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Comment va le Monde ? Comment va le Brésil ?Anonyme, Miércoles, Diciembre 3, 2003 - 18:24
PB
Comment va le monde ? Et comment va le Brésil ? Cela dépend de la façon dont on a décidé de voir les choses... Ici, à Porto Alegre, je sens du doute. Il y a, à la tête du pays, un gouvernement qui a été élu par une majorité de votant(e)s plein(e)s d’espoir de voir sa situation socio-économique s’améliorer. En effet comment faire pire que ce qui avait déjà été vécu auparavant ? Un candidat, maintenant Président de la République Fédérative du Brésil, qui sort réellement du peuple, qui s’est formé politiquement dans les luttes sociales contre la dictature. Un gars qui sait ce que veulent dire les mots faim, chômage, survivre et bien d’autres, lot du quotidien d’une partie énorme –et peut-être en augmentation– de la population... Il a cheminé, du Nordeste miséreux aux rues de la riche (économiquement et financièrement...) et turbulente São Paulo. Mais voilà que cet homme, Lula, semble avoir perdu sa route et permet à son gouvernement de faire ce que son parti, qui n’y domine pas, combattait auparavant. Il négocie le paiement de la dette du Brésil au FMI et à la Banque Mondiale, commence la privatisation de pans entiers du système social et de banques encore dans le giron public. Même le budget alloué au programme de lutte contre la faim et la misère qui semble lui tenir à coeur, "Fome Zero", a été tronqué. Quand une partie de ces sommes ne sont pas purement et simplement détournées par les mêmes caciques mafieux et oligarques qui mènent la vie politique brésilienne depuis des lustres... Quelques timides avancées sont toutefois réalisées en matière de lutte contre la corruption. Un juge fédéral, sa femme et d’autres sympathiques personnages sont bien arrêtés... C’est médiatique et cela donne l’impression que le pouvoir s’est enfin décidé à se séparer de ses éléments les plus pourris. Quelques policiers sont pris pour assassinat dans un autre coin du pays... Ceux-ci, si prompts à éliminer le crime chez les plus pauvres, arrivent toujours après les problèmes des citoyen(ne)s qu’ils sont censés protéger. Lâcheté, corruption comme culture ? Tout ce qui peut se lire à ce sujet dans les journaux –dans les plus "objectifs" comme dans les plus affairistes– présente souvent des policiers arrivant après les massacres, les violences ou les accidents dus à un non respect des règles de sécurité les plus élémentaires. Se peut-il, dans le cas des assassinats, qu’ils les aient eux-même réalisé... Mais ce n’est certainement pas eux qui provoquent les accidents et la plupart des actes violents. Ils y contribuent en se contentant de ramasser leur salaire et de faire autre chose que ce à quoi ils ont dédié leur vie, et en méprisant la justice et le respect d’autrui. Et tout cela n’est rien. Les lieux plus éloignés du pays vivent une situation bien pire encore. Loin des centres économiques et des grandes voies de communication, l’attention n’est pas trop attirée. Comment va-t-on contrôler ce qui se passe au fin fond de la forêt quand on ne le fait pas à deux pas des centres de décision des pouvoirs ? Quand, par exemple, la magouille sur les distributeurs de billets se produit même sur ceux du Suprême Tribunal Fédéral (STF), un des lieux les plus stratégiques du pouvoir fédéral brésilien ? Ce même Tribunal qui a remis en question une décision gouvernementale d’expropriation d’une partie de la terre de la très grosse compagnie agro-alimentaire Gaúcha, Southall. Une de ses juges (ministre du STF) a en effet des liens familiaux avec la famille Southall(1)... Ces actions ne sont pas celles des plus pauvres qui n’ont pas guère d’autres choix que d’aller piquer à leur voisin ou de péter les plombs. Comment quelqu’un sans éducation basique pourrait-il aller bidouiller de telles machines électroniques ? Qui a les moyens d’investir dans la déforestation ou d’importer des tonnes de cocaïne, crack et autres saletés et de payer des sbires pour faire éliminer, parfois à la tronçonneuse, ses ennemis sans risquer grand chose ? Même ceux qui sont, pour une raison bien justifiée, en prison (de luxe) continuent leurs néfastes activités... Les plus pauvres, eux, s’entassent dans les cellules et paient les pots cassés par les corrupteurs du pouvoir, quand ce ne sont pas les mêmes qui dirigent directement le navire. Les plus pauvres sont spoliés de leurs droits à vivre dignement par des juges du STF, entre autres tenants d’un pouvoir élitiste. Dans le cas de la redistribution des terres de Southall aux gens du MST, cela n’a pu se faire puisqu’un puissant contre pouvoir parmi les nombreux qui existent a décidé que non. L’occupation est légitime, mais si elle se fait ceux(celles) qui seront incommodé(e)s seront les sans-terre. Localement, les juges chargés des dossiers d’occupation de terre œuvrent souvent pour les latifundiários(2)... À ce sujet, cas de José Rainha, un des plus importants dirigeant du MST, est significatif. Les faits pour lesquels un juge local de l’État de São Paulo l’a fait emprisonner n’avaient plus de sens par rapport à l’évolution politique récente du pays. Mais celui-ci a probablement voulu venger les "dommages" causés aux intérêts de ses congénères de classe... Le MST du Rio Grande do Sul, lui, a dû stopper la marche qu’il faisait depuis des semaines, à proximité des terres de Southall. Les menaces se faisaient de plus en plus lourdes, tant sur la vie que sur la liberté et l’intégrité physique des participant(e)s. Et cela sans que la "Brigada" militaire qui les "accompage", et censée les protéger, ne s’en émeuve... Et le gouvernement dit bien qu’il va la faire, cette réforme agraire... Comme ses prédécesseurs ? Pour le moment, malgré la bonne volonté de Miguel Rossetto, ex vice-gouverneur de l’État du Rio Grande do Sul d’une tendance trotskiste du PT, et ministre en charge de cette réforme agraire, les choses ne sont toujours que des belles intentions. Des promesses, il y en a d’autres toutes aussi importantes, et pour la réalisation desquelles Lula a été élu, qui partent en fumée. Déjà on ne parle de la protection de ce qui reste du magnifique patrimoine naturel brésilien que si cela ne nuit pas au développement du pays. Comprenez : que si les gros éleveurs et les producteurs de plantes transgéniques ne se trouvent pas lésés dans l’expansion de leurs douteuses affaires par les singes et les indigènes. La Ministre de l’Environnement, Marina Silva, camarade de luttes de Chico Mendes et membre historique du PT, a même pleuré de voir tout ses espoirs militants ainsi bafoués. Et les OGM déjà interdits à la production par la loi brésilienne, devaient l’être pour de bon, cette fois. Non seulement le gouvernement permet leur culture "temporairement", mais ceux qui les ont importés illégalement d’Argentine via le Paraguay ne seront pas inquiétés et pourront écouler la récolte de leur illégale production. Entre nous : la contrebande est passible de lourdes sanctions, au Brésil... (par exemple, si on tente d’"importer" un CD de Céline Dion). Tout ce que je viens de décrire provoque pas mal de réactions. Fernando Gabeira(3) député du PT, ex guerillero et fondateur du Parti Vert, a quitté le parti à cause de la gestion du problème des OGM et de la politique nucléaire envisagée du gouvernement. La dissidence de membres historiques et fondateurs du PT(4) à l’encontre des décisions gouvernementales se fait toujours plus forte. La sénatrice Héloisa Helena, les députés Babá et Luciana Genro risquent d’être expulsés du parti, en décembre, après les délibérations "démocratiques" de sa direction politique(5). Et d’autres aussi contestent, un peu moins bruyamment. Tout le monde n’a pas envie de prendre le risque de se voir isoler politiquement... A contrario, le gouverneur PTiste du Piauí, Washington Dias, en rajoute une couche en permettant l’exploitation de l’écologiquement fragile "cerrado"(6) pour satisfaire l’énorme consommation de bois dont a besoin la multinationale Bunge Alimentos S/A(7) pour sécher et broyer les grains de soja qu’elle produit(8). Ce gouvernement et ses relais partidaires PTistes semblent bien mener une politique au service des intérêts du capitalisme le plus débridé. Alors, comment va le monde, comment va le Brésil ? A priori mal... Mais il n’y a qu’un an que Lula est au pouvoir, diront les optimistes. C’est vrai que la politique dans ce pays est difficile à mener. Des multitudes d’intérêts corporatistes s’y croisent plus que dans tout autre pays au monde. Les syndicats patronaux agricoles sont hypers puissants et clairement liés au crime organisé, parmi le plus violent de la planète. Les exécutions de militants ruraux sont légion, même si la presse internationale n’en parle pas ; nous savons pourquoi ! Les financiers peuvent à tout moment retirer les avoirs que les gouvernements précédents ont irresponsablement et égoïstement laissé entrer. Imaginez ce qui se passerait si Lula pratiquait réellement une bonne politique sociale ; voyez ce qui se passe avec Chávez, au Venezuela... Et le PT n’a de majorité nulle part, à peine dans le gouvernement, dû à la complexité du système électoral. D’aucuns disent que le gouvernement actuel travaille le terrain en profondeur. C’est une tache ardue dans ce pays, pour les raisons citées plus haut. De surcroît avec un vice-président adepte de l’évangélique néo-pentecôtiste "Église Universelle du Règne de Dieu" (9), la douteuse multinationale exploitant l’irrationnel d’une population désabusée, et financière du PL, le parti du vice-président. Les stratèges de la communication du PT on choisi l’alliance avec cet homme non seulement parce qu’il est un patron puissant, mais aussi parce que son "église" règne sur des millions d’esprits potentiellement votants. Pour arriver au pouvoir le PT avait besoin de ces voix. Aujourd’hui, la stratégie semble s’avérer ne pas être si bonne que ça. Parce que l’influence de ce personnage dans les milieux économiques est discrète, mais bien présente. S’il retire son appui, des millions de personnes peuvent descendre dans la rue au service du tonton du nord du continent. Ce que beaucoup on pu croire voir du Brésil lors des FSM successifs qui se sont déroulés à Porto Alegre n’est en aucun cas représentatif de ce qui se passe au Brésil. Cela met seulement en évidence la volonté et la dynamique d’une élite intellectuelle progressiste bien minoritaire et écoutée dans les seuls cercles limités de ceux(celles) qui ont peu de problèmes quotidiens... Et qui a bien du mal a faire réaliser ses objectifs. Le Brésil est dur, très dur. Une pléthore de fonctionnaires mal payés gèrent l’administration du pays. Ces mêmes administrations communiquent peu entre elles. Conséquences des années du corporatisme de l’"Estado Novo" de Getúlio Vargas et des vingt ans d’une dictature tout aussi corporatiste qui grêve le fonctionnement cohérent du Brésil. Mais ça n’empêche pas des citoyen(ne)s de s’organiser. Ce n’est pas l’émanation du plus grand nombre qui, si Lula trahit comme ses prédécesseurs, ne va certainement plus croire en grand chose. Mais cette dynamique populaire existe à travers le difficile travail des groupes communautaires des favelas, des coopératives de travailleurs appuyées par le syndicat CUT et autres actions citoyennes. C’est petit, mais ça existe et c’est concret. Malgré la mauvaise direction prise par ce gouvernement, le programme "Fome Zero", même avec les problèmes cités plus haut, se met lentement en place avec la participation de gens motivés. Ce plan ne vise pas seulement à donner à manger aux plus pauvres. Dans le projet, existent tout un tas de mesures pour l’éducation, la culture, les médecines alternatives, l’autosuffisance alimentaire, la réforme agraire et autres volontés d’intégration des minorités indigènes et noire. La société civile, à travers la participation de syndicats, de coopératives, d’ONG, mais aussi d’associations de patrons "responsables" et d’entreprises agro-alimentaires, est fortement impliquée dans les "Conseils de sécurité alimentaire et nutritionnelle soutenable" des différents États. Elle représente les 2/3 de ces Conseils ; le 1/3 restant étant constitué de représentants de l’Administration publique (10). "Fome Zero" pourrait bien permettre la réalisation de ce que le gouvernement ne peut pas faire politiquement pour les quelques rapides raisons évoquées ci-dessus. Ce que les politiques ne peuvent faire –ils connaissent sans doute les limites de leurs prérogatives dans ce monde absurde– les citoyens arriveront peut-être à le mener à bien. Une forme d’autogestion est peut-être en marche ici. Si un politicien et son groupe peuvent tomber, la société est plus difficile à abattre, surtout pour des motifs relevant de la plus simple humanité. Comment les multinationales pourraient-elles justifier un coup d’État contre une société qui s’organise pour vivre mieux hors de toute idéologie prédominante ? Elles ne pourront plus prétexter du communisme, puisque les communistes ne sont qu’un élément parmi d’autres entre les organisations sociales où se rencontrent aussi de nombreux chrétiens de "gauche". Ce qui s’est passé récemment au Venezuela montre bien les limites qu’elles rencontrent dans leurs nuisibles actions. Comment va le monde, comment va le Brésil ? Les optimistes diront bien : le FSM, Lula, c’est excellent, tout ça... Les pessimistes, que l’on ne sortira jamais ce pays de son paradoxe(11) et que tout est foutu. Peut-être que pas mal de choses sont foutues. Ce qui est cassé peut se reconstruire. Mais si l’on doit crever autant le faire en collant des beignes aux puissances qui tentent de mettre l’humanité à genoux. Pierre Bérard (1) Résumé, en Français : http://www.autresbresils.net/ARTICLES/exprop.htm |
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