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LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, UNE UTOPIE ?

patc, Lunes, Octubre 6, 2003 - 17:35

CMAQ

Venez vous exprimer,
on verra bien…

À la veille de ses trois ans, l’équipe du collectif du CMAQ sent le besoin de renouer le contact avec son monde. Vous êtes toutes et tous conviés à venir nous rencontrer, partager vos vues - et éventuellement offrir vos services bénévoles - à l’occasion d’un atelier que nous voulons le plus sincère et vivant possible. Le thème ? Quelles balises doivent délimiter la liberté d’expression sur un site en publication ouverte comme cmaq.net ? S’il doit y en avoir !?!?

LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, UNE UTOPIE ?

Venez vous exprimer,
on verra bien…

À la veille de ses trois ans, l’équipe du collectif du CMAQ sent le besoin de renouer le contact avec son monde. Vous êtes toutes et tous conviés à venir nous rencontrer, partager vos vues - et éventuellement offrir vos services bénévoles - à l’occasion d’un atelier que nous voulons le plus sincère et vivant possible. Le thème ? Quelles balises doivent délimiter la liberté d’expression sur un site en publication ouverte comme cmaq.net ? S’il doit y en avoir !?!?

Plusieurs visiteurs plus ou moins réguliers du cmaq.net ont sans aucun doute un point de vue sur la question. C’est en effet l’année du paradoxe pour le CMAQ qui a reçu d’un côté plus d’éloges que jamais (non, c’est pas à cause de l’interface graphique) mais aussi plus de critiques que ce que les bénévoles auraient pu s’imaginer au moment de la fondation du CMAQ, fin 2000 (et ce, sans parler de l’interface graphique). Des exemples?
1- Au cours des manifestations contre la mini-ministérielle de l’OMC, plusieurs ont reproché au CMAQ de donner trop de visibilité aux groupes tolérant l’usage de la violence. Cela parce que les administrateurs du site ont mis dans les manchettes, comme à l’habitude, le contenu pertinent mis en ligne par les collaborateurs, pour la plupart à ce moment précis, tolérants face à l’usage de violence. Aurait-on dû, pu, travailler autrement?

2- Certains reprochent au CMAQ son radicalisme. D’autres, au contraire, pensent que le site dégage une vision réformiste. Qu’en est-il ? Pourquoi les organisations progressistes moins « radicales » ne prennent pas le crachoir sur CMAQ autant qu’elles le devraient pour faire connaître leurs positions ? Le CMAQ doit-il se satisfaire de son succès incontestable auprès des organisations anarchistes et radicales de gauche?

3- Ça n’a échappé à personne, le site est devenu un lieu de débat de sourds entre d’un côté des « masculinistes » qui prétendent promouvoir la justice sociale mais confrontent ouvertement le féminisme, mouvement habituellement associé au progrès social et de l’autre, des féministes qui considèrent que le CMAQ devrait censurer tout contenu allant à l’encontre des idéaux féministes. Cela dans un contexte où les masculinistes utilisent à fond la caisse les possibilités de publication et de commentaires et où plusieurs féministes désertent, boycottent et dénoncent le site sur toutes les tribunes. Croyez-vous que le CMAQ a bien agi dans cette crise ?
Ce ne sont là que quelques exemples des angles sous lesquels nous espérons aborder avec vous la problématique de la liberté d’expression sur cmaq.net. Pour les militants du collectif CMAQ qui partagent des idéaux semblables mais des points de vues souvent diamétralement opposés, résoudre de tels casse-tête n’a rien d’aisé. Nous voulons que chacun ait conscience des difficultés que nous rencontrons dans la gestion quotidienne d’un site que nous voulons le plus libre d’accès possible. La plupart des incompréhensions qui découlent de situations fâcheuses sont liées à la nature même du CMAQ, notamment sa philosophie d’Open Publishing et son caractère essentiellement bénévole et non hiérarchique.

Aussi, nous voulons vous entendre… C’est la meilleure façon que nous avons trouvée pour renouer les liens avec des gens qui ont pu être choqués par la façon dont nous avons géré les crises. Le « plurilogue » auquel nous vous convions sera dirigé par un animateur du CMAQ. Le déroulement ressemblera à celui des salons du CMAQ. Les participants seront invités à s’exprimer sans que ce soit une obligation absolue. Nous préparerons notamment une activité ludique au cours de laquelle vous serez appelés à juger de la pertinence en regard de la politique éditoriale de diverses contributions reçues ces trois dernières années sur cmaq.net. Au plaisir de vous y rencontrer.

Quoi ? :Atelier participatif
« Les enjeux et limites de
la liberté d’expression »

Quand ? : Mercredi 8 octobre, 19h
Où ? : Café La Petite Gaule

www.cmaq.net


Asunto: 
Obligation de publication?
Autor: 
martin dufresne
Fecha: 
Mar, 2003-10-07 09:04

Un élément de réflexion, en complément à la présentation de "Pat":

Au lieu de la notion de "liberté d'expression", puisque c'est du CMAQ et non des internautes qu'on parle, j'ai l'impression que se dessine - dans ce qu'écrit Pat - la notion d'une "obligation de publication", qui empêcherait le CMAQ de rejeter les commentaires sexistes et/ou diffamatoires, et ce au nom d'une lecture primaire de la "liberté d'expression" de qui et de quoi que ce soit.

Il n'existe pas de précédent à s'imposer pareille obligation. Le Conseil de presse du Québec, instance garante d'une certaine liberté d'expression au Québec, a toujours rejeté l'idée d'imposer quelque obligation de publication aux médias - dans le cas des lettres ouvertes, par exemple - reconnaissant aux médias la responsabilité de décider de ce qu'ils publient.

Au CMAQ même, on s'est donné dès le début, dans une politique éditoriale encore en vigueur, le droit fondamental et la responsabilité de ne pas publier n'importe quoi, de ne pas servir de courroie de transmission à certains discours particuliers, notamment ceux qui justifient ou aggravent l'oppression structurelle que constituent le sexisme et l'homophobie.

Pour moi, la liberté d'expression collective *gagne* au fait d'avoir adopté le principe suivant:
"Sera rejeté au Donjon tout matériel à caractère :
- injurieux
- sexiste
- raciste
- homophobe
- haineux (qui est inspiré par et/ou qui incite à la haine)"

Est-ce ce projet qui serait devenu utopique, au nom du principe néo-libéral d'une obligation de publier tout propos, même sexiste ou homophobe? Est-il équitable de pointer du doigt les féministes, proféministes et simples internautes qui n'ont fait que rappeler et réclamer l'application de la politique du CMAQ durant l'invasion antiféministe de cet été?

Martin Dufresne


[ ]

Asunto: 
Réponse brève
Autor: 
patc
Fecha: 
Mar, 2003-10-07 12:39

First,
c'est pas moi qui ai écris ce communiqué, je l'ai posté pour le CMAQ afin de promouvoir un atelier-discussion sur la liberté d'expression.

Comme Martin Dufresne semble avoir son opinion sur la question, pourquoi ne participerait-il pas à l'atelier?

Quant à moi, puisque on me prend à parti, je suis de l'avis qu'une tribune de publication libre doit défendre les principes d'une publication libre.

Je ne vois pas où Martin Dufresne a pris son histoire "d'obligation de publication".

Ce qu'il, et d'autres personnes, ne semble pas saisir, c'est que le CMAQ est une tribune Indymedia, et que le rôle d'Indymedia est de fournir une tribune de publication libre. C'est un choix délibéré, pas une obligation.

Si ce n'est pas une tribune de publication libre, ce n'est pas un Indymedia.

Donc, si c'est autre chose que vous chercher, bien allez chercher ailleurs, et vous n'aurez pas de difficulté à trouver des tribunes qui sont gérée traditionnellement, par une "ligne éditoriale" et un bureau de ciseau.

Ce qui fait, l'originalité du CMAQ et d'Indymedia, c'est précisémment l'absence de bureau de ciseau.

Maintenant, comme l'indique MD, nous avons une politique éditoriale qui sert à discriminer les soumissions et à "cacher" les propos haineux, racistes, sexistes, etc.

Mais ces articles sont "cachés", pas effacés. Ça aussi, c'est un choix.

Depuis juillet, nous avons même créé une section cachée d'accès restreint pour les soumissions dont la teneur diffamatoire est explicite.

Il s'agit là de ce qu'on appelle L'ÉVOLUTION.

Par contre, le jour où le CMAQ deviendra une tribune de publication pour les biens pensants, et oû on choisira ce qui est digne d'être publié et ce qui ne l'est pas, on parlera plutôt de RÉGRESSION.

Si vous voulez discuter de ça, c'Est justement pourquoi nous avons créer l'espace de discussion de mercredi.

PAtCad


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Asunto: 
Bon débat!
Autor: 
martin dufresne
Fecha: 
Mié, 2003-10-08 18:03

"Comme Martin Dufresne semble avoir son opinion sur la question, pourquoi ne participerait-il pas à l'atelier?"

Parce qu'il habite à 100 km du Café La Petite Gaule et que venir à la course défendre la politique du CMAQ contre ceux qu'elle gêne dépasse, cette fois-ci, ses moyens. Le débat me semble interne au groupe; j'ai confiance que vous saurez vous réconcilier à vos responsabilités - comme l'ont fait d'autres sites IndyMedia - sans y voir quelque "régression".

Je trouve également un peu fort de voir des femmes accusées d'avoir "déserté" le CMAQ après que plusieurs mois d'efforts de leur part n'aient pas réussi à obtenir l'application de votre politique de suppression d'articles et de commentaires ultra-diffamatoires et sexistes. C'est cette agression tolérée qui faisait problème, non quelque "désertion". Accuseriez-vous des Noirs-es de leur absence si le Ku Klux Klan s'installait dans vos pages?

Martin


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Asunto: 
Sur les limites du milieu libertaire
Autor: 
martin dufresne
Fecha: 
Mié, 2003-10-08 19:02

Francis Dupuis-Déri signe dans Le Monde libertaire qui vient de paraître une intéressante analyse des réticences du milieu libertaire à accepter le libre arbitre des femmes quant à l'environnement où elles acceptent de fonctionner. Sans présumer de ce qu'en pense Dupuis-Déri, je trouve le parallèle entre le VAAAG et le CMAQ intéressant à explorer, puisqu'au-delà des différences de ces deux foums, ils se réclament tous deux de l'idéologie libertaire et manifestent des réticences similaires face aux choix des femmes.

Voici ce texte qui vient d'être affiché sur A-INFOS avec permission de reproduire:

[ texte publié dans le Monde libertaire n° 1330 ]

À l'ombre du Vaaag : Retour sur le Point G

La vie au Village alternatif, anticapitaliste et anti-guerre (Vaaag) fût une expérience exaltante et porteuse d'espoir. En marge du G8 retranché à Évian, des milliers d'anarchistes de diverses sensibilités se sont retrouvés quelques jours à Annemasse pour discuter et débattre de problèmes, d'expériences, de solutions, et pour mener des actions collectives. Malgré des ratés évidents sur plusieurs fronts, il faisait bon en être. Mais l'expérience du Vaaag indique également que le milieu militant doit se poser très sérieusement des questions au sujet des femmes en général et du sexisme en particulier. Certes, de très nombreuses femmes se sont investies à fond dans le Vaaag, se portant volontaires pour l'exécution de tâches diverses, prenant la parole en assemblée ou lors des débats, participant aux actions, organisant des comités, etc.. Il serait faux de dire que les femmes n'avaient uniquement qu'un rôle subordonné; faux également de prétendre que tous les militants anarchistes français sont sexistes; mais il serait également faux de dire que le Vaaag était un lieu d'égalité parfaite entre les hommes et les femmes. À titre d'exemple, les hommes prenaient plus souvent que les femmes la parole lors des assemblées publiques. Quant aux réactions exprimées au sujet de nos voisines de Point G, le village non-mixte, elles étaient révélatrices d'un malaise profond au sein du milieu libertaire français.

Ceux et celles qui auront pris le temps de rester quelque temps près de la frontière séparant les deux camps auront certainement fait le même constat que moi : le Point G suscitait de très nombreux commentaires, presque tous négatifs, exprimés sur le ton du sarcasme, de la critique ouverte, ou de l'humour douteux. Au risque de trop simplifier, disons que les attaques consistaient à condamner le Point G pour sa logique d'exclusion, pour son sexisme à l'égard des hommes. Ces attaques reposaient implicitement ou explicitement sur une vision universaliste (même "républicaine") mais individualiste, et sur l'idée que le Vaaag était pour sa part un lieux ouvert, inclusif et anti-sexiste, ce qui devait par principe permettre à chaque femme présente d'être l'égale des hommes. C'était donc le Point G qui posait problème, et non un hypothétique sexisme ambiant au Vaaag.

Certes, le Vaaag se déclarait officiellement en lutte contre le patriarcat : dans ses documents d'information et dans sa charte, le patriarcat était désigné comme un ennemi. Mais il ne s'agit pas de se réclamer d'une lutte ou de revendiquer une étiquette "antipatriarcal" - pour que la lutte soit gagnée. Il faut aussi agir en conséquence. Dans les faits, l'antipatriarcat était clairement un front très secondaire pour nombre de participants au Vaaag. Je n'ai entendu personne au Vaaag, par exemple, s'insurger contre le fait que le G8 était non-mixte et ne comptait que des hommes. Et il y a fort à parier qu'à celle ou celui qui y aurait vu un problème, on aurait répondu : "le pouvoir corrompt, et des femmes qui siégeraient au G8 seraient tout aussi illégitimes et dangereuses" (l'exemple de Margaret Thatcher aurait sans doute était brandi avec un sourire victorieux). S'il y a une grande part de vérité dans cette réponse, elle n'en relègue pas moins une fois de plus la question de l'anti-sexisme à un ordre secondaire. Mais l'objectif des libertaires n'est évidemment pas de réformer le G8, il s'agit plutôt de l'abolir...

Les réactions critiques à l'égard du Point G posent un problème plus important, puisqu'elles concernent la dynamique interne du milieu militant anarchiste français. Plutôt que de voir le Point G comme une invitation à se questionner sur les pratiques et l'ambiance internes au Vaaag en matière de sexisme, il a semblé plus facile et très rassurant de faire porter le blâme sur l'"autre", et d'affirmer que c'étaient les féministes du Point G qui avaient un problème et qui posaient problème.

Bref, si en 2003 des femmes sentent encore et toujours le besoin de se retrouver temporairement dans un lieu non-mixte, ce serait en raison d'erreurs logiques et politiques du féminisme, et certainement pas en raison d'un certain sexisme ambiant au Vaaag, d'ailleurs autoproclamé antipatriarcal et donc inclusif par définition...

Pourtant, le Vaaag était tout sauf un lieu d'ouverture universaliste et de pluralisme. Des représentants du FN, mais même de la LCR ou d'ATTAC s'affichant comme tel n'auraient pas été mieux accueillis au Vaaag que les hommes au Point G, et c'est pour cela qu'il y a eu trois villages : le Vaaag, le Vig et le Point G (1). Le Vaaag était donc conçu lui-même comme un lieu "non-mixte" éphémère où des libertaires pouvaient enfin se rencontrer entre eux pour discuter, échanger et agir. Ce même Vaaag ne peut donc se donner en exemple pour convaincre les féministes du Point G de la futilité des rencontres à huis clos. Ces rencontres fermées entre anarchistes ou entre femmes (ou entre ouvriers, afro-américains,homosexuels, étudiants, etc.) relèvent d'une longue histoire de groupes minoritaires et/ou dominés qui pratiquent ce que l'on nomme aux États-Unis l'"empowerment", c'est-à-dire un processus qui permet de développer un pouvoir individuel et collectif. En se retrouvant ensemble, des individus jusqu'alors plus où moins isolé-e-s dans un monde qui leur est hostile peuvent enfin partager en toute honnêteté leurs expériences, leurs rages et leurs désirs. Ces personnes peuvent identifier collectivement des problèmes, des solutions, des tactiques et des stratégies en fonction de leur lecture du monde, elles peuvent prendre pleinement conscience qu'elles appartiennent à une communauté en lutte et ainsi développer des réseaux forts de solidarité, et qui peuvent plus facilement (apprendre à) prendre la parole en public, parole trop souvent manipulée, déterminée, voire monopolisée, par les individus appartenant à des groupes dominants. Ces rencontres non-mixtes sont donc utiles pour développer des compétences communicationnelles si importantes en démocratie directe. Les rencontres non-mixtes qui favorisent l'"empowerment" permettent enfin à des individus et à des groupes de revenir dans le monde commun - car tel est l'objectif ultime, sauf en de très rares exceptions - et d'y faire entendre leur voix.

Mais la grande majorité des anarchistes français semblent considérer avec méfiance tout ce qui touche les politiques et les luttes "identitaires" (oubliant d'ailleurs qu'il y a une identité ouvrière, une identité anarchiste, etc.). Certains semblent même incapables de donner un sens politique à un déséquilibre des plus évidents dans la "culture" anarcho-punk, soit le nombre si réduit de femmes qui participent aux danses collectives (dites "pogo", "slam" ou "trash"), lors des concerts de musique punk. Sur le plancher de danse, les corps cherchent alors la joie du contact brutal, et ils s'entrechoquent joyeusement. J'aime cette danse, que je pratique moi-même allègrement. Mais si les danseurs sont généralement solidaires envers celui qui tombe ou perd ses lunettes, il devrait être évident aux yeux du premier observateur venu que les personnes ayant un gabarit plus petit que la moyenne doivent être dotées d'une bonne dose de courage pour se lancer dans la danse. Or, comble de l'absurde et de l'aveuglement, il a été déploré lors de la réunion bilan des divers comités organisateurs du Vaaag, qu'une douzaine de femmes - sans doute du Point G - se soient formées en contingent pour danser en bloc, lors d'un spectacle sous le grand chapiteau. Elles auraient dansé "de façon trop aggressive". On pense qu'il s'agit d'une mauvaise blague, d'un cauchemar logique... Mais non. Cette accusation relève d'un simple et banal aveuglement, typique d'un membre d'un groupe dominant qui est incapable de réaliser l'évidence - que les dominées sont si souvent exclues formellement et informellement de nombreuses pratiques culturelles - et qui ne pardonne pas aux dominées de s'organiser collectivement pour faciliter leur participation, leur intégration.

Encore une fois, on dit aux femmes que nous sommes solidaires de leur lutte d'émancipation, mais elles doivent lutter individuellement et n'utiliser que la seule force de votre caractère. Ne luttez surtout pas collectivement, car alors vous adopteriez une attitude d'exclusion et discriminante... Que quelques femmes s'organisent ensemble pour s'intégrer - collectivement - à une fête sur un plancher de danse où il y a de la place pour tout le monde et où les femmes sont généralement exclues de facto, et voilà des hommes qui s'insurgent, qui s'inquiètent, qui critiquent, qui se sentent agressés.

Le Vaaag et le milieu libertaire doivent savoir se doter de moyens pour réfléchir collectivement au sexisme en leur propre sein. Il faut surtout cesser de céder au réflexe facile d'accuser l'"autre", et accepter de réfléchir à ses propres pratiques. En terme procéduriers, il serait intéressant, par exemple, que les divers groupes militants s'auto-analysent en évaluant plus ou moins formellement quel est le pourcentage de femmes militantes dans leur groupe, quelles tâches font-elles principalement, en quel nombre sont-elles présentes lors de rencontres intergroupes (les délégués), combien d'entre elles prennent la parole, combien de fois et en quelle circonstance (les femmes parlent-elles pour avancer des idées et débattre de questions de fond, lancer des propositions, ou simplement pour répéter ce que des hommes ont dit avant elles, pour poser des questions ou pour donner de l'information?). Les camarades auraient très certainement la surprise de constater d'étonnants clivages entre les hommes et les femmes, avantageant très souvent les premiers au détriment des secondes. Dans un processus de prise de décision libertaire, le pouvoir se love dans la parole. Conséquence, ceux et celles qui ne parlent pas - les sans voix - ou très peu disposent nécessairement de moins de puissance que ceux et celles qui s'expriment.

Il est rassurant de penser qu'il s'agit là de questions de trait de caractère, ou dire que l'on connaît des femmes qui parlent beaucoup et des hommes timides. Un tel individualisme est pourtant en rupture complète avec une attitude qui consiste à concevoir les luttes à mener - contre le capitalisme, la guerre, le racisme - comme relevant de l'action collective, et non pas seulement des simples efforts et mérites des individus. Une fois constaté le sexisme ambiant, des pratiques et des procédures volontaires et collectives doivent venir tenter de rééquilibrer les pouvoirs informels au sein du milieu militant : alternance de parole homme/femme, par exemple, parité homme/femme dans les rôles de modération d'assemblées ou dans les délégations auprès d'autres groupes ou des médias (2), mise sur pied de groupes de réflexion et comité de lutte anti-sexiste, et même, possiblement, création d'espaces non-mixte femmes ou hommes.

L'enjeu de l'antisexisme est complexe et il ne s'agit pas ici d'embrasser l'ensemble des problèmes, des solutions et des contradictions, ni surtout de conclure que tous les anarchistes français sont sexistes (ce qui est faux, évidemment) ou encore que le Point G était un lieu exempt de ratés, problèmes et faiblesses. Il faut plutôt répéter l'évidence : la lutte féministe reste un front considéré encore aujourd'hui comme secondaire chez les libertaires, quand elle ne fait pas tout simplement sourire, voire même rire. Les revendications des femmes ont toujours été un sujet de moqueries méprisantes aussi bien dans les parlements que dans les assemblées militantes libertaires. On se fend la gueule, on se tape sur les cuisses, on laisse même aller une blague grivoise (au nom de la liberté d'expression), puis on passe à un autre sujet...

Je me suis aussi désolé, dans un premier temps, qu'il n'y ait pas eu d'événements formels où les habitants du Vaaag et celles du Point G auraient pu discuter, échanger, débattre. Mais après quelques discussions au sujet du Point G avec des militants du Vaaag, j'ai rapidement compris la réticence des féministes à s'engager dans un tel processus, qui n'aurait été qu'une occasion pour de trop nombreux anarchistes de venir critiquer et attaquer les féministes, sans aucune intention d'écouter leur point de vue. Les frontières n'existent pas seulement entre les villages, elles existent aussi dans les têtes et les coeurs.

Dernier commentaire : le Point G n'était pas la douce moitié du Vaaag, il s'agissait d'un espace autonome, indépendant. Vouloir soumettre le Point G aux principes de la charte du Vaaag relèverait d'une volonté impérialiste. D'ailleurs, selon les documents explicatifs du Vaaag, le village alternatif incarnait la "volonté de créer d'autres espaces contrant toutes les formes de dominations (patriarcale, économique, sociale)". On pouvait aussi y lire qu'"il est temps que les exploité-e-s reprennent les choses en mains et redéfinissent d'autres voies que celles d'une croissance indéfinie et destructrice de la nature et alternative à celle d'un travail hiérarchisé et basé sur de multiples dominations - sur les peuples, sur les femmes, sur la nature ou encore sur les enfants" (je souligne). "Créer un autre espace", "reprendre les choses en mains", voilà précisément ce que les camarades féministes du Point G ont fait en se constituant en village non-mixte. C'est ce que de trop nombreux camarades du Vaaag ne leur ont pas pardonné. Il est toujours plus facile de faire porter l'odieux aux voisines, plutôt que de constater les problèmes qui règnent chez-soi. Je regrette quant à moi que les camarades du Point G n'aient pas été plus nombreuses.

Francis Dupuis-Déri, septembre 2003
(fran...@hotmail.com)

Notes :
(1) Autre problème d'inclusion : en dépit de l'étiquette "antiraciste" du Vaaag, il n'y avait qu'un nombre infime de "Blacks", d'"Arabes" et d'autres membres de communautés nouvellement immigrantes, en comparaison à leur proportion démographique dans la société française.

(2) Ces trois premières procédures formelles sont actives dans des groupes anarchistes en Amériques du Nord, comme au sein de la Convergence des luttes anti-capitalistes de Montréal (CLAC) (qui est un regroupement d'individus libertaires autonomes, et non d'insitutions anarchistes, comme l'était la CLAAACG8).

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Asunto: 
Les limites des uns et des autres...
Autor: 
Nicolas
Fecha: 
Vie, 2003-10-10 09:39

Franchement Martin, qu'est-ce que tu cherche à faire avec la publication du texte de FDD dans le Monde Libertaire? J'ai de la difficulté à voir ce que ça apporte...

De un, le CMAQ n'est pas libertaire. Il y a des libertaires qui s'impliquent et qui ont, d'ailleurs, des attitudes et des opinions très différentes sur le sujet. Mais le CMAQ n'est pas anars.

De deux, le 'milieu libertaire', qui est très hétérogène soit-dit en passant, n'est pas exempt de contraditions. Comme tous les milieux, d'ailleurs. Nomme moi un seul mouvement mixte où il n'y a pas de problèmes à ce niveau! Il faut travailler là dessus, entre autre, et c'est ce que fait FDD.

De trois, c'est pas comme si le mouvement féministe était exempt de contradictions... Comme si les questions de classe et des oppressions nationales et raciales étaient réglées dans ce mouvement!


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Asunto: 
Réponse
Autor: 
martin dufresne
Fecha: 
Sáb, 2003-10-11 00:08

J'ai justifié la pertinence de citer ce texte, selon moi: au CMAQ comme au VAAAG, on a amèrement critiqué la décision de féministes de s'épargner un forum où on les attaquait impunément. Ça pose problème, pour Dupuis-Déri et moi en tout cas.
Je ne suis pas certain de ta définition de "libertaire" (synonyme d'anarchiste?), mais il est significatif que ce soit au nom de la *liberté* d'expression que certains justifient le déferlement d'hostilité contre les femmes et le féminisme qui s'est exprimé ici et le manque d'intervention à cet égard.
Quant aux contradictions du mouvement libertaire, je ne comprends pas ton argument. Je ne dis pas qu'il y en a plus au CMAQ que dans le milieu libertaire; afficher le texte de Dupuis-Déri démontre justement le contraire. Celle du CMAQ entre la liberté d'expression et le rejet de textes sexistes, racistes etc. me semble même assez fertile; je ne blâme pas l'équipe de l'existence de cette tension, je résiste simplement à ce qu'on en "flush" un des termes.
Et quant aux contradictions du mouvement féministe auxquelles tu fais allusion, elles n'ont joué aucun rôle dans la conjoncture dont on discute ici - l'agression antiféministe qui a sévi cet été -, alors...?

Solidaire,

Martin


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