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Colombie : Réalités de la « Sécurité démocratique »

Roberto, Martes, Marzo 30, 2004 - 14:21

Justin Podur

Militant de longue date pour la paix, le Père Javier
Giraldo a contribué à la fondation de Justicia y Paz
en 1988. Il est depuis longtemps un travailleur
infatigable en faveur des droits humains en Colombie.
Il est l'auteur de « Colombia : The Genocidal
Democracy » (Colombie : la démocratie génocidaire),
l'un des livres d'introduction à la situation des
droits humains en Colombie les plus utiles, paru dans
les années 1990. Il a été interviewé à Bogota le 22
février 2004.

Interview du Père Javier Giraldo

Par Justin Podur
29 mars 2004

Militant de longue date pour la paix, le Père Javier
Giraldo a contribué à la fondation de Justicia y Paz
en 1988. Il est depuis longtemps un travailleur
infatigable en faveur des droits humains en Colombie.
Il est l'auteur de « Colombia : The Genocidal
Democracy » (Colombie : la démocratie génocidaire),
l'un des livres d'introduction à la situation des
droits humains en Colombie les plus utiles, paru dans
les années 1990. Il a été interviewé à Bogota le 22
février 2004.

Uribe appelle sa politique guerrière « Sécurité
démocratique ». Qu'en pensez-vous ?

J'ai lu à ce jour quatre ou cinq discours d'Uribe pour
y chercher une définition. Il a récemment prononcé un
discours au Costa Rica sur ce thème. Sa rhétorique est
toujours la même. Précédemment, soutient-il, la
sécurité n'existait que pour quelques-uns. La «
Sécurité démocratique », par contre, concerne tout le
pays. Elle fonctionne de la même façon, que vous soyez
ouvrier ou propriétaire, membre du gouvernement ou de
l'opposition. Sa thèse, sa rhétorique, est qu'elle
protège tous les Colombiens.

Si on l'analyse dans sa pratique, elle possède de
nombreuses modalités.

C'est d'abord une radicalisation de la stratégie
paramilitaire. Le paramilitarisme, c'est l'implication
de segments toujours plus larges de la population
civile dans le conflit. C'est l'essence du projet.
Uribe soutient ce type de politique depuis l'époque où
il était gouverneur du département de Antioquia. La
neutralité est absente d'un tel contexte. Tout le
monde doit participer du côté du « bien », contre le «
mal ». La clé de voûte de sa stratégie est l'armée, et
tous les chemins de la « Sécurité démocratique »
conduisent à l'armée. Il s'agit de soutenir l'armée,
d'obéir à l'armée.

Il existe un précédent à cette situation, qui nous
vient de Antioquia. Quand le mouvement des Communautés
de paix vit le jour, certaines communautés de paysans
et d'indigènes se déclarèrent « neutres ». Elles ne
voulaient en rien être impliquée dans le conflit. Ce
mouvement naquit à l'époque où Uribe était gouverneur.
La communauté de paix de San José de Apartado fut le
fruit de ce processus. L'évêque Isiaias Duarte
Cancino, qui fut tué plus tard à Cali, y travaillait.
La région d'Apartado était très « chaude », un
corridor stratégique pour les armes, les armes à feu -
une région que se disputaient les groupes armés. La
population civile voulait rester neutre. Il y eut une
série de meetings pour discuter de cette idée. Uribe,
alors gouverneur de Antioquia, s'invita carrément au
meeting. Il s'invita lui-même à parler, et dans son
discours, il lança sa proposition pour une «
neutralité active » des civils, ce qui voulait dire
soutenir et aider l'armée. L'évêque refusa
publiquement. Il lui dit : « Désolé gouverneur, mais
votre projet n'est pas le même que le nôtre ». Uribe
partit furieux. Plus tard ce soir-là, le nom et le
slogan du mouvement fut changé : de « neutralité
active », il devint « communautés de paix ».

Quant à Uribe, il maintint sa proposition comme
gouverneur du département de Antioquia, avec les très
nombreuses CONVIVIR, qui étaient des unités
paramilitaires légales. Les CONVIVIR, c'étaient des
civils, armés par l'armée, contrôlés par le Secrétaire
à la Sécurité privée - une tentative discrète de
légaliser les paramilitaires, en essayant de
contourner la décision de la Cour suprême de 1989 qui
déclarait inconstitutionnelle la loi légalisant les
paramilitaires (de 1965/ 1968). Aucun département du
pays ne comptait plus de membres de CONVIVIR que
Antioquia. Cette manouvre légitima les paramilitaires.
Trois des dirigeants des CONVIVIR d'Apartado étaient
des paramilitaires. Ils étaient entraînés par la 17e
Brigade de l'armée. Voilà quel est le contexte.

Si l'intention d'Uribe est d'impliquer de plus en plus
la population civile dans le conflit, comment la
population civile a-t-elle répondu ?

Le terme de « population civile » est un peu vaste. Il
inclut les industriels, les riches et les puissants.
Mais il y a un processus. En 1995, Serpa (Parti
libéral) a proposé un dialogue avec les
paramilitaires. La proposition, à cette époque, a créé
un scandale dans les médias. Leurs arguments étaient
alors très clairs : les paramilitaires n'appartenaient
pas à l'opposition au gouvernement. Les guérilleros
étaient dans l'opposition, et la Constitution offre
elle-même des possibilités légales de négocier avec
des groupes d'opposition armée. Les paramilitaires, en
revanche, font partie de l'Etat. Comment l'Etat
pourrait-il dialoguer avec eux ? A cause de ce
scandale, Serpa renonça à sa proposition.

Mais entre 1995 et 2002, il y eut un processus
d'acclimatation de la société au paramilitarisme, en
particulier dans les médias. L'un de ses aspects est
la visibilité publique donnée à Castaño (leader des
paramilitaires). Sa première interview majeure fut
celle réalisée par Arismendi pour Caracol, mais El
Tiempo, Semana, Cambio, tous les plus grands médias
suivirent très vite. L'idée était de blanchir son
image, de la soigner, de faire de Castaño un
personnage public susceptible de donner son opinion
sur diverses questions.

Ce processus démarra vraiment avec le « processus de
paix » de Pastrana (1998-2002) et les « dialogues » à
San Vicente del Caguan. Il fut analysé et traité par
les médias dominants d'une manière vraiment
superficielle. Au départ, les dialogues reposaient sur
47 points sur lesquels le gouvernement et les FARC
étaient d'accord. C'était au début. A partir de là, il
n'y eut pratiquement que la guerre. Les paramilitaires
commencèrent à envahir la région. L'armée commença à
la survoler. Les FARC firent leurs propres manouvres.
Le gouvernement ne prit jamais ces conversations au
sérieux. Il n'a même pas nommé une seule personne pour
mettre en ouvre l'agenda des 47 points. Il n'a même
pas envoyé un seul fonctionnaire en délégation dans le
Caguan (zone démilitarisée où avaient lieu les
dialogues de paix). Les médias mirent l'échec des
conversations au compte de « l'irresponsabilité des
guérilleros ». Le gouvernement a pourtant fait preuve
de beaucoup d'irresponsabilité. Cependant, la campagne
médiatique convainquit la majorité de l'opinion
publique de la responsabilité des guérilleros. Cet
état de fait aida les paramilitaires, et c'est ainsi
que le terrain fut préparé pour Uribe. Les actions des
FARC à cette époque furent aussi très discutables -
ils tuèrent des parlementaires, ils organisèrent des
raids et des enlèvements.

Salvatore Mancuso, un commandant paramilitaire, appuya
la candidature d'Uribe, et il lui exprima son soutien
par un communiqué après la victoire électorale. Outre
les CONVIVIR, existe-t-il d'autres liens entre Uribe
en personne et le paramilitarisme ?

Il existe une famille très proche d'Uribe, les Ochoa,
qui sont des narcotrafiquants. Je ne dis pas proche
dans le sens qu'ils se connaissent - je veux dire
qu'ils ont grandi ensemble.

Les Etats-Unis essayaient d'extrader l'un d'eux, le
plus jeune, Fabio Ochoa. Mais la loi colombienne dit
que si vous êtes recherché en Colombie et dans une
autre juridiction, vous ne pouvez pas être extradé
tant que vous n'avez pas purgé votre peine en
Colombie. C'est cet argument que les avocats de
Castaño essaient d'avancer pour empêcher son
extradition. Les avocats d'Ochoa firent la même
plaidoirie, mais il fut tout de même extradé. Il eut
un bon avocat. La CIA et la DEA (les services
anti-drogues états-uniens) posèrent leurs conditions à
la négociation : ils demandèrent 30 millions de
dollars en échange de la non-extradition. Ochoa
obtiendrait une faible condamnation aux Etats-Unis,
après quoi il recevrait un nouveau passeport et
pourrait à nouveau voyager (Source : El Tiempo, 28
novembre 2002, pp.1-20). Baruch Vega, un photographe,
fut l'intermédiaire dans cette affaire. Il y a un
dossier sur cette affaire dans la procédure
d'extradition. Le résultat : un fond secret, illégal
pour financer les paramilitaires. Baruch Vega fut
témoin d'une réunion à Panama où la CIA et le DEA
remirent à Castaño de l'argent provenant de la somme
versée par les narcotrafiquants.

Un autre mécanisme de financement des paramilitaires
est bien connu. Dans le Code des mines, il est stipulé
que là où vous trouvez de l'or, vous payez des taxes.
Une taxe, pour le gouvernement, sur ce que vous
extrayez. Les mines d'or les plus riches se trouvent
dans l'Etat de Bolivar, tandis que Cordoba (où sont
basés les paramilitaires) a toujours eu une faible
production. Mais si vous examinez les statistiques de
la Banco de la Republica, vous verrez que les mines
relativement improductives de Cordoba paient des taxes
très élevées, au contraire des mines de Bolivar.
L'argent qui manque finit dans les mains des
paramilitaires.

Le père d'Uribe fut tué par les FARC dans leur ranch
de Antioquia, Guacharacas. Il était dans un
hélicoptère à ce moment-là. L'hélicoptère avait
appartenu à des narcotrafiquants, il fut confisqué par
la DAS (Agence de sécurité colombienne), puis rendu à
ses propriétaires.

Il y a un document dans le bureau du Procureur
général, le témoignage d'un petit homme d'affaires de
l'industrie minière, au sujet de la propriété de
Guacharacas. Il tenait une exploitation assez petite,
avec une poignée d'ouvriers, à Antioquia. Il fut mis
en présence du chef des paramilitaires locaux. Les
paramilitaires le menacèrent, en lui disant : « Vous
avez payé à la guérilla le prix de votre protection,
c'est passible de la peine de mort. » Il leur répondit
: « J'ai dû payer la caution, sinon ils m'auraient
tué. Qu'aurais-je pu faire ? » Ils lui pardonnèrent,
et lui dirent qu'à compter de ce jour il devrait leur
payer une caution de 250.000 pesos par mois.

Finalement, comme il n'extrayait même pas de quoi
payer le prix de sa protection, il alla voir les
paramilitaires dans leur base et leur dit qu'il se
retirait des affaires et qu'il partait. Ils lui dirent
: « Attendez. Nous allons vous trouver un meilleur
emplacement pour chercher de l'or. Nous reviendrons
après la réunion. Attendez ici. » Comme il attendait,
plusieurs personnes commencèrent à arriver : des
figures du paramilitarisme, puis le gouverneur
d'Antioquia lui-même : Uribe. A la fin de la réunion,
le chef paramilitaire revint et lui dit : « Allez dans
l'Etat de Guacharacas ; vous extrairez de l'or là-bas.
Vous paierez votre caution à M. Villega, le gérant de
la propriété ».

Le témoin rapporta que 40 paramilitaires étaient
installés dans le domaine de Guacharacas et que la
nuit ils sortaient de la propriété pour tuer. Il
s'échappa quand ils lui demandèrent de leur prêter sa
voiture pour un assassinat. Mais, avant cela, il fut
témoin du meurtre d'un paysan accusé de collaborer
avec la guérilla, à Guacharacas. Il fut témoin de la
disparition d'un garçon accusé de voler dans le
domaine. Les paramilitaires appelèrent le « patron »
pour régler cette affaire. Le « patron » était Alvaro
Uribe Velez. On ne revit plus jamais le garçon.

Un autre cas s'est produit dans l'hacienda La Mundial
près de San Roque, dans la commune de Maseo, dans les
années 1980, avant qu'Uribe ne soit gouverneur. A
l'époque, une organisation paysanne réclamait le
paiement de son travail dans l'hacienda. Les
propriétaires, la famille Uribe, dirent qu'ils ne
pouvaient payer, mais qu'ils allaient quitter
l'hacienda pendant trois mois, et que les paysans
pourraient prendre tout le surplus qu'ils pourraient
produire pendant cette période. C'est ce que firent
les paysans, et ils eurent même la chance de
rembourser quelques dettes. Le dossier de cette
affaire est à l'Office du travail d'Antioquia.

Après trois mois, les paysans s'apprêtèrent à rendre
la propriété, mais Uribe voulut qu'on lui rende
seulement la propriété, mais pas les ouvriers. Ainsi,
la famille Uribe, apparemment généreuse, déclara aux
paysans qu'ils pouvaient garder la terre. Aussitôt
après, l'armée commença à arrêter et à faire
disparaître des gens, et il y eut plusieurs massacres.
Les survivants disent n'avoir aucun doute qu'Uribe
était derrière tout cela.

Je vous ai interrogé au début sur la réponse de la
population civile, parce que certains commentateurs
croient que le référendum du 25 octobre 2003 fut un
revers majeur pour Uribe, comme le furent les
élections municipales du lendemain qui portèrent des
candidats de l'alternance au pouvoir dans de
nombreuses municipalités et de nombreux départements.
Voyez-vous ces événements comme des renversements de
l'opinion publique à l'égard d'Uribe après son succès
électoral de 2002 ?

La première question, c'est « comment Uribe a-t-il
gagné en 2002 ? ». Je relisais l'autre jour « La peur
de la liberté » d'Erich Fromm. Il traite de la façon
dont Hitler accéda au pouvoir en Allemagne. C'est une
explication en termes de psychologie sociale. Et
peut-être que quelque chose de semblable est à l'ouvre
ici aussi. Mais si vous regardez la période mars-mai
2002, avant les élections : j'étais à Meta, avec les
déplacés, des gens de Puerto Alvira, Mapiripan. Je
leur ai demandé comment il était possible que des gens
qui ont autant perdu par la faute des paramilitaires
votent pour un président qui leur promettait encore
pire ? Ils témoignèrent d'une fraude à grande échelle.
Des paramilitaires étaient présents dans les bureaux
de vote. Ils détruisirent les bulletins. A la fin de
la journée, le maire vint au bureau de vote avec une
liste des bénéficiaires des services sociaux. Ils
comparèrent leur liste avec la liste des votants, pour
voir quels étaient les abstentionnistes. Puis ils
votèrent à leur place. Cela fut dénoncé au médiateur.
Rien ne se passa. A Barrancabermeja, les
paramilitaires avaient promis un massacre si Uribe ne
gagnait pas. Je connais d'autres cas, que les gens
n'ont pas dénoncés publiquement à cause de la peur.
Ceux qui votèrent le firent sous une terrible
pression.

Après les élections parlementaires de mars 2002,
Mancuso proclama publiquement la victoire. Il dit que
les paramilitaires contrôlaient 33% des sièges de
l'assemblée. Quand des journalistes demandèrent au
ministre de l'Intérieur si tel était vraiment le cas,
il le confirma. Ainsi, nous avons une assemblée
paramilitaire qui marche avec notre président
paramilitaire.

Le référendum et les élections qui suivirent peuvent
être vus comme un rejet de cette situation, mais c'est
un rejet fragile. Cette sorte de dissension peut
s'exprimer dans les villes. Au niveau national, le
Parti libéral joua un rôle important en poussant à
l'abstention. Mais la fragilité a deux côtés : la peur
et la terreur paramilitaire, en particulier dans les
régions rurales, d'une part ; l'absence de médias
indépendants et le constant bombardement par les
médias, de l'autre.

Selon vous, comment les insurgés ont-ils répondu à la
« Sécurité démocratique ?

Il est très difficile de le dire. Depuis la fin des
dialogues, les FARC ont maintenu une politique de
silence. Ils avaient l'habitude de beaucoup parler.
Maintenant, ils parlent très peu et ils ont annoncé
qu'ils n'avaient pas l'intention de s'exprimer
davantage.

Mais il existe différentes tendances au sein des FARC
: certaines plus militaristes, d'autres plus
politiques. Ce qui est clair, c'est que les modèles
des processus de paix du passé ont échoué. Il y avait
trois modèles différents.

Il y eut d'abord le processus en 1983-1984 sous le
gouvernement Betancur. A cette époque au moins, il y
avait un discours sur les causes de la guerre. Les
causes n'étaient pas inclues dans les mécanismes, mais
au moins on en discutait. L'aspect pratique,
cependant, concernait la démobilisation, la
réintégration, l'amnistie, etc. Il s'agissait des
conditions de la démobilisation. Mais qu'est-il arrivé
? Les militaires s'y sont opposés, et beaucoup de ceux
qui s'étaient démobilisés furent tués.

Le second cycle refusa même de considérer les
problèmes sociaux comme des causes, et il s'en tint
encore plus étroitement à la démobilisation. Il
n'était pas question de la réforme agraire. C'était
une négociation entre groupes -pas un processus social
impliquant toute la société. Au lieu de cela, le
gouvernement déclara : si vous signez, vous pourrez
avoir du liquide, et vous réinsérer. Ironiquement,
c'est ce qui a eu le plus de « succès », au sens
étroit du terme. Huit groupes signèrent l'accord de
démobilisation. Mais tous ces groupes ont été
pratiquement détruits depuis. Le M-19, par exemple,
était le plus gros et le plus puissant de ces groupes,
c'est maintenant un parti politique, mais très petit.
Le M-19 est allé jusqu'à posséder quelque temps son
propre programme TV, AMPN, mais il a fait faillite par
manque de fonds.

Le troisième cycle consista à combiner les deux. Ce
fut le processus de Caracas entre le gouvernement et
la Coordination des guérillas Simon Bolivar (CGSB). On
parla de négociation, d'instruments, et de réforme
sociale. Il a duré quelques mois, puis il fut annulé
après l'enlèvement et l'assassinat d'un politicien par
l'EPL (Armée populaire de libération). Pastrana tenta
d'appliquer ce modèle aux négociations de Caguan. Il
n'y eut pas de propositions concrètes mises sur la
table, mais des thèmes, 100 au départ, qui se sont
réduits à 47 thèmes, couvrant 10 chapitres. Dans les
conversations de Caguan, les questions sociales furent
mises à nouveau sur la table, mais le gouvernement,
comme je l'ai dit, n'a même pas alloué un poste à
mi-temps pour travailler dessus.

Vous avez affirmé que ces processus étaient viciés.
Comment devrait être un processus pour mieux
fonctionner ?

Il devrait comprendre la logique de cette guerre.
Cette guerre a sa propre logique. Ce n'est pas la même
logique que celle de la politique. Elle a ses propres
terribles lois. La Loi humanitaire internationale et
la loi des droits humains ne sont pas suivies ni
respectées dans une telle guerre. La guerre fut
apportée ici dans les années 1960. En 1962, une
mission états-unienne, d'une nouvelle école, l' «
école de la guerre spéciale » de Fort Bragg, est venue
ici appliquer les leçons de la guerre du Vietnam. Le
général Yarborough est venu ici en février 1962. Les
documents en ont été publiés par Michael McClintock.
Elle était appelée Mission Yarborough, et elle a
ouvertement plaidé l'emploi du terrorisme pour
combattre le communisme. Si vous regardez ces
documents, les manuels de contre-insurrection, c'est
une véritable stratégie paramilitaire. La chronologie
est importante, parce que les FARC n'ont été fondées
qu'en 1964-65. Il n'y avait aucun besoin d'employer
des méthodes paramilitaires à l'époque, parce que le
climat politique était tel que l'armée pouvait faire
ouvertement son sale boulot. A la fin des années 1970
et dans les années 1980, les « droits humains » ont
commencé à gagner de l'importance. Amnesty
International a fait sa première visite en Colombie en
1980. C'est dans les années 1980 que la stratégie
paramilitaire a commencé, pour continuer le sale
boulot tout en permettant à l'Etat de se refaire une
image. Puis, en 1985, les paramilitaires établirent
des liens avec les narcotrafiquants, ce qui a
introduit leur propre logique dans la guerre. Leur
stratégie a toujours consisté à infiltrer
progressivement la société civile. Les initiatives de
paix du président Betancur reconnaissaient au moins
que l'injustice sociale était à la racine du conflit.
Et pourtant, l'Etat avait toujours le désir - et il
continue de l'avoir à ce jour - d'essayer de mettre
fin à la guerre sans toucher à la racine du conflit.
Il y a de moins en moins le désir de résoudre les
problèmes sociaux. L'investissement social est moins
grand chez Uribe que chez Pastrana. Il ne peut y avoir
de fin au conflit sans la reconnaissance de ses
racines sociales.

Êtes-vous en train de dire que, selon vous, ce n'est
pas en mettant fin à l'insurrection que l'Etat pourra
« gagner » ?

En fait, je pense que l'Etat peut « gagner » en
détruisant et l'insurrection et les mouvements
sociaux. Uribe dit qu'il a réduit la « violence » de
20%. On loue cela aux Etats-Unis et ailleurs comme un
progrès, comme une amélioration du respect des droits
humains. Mais je pense qu'un exemple donné lors d'un
récent entretien par un psychologue, Carlos Beristain,
qui a travaillé au Guatemala, aidé les Brigades
internationales de la Paix, et d'autres, est plus
approprié. Il décrivait une étude classique en
psychologie. Des rats sont placés dans une cage qui a
une porte. Ils sont affamés et cherchent à sortir de
la cage. Lorsqu'ils arrivent près de la sortie, ils
reçoivent une décharge électrique. Chaque fois qu'ils
approchent, ils reçoivent la décharge. Ils finissent
par apprendre, et n'essaient plus de partir. Ensuite,
la porte est ouverte, les décharges sont supprimées.
Les rats, pourtant, ne font plus aucune tentative pour
quitter la cage.

Voilà comment se passent les choses sous Uribe. Les
massacres, les disparitions et les assassinats des
années passées sont comme les décharges électriques.
Le gouvernement dit qu'il y a moins d'assassinats de
syndicalistes actuellement - c'est parce qu'ils ont
liquidé les compagnies d'Etat et fait passer la
réforme du travail : ils n'ont plus besoin
d'assassiner. S'ils continuent d'étendre cette
logique, ils peuvent « gagner », selon leurs critères.

Est-ce que l'inverse est vrai ? Est-ce que
l'insurrection peut gagner ?

Militairement, non. Et en tout état de cause, je crois
que la majorité des combattants guérilleros n'y
croient pas non plus. Les commandants disent qu'ils le
peuvent, mais il semble qu'ils n'essaient même pas.
Dans ce monde, ils ne le peuvent pas. Ce qu'ils
essaient de faire à la place, c'est de boycotter le
modèle social. Pour exprimer leur colère contre ce
modèle, il font sauter des pipe-lines ou soutirent de
l'argent.

Mais il y a aussi des initiatives et des mouvements
très forts dans ce pays...

C'est vrai. Il y a quelques années, quand le processus
du forum social a démarré et que les gens disaient «
un autre monde est possible », ça ressemblait presque
à une névrose. Mais il a de la consistance, quand
même. Je n'y suis pas allé, mais il semble qu'une
année ils ont dit aux Colombiens : « Cessez de
pleurer, et donnez-nous des mouvements à soutenir ! »
Et il y a des mouvements. Mais il y a plus de
répression ici. Il y a des communautés en résistance,
des communautés de paix comme San José de Apartado, et
d'autres. Les gens continuent de se battre, malgré un
coût très élevé, pour la paix et pour la justice.

Source : Znet, 16-03-04.

Traduction : Hapifil, pour RISAL.



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