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Montréal: Un été mémorable au Vieux-PortNicolas, Domingo, Septiembre 28, 2003 - 12:10
Groupe anarchiste Bête Noire (NEFAC)
Le titre de cet article risque d'être trompeur. Non, ce n'est pas le plus récent film en projection chez Imax ou l'acrobate du Cirque du Soleil(1) qui ont marqué nos mémoires, mais bien le conflit de travail entre la Société du Vieux-Port et ses quelques 360 employéEs. Lors d'une grève de 48 heures des employéEs, les 24 et 25 mai derniers qui visait à faire avancer les négociations sur la plus récente convention collective, le patronat a décidé de renverser la vapeur en mettant en lock-out l'ensemble du personnel syndiqué. Le conflit du Vieux-Port éclate donc au moment où l'achalandage touristique commence à être à son plus fort, prouvant que les administrateurs de cette société de la couronne étaient prêts à perdre un peu de revenu à court terme pour s'enrichir dans le long terme, sur le dos de travailleurs-euses mal payéEs. Il s'en est suivi un long et dur lock-out qui a duré jusqu'au début du mois de juillet. L'administration du Vieux-Port a eu recours au travail de scabs, la cour a émis des injonctions contre les syndiquéEs, la FTQ a sorti ses "gros bras" quand elle a senti qu'elle perdait du poids dans la balance, des anarchistes ont fait des actions de solidarité et une importante minorité radicale venant de la base du syndicat s'est organisée et a utilisé des tactiques de type "action directe" pour arriver à ses fins. Dans cet article, nous tenterons, avec un certain recul sur les événements, d'apporter une analyse sur le déroulement du conflit. Les lock-outs : en toute facilité avec des scabs et des injonctions Il peut paraître étonnant qu'une partie patronale réponde à une grève de 48 heures par un lock-out. N'aurait-il pas été plus simple d'absorber la grève de 48 heures et de reprendre les négociations dans un climat non-conflictuel par la suite? La réponse, pour les patrons de la société Société du Vieux-Port fut non, car ils ont jugé qu'il était nécessaire dans leurs intérêts de tenir une position de force durant l'ensemble des négociations. Les administrateurs ont fait savoir aux employéEs qu'ils voulaient négocier(pas grand chose) avec eux, mais en continuant d'opérer le site touristique avec le travail des scabs. En conséquence, ils ont radicalement baisser la valeur du travail des syndiqués, en faisant la preuve qu'ils n'étaient pas nécessaire au fonctionnement du site. Le lock-out de ces 350 employéEs fut d’ailleurs grandement facilité par la présence de l'équipe de sécurité BEST, qui avait la double tâche d’assurer aux visiteurs un accès normal au site ainsi que et surtout de veiller aux agissements des lock-outés. Le rôle de BEST était véritablement celui de scab...méritant le qualificatif de "worst" aux yeux de qu'importe qui désire l'avancement des conditions et l'ultime émancipation du travail. Légalement, l'embauche du personnel BEST a été appuyée par l'absence d'une loi anti-scab au niveau fédéral. Comme la Société du Vieux-Port est une société de la Couronne, elle se place sous législation fédérale, où il n'existe pas de loi anti-scab. Elle est donc dans le champ d'exploitation pro-scab. Une des revendications des lock-outés du Vieux-Port étaient l'établissement d'une loi anti-scab au fédéral. On peut douter par contre de l'efficacité d'une telle revendication quand on sait que le problème des scabs se présente dans tout conflit de travail peut importe la législation en place(exemple : les scabs lors de conflits au Québec malgrè la législation provinciale). Il serait plutôt plus efficace de ramener à l'ordre certains locaux syndicaux de la FTQ qui ont fait du "scabing" dans le passé(lors du conflit de Vidéotron par exemple) et de remettre en question leur appartenance au mouvement syndical. Et enfin, la force nécessaire pour contrer les scabs devrait se puiser directement sur le terrain du conflit ainsi que dans la construction d'un rapport de force qui s'étenderait à l'ensemble du mouvement et non venir d'une législation qui échappe au contrôle des travailleurs-euses. Il s'est superposé à la présence de scabs, une série d'injonctions réduisant l'efficacité du piquetage, les plus importantes étant la limitation à un maximum de 6 piqueteurs-euses par entrée et l'interdiction d'être sur le site du Vieux-Port. Alors qu'en début de conflit, il n'était pas rare de voir 40-50 piqueteurs-euses aux entrées du site, ces injonctions ont eu un effet de démobilisation immense. Pendant quelques jours, les injonctions ont été défiées par les lock-outés mais ils en ont subi les conséquences, à coups d'interventions policières et d'amendes sévères. Dans ces conditions, on peut juger que la Société du Vieux-Port a été en mesure de lock-outer ses employéEs sans perdre de sommes importantes de revenus. Bien sûr, l'achalandage a été réduit dans les premiers jours du conflit, mais par la suite c'était le retour à la normale, avec la visite de plusieurs milliers de personnes par jour au site touristique, souvent sans même savoir qu'un conflit de travail avait lieu. Petit bouleversement : l'arrivée des anarchistes En fait, les anarchistes dans toute cette histoire, c'est nous : le Groupe anarchiste Bête Noire, membre local de la NEFAC à Montréal et quelques sympathisantEs libertaires venant de d'autres groupes à Montréal. Nous avons pris Avant de passer à l'action, nous avons proposé notre plan à quelques syndiquéEs des plus présentEs sur les lignes et comme assurance, nous l'avons fait approuver par le président du local syndical. Ainsi pendant plusieurs semaines, nous avons fait des mobilisations publiques (qui n'ont pas été très suivies, malheureusement) pour faire du "piquetage de solidarité". À chaque dimanche, une 15aine d'entre nous se rendaient sur le site pour faire connaître le conflit aux visiteurs. La plupart des gens à qui nous distribuions l'information étaient très sympathiques aux travailleurs-euses et décidaient souvent de ne pas dépenser leur argent chez les entreprises qui continuaient à opérer durant le lock-out. La sécurité BEST, elle, était moins accueillante. Plusieurs fois, nous avons été intimidéEs, filméEs, bousculéEs, expulséEs...mais il faut dire que nous leur avons rendu la monnaie de leur pièce en les filmant, bousculant, etc. La guerre c'est la guerre! Surtout quand elle se joue sur le terrain des classes sociales. De semaine en semaine, le nombre d'agents de sécurité ne cessait d'augmenter les dimanches, à l'attente de notre arrivée. Réellement, on peut dire que nos actions ont eu un impact économique sur le conflit, obligeant la Société du Vieux-Port à dépenser des montants importants d'argent qu'elle n'avait pas prévu. Tout ceci nous a grandement rapproché des syndiquéEs du Vieux-Port. Non seulement s'attendaient-ils à nous voir les dimanches, mais pour plusieurs c'était également le premier contact avec des anarchistes en action. Des initiatives comme celles de notre groupe, en terme de solidarité avec les luttes du travail, ne sont pas nouvelles, mais il y a eu une absence de ce type d'action depuis une vingtaine d'années au Québec. Si nous revenons un peu dans le passé, il s’agissait surtout de groupes marxistes-léninistes dans les années 70 et 80 qui ont été les derniers soi-disant révolutionnaires à s'impliquer dans les luttes du travail. Nous pensons que notre approche est différente et meilleure que la leur était. Alors que ces vieux m-l ne voyaient pas le potentiel des mouvements autonomes et auto-organisés du prolétariat et que, pour eux, le mieux était de les canaliser dans l'avancement du parti; nous pensons qu'au contraire la force de notre classe réside dans sa capacité de mener elle-même ses combats, au sein de ses propres organisations de masse, sans la superposition d'un parti d'avant-garde à ces organisations(syndicats, groupes communautaires, etc.). Simplement, les m-l étaient présentEs dans les luttes pour faire grandir le parti, nous sommes dans les luttes pour faire grandir les luttes. En ce sens, un des buts secondaires de notre implication dans le conflit du Vieux-Port était de populariser l'idée de solidarité inter-syndicale et de solidarité entre travailleurs-eueses non-syndiquéEs et syndiquéEs. Nous pensons qu'il serait profitable d'avoir un réseau d'appui para-syndicale de travailleurs-euses combatives qui pourrait déjouer les obstacles parfois poser par les bureaucraties syndicales. Avec cette approche une travailleuse de la FTQ pourrait faire du travail de solidarité avec un travailleur de la CSN en conflit ou aider à la syndicalisation d'une entreprise avec un syndicat indépendant et tout ça, peu importe leur affiliation syndicale. L'idée est de renforcer les luttes à la base et de rendre inopérantes les hautes instances des centrales. Quelques lock-outés du Vieux-Port ont donné leur nom pour faire du travail de solidarité lors de futurs conflits de travail et éventuellement faire parti d'un tel réseau. Une minorité radicale se forme durant la lutte Justement, en terme d'activité et d'organisation à la base, des membres du local de l'AFPC(2) du Vieux-Port en ont donné de bons exemples durant le conflit. Quand il fut clair pour eux que le piquetage symbolique du site du Vieux-Port n'était pas suffisant pour faire plier l'administration et gagner la lutte, une minorité plus radicale dans le syndicat s'est organisée sur ses propres bases pour mettre en œuvre des actions plus directes contre l'administration. Ainsi, des visites bruyantes ont été rendues aux domiciles des administrateurs, et des "jobs de nuit" visant à toucher l'infrastructure du site ont été effectuées régulièrement, au point que l'administration a accepté de retourner à la table de négociation si les actions directes cessaient. Les activités de la minorité radicale ont connu une grande part de popularité auprès du membership général du syndicat. Par exemple, quand ont été fait les appels à visiter les administrateurs chez eux, qui annonçaient clairement le niveau de l'action et le risque d'arrestation qui s'y rattachait, il y avait quand même de 50 à 60 syndiquéEs qui répondaient positivement aux appels. Il faut dire que ces initiatives venaient à un moment opportun dans la lutte; c'était au moment où la direction refusait de négocier et que le piquetage du site devenait de plus en plus inefficace. Si ces conditions ont favorisé la participation d'un grand nombre de la base, elle ont aussi eu une influence sur la direction syndicale(jusqu'aux hautes instances de la FTQ), qui, voyant que son rôle à la table de négociation était en train de s'effacer, était maintenant prête à permettre aux membres de "toute faire" pour forcer l'administration à revenir aux communications normales. On peut clairement constater par cet exemple, qu'en temps de crise lors d'un conflit impliquant un syndicat "traditionnel", il y a de l'espace et des possibilités pour une force organisée dans la base qui peut prendre un certain contrôle sur la direction de la lutte et ce, malgré les structures officielles du syndicat qui tendent plus souvent à étouffer les initiatives de la base au profit d'une approche plus hiérarchisée. Ce qu'il faut craindre par contre c'est la récupération que pourrait faire les dirigeants syndicaux des luttes organisées à la base, qui vont apprécier un certain "radicalisme" de façade pour forcer le retour aux négociations, mais qui ne voudront pas nécessairement de solutions radicales au conflit. La FTQ s'en mêle : retour aux négociations Le premier juillet, fête du Canada, au moment où des actions directes contre l'administration du Vieux-Port avaient lieu presque à tous les jours, il s'est tenu une grande manifestation de solidarité où l'intention était de mobiliser d'autres syndicats membres de la FTQ (auquel l'AFPC au Québec est membre). On peut dire, peut-être à cause du moment de la mobilisation, que ce fut un échec. À vrai dire, les seuls membres de la FTQ présents, à part les syndiquéEs du Vieux-Port, étaient une dizaine de "gros bras" de la construction et une poignée de hauts dirigeants tel Henri Massé. La manifestation, de quelques 400 personnes, fût plutôt alimenter par une bonne présence de la base du syndicat du Vieux-Port et de sympathisantEs, comme nous de la NEFAC. Ce fut une manifestation très mouvementée où des centaines d'auto-collants "Lock-Out" ont été posés sur le site que nous avons pénétré malgré l'injonction. À la fin de la manifestation, Henri Massé, président de la FTQ, a fait un discours qui résumait les intentions de la direction de la FTQ. Parlant de l'administration du Vieux-Port, il a affirmé "qu'ils peuvent nous refuser de bonnes conditions de travail, nous mettre en lock-out, mais il ne peuvent pas nous refuser à la table de négociation". C'était bel et bien les intentions de la FTQ : retourner à la table de négociation et régler le conflit peu importe ce qui était offert aux employéEs du Vieux-Port. D'ailleurs, ceci fait partie d'une stratégie générale de la FTQ qui se veut non-confrontationnelle avec les employeurs. Comme preuve, ils ont récemment émis un communiqué(3) vantant le fait qu'une toute petite proportion de leurs membres étaient présentement en conflit de travail. On jurerait que c'est un communiqué émis par une association du patronat! Un contrat insatisfaisant et un avenir sombre Ce n'est donc pas par hasard que quelques jours suivant le premier juillet les négociations ont été reprises entre l'administration et le syndicat du Vieux-Port. Par la suite, l'exécutif du local syndical est arrivé avec une offre d'entente avec l'administration pour présenter aux membres. L'entente était, à quelques changements près, essentiellement la même qu'avant la grève de 48 heures. On offrait des augmentations de salaire de 3% et bien peu de chances d'atteindre la permanence à travers des pages et des pages d'ententes spécifiques par rapport à l'organisation du travail qui ne touchent pas directement la plupart des employéEs. Le contrat a été accepté avec une majorité favorable de seulement 62% et le 38% qui était contre en est sorti avec la plus grande insatisfaction. Véritablement, des semaines de lutte n'ont pas fait reculer l'administration et le statu quo a été lâchement accepté par la direction syndicale et une majorité du membership. Beaucoup d'employéEs à temps plein du Vieux-Port, après avoir lutté collectivement pour améliorer leur conditions de travail et de vie en général, devront se rabattre sur des solutions individuelles et se chercher un meilleur emploi ailleurs. Bien des étudiantEs, qui travaillent à temps partiel au Vieux-Port, ont été heureux de retourner au travail malgré les avancées minimes, question de ne pas perdre leur "été" de travail. Peut-être se rendront-ils compte qu'à la fin de leurs études c'est le même marché d'emploi, favorable au patronat, qui les attend? Il est malheureux de se rendre compte que beaucoup d'entre-eux et elles n'ont pas solidariser suffisament avec leurs camarades qui travaillent à temps plein et pour qui le conflit mettait en jeu les conditions générales de leur vie (salaire, stabilité, temps de travail, etc). Il faut croire que l'idéologie libérale de la réussite a une influence particulièrement forte sur les étudiantEs, chez qui l'espoir de s'élever socialement et même changer de classe reste présent tout au long du cheminement des études. Dans ces conditions, on sent moins le besoin de solidariser avec un pauvre type qui fera certainement toute une vie de "prolo". Pour être juste, ce n'était clairement pas l'attitude de tous les étudiantEs faisant partie du conflit, même que certainEs ont été très actifs-ives du début à la fin. Si l'avenir est sombre pour les travailleurs-euses précaires du Vieux-Port et ailleurs, les solutions permanentes restes collectives et dans la lutte. Espérons que la prochaine fois la lutte ne sera pas que pour revenir au même point d'exploitation, mais bien pour faire reculer et ultimement se débarrasser des patrons. notes : (1) Imax et Le Cirque du Soleil sont deux compagnies qui ont des installations dans le Vieux-Port. |
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