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À la mémoire d'Ivan Illichbatiste, Lunes, Diciembre 1, 2003 - 13:43
Ivan Illich
Dans quelques heures, cela fera un an, jour pour jour, qu'Ivan Illich, probablement le plus important écologiste du XXe siècle, est mort. L'an dernier, son décès n'avait été souligné par AUCUN média canadien... pas même le CMAQ. Pour que la sélérité de sa pensée ne soit pas si vite perdue, je vous propose un extrait de Énergie et Équité qui, je l'espère, vous donnera le goût de lire son oeuvre entière. ÉNERGIE ET ÉQUITÉ (1973) Aujourd’hui il est devenu inévitable de parler d’une crise de l’énergie qui nous menace. Cet euphémisme cache une contradiction et consacre une illusion. Il masque la contradiction inhérente au fait de vouloir atteindre à la fois un état social fondé sur l’équité et un niveau toujours plus élevé de croissance industrielle. Il consacre l’illusion que la machine peut absolument remplacer l’homme. Pour élucider cette contradiction et démasquer cette illusion, il faut reconsidérer la réalité que dissimulent les lamentations sur la crise : en fait, l’utilisation de hauts quanta d’énergie a des effets aussi destructeurs pour la structure sociale que pour le milieu physique. Un tel emploi de l’énergie viole la société et détruit la nature. Les avocats de la crise de l’énergie défendent et répandent une singulière image de l’homme. D’après leur conception, l’homme doit se soumettre à une continuelle dépendance à l’égard d’esclaves produc-teurs d’énergie qu’il lui faut à grand-peine apprendre à dominer. Car, à moins d’employer des prisonniers pour ce faire, l’homme a besoin de moteurs auxiliaires pour exécuter la plus grande partie de son propre travail. Ainsi le bien-être d’une société devrait se mesurer au nombre de tels esclaves que chaque citoyen sait commander. (...)Les propagandistes de la crise de l’énergie soulignent le problème de la péurie de nourriture pour ces esclaves. Moi, je me demande si des hommes libres ont vraiment besoin de tels esclaves. (...) Je voudrais illustrer la question générale d’une consommation d’énergie ayant sa valeur sociale optimale avec l’exemple précis du transport. (...) Dès que les hommes dépendent du transport non seulement pour des voyages de plusieurs jours, mais aussi pour les trajets quotidiens, les contradictions entre justice sociale et motorisation, entre mouvement effectif et vitesse élevée, entre liberté individuelle et itinéraires obligés apparaissent en toute clarté. La dépendance forcée à l’égard de l’automobile dénie à une société de vivants cette mobilité dont la méca-nisation des transports était le but premier. L’esclavage de la circulation commence. Vite expédié, sans cesse véhiculé, l’homme ne peut plus marcher, cheminer, vagabonder, flâner, aller à l’aventure ou en pèlerinage. Pourtant il doit être sur pied aussi longtemps que son grand-père. Aujour-d’hui un Américain parcourt en moyenne autant de kilomètres à pied que ses aïeux, mais c’est le plus souvent dans des tunnels, des couloirs sans fin, des parkings ou des grands magasins. Améliorer cette mobilité naturelle par une nouvelle technique de transport, cela devrait lui conserver son propre degré d’efficacité et lui ajouter de nouvelles qualitées : un plus grand rayon d’action, un gain de temps, un meilleur confort, des possibilités accrues pour les handicapés. Au lieu de quoi, partout jusqu’ici, le développement de l’industrie de la circulation a eu des conséquences opposées. Dès que les machines ont consacré à chaque voyageur plus qu’une certaine puissance en chevaux-vapeur, cette industrie a diminué l’égalité entre les gens, restreint leur mobilité en leur imposant un réseau d’itinéraires obligés produits industriellement, engendré un manque de temps sans précédent. Dès que la vitesse de leur voiture dépasse un certain seuil, les gens deviennent prisonniers de la rotation quotidienne entre leur logement et leur travail. Si on concède au système de transport plus d’un certain quantum d’énergie, cela signifie que plus de gens se déplacent plus vite sur de plus longues distances chaque jour et consacrent au transport de plus en plus de temps. Chacun augmente son rayon quotidien en perdant la capacité d’aller son propre chemin. On constitue d’extrêmes privilèges au prix d’un asservissement général. En une vie de luxueux voyages, une élite franchit des distances illimitées, tandis que la majorité perd son temps en trajets imposes pour contourner parkings et aérodromes. La minorité s’installe sur ses tapis volants pour atteindre des lieux éloignés que sa fugitive présence rend sédui-sants et désirables, tandis que la majorité est forcée de travailler plus loin, de s’y rendre plus vite et de passer plus de temps à préparer ce trajet ou à s’en reposer. (...) Le banlieusard captif du trajet quotidien et le voyageur sans souci sont pareillement dépendants du transport. Tous deux ont perdu leur liberté. L’espoir d’un occasionnel voyage-éclair à Acapulco ou à un congrès du Parti fait croire au membre de la classe moyenne qu’il a « réussi » et fait partie du cercle étroit, puissant et mobile des dirigeants. Le rêve hasardeux de passer quelques heures attaché sur un siège propulsé à grande vitesse rend même l’ouvrier complice consentant de la déformation imposée àl’espace humain et le conduit à se résigner à l’aménagement du pays non pour les hommes mais pour les voitures. (...) L’Américain moyen consacre plus de mille six cents heures par an à sa voiture. Il y est a ssis, qu’elle soit en marche ou à l’arrêt; il la gare ou cherche à le faire; il travaille pour payer le premier versement comptant ou les traites mensuelles, l’essence, les péages, l’assu-rance, les impôts et les contraventions. De ses seize heures de veille chaque jour, il en donne quatre à sa voiture, qu’il l’utilise ou qu’il gagne les moyens de le faire. Ce chiffre ne comprend même pas le temps absorbé par des activités secondaires imposées par la circulation : le temps passé à l’hôpital, au tribunal ou au garage, le temps passé à étudier la publicité automobile ou à recueillir des conseils pour acheter la prochaine fois une meilleure bagnole. Presque partout on constate que le coût total des accidents de la route et celui des universités sont du même ordre et qu’ils croissent avec le produit social. Mais, plus révélatrice encore, est l’exigence de temps qui s’y ajoute. S’il exerce une activité professionnelle, l’Américain moyen dépense mille six cents heures chaque année pour parcourir dix mille kilomètres; cela représente à peine 6 kilomètres à l’heure. Dans un pays dépourvu d’industrie de la circulation, les gens atteignent la même vitesse, mais ils vont où ils veulent à pied, en y consacrant non plus 28 %, mais seulement 3 à 8 % du budget-temps social. Sur ce point, la différence entre les pays riches et les pays pauvres ne tient pas à ce que la majorité franchit plus de kilomètres en une heure de son existence, mais à ce que plus d’heures sont dévolues à consommer de fortes doses d’énergie conditionnées et inégalement réparties par l’industrie de la circulation. (...) LES LIVRES OBLIGATOIRES D'ILLICH -La Convivialité
le site internet officiel du philosophe présenté par ses étudiants de Cuernavaca (en espagnol surtout)
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