Un entretien réalisé avec l'auteur William Blum par la revue L'Humanité en 2002.

New York,
correspondance particulière.

Ancien fonctionnaire du Département d’État américain, William Blum a vivement critiqué les États-Unis dans son livre l’État voyou (publié en français aux Éditions Parangon et bientôt dans une douzaine d’autres langues). Il répond aux questions de l’Humanité.

Quels sont, selon vous, les véritables objectifs de Washington en ce qui concerne l’Irak ?

William Blum. L’administration Bush souhaite installer un autre gouvernement, qui sera un État client obéissant, en Irak comme ils ont fait en Afghanistan. Ce nouveau gouvernement rassasiera Washington en pétrole et ouvrira toutes grandes les portes du pays aux transnationales ainsi qu’aux compagnies pétrolières. Ce gouvernement accédera à tous les désirs de Washington s’agissant de ses voisins, de l’Iran ou un autre pays.

Que signifient les arguments avancés par Washington ?

William Blum. L’administration Bush ne voulait pas que les inspections reprennent. Son seul désir est d’envahir et de conquérir. Mais l’opposition rencontrée l’a forcée à reculer quelque peu et à faire croire qu’ils étaient pour les inspections. C’est là que l’Irak a tenté de coincer Washington en acceptant de laisser venir les inspecteurs sans restriction.

Pensez-vous que cette guerre était planifiée de longue date mais que l’administration Bush attendait une excuse valable ?

William Blum. Oui, je le pense. Et je pense d’ailleurs qu’ils ont planifié de nombreuses autres choses mais qu’ils attendent d’avoir une excuse valable. C’est ce qui s’est passé en Afghanistan. L’idée est de construire d’autres bases militaires et d’augmenter encore et toujours le budget militaire, etc.

Bush est-il déphasé par rapport à son pays ?

William Blum. Dans les sondages, tout dépend de la manière dont on pose la question. Si l’on demande : " Appuyez-vous la guerre en Irak ? ", une majorité de personnes répondra " oui ". Mais je suis sûr que si je posais la question sous une autre forme, j’obtiendrais de tout autres résultats, par exemple : " Êtes-vous d’accord pour qu’on lance des bombes sur les Irakiens, leurs maisons, leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs lieux de travail ? ", les gens répondraient " non ". Ils ne réalisent pas les conséquences de l’invasion en Irak. Il faut le leur expliquer mais personne ne le fait.

" Une guerre interminable qui pourrait durer cinquante ans. " Que sous-tendent ces prédictions de l’administration ?

William Blum. Les gens qui dirigent l’empire américain - je les appelle la " mafia impériale " - ont de très grandes ambitions et je pense que le changement de régime en Afghanistan leur a monté à la tête. Aujourd’hui, Kaboul, demain le monde.

Que pensez-vous du rôle de l’ONU ?

William Blum. Les politiques américaines ont sérieusement affaibli l’ONU. Le vote 15-0 qui a eu lieu au Conseil de sécurité était aussi truqué que les élections de Saddam Hussein et son score de 100 %. Les États-Unis sont en train de préparer l’OTAN pour qu’il remplace l’ONU politiquement et militairement.

Les États-Unis pourraient-ils lancer une bombe nucléaire sur Bagdad ?

William Blum. Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Ils peuvent conquérir l’Irak sans bombe nucléaire. En outre, ils ne voudraient pas envoyer leurs troupes dans une zone contaminée.

La guerre contre le terrorisme est-elle un avatar du colonialisme (" Le fardeau de l’homme blanc ") ?

William Blum. Je pense que la mafia impériale obéit effectivement à un ordre du jour moraliste, en plus de ses considérations économiques. Ils tentent de façonner le monde à l’image de l’Amérique.

Entretien réalisé par

Natasha Saulnier

Article paru dans l'édition du 27 novembre 2002