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Les femmes et la guerre

Louise-Anne Maher, Sábado, Diciembre 27, 2003 - 17:18

Madeleine Gagnon

(...)
En elles aussi le désir de la guerre

Avant de partir, nous osions formuler entre nous ce qui, à travers toute l'opacité de l'intelligence relationnelle des femmes et de la guerre, nous semblait tout de même une évidence, quoique teintée d'incertitude : si la guerre existe depuis que le monde des humains est monde, il est impossible que les femmes en soient tout à fait absentes ou innocentes. Si la guerre existe depuis la nuit des temps, à travers toutes les civilisations, toutes les cultures et toutes les religions et sur tous les continents, il faut oser penser, si tant est que l'on veuille avancer dans la connaissance de cette pulsion de mort en acte, ainsi que nous l'avons écrit, chacune à notre façon, il faut risquer cet énoncé et le placer à l'orée de cette aventure : les femmes ont elles aussi quelque chose à faire dans cette interminable histoire de guerre humaine. Elles ont aussi en elles des pulsions mortifères, guerrières, belligérantes, haineuses, vengeresses, meurtrières. Et pas seulement les femmes qui prennent les armes. Aussi les femmes victimes. Pour nous, il fallait oser ces intuitions. Oser ne pas nous exclure, nous deux et chacune, du désir de guerre ou de violence. Qu'il soit légitime, comme dans la résistance à l'ennemi abusif ou dans l'autodéfense. Ou encore illégitime, comme dans ces toiles d'araignées intérieures, qu'on dirait ataviques, tissées à étouffer jusqu'à se vomir en éclats de feu et de sang, et comme dans l'inconscience.

Nous nous disions cela. Et presque tout bas, tant ces présupposés n'étaient pas courants dans ce mouvement féministe auquel nous appartenions pourtant de tout cour.

Et nous nous disions qu'autrement, si les femmes de la terre n'avaient pas eu quelque chose à voir dans la guerre, avec la puissance intime dont elles sont douées, puissance que le mouvement féministe a révélée publiquement à partir de la seconde moitié du vingtième siècle, si les femmes étaient depuis toujours, fondamentalement et consubstantiellement opposées à la guerre - de toutes les fibres de leurs plus profonds désirs -, il n'y aurait plus, et depuis belle lurette, de guerre.

Nous pensions donc que, malgré la dominaton millénaire des mâles humains sur les femelles humaines, malgré toutes les subordinations (et tous les assujettissements) éco no miques, sociales, philosophiques et sexuelles, les femmes avaient en elles, et depuis toujours, cette formidable puissance d'arrêter les guerres. Et que cela ne s'était pas passé.

Et nous ne pouvions par conséquent être d'accord avec ce slogan féministe des années récentes, mille fois brandi et ressassé : « Les femmes donnent la vie, les hommes donnent la mort! »

Nous savions qu'il nous fallait outrepasser ce binarisme facile. Qu'il nous fallait dépasser ces oppositions primaires. Qu'il nous fallait travailler dans un esprit de conjonction, selon l'expression de Gilles Deleuze dans Mille Plateaux. Le projet ne se formulait donc pas ainsi : ou bien la guerre, ou bien les femmes. Mais plutôt : la guerre et les femmes.

Nous comprenions donc qu'il nous faudrait descendre dans les profondeurs abyssales de l'âme humaine. Et notre chemin hasardeux fut éclairé par les écritures de femmes qui, avant nous mais autrement, s'y étaient risquées. Il y en eut plusieurs. J'aimerais nommer : Colette, Gabrielle Roy, Anne Hébert, Virginia Woolf, Susan Sontag, Marguerite Duras, Luce Irigaray, Michèle Montrelay, Annie Leclerc, Hélène Cixous.

C'est ainsi que nos partîmes à l'aventure. Dans cet esprit-là.

Et nous avons eu le bonheur de découvrir sur le terrain, malgré tous les malheurs rencontrés, que les femmes là-bas, non seulement voulaient bien répondre à nos questions, mais qu'elles nous précédaient bien souvent, en posaient d'autres, de sorte que nous avancions ensemble, même à tâtons. En d'autres mots, elles étaient mues par ce même désir de connaissance. Elles voulaient s'en sortir. Elles brûlaient de parler.

S'il est un enseignement général que nous pouvons tirer de cette écriture-lecture - je dis général car il fut formulé inlassablement dans tous les pays et dans chacune des langues -, c'est que la guerre primordiale des humains, celle à la base de toutes les autres est bien la guerre millénaire faite aux femmes par le « sexe fort » des hommes. L'expérience de terrain nous a fait rencontrer, à travers les multiples témoignages, une réalité à laquelle nous ne nous attendions pas, du moins la croyions-nous une construction de nos pensées d'Occidentales féministes : celle que les femmes (et certains hommes), d'une culture et d'une langue à l'autre, ont nommé de leurs mots « la guerre dans la guerre », une espèce de guerre transnationale, transethnique et transreligieuse. Une guerre qui transcende toutes les autres et qui serait même, selon plusieurs, la clef de toutes les guerres.

On savait que l'état de guerre était un défi à la loi. Que toutes les guerres du monde sont une permission aux peuples d'une vie hors-la-loi. Et l'on commence à comprendre, avec la guerre faite aux femmes (ou aux enfants) par le viol, que la guerre est aussi un défi au désir. Le viol, c'est l'entrée de la mort dans le désir même. Telle est sa perversion. C'est cette jouissance, dans et par le désir de mort, qui différencie radicalement pornographie et érotisme. Tel est l'effet dévastateur de ce crime de guerre. Et l'on n'a pas pris encore toute la mesure du champ psychique de désolation creusé chez les enfants issus de cette mort, terreau de futures guerres possibles faites de pulsions de vengeance venues de la mort même matrice du désir.(...)

Madeleine Gagnon

http://www.spiralemagazine.com/parutions/190/textes/article_ordin_01.html Spirale no 190, mai-juin 2003 CONSTAT


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