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Appel (suite)

errance, Domingo, Abril 11, 2004 - 09:23

Pour une raison hors de mon contrôle, une partie du texte Appel a été charcuté par la machine internet, voici donc le reste du petit bouquin ramené au début de la proposition VI.

Proposition VI

D'un côté, nous voulons vivre le communisme ; de l'autre, nous voulons répandre l'anarchie.

Scolie

L'ÉPOQUE QUE NOUS TRAVERSONS est celle de la plus extrême séparation. La normalité dépressive des métropoles, leurs foules solitaires expriment l'impossible utopie d'une société d'atomes.

La plus extrême séparation enseigne le sens du mot « communisme ».

Le communisme n'est pas un système politique ou économique. Le communisme se passe très bien de Marx. Le communisme se fout de l'URSS. Et l'on ne pourrait s'expliquer que l'ON fasse mine depuis cinquante ans, chaque décennie, de découvrir les crimes de Staline pour s'écrier « Voyez ce que c'est le communisme ! », si l'ON ne pressentait qu'en réalité tout nous y pousse.

Le seul argument qui ait jamais tenu contre le communisme, c'était que l'on n'en n'avait pas besoin. Et certes, pour bornés qu'il soient, il y avait bien encore, jusqu'à une date récente, çà et là, des choses, des langages, des pensées, des lieux, communs, qui subsistaient ; assez en tout cas pour ne pas dépérir. Il y avait des mondes, et ceux-ci étaient peuplés. Le refus de penser, le refus de se poser la question du communisme, avait ses arguments, des arguments pratiques. Ils ont été balayés. Les années 80, les années 80 telles qu'elles perdurent, restent en France comme le repère traumatique de cette ultime purge. Depuis lors, tous les rapports sociaux sont devenus souffrance. Jusqu'à rendre toute anesthésie, tout isolement, préférables. En un sens, c'est le libéralisme existentiel qui nous accule au communisme, par l'excès même de son triomphe.

La question communiste porte sur l'élaboration de notre rapport au monde, aux êtres, à nous-mêmes. Elle porte sur l'élaboration du jeu entre les différents mondes, de la communication entre eux' Non sur l'unification de l'espace planétaire, mais sur l'instauration du sensible, c'est-à-dire de la pluralité des mondes. En ce sens, le communisme n'est pas l'extinction de toute conflictualité, ne décrit pas un état final de la société après quoi tout est dit. Car c'est par le conflit, aussi, que les mondes communiquent. « Dans la société bourgeoise, où les différences entre les hommes ne sont que des différences qui ne tiennent pas à l'homme même, ce sont justement les vraies différences, les différences de qualité qui ne sont pas retenues. Le communiste ne veut pas construire une âme collective. Il veut réaliser une société où les fausses différences soient liquidées. Et ces fausses différences liquidées, ouvrir toutes leurs possibilités aux différences vraies. » Ainsi parlait un vieil ami.

Il est évident, par exemple, que l'ON a prétendu trancher la question de ce qui m'est approprié, de ce dont j'ai besoin, de ce qui fait partie de mon monde, par la seule fiction policière de la propriété légale, de ce qui est à moi. Une chose m'est propre dans la mesure où elle rentre dans le domaine de mes usages, et non en vertu de quelque titre juridique. La propriété légale n'a d'autre réalité, en fin de compte, que les forces qui la protègent. La question du communisme est donc d'un côté de supprimer la police, et de l'autre d'élaborer entre ceux qui vivent ensemble des modes de partage, des usages. C'est cette question que l'ON élude chaque jour au fil des « ça me soûle !", des « te prends pas la tête ! ». Le communisme, certes, n'est pas donné. Il est à penser, il est à faire. Aussi bien, tout ce qui se prononce contre lui se ramène-t-il le plus souvent à l'expression de la fatigue. « Mais jamais vous n'y parviendrez... Ça ne peut pas marcher... Les hommes sont ce qu'ils sont... Et puis, c'est déjà suffisamment dur de vivre sa vie... L'énergie est finie, on ne peut pas tout faire. » Mais la fatigue n'est pas un argument. C'est un état.

Le communisme, donc, part de l'expérience du partage. Et d'abord du partage de nos besoins. Le besoin n'est pas ce à quoi les dispositifs capitalistes nous ont accoutumés. Le besoin n'est jamais besoin de chose sans être dans le même temps besoin de monde. Chacun de nos besoins nous lie, par-delà toute honte, à tout ce qui l'éprouve. Le besoin n'est que le nom de la relation par quoi un certain être sensible fait exister tel ou tel élément de son monde. C'est pourquoi ceux qui n'ont pas de monde - les subjectivités métropolitaines, par exemple - n'ont aussi que des caprices. Et c'est pourquoi le capitalisme, là où il satisfait pourtant comme aucun autre le besoin de choses, ne répand universellement que l'insatisfaction : car pour ce faire, il doit détruire les mondes.

Par communisme, nous entendons une certaine discipline de l'attention.

La pratique du communisme, telle que nous la vivons, nous l'appelons « Le Parti ». Lorsque nous parvenons à dépasser ensemble un obstacle ou que nous atteignons un niveau supérieur de partage, nous nous disons que nous « construisons le Parti ». Certainement que d'autres, que nous ne connaissons pas encore, construisent aussi le Parti, ailleurs. Cet appel leur est adressé. Aucune expérience du communisme, dans l'époque présente, ne peut survivre sans s'organiser, se lier à d'autres, se mettre en crise, livrer la guerre. « Parce que les oasis qui dispensent la vie sont anéanties lorsque nous y cherchons refuge. »

Tel que nous l'appréhendons, le processus d'instauration du communisme ne peut prendre la forme que d'un ensemble d'actes de communisation, de mise en commun de tel ou tel espace, tel ou tel engin, tel ou tel savoir. C'est-à-dire de l'élaboration du mode de partage qui leur est attaché. Tel que nous l'appréhendons, le processus d'instauration du communisme ne peut prendre la forme que d'un ensemble d'actes de communisation, de mise en commun de tel ou tel espace, tel ou tel engin, tel ou tel savoir. C'est-à-dire de l'élaboration du mode de partage qui leur est attaché. L'insurrection elle-même n'est qu'un accélérateur, un moment décisif dans ce processus. Tel que nous l'entendons, le Parti n'est pas l'organisation - où tout est inconsistant à force de transparence - et le Parti n'est pas la famille - où tout fleure l'arnaque à force d'opacité.

Le Parti est un ensemble de lieux, d'infrastructures, de moyens communisés et les rêves, les corps, les murmures, les pensées, les désirs qui circulent entre ces lieux, l'usage de ces moyens, le partage de ces infrastructures.

La notion de Parti répond à la nécessité d'une formalisation minimale, qui nous rende accessibles tout en nous permettant de demeurer invisibles. Il appartient à l'exigence communiste de nous expliquer à nous-mêmes, de formuler les principes de notre partage. Afin que le dernier arrivé soit, en cela au moins, l'égal du plus ancien.

A y regarder de près, le Parti pourrait n'être que cela: la constitution en force d'une sensibilité. Le déploiement d'un archipel de mondes. Que serait, sous l'empire, une force politique qui n'aurait pas ses fermes, ses écoles, ses armes, ses médecines, ses maisons collectives, ses tables de montage, ses imprimeries, ses camions bâchés et ses têtes de pont dans les métropoles? Il nous paraît de plus en plus absurde que certains d'entre nous soient encore contraints de travailler pour le Capital - hors de diverses tâches d'infiltration, bien sûr.

De là vient la puissance offensive du Parti, de ce qu'il est aussi une puissance de production mais qu'en son sein les rapports ne sont des rapports de production que de manière incidente.

Le capitalisme aura consisté dans la réduction de tous les rapports, en dernière instance, à des rapports de production. De l'entreprise à la famille, la consommation elle-même apparaît comme un épisode de plus dans la production générale, dans la production de société.

Le renversement du capitalisme viendra de ceux qui seront parvenus à créer les conditions d'autres types de rapports.

En cela, le communisme dont nous parlons s'oppose terme à terme à ce que l'ON a appelé «communisme», et qui ne fut le plus souvent que socialisme, capitalisme monopoliste d'Etat.

Le communisme ne consiste pas dans l'élaboration de nouveaux rapports de production, mais bien dans l'abolition de ceux-ci.

Ne pas avoir avec notre milieu ou entre nous des rapports de production signifie ne jamais laisser la recherche du résultat prendre le pas sur l'attention au processus, ruiner entre nous toute forme de valorisation, veiller à ne pas disjoindre affection et coopération.

Être attentif aux mondes, à leur configuration sensible, c'est très exactement rendre impossible l'isolement de quelque chose comme des « rapports de production ».

Dans les lieux que nous ouvrons, autour des moyens que nous partageons, c'est cette grâce que nous recherchons, que nous éprouvons.

Pour nommer cette expérience, on entend souvent revenir, en France, le mot de « gratuité ». Plutôt que de gratuité, nous préférons parler de communisme - car nous ne parvenons pas à oublier ce que la pratique de la gratuité implique d'organisation et, à brève échéance, d'antagonisme politique.

Aussi bien, la construction du Parti, dans son aspect le plus visible, consiste pour nous dans la mise en commun, la communisation de ce dont nous disposons. Communiser un lieu veut dire: en libérer l'usage et, sur la base de cette libération, expérimenter des rapports affinés, intensifiés, complexifiés. Si la propriété privée est essentiellement le pouvoir discrétionnaire de priver qui l'on veut de l'usage de la chose possédée, la communisation c'est de n'en priver que les agents de l'empire.

De toute part on nous oppose le chantage d'avoir à choisir entre l'offensive et la construction, la négativité et la positivité, la vie et la survie, la guerre et le quotidien. Nous n'y répondrons pas. Nous voyons trop bien comment cette alternative écartèle puis scissionne et rescissionne tous les collectifs existants. Pour une force qui se déploie, il est impossible de dire si l'anéantissement d'un dispositif qui lui nuit est affaire de construction ou d'offensive, si le fait de parvenir à une relative autonomie alimentaire ou médicale constitue un acte de guerre ou de soustraction. Il est des circonstances, comme dans une émeute, où le fait de pouvoir se soigner entre camarades augmente considérablement notre capacité de ravage. Qui peut dire que s'armer ne participe pas de la constitution matérielle d'une collectivité? Là où l'on s'entend sur une stratégie commune, il n'y a pas le choix entre l'offensive et la construction, il y a, dans chaque situation, l'évidence de ce qui accroît notre puissance et de ce qui l'entame, de ce qui est opportun et de ce qui ne l'est pas. Et là où cette évidence fait défaut, il y a la discussion et, dans le pire des cas, le pari.

D'une manière générale, nous ne voyons pas comment autre chose qu'une force, qu'une réalité apte à survivre à la dislocation totale du capitalisme pourrait l'attaquer véritablement, c'est-à-dire jusqu'à cette dislocation justement.

Ce dont il s'agira, le moment venu, c'est bien de faire tourner à notre avantage l'écroulement social généralisé, de transformer un affaissement à la manière argentine, ou soviétique, en situation révolutionnaire. Ceux qui prétendent séparer autonomie matérielle et sabotage de la machine impériale disent assez qu'ils ne veulent ni de l'une ni de l'autre.
Ce n'est pas une objection contre le communisme que la plus grande expérimentation du partage dans la période récente ait été le fait du mouvement anarchiste espagnol entre 1868 et 1939.

Proposition VII

Le communisme est à tout moment possible. Ce que nous appelons « Histoire » n'est à ce jour que l'ensemble des détours inventés par les humains pour le conjurer. Que cette «Histoire» se ramène depuis un bon siècle à une accumulation variée de désastres, et seulement à cela, dit bien que la question communiste ne peut plus être suspendue. C'est cette suspension qu'il nous faut, à son tour, suspendre.

Scolie

«MAIS QU'EST﷓CE QUE VOUS voulez au juste.? Qu'est-ce que VOUS proposez?»

Ce genre de question peut paraître innocent. Mais ce ne sont pas des questions, malheureusement. Ce sont des opérations.

Renvoyer tout NOUS qui s'exprime à un VOUS étranger, c'est d'abord conjurer la menace que ce NOUS m'appelle de quelque manière, que ce NOUS me traverse. Ensuite, c'est constituer qui ne fait que porter un énoncé - en soi inassignable - en propriétaire de celui-ci. Or, dans l'organisation méthodique de la séparation qui domine pour l'heure, les énoncés ne sont admis à circuler qu'à condition de pouvoir justifier d'un propriétaire, d'un auteur. Sans quoi ils menaceraient d'être un peu communs, et seul ce qu'énonce le ON est autorisé à la diffusion anonyme.

Et puis, il y a cette mystification: que, pris dans le cours d'un monde qui nous déplaît, il y aurait des propositions à faire, des alternatives à trouver. Que l'on pourrait, en d'autres termes, s'extraire de la situation qui nous est faite, pour en discuter de manière dépassionnée, entre gens raisonnables.

Or non, il n'y a pas d'espace hors situation. Il n'y a pas de dehors à la guerre civile mondiale. Nous sommes irrémédiablement là.

Tout ce que nous pouvons faire, c'est y élaborer une stratégie. Partager une analyse de la situation et y élaborer une stratégie. C'est le seul NOUS possiblement révolutionnaire, le NOUS pratique, ouvert et diffus de qui oeuvre dans le même sens.

A l'heure où nous écrivons, en août 2003, nous pouvons dire que nous faisons face à la plus grande offensive du Capital depuis une vingtaine d'années. L'anti-terrorisme et la suppression des derniers aménagements conquis en d'autres temps par le défunt mouvement ouvrier donnent le ton d'une mise au pas générale de la population. Jamais les gestionnaires de la société n'ont si bien su de quels obstacles ils étaient affranchis et de quels moyens ils étaient détenteurs. Ils savent, par exemple, que la petite bourgeoisie planétaire qui peuple désormais les métropoles est bien trop désarmée pour offrir la moindre résistance à son anéantissement programmé. Comme ils savent que se trouve désormais inscrite par millions de tonnes de béton, à même l'architecture de tant de «villes nouvelles», la contre-révolution qu'ils dirigent. A plus long terme, il semble que le plan du Capital soit bien de détacher à l'échelle du globe un ensemble de zones sécurisées, incessamment reliées entre elles, et où le processus de valorisation capitaliste embrasserait d'un mouvement à la fois perpétuel et inentravé toutes les manifestations de la vie. Cette zone de confort impériale, citoyenne et déterritorialisée formerait une espèce de continuum policier où régnerait un niveau de contrôle à peu près constant, tant politiquement que biométriquement. Le « reste du monde » pourrait alors être brandi, au fur et à mesure de son incomplète pacification, comme repoussoir et, dans le même temps, comme gigantesque dehors à civiliser. L'expérimentation sauvage de cohabitation zone à zone entre enclaves hostiles telle qu'elle se déroule depuis des décennies en Israël offrirait le modèle de la gestion du social à venir. Nous ne doutons pas que l'enjeu réel de tout cela soit, pour le Capital, de se reconstituer depuis la base sa société à lui. Quelle qu'en soit la forme, et à quelque prix que ce soit.

On a vu avec l'Argentine que l'effondrement économique d'un pays entier n'était pas, de son point de vue, trop cher payer.

Dans ce contexte, nous sommes ceux, tous ceux qui éprouvent la nécessité tactique de ces trois opérations:

1. Empêcher par tous les moyens la recomposition de la gauche.

2. Faire progresser, de «catastrophe naturelle» en «mouvement social», le processus de communisation, la construction du Parti.

3. Porter la sécession jusque dans les secteurs vitaux de la machine impériale.

1. Périodiquement, la gauche est en déroute. Cela nous amuse mais ne nous suffit pas. Sa déroute, nous la voulons définitive. Sans remède. Que plus jamais le spectre d'une opposition conciliable ne vienne planer dans l'esprit de ceux qui se savent inadéquats au fonctionnement capitaliste. La gauche - cela tout le monde l'admet aujourd'hui, mais nous en souviendrons-nous encore après-demain? - fait partie intégrante des dispositifs de neutralisation propres à la société libérale. Plus s'avère l'implosion du social, plus la gauche invoque «la société civile.» Plus la police exerce impunément son arbitraire, plus elle se déclare pacifiste. Plus l'Etat s'affranchit des dernières formalités juridiques, plus elle devient citoyenne. Plus l'urgence s'accroît de s'approprier les moyens de notre existence, plus la gauche nous exhorte à attendre, à réclamer la médiation, sinon la protection de nos maîtres. C'est elle qui nous enjoint aujourd'hui, face à des gouvernements qui se placent ouvertement sur le terrain de la guerre sociale, à nous faire entendre d'eux, à rédiger nos doléances, à former des revendications, à étudier l'économie politique. De Léon Blum à Lula, la gauche n'a jamais été que cela: le parti de l'homme, du citoyen et de la civilisation. Aujourd'hui, ce programme coïncide avec le programme contre-révolutionnaire intégral. Celui de maintenir en place l'ensemble des illusions qui nous paralysent. La vocation de la gauche est donc d'exposer le rêve de ce dont l'empire seul a les moyens. Elle forme le versant idéaliste de la modernisation impériale, la soupape nécessaire à l'insupportable train du capitalisme. ON ne répugne plus à l'écrire dans les publications mêmes du ministère de la Jeunesse, de l'Education et de la Recherche: « Désormais chacun sait que sans l'aide concrète des citoyens, l'Etat n'aura ni les moyens ni le temps de réussir les chantiers qui peuvent éviter à notre société d'exploser.» (Envie d'agir - Le Guide de l'engagement)

Défaire la gauche, c'est-à-dire maintenir constamment ouvert le canal de la désaffection sociale, n'est pas seulement nécessaire mais aujourd'hui possible. Nous sommes témoins, alors même que se renforcent à un rythme accéléré les structures impériales, du passage de la vieille gauche travailliste, fossoyeuse du mouvement ouvrier et issue de lui, à une nouvelle gauche, mondiale, culturelle, dont on peut dire que le négrisme forme la pointe la plus avancée. Cette nouvelle gauche est encore mal assise sur la récente neutralisation du «mouvement anti-mondialisation». Les leurres qu'elle avance passent encore pour tels, tandis que les anciens n'agissent plus.

Notre tâche est de ruiner la gauche mondiale partout où elle se manifeste, de saboter méthodiquement, c'est-à-dire tant dans la théorie que dans la pratique, chacun de ses possibles moments de constitution. Ainsi, notre succès, à Gênes, n'aura pas tant résidé dans les spectaculaires affrontements avec la police ou dans les dommages infligés aux organes de l'Etat et du Capital que dans le fait que la diffusion des pratiques de confrontation propres au «Black Bloc» dans tous les cortèges de la manifestation ait sabordé l'apothéose annoncée des Tute Bianche. Aussi bien, notre échec depuis lors est de n'avoir pas su élaborer notre position de telle manière que cette victoire dans la rue devienne autre chose que le simple épouvantail agité désormais systématiquement par tous les mouvements dits « pacifistes ».

C'est maintenant le repli de cette gauche mondiale sur les forums sociaux - repli dû au fait qu'elle a été vaincue dans la rue - qu'il nous faut attaquer.

2. D'année en année s'accroît la pression pour que tout fonctionne. A mesure que progresse la cybernétisation du social, la situation normale se fait plus impérieuse. Et c'est tout à fait logiquement que se multiplient, dès lors, les situations de crise, les dysfonctionnements. Une panne d'électricité, une canicule ou un mouvement social ne diffèrent pas, du point de vue de l'empire. Ce sont des perturbations. Il faut les gérer. Pour l'instant, c'est-à-dire du fait de notre faiblesse, ces situations d'interruption se présentent comme autant de moments où l'empire survient, s'inscrit dans la matérialité des mondes, expérimente de nouvelles procédures. C'est là, surtout, qu'il s'attache plus fermement les populations qu'il prétend secourir. L'empire se donne partout pour l'agent du retour à la situation normale. Notre tâche, à l'inverse, est de rendre habitable la situation d'exception. Nous ne parviendrons à véritablement « bloquer la société-entreprise » qu'à condition de peupler ce blocage d'autres désirs que celui du retour à la normale.

Ce qui se produit dans une grève ou dans une «catastrophe naturelle», en un sens, est bien semblable. Une suspension intervient dans la régularité organisée de nos dépendances. Vient à nu, alors, en chacun, l'être de besoin, l'être communiste, ce qui essentiellement nous lie et ce qui essentiellement nous sépare. Le voile de honte dont tout cela se couvrait d'habitude se déchire. La disponibilité à la rencontre, à l'expérimentation d'autres rapports au monde, aux autres, à soi, telle qu'elle se manifeste là, suffit à balayer tout doute quant à la possibilité du communisme. Quant au besoin de communisme, aussi. Ce qui est alors requis, c'est notre capacité d'auto-organisation, notre capacité, en nous organisant d'emblée sur la base de nos besoins, de faire durer, de propager, de rendre effective la situation d'exception, sur la terreur de quoi repose le pouvoir impérial. Cela est particulièrement frappant dans les «mouvements sociaux». L'expression même «mouvement social» semble être là pour suggérer que ce qui importe vraiment, alors, c'est ce vers quoi l'on va, et non ce qui se passe là. Il y a dans tous les mouvements sociaux, à ce jour, un parti pris de ne pas se saisir de ce qui est là, par quoi s'explique le fait qu'ils se succèdent sans jamais s'agréger, semblant plutôt se chasser l'un l'autre. De là la texture particulière, si volatile, de la socialité de mouvement, où tout engagement paraît si révocable. De là, aussi, leur invariable dramaturgie: un rapide essor dû à la résonance médiatique puis, partant de cette agrégation hâtive, la lente mais fatale usure; enfin, le mouvement tari, le dernier carré d'irréductibles qui s'encarte à tel ou tel syndicat, fonde telle ou telle association, espérant par là trouver une continuité organisationnelle à son engagement. Mais ce n'est pas une telle continuité que nous recherchons : le fait de disposer de locaux où éventuellement se réunir et d'une photocopieuse pour tirer des tracts. La continuité que nous recherchons est celle qui nous permet, après avoir lutté pendant des mois, de ne pas retourner travailler, de ne pas reprendre le travail comme avant, de continuer à nuire. Et celle-là, nous ne pouvons la bâtir que durant les mouvements. Elle est affaire de mise en commun immédiate, matérielle, de construction d'une véritable machine de guerre révolutionnaire, de construction du Parti.

Il s'agit, comme nous le disions, de s'organiser sur la base de nos besoins - de parvenir à répondre progressivement à la question collective de manger, de dormir, de penser, de s'aimer, de créer des formes, de coordonner nos forces - et de concevoir cela comme un moment de la guerre contre l'empire.

C'est seulement de la sorte, en habitant les perturbations mêmes du programme, que nous pourrons contrer ce «libéralisme économique» qui n'est que la stricte conséquence, la mise en oeuvre logique du libéralisme existentiel qui est partout accepté, pratiqué, auquel chacun est attaché comme à son droit le plus élémentaire, y compris ceux qui voudraient défier le « néo-libéralisme». C'est ainsi que le Parti se construira, comme une traînée de lieux habitables laissés derrière elle par chacune des situations d'exception que rencontre l'empire. On ne manquera pas, alors, de constater comme les subjectivités et les collectifs révolutionnaires deviennent moins friables, à mesure qu'ils se donnent un monde.

3. L'empire est manifestement contemporain de la constitution de deux monopoles: d'un côté, le monopole scientifique des descriptions «objectives» du monde et des techniques d'expérimentation sur celui-ci, de l'autre le monopole religieux des techniques de soi, des méthodes par quoi s'élaborent des subjectivités - monopole à quoi' se rattache directement la pratique psychanalytique. D'un côté un rapport au monde pur de tout rapport à soi - à soi comme fragment du monde -, de l'autre un rapport à soi pur de tout rapport au monde - au monde en tant qu'il me traverse. Tout se passe dès lors comme si les sciences et les religions, dans leur écartèlement même, configuraient l'espace où l'empire est idéalement libre de se mouvoir.

Certes, ces monopoles sont diversement distribués suivant les zones de l'empire. Dans les contrées dites développées, les sciences constituent un discours de vérité auquel est reconnu le pouvoir de mettre en forme l'existence même de la collectivité, là où le discours religieux a perdu cette capacité. C'est donc là qu'il nous faut, pour commencer, porter la sécession.

Porter la sécession dans les sciences ne signifie pas se jeter sur elles comme sur une forteresse à conquérir ou à raser, mais rendre saillantes les lignes de fracture qui les parcourent, prendre le parti de ceux qui accentuent ces lignes, et qui pour cela, commencent par ne pas les masquer. Car de la même façon que des fêlures travaillent en permanence la fausse compacité du social, de la même façon chaque branche des sciences forme un champ de bataille saturé de stratégies. Longtemps, la communauté scientifique est parvenue à donner d'elle-même l'image d'une grande famille unie, consensuelle pour l'essentiel, et si respectueuse des règles de courtoisie. Ce fut même là l'opération politique majeure attachée à l'existence des sciences: voiler les déchirements internes, et exercer, depuis cette image lissée, des effets de terreur inégalés. Terreur vers le dehors, comme privation, pour tout ce qui n'est pas reconnu comme scientifique, du statut de discours de vérité. Terreur vers le dedans, comme disqualification polie, féroce, des hérésies potentielles. «Cher collègue ... »

Chaque science met en oeuvre un ensemble d'hypothèses; ces hypothèses sont autant de décisions quant à la construction du réel. Cela est aujourd'hui largement admis. Ce qui est dénié, c'est la signification éthique de chacune de ces décisions, ce en quoi elles engagent une certaine forme de vie, une certaine façon de percevoir le monde (par exemple, éprouver le temps de l'existence comme déroulement d'un «programme génétique », ou la joie comme une affaire de sérotonine).

Ainsi, les jeux de langage scientifiques semblent moins faits pour établir une communication entre ceux qui en usent que pour exclure ceux qui les ignorent. Les agencements matériels, étanches, dans lesquels s'insère l'activité scientifique laboratoires, colloques, etc. - portent en eux le divorce entre les expérimentations et les mondes qu'elles pourraient configurer. Il ne suffit pas de décrire la manière dont les recherches dites «fondamentales» sont toujours connectées par quelque biais aux flux militaro-marchands, et dont réciproquement, ceux-ci contribuent à définir les contenus, les orientations mêmes de la recherche. La façon qu'ont les sciences de participer à la pacification impériale, c'est d'abord de mener les seules expérimentations, de tester les seules hypothèses qui sont compatibles avec le maintien de l'ordre dominant. Notre façon de ruiner l'ordre impérial ne peut que passer par l'ouverture d'espaces disponibles aux expérimentations antagonistes. Il dépend de l'existence de tels lieux de dégagement que des expérimentations accouchent de leurs mondes connexes comme il dépend de la pluralité de ces mondes que s'exprime la conflictualité étouffée des pratiques scientifiques.

Il s'agit que les praticiens de la vieille médecine mécaniste et pasteurienne rejoignent ceux qui pratiquent les médecines «traditionnelles», tout égarement new age mis à part. Que l'on cesse de confondre l'attachement à la recherche avec la défense judiciaire de l'intégrité des laboratoires. Que les pratiques agricoles non productivistes se développent hors du pré carré des labels bio. Que soient toujours plus nombreux ceux qui éprouve vent le caractère irrespirable des contradictions de «l'éducation nationale», entre défense de la République et atelier de l'auto-entrepreneuriat diffus. Que la «culture» ne puisse plus s'enorgueillir de la collaboration d'un seul inventeur de formes.

Partout des alliances sont possibles.

La perspective de briser les circuits capitalistes exige, pour devenir effective, que les sécessions se multiplient,
et qu'elles s'agrègent.

ON nous dira: vous êtes pris dans une alternative qui, d'une manière ou d'une autre, vous condamne: soit vous parvenez à constituer une menace pour l'empire, et dans ce cas, vous serez rapidement éliminés; soit vous ne parviendrez pas à constituer une telle menace, vous vous serez vous-mêmes détruits, une fois de plus.

Reste à faire le pari qu'il existe un autre terme, une mince ligne de crête suffisante pour que nous puissions y marcher, suffisante pour que tous ceux qui entendent puissent y marcher et y vivre.

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