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Mettre fin à l'hypocrisie: l'exemple de l'École des Amériques

Anonyme, Lunes, Noviembre 17, 2003 - 23:18

David Murray

Alors que Bush et cie se positionnent en tant que champion de la démocratie et qu'ils accordèrent implicitement leur soutien à la répression dont fut victime le peuple bolivien en soutenant l'ex-président Lozada, ceux-ci devraient plutôt commencer par faire le mémage de leur cour arrière avant de se lancer dans une croisade pour la liberté. Un exemple de ce langage en trompe l'oeil et hypocrite en est donné par l'École des Amériques, véritable école de tortionnaires sise en sol américain et toujours bien active.

METTRE FIN À L’HYPOCRISIE : L’EXEMPLE DE L’ÉCOLE DES AMÉRIQUES

Le mois dernier la Bolivie fut témoin de la chute de son président Gonzalo Sanchez de Lozada à la suite d’un soulèvement où la voix de la démocratie se fit entendre, Démos sortant de sa torpeur. La situation serait maintenant revenue à la « normale », cette normalité bolivienne qui veut que suite deux décennies de réformes « fmistes » le pays demeure l’un des plus pauvres du continent, que selon la Banque mondiale la pauvreté touche les deux tiers de la population, les niveaux d’éducation, de santé et de nutrition demeurent précaires, la scolarité ne dépasse souvent pas les 7 ans et que 10% des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition. Cette « normalité » qui veut aussi que les indigènes qui forment 80% de la population continuent de faire l’objet de discriminations et que le projet d’exportation de gaz qui fut l’étincelle du soulèvement soit repris par le nouveau président Carlos Mesa.

L’histoire de la Bolivie, comme tant d’autres pays du Sud, en est une de pillages successifs dont les Boliviens gardent d’âpres souvenirs, ce qui explique la réaction du peuple bolivien, qui refuse, aux dires de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, « d’accepter que le gaz ne subisse le même sort qu’ont subi autrefois l’argent, le salpêtre, l’étain et tout le reste ». Cette révolte eut à se buter à une forte répression de la part du gouvernement Lozada, laquelle provoqua la mort de plus de 80 individus. Pendant toute la durée des événements le gouvernement américain n’eut de cesse de soutenir le gouvernement de Lozada, lui qui maniait mieux l’anglais que l’espagnol (sans parler de l’aymara et le quechua) et dont l’engagement en faveur de la démocratie et le bien-être de son pays (sic) fut loué dans une déclaration du Département d’État du 18 octobre.

Alors que certains se font les apologistes de l’héritage de la politique extérieure de l’oncle Sam et s’acharne à taxer d’antiaméricanisme primaire tous ceux et celles qui tentent de comprendre l’amertume des victimes de l’impérialisme américain et que George W. Bush tente de s’afficher en tant qu’héraut de la démocratie dans le monde à coup de discours tous plus insipides les uns que les autres, il est temps de crier haro sur toute cette hypocrisie, de redonner sens aux mots et particulièrement à la démocratie.

Le président américain et ses pairs devraient en effet commencer par jeter un œil à leur cour arrière où certaines institutions ne donnent pas nécessairement dans la dentelle et la promotion des valeurs démocratiques. L’École des Amériques (EDA), de tristes mémoires en Amérique latine et déjà surnommée « école des assassins » par le journal La Prensa, en est un exemple éloquent. Bien qu’inoffensive en apparence elle n’en fut pas moins la source de crimes graves depuis plus de 50 ans.
C’est en 1946, au Panama, que fut établie cette institution sous le nom d’US Army Carribean Training Center, avec l’objectif supposé de promouvoir la stabilité en Amérique latine. Elle ne tarda toutefois pas à acquérir sa sombre réputation, si bien que dans les années 1960 on la surnommait déjà Escuela de Golpes (école des coups d’état). Rebaptisée School of the Americas (école des Amériques) par le président Kennedy en 1963, elle fut ensuite déménagée en 1984 à la base militaire américaine de Fort Benning, à Colombus dans l’État de Georgie, selon les termes du Traité du Canal de Panama. Le président panaméen d’alors, Jorge Illueca, disait d’elle qu’elle était « la plus grande base de déstabilisation en Amérique latine ».

C’est donc sans surprise que l’on constate que les pires dictatures latino-américaines en furent ses principaux clients, comme par exemple le Nicaragua des Somoza, le Salvador de la guerre civile et la Bolivie d’Hugo Banzer. On constate de même que le taux de graduation par pays va de pair avec les périodes de conflits, comme en fait foi par exemple l’augmentation du nombre de gradués mexicains avec la montée des tensions au Chiapas depuis une décennie.

Depuis sa fondation, l’école a formé près de 60 000 gradués dont certains tristement célèbres. Les dictateurs panaméens Omar Torrijos et Manuel Noriega, les généraux Léopoldo Galtieri et Roberto Viola en Argentine, le général Juan Velasco Alvarado au Pérou, le général Guillermo Rodriguez en Équateur, le général Hugo Banzer en Bolivie, le leader des escouades de la mort au Salvador Roberto d’Aubuisson, le général Hector Gramajo, ex-ministre de la défense du Guatemala, ainsi que l’ex-dictateur guatémaltèque Efrain Rios Montt, poursuivi par la prix Nobel de la paix Rigoberta Menchu et candidat aux dernières élections présidentielles, en sont tous issus.

Les partisans de l’école soutiennent que ces « pommes pourries » seraient des exceptions. Le bilan est toutefois accablant et bon nombre de gradués de l’école furent tenus responsables de plusieurs massacres et autres violations des droits de l’homme au fil des ans. Des gradués furent notamment tenus responsables des massacres d’Uraba en Colombie et de La Cantuta au Pérou, de la torture et du meurtre d’un travailleur de l’ONU au Chili, ainsi que d’une panoplie d’autres abus des droits humains. La Commission de vérité de l’ONU au Salvador de 1993 fit notamment état que sur les trois officiers cités dans l’assassinat de l’archevêque Oscar Romero, deux étaient des gradués; sur les cinq cités pour le viol et le meurtre de quatre religieuses américaines, trois étaient gradués; sur les douze cités pour le massacre d’El Mozote qui fit 900 morts, dix étaient gradués, et que sur les 27 cités pour le massacre de six jésuites, leur ménagère et sa fille, 19 étaient gradués. Et ceci ne représente peut-être seulement qu’une infime partie des crimes commis par des gradués de l’école, étant donné que plusieurs de ceux-ci restent cachés due à la position des militaires dans certains pays d’Amérique latine.

Entre 700 et 1600 gradués continuent de sortir de l’école chaque année et tout porte à croire qu’aucun changement substantiel ne fut observé dans l’enseignement offert. Le Pentagone a beau dire que la mission de l’école est de « professionnaliser les militaires d’Amérique latine, de promouvoir la démocratie et d’enseigner les droits de l’homme », il semble que la réalité soit tout autre, et cela aux dires mêmes de certains proches de l’institution. L’entraînement prôné met en effet essentiellement l’accent sur la guerre de basse intensité, les opérations psychologiques, les techniques de contre-insurrection, les opérations commandos, les méthodes d’interrogations et le renseignement militaire. En septembre 1996, le Pentagone rendait public les manuels utilisés par l’école jusqu’en 1991, manuels dont les techniques d’interrogation qui y étaient recommandées impliquaient la torture, l’exécution, le chantage et l’arrestation des proches de la personne interrogée.
Malgré les discours réformateurs depuis lors, force est d’admettre qu’aucun changement notoire n’y a été signalé. Des cours du même acabit continuent toujours d’y être offerts et les droits humains occupent toujours une place dérisoire dans l’enseignement. Par exemple, seulement un cours sur les 42 que contenait le catalogue de 1996 portait sur les questions de démocratie et de droits humains. En 1997, seulement 13 étudiants s’inscrivaient à ce cours comparativement aux 118 que comptait « renseignement militaire ». En 1999, la situation était sensiblement la même alors qu’un rapport au Congrès démontrait que seulement 14% des inscrits suivaient des cours portant sur des questions d’opérations de maintien de la paix, de relations civils-militaires et autres du même genre, alors que plus de 85% prenaient le cursus « traditionnel », centré sur les techniques de combat et de contre-insurrection. Comme le rapportait par exemple l’ex-instructeur en droits humains à l’école, Charles Call, « l’entraînement des droits humains n’est pas pris au sérieux à l’école et l’entraînement des droits humains ne constitue qu’une part insignifiante de l’entraînement total des étudiants ».

Certains rétorquent toutefois à toutes ces accusations que l’EDA est maintenant dissoute. En effet, le 17 janvier 2001, suite aux tentatives infructueuses de certains congressistes de mettre la clé dans la porte de l’école, celle-ci était « officiellement » fermée pour laisser place à la Western Hemisphere Institute for Security Cooperation, suivant une proposition du Département de la Défense (DoD). Située au même endroit, la nouvelle école est en fait une copie conforme de l’ancienne. Sa mission demeure la même, ses modes d’organisation, de financement et de fonctionnement demeurent inchangés, les droits humains et l’enseignement des « valeurs de la démocratie » y occupent toujours une place négligeable et ne sont toujours pas favorisés. De plus, le fait que l’école fut « fermée » alors qu’aucune enquête n’avait été entreprise pour faire état des raisons de sa fermeture devrait nous laisser songeur. En effet, pourquoi fermer une institution à laquelle on ne reconnaît aucune faute? Il apparaît ainsi que l’école est toujours bien en vie et que seul son nom ait changé. L’ex-sénateur de Georgie et ardent partisan de l’école, feu Paul Coverdell, qualifiait d’ailleurs à juste titre de changements « cosmétiques » la proposition du DoD, assurant du même coup la poursuite de la mission et des opérations de l’école.

Heureusement, une opposition de plus en plus organisée se met en place pour fermer cette macabre institution. En première ligne de cette lutte, l’organisation School of the Americas Watch (soaw.org), fondée en 1990 par le Père Roy Bourgeois et qui depuis lutte pour faire fermer définitivement l’institution. Cette année encore, du 21 au 23 novembre prochain, d’importantes manifestations sont prévues à la base militaire de Fort Benning pour demander la fermeture de l’école, manifestations qui prennent de l’ampleur chaque année et qui devraient accueillir quelques milliers de personnes cette année.

Cependant, l’ÉDA ne représente qu’un maillon d’un réseau d’institutions formant les militaires latino-américains dans leur tâche d’assurer la « stabilité » et la « normalité » de leur société - devrait-on plutôt lire empêcher toutes velléités d’affirmation des peuples de l’hémisphère. L’activiste et journaliste Brian Dominick répertorie au moins 17 de ces institutions en sol américain, comme l’US Air Force Inter-American Air Forces Academy ou la JFK US Army Special Warfare Center & School, sans compter la présence de nombreux militaires américains sur l’ensemble du continent. Il ne serait ainsi pas surprenant et même probable que certains des militaires responsables de la mort de plus de 80 Boliviens lors du récent soulèvement soient issus de l’ÉDA.

Il est donc temps de mettre fin à l’hypocrisie qui est le lot de certains chantres de la démocratie. Avant de parler de vouloir propager la démocratie à qui mieux-mieux et de se faire les apôtres de la liberté, il serait peut-être temps que M. Bush et ses amis commencent par regarder à l’intérieur de leur cour. Un bon ménage y est plus que nécessaire. D’ici là, les beaux discours sur les vertus de la démocratie ne seront que du vent et de la poudre aux yeux et celle-ci demeurera une coquille vide.

Site de l'organisation School of the Americas Watch
www.soaw.org


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