Depuis 1987, les Etats-Unis présentent chaque année une résolution contre Cuba à la
Commission des droits de l’homme de Genève. Rédigée à Washington, elle est maintenant
promue par divers pays latino-américains, sur ordre du gouvernement étasunien, pour des
questions de relations publiques et de stratégie politique.
Cuba et la question des droits de l’Homme
Depuis 1987, les Etats-Unis présentent chaque année une résolution contre Cuba à la
Commission des droits de l’homme de Genève. Rédigée à Washington, elle est maintenant
promue par divers pays latino-américains, sur ordre du gouvernement étasunien, pour des
questions de relations publiques et de stratégie politique. En effet, l’immense majorité des
précédents textes proposés ont été rejetés par la Commission à cause de leur caractère factuel
lacunaire et de leur teneur tendancieuse et arbitraire. La prochaine résolution sera
probablement présentée par le Costa Rica au mois d’avril 2004.1
Considérer Cuba comme une dictature, comme l’ultime régime non démocratique du
continent américain, est quasiment devenu une platitude de première dimension que les
transnationales de l’information présentent comme un état de fait indiscutable. Ce point de
vue est considéré comme tellement vérace qu’aucune analyse de la problématique cubaine ne
semble nécessaire. Il ne va pas sans dire qu’il a pleinement sa place dans l’éventail
médiatique, éminemment sélectif, des opinions acceptables. La plupart des jugements portés à
l’égard de l’Ile des Caraïbes proviennent d’un arsenal d’opinions préconçues, soigneusement
alimenté par la propaga nde étasunienne depuis le triomphe de la Révolution en 1959.
Il est urgent, par conséquent, de reléguer les préjugés idéologiques au second plan, et
d’aborder la structure sociétale cubaine à partir d’un principe d’honnêteté intellectuelle. Pour
cela, une brève perspective historique et une analyse comparative, à partir d’une assise
factuelle précise et concrète, de la nation cubaine avec le reste de l’Amérique latine et du
monde sont nécessaires. Si l'étude comparative est à manier avec précaution, elle est
indispensable à une compréhension de la réalité révolutionnaire cubaine, car il est délicat de
critiquer empiriquement un modèle sans s’en référer à un autre. A moins que l’on préfère
cultiver le flou et les idées reçues pour des impératifs idéologiques.
Le contexte historique dans lequel Cuba a construit son destin en tant que nation indépendante
et souveraine est éminemment parlant. Avant même la déroute du dictateur Fulgencio Batista
en janvier 1959, le gouvernement d’Eisenhower avait pris la décision d’empêcher la victoire
des révolutionnaires cubains. Dès le 15 avril 1959, le vice-président étasunien Richard Nixon,
après sa rencontre avec Fidel Castro, avait conclu dans un mémorandum envoyé au
Département d’Etat qu’il était l’« homme à abattre ».2 De ce fait, à la fin de l’année 1959, des
avions en provenance de Floride bombardaient constamment l’Ile détruisant des raffineries,
brûlant les champs de canne à sucre, attaquant même les trains de passagers.3 Depuis cette
date, Cuba a souffert d’un nombre infini d’attaques terroristes organisées et financées par les
exilés cubains de Floride et l’administration de Washington. Il n’existe pas d’autre équivalent
historique d’une telle offensive de la part de la première puissance mondiale contre une petite
nation du Tiers-monde. Ces paramètres devraient constituer le premier chapitre de toute étude
sérieuse portant sur la Révolution cubaine.
En conséquence, les agressions menées contre Cuba ne se comptent plus et la gamme des
moyens utilisés est impressionna nte. En 1971, le terrorisme bactériologique fut employé avec
l’introduction de la fièvre porcine, maladie virale étrangère à l’hémisphère américain, dans le
pays par la CIA et des exilés cubains. Ce fléau eut des conséquences désastreuses pour
l’économie cubaine avec l’abattage de plus d’un demi million de porcs, source primordiale de
protéines de l’île. Cette épidémie fut qualifiée « d’évènement le plus alarmant de l’année »
par les Nations unies.4 En 1981, la dengue hémorragique, autre maladie inconnue du Nouveau
Monde, frappa de plein fouet la population cubaine et fit 344 203 victimes parmi lesquelles
158 y laissèrent la vie, dont 101 enfants.5 Cette atrocité commise par la CIA et les extrémistes
cubains de Miami s’avéra la plus meurtrière de toutes, mais ne fut pas la seule. A cela
s’ajoute, le sanglant attentat commis le 6 octobre 1976 sur un avion commercial cubain en
provenance des Barbades dans lequel perdirent la vie 73 personnes.6 En 1997, une vague
d’attentats ensanglanta les centres touristiques de l’Ile.7 Au total, plus de 300 assauts
terroristes ont été perpétrés contre Cuba et ont coûté la vie à des milliers de citoyens
insulaires.8 En tout et pour tout, Cuba a dû faire face à une invasion militaire en avril 1961, à
une menace d’agression nucléaire, à une guerre biologique et au terrorisme international. Tout
cela au nom de la liberté et de la démocratie.
C’est dans un tel contexte, de permanente hostilité, que les Cubains ont érigé leur projet
sociétal, avec tous les aléas économiques qui en découlent dus aux inévitables dépenses en
matière de sécurité. A cette constante menace s’ajoutent les sanctions économiques en vigueur
depuis le 7 février 1962, imposées par le président Kennedy. Le blocus, considéré comme un
acte de guerre par le Droit international depuis 1909, entraîne des privations insupportables
pour le peuple cubain et viole les plus hautes conventions internationales dont la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948.9 Condamné par
l’immense majorité de la communauté internationale, il a pour objectif de détruire la capacité
normative de l’Etat cubain en lui imposant un état de siège insoutenable. En novembre 2003,
179 pays ont voté contre les sanctions économiques à l’Assemblée générale de l’ONU, sans
succès. Une étude réalisée en 1997 par la American Association for World Health (AAWH),
dont le président est Jimmy Carter, notait que le blocus « viole les plus basiques accords et
conventions internationales qui tracent les lignes sur les droits de l’homme, incluant la
Chartre des Nations unies [Article 5], la Charte de l’Organisation des Etats américains
(OEA) [Article 16] et les articles de la Convention de Genève qui régissent le traitement des
civils en temps de guerre ».10
Ce châtiment frappe de plein fouet la structure économique et sociale de la nation cubaine.
Les adulateurs de cette politique hostile, à savoir le gouvernement étasunien et l’extrême
droite cubaine, arguent que Cuba peut commercer avec le reste du Monde. C’est faire fi de
l’histoire cubaine et des chiffres. En 1959, 65% des exportations cubaines étaient destinées au
marché étasunien et les importations cubaines provenaient à 73,5% de là.11 Donc,
historiquement, les Etats-Unis ont constitué le marché naturel de Cuba. Pendant la Guerre
froide, l’île a pu compter sur l’aide de l’Union soviétique et sur ses tarifs préférentiels mais
depuis 1991, elle doit faire face au marché international et à la recrudescence des sanctions
économiques, avec le vote de la loi Torricelli de 1992 et Helms-Burton de 1996. Un exemple
précis permet de saisir l’une des nombreuses difficultés engendrées par le blocus :
l’importation de 1000 tonnes de lait en poudre de Nouvelle Zélande coûte 150 000 dollars
alors qu’il serait possible d’importer la même quantité de Miami pour seulement 25 000
dollars, soit un sixième du prix. Pour une somme équivalente, il serait possible d’acheter 6000
tonnes de lait en poudre à Miami. Cette énorme différence de pouvoir d’achat est d’autant
plus importante que Cuba est une île du Tiers-monde.12
Voilà une partie quelque peu schématique de la problématique cubaine qu’il est impératif
d’avoir à l’esprit dès lors qu’il s’agit d’analyser cette société et son fonctionnement. La
réalité, autrement plus complexe, n’est pas saisissable sans un examen minutieux qui ne laisse
aucune place aux idées reçues. Cette brève perspective soulève de nombreuses interrogations.
Comment a réagi Cuba face cette guerre explicitement déclarée ? Quelles ont été les
conséquences sociales et humaines d’une telle politique impériale ? Au-delà des clichés, les
chiffres et les faits sont éloquents.
En plus de 45 années d’état de guerre, pas un seul cas de torture, de disparition ou d’assassinat
politique n’a été rapporté par les organismes interna tionaux à l’égard du gouvernement de La
Havane. Jamais depuis 1959, un journaliste n’a été tué à Cuba. Même le Département d’Etat
des Etats-Unis confirme dans un rapport daté de 2000 qu’il n’y a pas de « disparitions ou
d’assassinats pour des raisons politiques » sur l’île.13 Ce constat est exceptionnel si l’on
daigne accorder de l’importance à l’histoire latino-américaine depuis 1945, avec ses légions
de disparus, ses tortures en série, ses génocides, et toutes les exactions commises par les
régimes néo- fascistes appuyés par Washington (Guatemala, Nicaragua, Panama, Chili,
Argentine etc…). Actuellement, au Mexique, les exactions commises à l’encontre des
militants indigènes du Chiapas sont régulières. En Colombie, les assassinats d’opposants
politiques par des factions paramilitaires liées au gouvernement sont monnaie courante. Au
Salvador, des disparitions inexpliquées de syndicalistes dérangeants sont régulièrement
répertoriées. Au Brésil, les forces para-policières sont responsables de nombreux infanticides
à l’encontre des jeunes indigents des favelas. Et la liste est encore longue comme le montrent
les rapports de Human Rights Watch et d’Amnesty International. A aucun moment une
quelconque institution mondiale n’a rapporté de faits similaires à l’encontre de Cuba depuis le
triomphe de la Révolution.14
Le parti unique cubain est la cible de toutes les critiques des âmes bien pensantes, et serait la
preuve même du déficit démocratique de la nation socialiste. Sans constituer un idéal, il a
permis aux Cubains de mener à bien leur plan progressiste. D’abord, il sied de rappeler que la
tradition d’union des forces politiques cubaines n’est pas née en 1959, imposée par des
commissaires soviétiques, mais en 1895 lorsque José Martí, leader des révolutionnaires
indépendantistes, a souligné la nécessité de rassembler les diverses factions rebelles sous un
même drapeau, pour mettre un terme au joug espagnol. L’historiographie conventionnelle
omet, pour des raisons idéologiques, de rappeler cet élément essentiel. Le parti unique actuel
découle bel et bien d’une exigence historique et d’une décision souveraine du peuple de Cuba,
même si la pensée dominante refuse d’admettre ce facteur. En effet, immédiatement confronté
à l’hostilité du voisin du nord dès la déroute du dictateur Fulgencio Batista, le gouvernement
révolutionnaire a décidé de rassembler le peuple cubain sous un même parti pour se défendre
des attaques impérialistes et suivre le chemin de l’autodétermination. D’ailleurs, les Cubains
savent pertinemment que la naissance ou plutôt la fabrication d’un second parti, dans la
conjoncture internationale actuelle, à 150 kilomètres de la Floride, serait forcément sous
l’emprise de Washington et, par conséquent, équivaudrait à un suicide de la nation en tant
qu’entité souveraine et indépendante.
Les multiples mais vaines tentatives de Washington de fomenter une subversion interne pour
déstabiliser Cuba et créer un conflit bilatéral revêtent quasiment un caractère institutionnel.
Depuis 1959, le gouvernement étasunien tente de créer une opposition interne pour mener à
bien ses objectifs politiques. La dernière en date, déjouée par les autorités cubaines en mars
2003, est très illustrative de la politique étrangère étasunienne envers Cuba. 78 personnes,
stipendiées par les Etats-Unis et en contact permanent avec la section des Intérêts Nordaméricain
de La Havane (SINA), oeuvraient sous les ordres du chef de la diplomatie
étasunienne à Cuba, M. James Cason, afin de créer les conditions propices à une invasion
militaire de l’île. Grâce au travail d’infiltration des agents de la sécurité de l’Etat au sein des
organisations de « militants des droits de l’homme », les sycophantes au service de
Washington ont été neutralisés, jugés et condamnés à de lourdes peines, conformément à la
législation cubaine et sur la base de témoignages accablants.15
Une immense majorité de la presse internationale, contrôlée par les transnationales de
l’information, a, fidèlement à une pratique historique, manipulé la réalité et transformé ces
agents en « prisonniers de conscience » et en « journalistes indépendants ».16 En France,
l’organisation de « défense de la liberté de la presse », Reporters sans frontières (RSF),
dirigée par M. Robert Ménard, continue sa labeur de propagande et de manipulation.
Intimement liée à l’extrême droite cubaine de Floride, le secrétaire général de ladite entité a
organisé, le 18 mars 2004, une conférence de presse à Bruxelles pour tenter de rallier les
parlementaires européens à la politique étasunienne de fragilisation de la société cubaine.17 En
1959, le journaliste du New York Times, Herbert L. Matthews, estimait que « la façon dont la
révolution cubaine avait été contée dans nos journaux [était] le plus grave échec de l’histoire
du journalisme américain »18, et ajoutait que la manière dont la presse « rendait compte de la
révolution cubaine était le pire exemple de ses vices ».19 Cette analyse est plus que jamais
d’actualité.
Le multipartisme, que la doctrine néolibérale considère comme une condition sine qua non de
la démocratie, serait donc la panacée. Qu’en est- il vraiment en Amérique latine? Les élites
contrôlent, à de notables exceptions près, l’ensemble de l’espace politique. L’illettrisme
frappe une grande partie de la population, atteignant des taux record dans les pays
d’Amérique centrale tels que le Guatemala ou le Honduras. La démocratie se limite-t-elle à
des élections pluripartites tous les quatre ou cinq ans, où les différentes forces politiques
promeuvent le même système économique ultralibéral qui n’apporte que ruine et désolation
aux couches populaires qui constituent près de 80% de la population ? Ces oubliés de la
« démocratie bourgeoise » sont-ils plus libres que les citoyens cubains sous prétexte qu’ils se
rendent une fois tous les cinq ans aux urnes pour mettre une croix devant un nom qu’ils
n’arrivent même pas à lire, et qu’ils votent pour une personne qui leur promet monts et
merveilles mais qui n’en fera rien et les enfoncera dans leur misère? Existe-t-il plus grande
hypocrisie que celle- là ? Rappelons que des élections existent à Cuba et qu’elles impliquent
l’ensemble de la population, comme le démontrent les taux de participation très élevés, et
qu’à bien des égards elles sont plus démocratiques que celles effectuées dans le reste de
l’hémisphère américain.
Cuba, quant à elle, a atteint un niveau de développement humain sans précédents dans
l’histoire de l’humanité. Confrontée à un étranglement économique incessant et à des
innombrables attaques de toute sorte, insupportables d’un point de vue financier, elle a abouti
à un degré de justice sociale inégalée jusqu’à présent. Le taux d’analphabétisme pour
l’Amérique latine est de 11,7% et de 0,2% pour Cuba. Le taux de mortalité infantile est de 32
pour mille pour l’Amérique latine et de 6,2 pour mille pour Cuba. L’espérance de vie est de
70 ans pour les Latino-américains et de 76,5 ans pour les Cubains. Le taux de scolarisation
dans l’enseignement primaire (jusqu’à 11 ans) est de 92% pour le continent latino-américain
et de 100% pour l’archipel des Caraïbes. Le taux de scolarisation dans l’enseignement
secondaire (jusqu’à 14 ans) est de 52% pour l’Amérique latine et de 99,7% pour Cuba. 76%
des enfants latino-américains atteignent le niveau du collège et ce chiffre est de 100% pour les
élèves cubains. Le nombre de médecins pour 100 000 habitants est de 160 pour l’Amérique
latine et de 590 pour Cuba. Le taux de la population entre 15 et 49 ans touchée par le sida est
de 0,5% en Amérique latine et de 0,05% à Cuba. Le taux d’incidence annuel du sida pour 1
million de personnes est de 65,25 pour l’Amérique latine et de 15,6 pour Cuba. Le Comité
économique et social de l’Union européenne écrivait dans un rapport de 1997 : « Ces chiffres
sont exceptionnels parmi les pays en voie de développement ».20
De tout l’hémisphère américain, seul le Canada possède un taux de mortalité infantile
inférieur à celui de Cuba. La American Association for World Health remarque que le système
de santé de Cuba est « considérée de manière uniforme comme le modèle prééminent pour le
Tiers-monde ». Cuba dispose de deux fois plus de médecins que l’Angleterre pour une
population quatre fois inférieure. Selon la American Public Health Association « il n’y a pas
de barrière raciale qui empêche l’accès à la santé » et remarque « l’exemple offert par Cuba
– un exemple d’un pays avec la volonté politique de fournir une bonne attention médicale à
tous ses citoyens ». Cuba est le pays qui dispose du nombre le plus élevé de médecins par
habitant au monde. 41 000 étudiants de 123 pays se sont diplômés gratuitement à Cuba et près
de 15 000 médecins travaillent aujourd’hui de manière bénévole dans 65 nations du Tiersmonde.
21
Pour ce qui est de l’éducation, le Département de l’Education de l’UNESCO note que Cuba
dispose du taux d’analphabétis me le plus bas et du taux de scolarisation le plus élevé
d’Amérique latine. Selon le même organisme, un élève cubain possède deux fois plus de
connaissance qu’un enfant latino-américain. Il ajoute que « Cuba, bien que ce soit l’un des
pays les plus pauvres d’Amérique latine, dispose des meilleurs résultats en ce qui concerne
l’éducation basique». Juan Cassassus du Latin American Laboratory for Evaluation and
Quality of Education de l’UNESCO note que « l’éducation a été la priorité de haut rang à
Cuba depuis 40 ans. C’est une véritable société d’éducation ». Le rapport de 1999 portant sur
l’éducation et concernant 13 pays d’Amérique latine classe Cuba en tête dans toutes les
matières d’enseignement. Sur 11 millions d’habitants, plus de 500 000 disposent d’un
diplôme universitaire et il y a actuellement 4 millions d’étudiants à Cuba. 75% des écoles se
situent à la campagne. Dans le secteur de l’éducation, Cuba reste le pays qui dispose du
nombre le plus élevé de professeurs par habitant au monde.22 Un rapport de la Banque
mondiale de juillet 2000 relatif au système éducatif cubain signale que « l’éducation cubaine
est excellente ».23
Un autre rapport de la Banque mondiale de janvier 2002 portant sur les services sociaux
cubains souligne que :
Cuba est internationalement reconnue pour ses succès dans le domaine de l’éducation et de la santé,
avec un service social qui dépasse celui de la plupart des pays en voie de développement et dans certains
secteurs, il est comparable à celui des pays développés. Depuis la Révolution cubaine en 1959, et le subséquent
établissement d’un gouvernement communiste à parti unique, le pays a créé un système de services sociaux qui
garantit l’accès universel à l’éducation et à la santé, fourni par l’Etat. Ce modèle a permis à Cuba d’atteindre un
alphabétisme universel, d’éradiquer certaines maladies, un accès général à l’eau potable et à une salubrité
publique de base, l’un des taux de mortalité infantile les plus bas de la région et l’une des plus longues
espérances de vie. Une révision des indicateurs sociaux de Cuba révèle une amélioration presque continuelle de
1960 à 1980. Plusieurs indices majeurs, tels que l’espérance de vie et le taux de mortalité infantile, ont continué
de se bonifier pendant la crise économique du pays dans les années 1990…Aujourd’hui, la performance sociale
de Cuba est l’une des meilleures du monde en voie de développement, comme le documentent de nombreuses
sources internationales y compris l’Organisation mondiale de la santé, le Programme des Nations unies pour le
développement et d’autres agences de l’ONU, et la Banque mondiale. Selon les indicateurs de développement du
monde de 2002, Cuba surpasse largement à la fois l’Amérique latine et les Caraïbes et d’autres pays à revenu
intermédiaire dans les plus importants indices d’éducation, de santé et de salubrité publique.24
Ces aspects de la Révolution cubaine, méconnus à cause la censure imposée par la doctrine
dominante, sont exceptionnels si l’on prend en compte non seulement les limites des
ressources naturelles cubaines mais aussi l’omniprésent étouffement économique dont elle est
victime. Il n’est pas de démocratie ni d’Etat de droit sans développement humain à moins que
l’on préfère accorder à ces notions une définition doctrinale et, par conséquent, fallacieuse.
En 2003, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL),
102 millions de personnes vivaient dans l’indigence la plus totale en Amérique latine, soit
20% de la population. Dans certains pays comme le Honduras, qui a des ressources naturelles
aussi limitées que celles de Cuba, près de 67% des habitants sont touchés par la misère la plus
complète. Actuellement, 54 millions de Latino-américains souffrent de malnutrition. A Haïti,
près de 50% de la population endurent des carences alimentaires. Dans un pays aussi riche
que le Mexique, 34% des enfants âgés de moins de cinq ans sont frappés de malnutrition
chronique. Au Guatemala, ce chiffre atteint 50%.25 Dans le monde, toutes les sept secondes,
un enfant de moins de dix ans meurt de faim.26 Selon le dernier rapport de l’Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 842 millions de personnes souffrent de
malnutrition chronique.27 Pas un seul Cubain ne fait partie de cette liste. C’est à partir de ces
données que devrait s’engager toute discussion raisonnable, franche et intègre, dépourvue de
tout avilissement idéologique, sur les droits de l’homme.
La critique réactionnaire du processus révolutionnaire cubain souligne le fait que la
proportion relativement importante de la communauté cubaine à l’étranger et les vagues
successives de « balseros » constituent une preuve évidente du totalitarisme du gouvernement
de La Havane. Il est exact que 10% de la population cubaine vit aux Etats-Unis.28 Cependant,
plusieurs paramètres sont à souligner. Tout d’abord, le nombre de Mexicains et de
Portoricains vivant aux Etats-Unis est largement supérieur à celui des Cubains.29 De plus, les
sanctions économiques engendrent des difficultés notables qui favorisent l’immigration. Par
exemple, le Mexique, qui ne souffre d’aucun isolement économique et qui dispose de
ressources naturelles autrement plus conséquentes que celles de Cuba, voit un nombre
extrêmement important de sa population émigrer illégalement vers les Etats-Unis. Mais il est
un autre élément fondamental et fortement ignoré. Le 2 novembre 1966, le Congrès étasunien
votait la loi 89, plus connue sous le nom de Cuban Adjustment Act. Cette législation modifie
le statut juridique des Cubains et les considère depuis cette date comme des réfugiés
politiques bénéficiant automatiquement de l’asile. Ce formidable outil de propagande favorise
l’immigration illégale dans l’immense majorité moins politique qu’économique.30 Que se
passerait- il si les Etats-Unis adoptaient une législation similaire à l’encontre des Mexicains ?
Serait-ce 10% des Mexicains ou 50% qui résideraient chez leur Voisin ?
Parallèlement à cela, le nombre de visas accordé n’a cessé de diminuer. Les Etats-Unis, de par
les accords migratoires de 1994, s’étaient engagés à octroyer 20 000 visas par an aux Cubains
souhaitant quitter le pays. Or, du 1er octobre 2002 au 28 février 2003, les Etats-Unis n’ont
accordé que 505 visas soit 2,5% du chiffre établi.31 L’objectif politique recherché par
l’application de cette directive criminelle, qui coûte la vie à de nombreux Cubains essayant de
traverser le détroit de Floride, est d’une aveuglante évidence.
Un rapport, classé top secret, portant la référence H 18422 693-4 datant de mars 1994, rédigé
par M. Joseph Sullivan, Chef de la section des Intérêts étasuniens (SINA) à La Havane, et
envoyé au Secrétaire d’Etat, à la CIA et au Service de l’immigration (INS), déclarait à propos
des demandeurs d’asile :
Dans le traitement des demandes de visas pour réfugiés, les cas présentés manquent de fondement. La majorité
des personnes présentent des demandes à cause de la dégradation de la situation économique, plus que par cause
de véritable crainte de persécution. Les cas présentés par les militants de droits de l’homme sont très délicats
pour les fonctionnaires de la SINA et de la INS. Bien que nous ayons tout fait pour travailler avec les
organisations de droits de l’homme – sur lesquelles nous exerçons un contrôle très important pour identifier les
militants persécutés par le gouvernement – les cas [relevant de la violation des] droits de l’homme représentent
la catégorie la moins solide du programme de réfugiés (…) Certains prisonniers politiques ont reconnu
ouvertement qu’ils utilisaient le statut de réfugiés pour fuir l’économie de plus en plus dégradée et non par
véritable crainte de persécution.32
Wayne Smith, chef de la Section des Intérêts américains à La Havane (SINA) sous
l’administration Reagan et qui démissionna en 1982, en protestation contre la politique
étrangère de son gouvernement, après avoir passé 24 années au ministère des Affaires
étrangères, est sans doute le meilleur expert étasunien sur Cuba. A propos de la politique de
Washington envers Cuba, il affirmait la chose suivante :
La démocratie et les droits de l’homme ne nous intéressent que très peu. Nous utilisons simplement ces mots
pour cacher nos véritables motifs. Si la démocratie et les droits de l’homme nous importaient, nos ennemis
seraient l’Indonésie, la Turquie, le Pérou ou la Colombie, par exemple. Parce que la situation à Cuba, comparée à
celle de ces pays-là et de la plupart des pays du monde, est paradisiaque.33
L’objectif des Etats-Unis avait clairement été énoncé par George Kennan l’un des plus
intelligents visionnaires politiques de toute l’histoire de Etats-Unis (avec John Quincy
Adams) en 1948 dans le document Policy Planning Study 23 :
Nous disposons de près de 50% de la richesse mondiale, mais seulement 6,3% de la population… Notre véritable
tache dans la période à venir est de concevoir un modèle de relations qui nous permettra de maintenir cette
position de disparité… Pour ce faire, nous devrons nous départir de toute sensiblerie et de tout rêve, et notre
attention devra partout se concentrer sur nos objectifs nationaux immédiats. Nous devons cesser de parler
d’objectifs vagues et irréels tels que les droits de l’homme, l’amélioration du niveau de vie, et la
démocratisation. Le jour où nous devrons raisonner en terme de concepts clairs de pouvoirs n’est pas si loin.
Moins nous s erons entravés par des slogans idéalistes et mieux cela sera.34
Depuis le triomphe de la Révolution cubaine en 1959 et l’imposition du blocus économique,
Washington n’a eu de cesse de légitimer sa politique hostile par son supposé souhait de
« rétablir la démocratie à Cuba ». Il convient cependant de soulever certaines interrogations.
Imposer les plus fortes sanctions économiques de l’histoire contre un pays pauvre qui frappent
de plein fouet les parties les plus vulnérables de la population permettrait de « rétablir la
démocratie » ? Financer des attaques paramilitaires contre les Cubaines et les Cubains,
comme le fait le gouvernement étasunien depuis plus de quarante-cinq ans, aurait comme
objectif d’ériger un Etat de droit ? Peut-on rétablir la démocratie en pratiquant le terrorisme ?
Mener une campagne de propagande distillant les plus sombres tromperies sur la
problématique cubaine, faisant preuve d’un flagrant dédain envers la vérité et l’opinion
internationale, aurait un but si noble ? « Rétablir » quelle démocratie ? Les autorités
étasuniennes feraient-elles allusion aux régimes de Machado ou de Batista ? Quel modèle de
développement propose-t-on aux Cubains ? Le néolibéralisme qui est responsable du désastre
humain qui ravage toutes les sociétés du Tiers-monde ? Une « démocratie représentative »
comme celle qui est présente dans la majorité des nations sous-développées, et qui n’a jamais
ressenti que du mépris pour ses enfants comme l’attestent les rapports annuels du Programme
des Nations unies pour le développement (PNUD) ? Une réponse à ces questions est
impérieuse.
Notes
1 Felipe Pérez Roque, « Discurso del ministro de Relaciones Exteriores de Cuba en la 60 sesión de la Comisión
de Derechos Humanos en Ginebra », Rebelión, 18 mars 2004. www.rebelion.org/cuba/040318roque.htm (site
consulté le 22 mars 2004).
2 Richard Nixon, Six Crises (New York: Doubleday, 1962) pp. 351-57
3 Noam Chomsky, Year 501. The Conquest Continues (Boston : South End Press, 1993), pp. 145-46.
4 Jane Franklin, Cuba and the United States : A Chronological History (Melbourne, New York : Ocean Press,
1997), p. 96 ; William Blum. Rogue State. A Guide to the World’s Only Superpower (Maine, Monroe : Common
Courage Press, 2000), p. 109 ; Noam Chomsky & Edward S. Herman, Economie politique des droits de
l’homme. La « Washington Connection » et le Fascisme dans le Tiers Monde (Paris : J.E. Hallier & Albin
Michel, 1981), p. 92 ; Jean-Marc Pillas, Nos Agents à La Havane. Comment les Cubains ont ridiculisé la CIA
(Paris : Albin Michel, 1995), pp. 189-192 ; Drew Fethersten & John Cummings, « Canadian says US Paid Him $
5000 to Infect Cuban Poultry », Washington Post (Newsday), 21 mars 1977, p. A18 ; Drew Fethersten & John
Cummings, « CIA Tied to Cuba’s 71 Pig Fever Outbreak », Boston Globe (Newsday), 9 janvier 1977 ; William
Blum, Killing Hope, U.S. Military and CIA Interventions Since World War II (Monroe, Maine : Common
Courage Press, 1995), p. 188.
5 Jane Franklin, op. cit., p. 170. William Blum, Killing Hope, op. cit., p. 188 ; Bill Shaap, « The 1981 Dengue
Epidemic », Covert Action Information Bulletin, Washington, n.17, été 1982, 28-31 ; Alexander Cokcburn &
Jeffrey St Clair, « Germ War : The US Record », CounterPunch, 1999, 2. www.counterpunch.org/germwar.html
(site consulté le 22 mars 2004) ; Jean-Marc Pillas, op. cit., pp. 193-200.
6 New York Times, « Seventy-Eight Are Believed Killed as Cuban Jetliner Crashes in sea After Blast », 7 octobre
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15 Rosa Miriam Elizalde & Luis Baez, “Los Disidentes
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