvaises intentions. Elles vont combler ce vide que les législations offrent par des approches volontaristes. » « Le sujet, ajoute-elle, est trop grave et trop important pour laisser aux seules entreprises le soin de s’autoréguler comme elles veulent, quand elles veulent. » Amnistie Internationale, autrefois cantonnée dans la défense des droits civils et politiques, se fait maintenant un acteur majeur de la lutte pour encadrer les actions des entreprises. La présidente de la section canadienne francophone explique cette évolution ainsi : « La mission actuelle de A.I. est la défense et la promotion du respect de tous les droits humains. Nous visons dorénavant tous les acteurs de la société, pas seulement les gouvernements. L’impunité doit cesser quand des travailleurs syndicalistes sont assassinés, des populations déplacées sans plus d’accès à leur maison, à leur source de nourriture, des hommes et des femmes forcés au travail, quand les conditions minimum de travail sont ignorées, l’accès aux soins de santé impossible… Défendre les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, c’est le devoir de tous. Ne pas les violer aussi. » « Quand Caterpillar vend ses bulldozers blindés à l’armée israélienne, ajoute Mme Vaugrante, bulldozers qui servent ensuite à détruire des milliers de maisons et à priver les Palestiniens de leur droits au logement et d’accès à la terre, l’entreprise participe à une violation des droits humains. Caterpillar doit rendre des comptes, et c’est la mission d’Amnistie de dénoncer cette violation et de demander à Caterpillar que ses équipements ne servent pas à commettre des violations de droits humains. » Lorsqu’on lui demande ce que fait Amnistie Internationale à se mêler des agissements des entreprises, la militante répond que l’organisation s’insère sur l’échiquier « parce que les entreprises sont des acteurs puissants, et qui agissent en toute impunité en ce qui concerne le non-respect des droits humains. Oui c’est leur affaire car elles n’agissent pas en vase clos. Tous les jours, elles ont de l’influence sur les communautés et l’environnement. » Les organisations non gouvernementales et les citoyens sont également soutenus par les détenteurs de capitaux eux-mêmes. Sherazade Adib, analyste pour le Groupe d’investissement responsable (GIR), agit comme chercheuse sur les questions relatives aux conditions de travail des employés de diverses entreprises. Elle explique que l'investissement responsable se définit au travers de deux principales stratégies: le filtrage et l'activisme d'actionnaires. Le filtrage consiste à sélectionner des entreprises sur la base de certains critères particuliers. On élimine ainsi des entreprises polluantes, actives dans des zones de combats, ou faisant affaire avec des ateliers de misère. L'activisme d'actionnaires propose une démarche opposée. Il s’agit, selon Mme Adib, « de ne pas se défaire automatiquement des titres d'entreprises ayant de moins bonnes pratiques sociales et environnementales, mais à les influencer en introduisant des propositions d'actionnaires et en utilisant son droit de vote lors des assemblées annuelles. » Faire du « fric éthique » Le GIR, basé à Montréal, utilise un double filtre d’exclusion. Un premier filtrage « automatique » évacue du paysage responsable les entreprises ayant un mauvais bilan social ou environnemental – armement, tabac, nucléaire notamment – alors que le second filtre, plus qualitatif, prend en compte un ensemble de facteurs simultanés variés. L’on retrouve habituellement les relations et les conditions de travail, l'équité dans l'emploi, les pratiques environnementales, les relations avec les communautés touchées par les opérations, les dons de charité comme critères déterminants Les propositions d’actionnaires ont un impact direct sur la gestion d’une entreprise ; en 2002, une proposition « sociale » d’actionnaire déposée à la Baie d’Hudson a recueilli un soutien de 38 %, un record. La proposition demandait que l’entreprise rende conforme son code de conduite aux normes fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) et qu’elle se dote d'un mécanisme de surveillance indépendant. L’événement a eu un effet clair selon Sherazade Adib : « en mars 2003, la Compagnie de la Baie d'Hudson a finalement accepté les propositions des actionnaires d'amender son code de conduite dans le sens des normes de l'OIT et la Baie est devenue la première entreprise publique et le premier détaillant au Canada à publier un rapport social sur ses activités de production internationales. Ce changement d'attitude a été positivement accueilli par les actionnaires et des ONG canadiennes et est bien la preuve de l'utilité des campagnes d'actionnaires. » Les investissements responsables représenteraient, d'après le Social Investment Organization (SIO), 51,4 milliards de dollars en 2002 au Canada, soit 3,3% des investissements globaux. Investir de façon responsable est-il payant ? « Oui, répond l’analyste du GIR, parce qu'en investissant d'une manière responsable, les investisseurs réduisent les risques sociaux et environnementaux reliés aux activités des entreprises dans lesquelles ils investissent. » Il s’agit pour les investisseurs de préserver intact leur sacro-sainte image corporative et d’éviter de coûteuses campagnes de boycott. Les recours collectifs et les démêlés publics en cours sont à fuir comme la peste pour les administrateurs de grandes entreprises. Consommateurs, membres d’une organisation non gouvernementale, fiduciaire et simples citoyens des « pays développés » sont maintenant fortement encouragées à responsabiliser leurs entreprises. Une tendance qui, selon les acteurs présents sur le terrain, devrait s’inscrire dans la durée.
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