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L’élection présidentielle au Salvador : un acte démocratique, mais…Anonyme, Domingo, Abril 4, 2004 - 06:23 (Analyses | Democratie)
Mission Québec-Salvador
Un groupe de personnes oeuvrant dans divers milieux (juridique, social, politique et de l’enseignement) du Québec participa comme observateur de la récente élection présidentielle au Salvador, le 21 mars. Le texte qui suit reflète leurs perceptions de cette expérience. Depuis les accords de paix de janvier 1992, El Salvador, le plus petit pays de l’Amérique centrale, est entré dans une nouvelle phase de son histoire. Après 12 ans de combats, qui firent entre 50,000 et 70,000 morts et qui causèrent un exil massif vers les États-Unis, le Canada et d’autres pays, les armes ont été remplacées par le vote et les institutions. La création de la Procuraduría, institution chargée de veiller pour le respect des droits humains, la réorganisation de la police, l’attribution de terres aux anciens combattants des deux armées et la transformation des rebelles en parti politique légal, le FMLN ou Front Farabundo Martí de libération nationale (le même nom utilisé durant la guerre civile) étaient autant des mesures visant à garantir la paix. Bien que certaines d’elles aient été plus au moins respectées (notamment l’interdiction aux anciens policiers accusés d’actes criminels de faire partie de la nouvelle organisation) et que le départ des Salvadoriens vers l’extérieur ne s’est pas arrêté, cette fois-ci pour des raisons économiques, il reste que le pays a laissé derrière lui la phase la plus violente de son histoire. Depuis 1994, le FMLN participe aux élections et devient vite la deuxième force politique du pays, après ARENA, le parti de la droite salvadorienne, qui détient le pouvoir au pays depuis 1989. Cette formation a en effet remporté les trois dernières élections présidentielles, avec Alfredo Cristiani (1989-1994), Armando Calderón Sol (1994-1999) et Francisco Flores (1999-2004). Lors de l’élection présidentielle du 21 mars, les deux principales forces en présence étaient Elías Antonio Saca, d’ARENA, parti qui briguait un quatrième mandat consécutif, et Shafick Handal, du FMLN. Ce dernier pensait avoir de chances de l’emporter, puisqu’il était devenu le premier parti politique du pays lors de l’élection législative et municipale de 2003, et qu’il misait sur l’argument de l’alternance au pouvoir pour convaincre les électeurs. Une situation économique peu prometteuse et plusieurs accusations de corruption contre des hauts fonctionnaires du gouvernement semblaient constituer d’autres facteurs favorables à un changement de cap. Néanmoins, le résultat est maintenant connu : ARENA l’a emporté largement, avec 57,71% du vote, contre 35,68% pour le FMLN. En tant qu’observateurs de ce processus, quelle est sa validité et comment expliquer le résultat? Notre groupe est arrivé au pays le 17 mars, soit quatre jours avant l’élection. Nous faisions partie d’un nombre assez imposant d’observateurs internationaux, environ 500, venus d’une vingtaine de pays (Australie, Europe, Amérique latine, États-Unis, Canada). Certains membres du groupe ont eu des problèmes à leur arrivée à l’aéroport, puisque tous les noms ne figuraient pas sur la liste d’observateurs et on les a signifié qu’ils devraient peut-être rebrousser chemin. Néanmoins, nous n’avons pas de preuves nous permettant d’affirmer que cela a été fait de façon délibérée par les autorités salvadoriennes, et le problème fut finalement résolu. Une fois débarqués, nous avons eu la possibilité pour nous promener, faire des visites, assister à des séances d’information et rencontrer diverses organisations sociales et politiques. L’ambiance en générale était assez calme. Néanmoins, il était visible que les principales forces en présence ne se battaient pas à armes égales : dans les principales rues de la capitale, les panneaux publicitaires d’ARENA étaient de loin les plus présents, et la quasi totalité des média, électroniques et presse écrite (nous ne pouvons pas nous prononcer sur la situation des stations de radio) appuyaient aussi ce parti. En plus, certains des messages parus dans les journaux constituaient une véritable campagne de peur contre le FMLN, en accusant son candidat de vouloir transformer le Salvador dans un autre Cuba, de ne pas être chrétien et de favoriser l’avortement et surtout, en annonçant la possibilité de représailles des États-Unis contre le pays si la gauche l’emportait, ce qui se traduirait par l’arrêt des remesas, l’argent envoyé par les Salvadoriens à leurs familles. Compte tenu de l’importance de ces sommes pour l’économie du pays (14% du PIB) cette menace, qui selon ce qui nous a été rapporté, a été martelée dans les dernières semaines de la campagne, pouvait avoir un impact important. La loi qui interdit la publicité électorale dans les trois jours avant le scrutin a été contournée par des groupes soit-disant non-partisans pour inonder les journaux de ces menaces. Également, les États-Unis se sont ingérés dans le processus par la voix de son chargé d’affaires en Amérique centrale, M. Otto Reich, pour confirmer sans nuances ces menaces. Pour Marcela Sánchez du Washington Post, traduit dans le El Diario de Hoy du 26 mars, «la victoire décisive de la droite est en partie due aux prédictions étasuniennes d’un avenir sombre si l’opposition l’emportait». Le jour de l’élection, notre groupe a été présent à deux endroits. Une partie est restée à San Salvador, une autre est allée à Usulután, située à l’est du pays, la ville natale des deux principaux candidats (et qui sont, curieusement, tous les deux issus de familles palestiniennes). Nous pouvons affirmer que le processus s’est déroulé en général de façon relativement satisfaisante : contrôle rigoureux de l’identité des électeurs (avec photo et empreinte digitale), présence de représentants de tous les partis dans chaque bureau de vote, dépouillement du vote de façon correcte et un taux élevé de participation : 67,34% des gens sont allés voter, alors qu’en 1999 à peine 49% des électeurs s’étaient déplacés. Le résultat a été connu assez tôt, et il n’y a pas eu de suspens. Dès le premier décompte, il était visible qu’ARENA l’emportait facilement partout au pays. Le soir, Saca et ses partisans ont célébré leur victoire, alors que le FMLN reconnaissait la défaite, tout en dénonçant la campagne de salissage, la journée se terminant sans incidents. En tant qu’observateurs, nous reconnaissons la validité, dans l’ensemble, du processus de votation observé le jour du scrutin. Certes, il y aurait des améliorations à apporter, principalement l’emplacement des isoloirs, trop proches des files d’attente, qui ne protégeaient vraiment pas l’intimité de l’électeur ou encore le fait que l’on permette aux gens de venir voter portant le chandail du parti de son choix, ce qui constitue une forme de publicité. À Usulután, nous avons vu que de nombreux représentants du parti ARENA y circulaient constamment, donnant des directives y compris aux scrutateurs comme s’ils avaient autorité sur eux. Nous avons remarqué plusieurs irrégularités relativement au vote secret, au respect des procédures ou du code électoral, qui auraient pu être évitées et pour lesquelles nos représentations n’ont pas eu nécessairement les suites espérées. Cependant nous n’avons pas été témoins de fraude le jour de l’élection. Si la police a été présente partout dans les lieux de vote, ils n’ont pas agi de façon à intimider les électeurs. Au contraire, nous les avons trouvé un peu passifs devant certaines situations qui nous inquiétaient. Par ailleurs, on peut se poser des questions sur le contexte global du processus. Il n’existe pas au Salvador une loi limitant les dépenses électorales, ou les contributions des entreprises aux caisses des partis, ce qui rend le processus assez inégal. L’absence des médias indépendants et l’inefficacité du Tribunal Suprême électoral (dont les décisions doivent être prises par une majorité d’au moins quatre voix contre un) constituent d’autres obstacles importants. Le fait que les Salvadoriens résidant en dehors du pays ne puissent pas voter à l’extérieur prive une partie très importante de la population (2 millions sur 8, soit un quart du total!) de participer aux décisions. Les déclarations de représentants de la Maison Blanche et de certains politiciens du Congrès des Etats-Unis ont eu sûrement un impact sur les électeurs. Le jugement de la population doit être exempt de toute influence indue pour être considéré comme librement exercé. Tout cela nous amène donc à émettre des réserves sur la qualité et sur la valeur de l’exercice démocratique du 21 mars 2004, globalement parlant. Enfin, quelles sont les projections de la victoire d’ARENA? Saca veut continuer la route vers l’intégration économique avec les États-Unis, souhaitant la confirmation du traité bilatéral de libre-échange entre les deux pays par le congrès. Il entend maintenir le dollar comme unité monétaire, malgré les critiques du FMLN, qui voit dans cette mesure un facteur d’augmentation des prix. Il veut aussi rendre permanente la loi transitoire contre les maras, les gangs de jeunes, loi jugée inconstitutionnelle par plusieurs juges, puisqu’elle permet l’arrestation des jeunes par le seul fait d’appartenir à une gang, ou de porter un tatouage, même sans avoir commis de délit. Le résultat de l’élection semble aussi mener le pays vers une polarisation politique croissante et la formation d’un système basé seulement sur deux partis. En effet, les autres formations (CDU-DC et PCN) ont obtenu de pointages tellement bas (3,90 et 2,71% respectivement), qu’elles risquent de disparaître légalement. L’avenir dira si un tel système rend le pays plus démocratique ou si, compte tenu des facteurs matériels déjà mentionnés, il conduira au monopole du pouvoir par une seule formation. Par José Del Pozo, Pierre Dostie, Minerva Gutiérrez, Louis Hallé, Lynda Poirier, William Sloan et Claudio Zanchettin
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