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CHEMINS DE FER - L'histoire du syndicat des porteurs noirsNicolas, Miércoles, Febrero 11, 2004 - 08:16
Don McKay
À chaque année, pendant le mois de février, les communautés noires d’Amérique du Nord réfléchissent sur leur longue histoire de luttes pour la justice sociale. Pour l’occasion, nous vous présentons une histoire peu connue, celle du syndicat des porteurs noirs des chemins de fer. Après l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques en 1834, la population noire du Québec s’est graduellement concentrée près des gares, dans le quartier Saint-Antoine (aujourd’hui Petite-Bourgogne et Saint-Henri) à Montréal. En 1856, le chemin de fer du Grand Tronc reliait Toronto et Montréal. Trois ans plus tard, il s’étendait jusqu’à Chicago. Des compagnies de chemin de fer américaines étaient alors déjà établies à Montréal, le centre de cette industrie au Canada. Vers 1886, l’entreprise américaine Pullman Palace Car embauchait des Noirs aux États-Unis en tant que préposés aux wagons-lits pour les quatre réseaux desservant Montréal. Vers 1897, les compagnies canadiennes commencèrent à embaucher des Noirs pour travailler dans leurs propres wagons-lits. Les premiers cheminots noirs L’un des premiers groupes de cheminots noirs fut les Red Caps. Ils ne travaillaient que dans les gares où ils transportaient les bagages et veillaient à l’embarquement et au débarquement des passagers. Le terme «porteur» inclut les porteurs, les cuisiniers, les hommes de ménage et autres emplois domestiques détenus par les Noirs à bord des trains. Les conditions de travail étaient difficiles. Il y avait du harcèlement continu et des abus de pouvoir de la part de la direction. En 1915, un Montréalais noir employé comme porteur par le Canadien Pacifique, Thomas Morgan O’Brien, fonde le Porters’ Mutual Benefit Association, une organisation qui verse des prestations aux porteurs et à leur famille lors de maladie ou de décès. À partir de 1928, l’Association dispose d’une douzaine de chambres qu’elle met à la disposition des porteurs voyageant à Montréal. Elle est financée par les cotisations des membres et par l’employeur qui la traite comme un syndicat de boutique. En 1918, un groupe de porteurs noirs à l’emploi du Canadian Northern Railway (CNR) demande d’adhérer à la Fraternité canadienne des cheminots. À son congrès, la Fraternité refuse cette demande à cause de la race des porteurs. Ceux-ci fondent alors l’Order of Sleeping Car Porters et demandent leur admission au Congrès des métiers et du travail du Canada. La centrale canadienne refuse leur affiliation, préférant que le groupe se joigne à un syndicat existant. Blancs d’une part, Noirs de l’autre Face aux critiques, la Fraternité canadienne des cheminots renverse sa position lors du congrès de 1919 et accepte les porteurs noirs. Cependant, on crée deux groupes dans la convention collective : les blancs travaillant dans les salles à dîner et les wagons-lits et les Noirs travaillant comme porteurs. Cette séparation, qui bloque la promotion des Noirs, durera jusqu’en 1964. Encouragés par leur succès partiel au CNR, les porteurs essaient de syndiquer leurs confrères du Canadien Pacifique (CP). En 1919, le CP a congédié 36 militants syndicaux. Le ministère canadien du Travail refuse d’intervenir. Un conseil arbitral ordonne la réintégration des travailleurs, mais quelques années plus tard, le CP les congédie à nouveau. En 1926, quelques années après la création du Canadien National, le gouvernement canadien force le Grand Tronc à fusionner avec la société d’État. À cette époque, plusieurs syndicats de métier avaient des clauses dans leurs statuts limitant le droit d’adhésion aux hommes de race blanche. Une des conséquences de la fusion a été le congédiement de tous les salariés noirs qui travaillaient pour le Grand Tronc comme chefs et serveurs. En 1928, quelque 90 % de l’ensemble des travailleurs noirs à Montréal étaient employés par les compagnies ferroviaires. Consolidation Pendant l’été 1939, le leader de la Brotherhood of Sleeping Car Porters (Fraternité des porteurs), affiliée à l’American Federation of Labour (AFL), Philip Randolph, rencontre les porteurs de Montréal et Toronto afin de lancer une campagne de recrutement au CP. Après trois ans, le syndicat avait recruté 620 membres et établi des sections locales à Montréal, Toronto, Winnipeg, Calgary et Vancouver. Bien sûr, le CP a refusé de reconnaître la Fraternité des porteurs, mais éventuellement le ministère du Travail a ordonné un vote que le syndicat a gagné par une marge de 470 pour et seulement 7 contre. Le 28 mai 1945, les porteurs et le CP signent leur première convention collective à la Gare Windsor à Montréal. En plus d’une procédure de grief, les porteurs ont obtenu une augmentation de salaire de 28 %, une réduction des heures régulières de travail (de plus de 400 heures par mois à 240) et le paiement des heures supplémentaires au taux de temps et demi. Cette victoire permet à la Fraternité des porteurs de poursuivre son recrutement ailleurs au Canada. Au début des années 50, le syndicat représente 1 500 membres au CP et chez Pullman. Les années 50 Lors de la formation de Via Rail, la Fraternité des porteurs doit fusionner avec la Fraternité des cheminots, qui aujourd’hui fait partie des TCA-FTQ. Contre la discrimination À partir de la Seconde Guerre mondiale, la Fraternité a joué un rôle important contre la discrimination. Ses dirigeants, et en particulier A.R. Blanchette, l’organisateur international à Montréal, ont lutté sans relâche par des moyens politiques et judiciaires pour que soient votées des lois l’interdisant. Dans les années 50, le confrère Blanchette est devenu un membre actif du comité des droits de la personne du Congrès du travail du Canada qui, en alliance avec des syndicalistes juifs comme Kalmen Kaplansky (membre de l’Union typographique de Montréal – aujourd’hui la section locale 145 du Syndicat des communications, de l’énergie et du papier / SCEP-FTQ), a grandement contribué à l’avancement des droits de la personne et combattu la discrimination en matière d’emploi, de logement et d’immigration. Aujourd’hui, la communauté noire du Québec compte environ 152 200 personnes. Ces travailleurs et travailleuses sont de plus en plus nombreux au sein des syndicats affiliés à la FTQ. C’est d’ailleurs pour répondre en partie à leurs besoins particuliers que la FTQ a formé un comité des personnes immigrantes il y a un an. * * * Explication des illustrations: Le train- L’Imperial Limited Trans-Continental Express quittant la gare du Canadien Pacifique (Windsor) de Montréal, à destination de Vancouver (c.1910). Le sigle- En 1927, la Fraternité adopte un rituel de reconnaissance entre membres pour contrer l’intimidation dans le recrutement. Seuls les membres en règle recevaient le mot de passe (Solidarity) et le signe (le bras gauche, poing fermé, dirigé vers le bas). Coin supérieur droit- Asa Philip Randolph (1889-1979). Un des fondateurs, en 1925, de la Brotherhood of Sleeping Car Porters (Fraternité du personnel des wagons-lits et préposés aux trains de voyageurs). Après douze années de campagne, il réussit à arracher la reconnaissance de la Fraternité et un premier contrat avec la Pullman, le principal employeur, en 1937. Coin inférieur gauche- Né en Pologne (1912-1997), Kalmen Kaplansky s’installe à Montréal en 1929. Il devient opérateur de linotype et membre de l’Union typographique internationale, qu’il représente au Conseil des métiers et du travail de Montréal et au Congrès des métiers et du travail du Canada. Il fut le dernier secrétaire du Parti ouvrier du Québec (1935-1938). Directeur du Comité ouvrier juif du Canada, il mit sur pied un réseau de comités syndicaux pour les droits humains à travers le Canada. Il contribua durant de longues années aux activités de l’ONU, de l’UNESCO et, plus particulièrement, de l’Organisation internationale du travail. On peut dire qu’il fut le parrain de la convention n° 111 sur la discrimination en emploi. * * * Ce texte a été rédigé par le confrère Don McKay, représentant national du SCEP, à partir du projet synthèse qu’il a réalisé au Collège FTQ-Fonds en avril 2002. Le Vieux Gustave vous revient au prochain numéro.
Article extrait du Monde Ouvrier.
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