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En mettant la réforme du mode de scrutin de nouveau en veilleuse, le Parti québécois laisse pour compte l'héritage de RenéEric, Miércoles, Noviembre 5, 2003 - 14:39
Paul Cliche
Monsieur le député, Monsieur le député, Nous avons pris connaissance de la position que vous avez publiée récemment au sujet de la réforme du mode de scrutin en tant que porte-parole de l'opposition péquiste en matière de réforme des institutions démocratiques. Elle nous a fortement déçus. Cette dernière équivaut, en effet, à vouloir remettre de nouveau en veilleuse ce dossier important malgré l'engagement pris par votre chef, M. Bernard Landry, pendant la dernière campagne électorale. Comme vous vous en rappelez certainement, ce dernier avait alors déclaré clairement que si le Parti québécois était reporté au pouvoir, les prochaines élections générales seraient régies par un nouveau mode de scrutin. Dams le communiqué que vous avez émis, vous dites vous enorgueillir des réformes que le fondateur de votre parti, René Lévesque, un homme qui « avait un idéal démocratique », a réalisé dans ce domaine alors qu'il était premier ministre. Vous passez sous silence toutefois le fait qu'en 1972, M. Lévesque, un homme qui aussi n'avait pas peur des mots, a qualifié de « démocratiquement infect » le scrutin majoritaire uninominal à un tour que l'Angleterre avait exporté dans sa colonie canadienne par l'Acte constitutionnel de 1791, en même temps qu'il y avait implanté le système parlementaire britannique. En 1966, M. Lévesque, alors député libéral, avait aussi qualifié de « sabotage officiel et extrêmement pernicieux des fondements de la démocratie politique » la défaite subie par le gouvernement Lesage aux mains de l'Union nationale, même si cette formation avait recueilli 6,5 % de moins des suffrages. C'est grâce à un semblable renversement de la volonté populaire que le Parti québécois a été retourné au pouvoir en 1998. Pourtant, nous n'avons entendu personne dans votre camp déplorer le manque de légitimité des gouvernements Bouchard et Landry au cours des années qui ont suivi. Au contraire, la réforme du mode de scrutin, que la plus élémentaire décence démocratique aurait dû imposer comme une priorité absolue, a été renvoyée aux calendes grecques. Ce comportement constitue un exemple flagrant d'insensibilité aux exigences démocratiques de la part d'un gouvernement qui a profité de sa confortable majorité parlementaire, due aux effets pervers du mode de scrutin, pour adopter avec précipitation et sans consultation populaire des mesures aussi contestées que les fusions municipales forcées. Le caucus péquiste a désavoué René Lévesque Vous passez aussi sous silence le fait que lorsque le fondateur de votre parti a voulu changer ce système pour le remplacer par un scrutin proportionnel de type régional, suite à une consultation publique tenue par la Commission de la représentation électorale, il a subi le désaveu du caucus des députés péquistes. Le projet de loi, mort-né, n'a donc pu être présenté à l'Assemblée nationale. Pour décrire l'état d'esprit malsain qui prévalait alors chez plusieurs députés, le rédacteur du compte rendu a résumé ainsi la conclusion du débat, selon un témoin oculaire : « La souveraineté d'abord, la démocratie ensuite ! » On peut s'imaginer quelle a été la réaction indignée de M. Lévesque lorsqu'il a pris connaissance de ce mot d'ordre incongru qui semble populaire encore aujourd'hui dans certains quartiers péquistes. Dans un livre qu'il a publié par la suite, l'ex-député péquiste Jérôme Proulx a commenté ainsi les retombées de cet incident, pénible pour le premier ministre et lourd de conséquences pour la démocratie québécoise : « Sa plus grande déconvenue au caucus lui vint de l'avortement de son projet concernant la représentation proportionnelle. Il croyait réellement en l'absolue nécessité de ce mode de représentation électorale. Ce fut pour René Lévesque, démocrate, une déception amère. » Tellement amère, en effet, qu'un de ses proches collaborateurs a relaté qu'il avait gardé le projet de loi sur sa table de travail jusqu'à la journée de sa démission en 1985. Dans votre prise de position, monsieur le porte-parole, vous passez aussi sous silence des chapitres entiers de l'histoire de votre parti. Le fait par exemple que, dès 1969, le Parti québécois a inscrit dans son programme l'engagement de remplacer le mode de scrutin actuel par une forme de scrutin proportionnel. Ce dernier a été maintenu dans le programme, inchangé, jusqu'au congrès de mai 2000 alors que l'ex-premier ministre Lucien Bouchard l'a rendu pratiquement caduc en rapportant sa réalisation après l'accession éventuelle du Québec à la souveraineté. Quelques mois plus tôt, l'ex-ministre Guy Chevrette, alors responsable de la réforme électorale, avait amorcé ce virage en déclarant que la population québécoise « n'était pas mûre » pour une réforme du genre. Somme toute, avait-il ajouté sans sourciller, le mode de scrutin actuel « demeure le moins pire des systèmes ». Une fois classée cette question encombrante, M. Chevrette a pu se consacrer en paix à un dossier auquel il accordait beaucoup plus d'importance : le virage à droite au feu rouge. Il faut en effet savoir établir les bonnes priorités quand on est membre d'un gouvernement qui se targue d'être à la fine pointe de la démocratie et du progressisme… Pourtant, la plate-forme électorale péquiste de 1994, tout comme celle de 1976, était on ne peut plus explicite. « Faire examiner et approuver, dès la première année de notre mandat, un projet de loi prévoyant une réforme du mode de scrutin fondée sur le principe de la proportionnelle compensatoire », pouvait-on y lire. Comme on l'a vu, ces engagements ont non seulement été ignorés les deux fois, mais les élus péquistes, rendus au pouvoir, ont effectué une volte-face. Seul René Lévesque a tenté de tenir parole mais en vain. Et ne voilà t-il pas que le même scénario se répète une troisième fois en 2003. Le printemps dernier, le chef péquiste a promis de réaliser la réforme avant les prochaines élections si son gouvernement était réélu, mais lorsque le nouveau gouvernement libéral annonce qu'il entend respecter son propre engagement, le responsable du dossier - en l'occurrence vous - prend une position qui laisse présager une nouvelle volte-face. N'allez surtout pas croire qu'on ne s'aperçoit pas de votre manège. Dans la lettre de Tit-Cul Lachance à son premier sous-ministre, Gilles Vigneault n'a pas mâché ses mots lorsqu'il évoque la réaction que peut susciter dans la population un comportement aussi cynique de la part de ses dirigeants politiques : Je peux pas croire que tu sois si bas Le scrutin proportionnel pourrait devenir un puissant levier démocratique Vous comprendrez qu'à la lumière des faits que nous venons de relater, certaines de vos affirmations nous font sursauter. Notamment quand vous écrivez, en paraphrasant quasiment votre prédécesseur Guy Chevrette, qu'aucun mode de scrutin « n'est supérieur aux autres ». Pourquoi alors, se demande-t-on, votre parti a-t-il préconisé l'instauration d'un scrutin proportionnel pendant plus de 30 ans et qu'il s'y est reconverti au congrès d'orientation qu'il a tenu en mars dernier quelques jours avant le déclenchement des élections ? Que penserait René Lévesque, dont vous vous réclamez, d'une position semblable ? Les effets pervers du scrutin majoritaire uninominal à un tour sont pourtant bien connus et ils se sont faits sentir davantage au Québec qu'ailleurs. Le scrutin proportionnel n'est certes pas une panacée, mais on peut faire le pari que son instauration constituerait un puissant levier pour rendre possible la réalisation des autres réformes démocratiques qui sont si impérieusement nécessaires. Vous estimez également que le « vrai débat reste à faire » avant de procéder à la réforme. Vous semblez ignorer que la discussion publique autour de cette question remonte au milieu de la décennie 1960. Vous semblez ignorer aussi qu'il n'existe probablement pas de dossier mieux documenté dans toute l'administration québécoise parce que des commissions de toutes sortes se sont succédées depuis les années 1970 ; que les instances de tous les partis politiques ont pris position en faveur de la proportionnelle ; qu'un livre vert a été publié en 1978 ; que des États généraux auxquels ont participé plus de 2500 citoyens et citoyennes se sont consacrés à la question il y a quelques mois. Rappelons que 90 % des 1000 délégués et déléguées à ces assises nationales ont préféré le scrutin proportionnel au scrutin actuel et que le Comité directeur présidé par Claude Béland a recommandé prioritairement, en mars 2003, l'adoption d'un scrutin proportionnel dans les deux premières années de la législature en cours. En réalité, c'est le dossier politique qui a fait le plus fait l'objet de discussions sur la place publique depuis 35 ans avec ceux de la langue et de la question constitutionnelle. Certes, il ne soulève pas de passions, mais un consensus social de plus en plus large s'est formé au cours des années. De votre côté, vous estimez qu'il s'agit d'un « pseudo consensus social ». Nous vous faisons remarquer qu'il est beaucoup plus solide que celui invoqué par le gouvernement péquiste pour procéder aux fusions municipales sans consultation. Vous écrivez aussi : « Le peuple doit se réapproprier ce débat… » Nous vous faisons remarquer que c'est fait depuis longtemps. Dans les années 1980, c'est une coalition citoyenne (COALIPROP) qui a pris le flambeau après l'enterrement de première classe réservé au projet de loi de René Lévesque par le caucus péquiste. Après les élections de 1998, c'est une autre coalition citoyenne (le Mouvement pour une démocratie nouvelle) qui a réanimé le débat après que les parlementaires libéraux et péquistes l'eurent tenu sous le boisseau pendant 17 ans. Cette dernière se livre depuis à une « démarche transpartisane » comme vous le réclamez dans votre prise de position. Malheureusement très peu de militants et de militantes péquistes ont rejoint ses rangs jusqu'ici. Peut-être est-ce pour cela que vous écrivez d'un ton méprisant que la réforme ne « doit pas rester l'affaire de groupuscules » ? D'autre part, vous vous réclamez à quelques reprises des États généraux pour demander la tenue d'un référendum sur le mode de scrutin. Le Parti québécois devrait être le dernier à le faire, car il a été la seule formation politique à ne pas y présenter de mémoire même si la démarche avait été initiée par l'ex-ministre Jean-Pierre Charbonneau qui, lui, croyait vraiment en la nécessité de revaloriser les institutions démocratiques. Le fait que le chef de l'opposition lui ait retiré ce dossier pour vous le confier après les élections est d'ailleurs symptomatique. Finie la politique politicienne ! À plusieurs reprises, monsieur le député, vous insistez sur la nécessité de consulter la population. Nous vous rappelons à ce sujet qu'en décembre 2001, à la suite d'une pétition du Mouvement pour une démocratie nouvelle, la Commission des institutions de l'Assemblée nationale, sans attendre de mandat gouvernemental, s'était donné un mandat d'initiative pour étudier la réforme du mode de scrutin. Elle devait faire le tour du Québec pour consulter la population et les groupes. Même si ce geste avait alors reçu la bénédiction officielle du premier ministre Landry, il n'avait pas plu au leader gouvernemental, l'ex-ministre André Boisclair, un adversaire déclaré du scrutin proportionnel. Ce dernier, en tant que maître de l'agenda des commissions parlementaires, ne lui a tout simplement pas laissé de temps pour remplir celui qu'elle s'était donné. Ainsi, 15 mois plus tard, lors du déclenchement des élections, le mandat était à peine entamé, seuls des experts ayant pu être entendus par la commission. Plus de 250 mémoires provenant de la population et d'organismes ont alors été envoyés aux oubliettes parlementaires. Pour le respect, on repassera… Pourtant si cette consultation avait eu lieu, le dossier aurait progressé considérablement. Encore une fois, on a raté une rarissime occasion de faire un pas significatif vers la réforme à cause des manoeuvres de coulisse d'un des vôtres. Nous déplorons toutefois avec vous que la démarche gouvernementale manque actuellement de transparence. Contrairement à l'échéancier que s'était fixé les péquistes en 1976 et en 1994 de faire la réforme la première année de leur mandat, celui du premier ministre Charest de la faire en deux ans est aussi moins audacieux. Mais au moins ça semble bouger même si le ministre responsable du dossier s'est dépêché d'appliquer les freins. De plus, la formule retenue par les libéraux, un système mixte compensatoire, est la même que celle proposée dans la plate-forme péquiste de 1994. Une réforme allant en ce sens ne devrait donc pas vous chicoter. Pourquoi alors apporter des objections à n'en plus finir ? Cela sent la mauvaise foi, comme l'a souligné avec justesse Michel David, un chroniqueur politique au Devoir. Ce qui est primordial, c'est le degré de proportionnalité que permettra d'atteindre le nouveau système. C'est pour qu'il soit le plus élevé possible que l'UFP fait présentement campagne. En terminant, monsieur le porte-parole, nous espérons que, conformément à l'engagement pris par votre chef lors de la dernière campagne électorale, l'opposition péquiste ne mettre pas d'obstacles indus à l'adoption d'une mesure législative instaurant une vraie proportionnelle à temps pour les prochaines élections générales. Il ne faudrait pas que le gouvernement tire prétexte de votre opposition pour reporter la réforme Il faut mettre fin à la politique politicienne autour de cette réforme qui, après 40 ans d'attermoiements et de volte-face des partis en place, est devenue une véritable saga qui déconsidère la démocratie québécoise. Votre discours en commission parlementaire le 10 juillet dernier et votre prise de position du 29 octobre n'augurent malheureusement rien de bon de ce côté. Il est extrêmement malheureux que le Parti québécois, qui a jadis connu ses heures de gloire en réformant de grands pans de nos institutions démocratiques, menace maintenant d'en devenir le fossoyeur. Comme contribution au débat sur « la saison des idées du PQ », nous vous suggérons de retourner au plus vite à la pratique de l'idéal démocratique qui a inspiré le fondateur de votre parti. Autrement, votre dégénérescence en tant que véhicule politique porteur d'avenir pour certains secteurs de notre société risque de devenir irrémédiable. Les membres du comité sur le scrutin proportionnel de l'Union des forces progressistes par Paul Cliche, responsable du dossier de la réforme des institutions démocratiques Montréal, le 3 novembre 2003
Site de l'Union des forces progressistes
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