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Une Question Difficile : Saddam a-t-il perdu?

pier trottier, Jueves, Agosto 21, 2003 - 12:53

LA INSIGNIA

9-08-2003

Une Question Difficile : Saddam a-il perdu?

Par Immanuel Wallerstein
Brecha, Uruguay, août 2003

Traduction de l’espagnol :
Pierre Trottier

La Réponse pour les autorités étasuniennes est évidente. Paul Bremer, le proconsul des États-Unis en Irak, disait récemment : ‘’ vif ou mort, cet homme est fini en Irak ‘’.

Ce qui est difficile dans cette analyse c’est que l’on regarde les choses à partir de la perspective étroite de quelqu’un qui est dans le jeu de la géopolitique dans une position habituellement forte et qui, pour le moment, regarde les pertes et les gains à court terme. Mais le jeu de la géopolitique se voit différemment si on le regarde à partir d’une position de relative faiblesse. Dans ce cas on doit regarder le moyen terme. Regardons comment on doit voir la guerre en Irak depuis la position de Saddam Hussein.

En 1958, les nationalistes radicaux firent tomber la monarchie en Irak et installèrent Abdul Karim Kasim au pouvoir. Le gouvernement se considéra lui-même pan-arabe et révolutionnaire. Karim sortit l’Irak du Pacte de Bagdad, appuyé par les E.U.; il nationalisa une partie de l’industrie pétrolière et obtint l’appui du parti communiste d’Irak. Il semblait aux E.U. que Karim s’alignait trop avec l’Union Soviétique. En 1963 se produisit un second putsch qui installa le parti Bass au pouvoir. Cela fit partie d’un mouvement séculaire, socialiste, nationaliste et pan-arabe dans plusieurs pays arabes qui, cependant, étaient hostiles avec les partis communistes. Le parti Bass supprima le parti communiste d’Irak.

Le Nouveau Saladin

En ces temps, Saddam Hussein était jeune et leader montant au Parti Bass, neveu du nouveau président, intelligent et cruel. En 1979, il conduisit un coup d’État contre son oncle et devint le gouvernant d’Irak. Commença alors son incessante purge d’oppositeurs. Que voulait Saddam, à part le simple fait d’être au pouvoir? Il voulait fortifier le poids arabe dans la politique mondiale. Il était en faveur d’une plus grande unité arabe et probablement, se voyait lui-même comme leader naturel du monde arabe, le nouveau Saladin. Il existait sans doutes d’autres aspirants pour ce rôle mais, avec Nasser hors de la scène, aucun n’était aussi fort. De plus, Bagdad a toujours été, uni au Caire, celui qui demandait un statut central pour le monde arabe musulman.

Saddam vit sa situation comme celle de celui qui possède beaucoup d’ennemis. Dans le monde arabe, les deux principaux étaient les communistes et les islamistes. Dans le reste du monde, les deux plus importants étaient l’Iran et Israël; les E.U. et la Russie aussi espéraient que Saddam haïrait l’un d’entre eux. Saddam ne pouvait se battre avec tous ses ennemis à la fois. Sans rompre les liens avec l’Union Soviétique, il établit un accord tacite avec les E.U. du temps de Ronald Reagan. Rien de moins que Donald Rumsfeld alla en Irak sceller le traité. Quel fut l’accord? Que l’Irak attaquerait l’Iran. Cela était en partie afin de gagner du territoire, en partie pour affaiblir l’opposition chiite à l’intérieur de l’Irak, en partie pour obtenir le prestige pan-arabe et en partie pour fortifier son armée. Les E.U., qui en ces temps-là considéraient l’Iran comme la principale menace contre leurs intérêts au Moyen Orient pensaient que cela était un bon plan et fournirent directement ( et à travers leurs alliés, comme l’Arabie Saoudite ), l’armement, les armes biologiques et chimiques, et prêtèrent un appui logistique à Saddam (pour être honnête, ce furent les Français qui, au début, donnèrent à l’Irak sa première poussée en lui fournissant des armes nucléaires, mais par la suite, les Israéliens bombardèrent ses installations).

La guerre Irak-Iran fut un échec à partir du point de vue de Saddam. A la suite de huit années de lutte, tous revinrent au point de départ, ayant souffert des pertes massives de vies et de ressources. Par contre, la guerre maintint les iraniens occupés et cela fit l’affaire des E.U. Saddam exigea une récompense. Tant les E.U. que l’Arabie Saoudite tardèrent à répondre. Juste à ce moment l’Union Soviétique s’effondra. La Guerre Froide était terminée. Saddam Hussein vit cela comme une chance, non comme quelque chose de négatif. L’Union Soviétique était un continuel pourvoyeur d’armes pour l’Irak, mais le prix était que l’Irak ne pouvait rien faire qui ferait monter les tensions entre les E.U. et l’URSS. Saddam était maintenant libre de cette contrainte, enfin.

La première guerre du Golfe

En 1990, l’Irak traversait une période de problèmes économiques. Le prix du pétrole avait baissé sur le marché mondial, et le coût de la guerre avec l’Iran avait été lourd. Le Koweit se faisait insistant afin que Saddam rembourse les prêts obtenus pendant cette guerre. Il était également possible que le Koweit en vint à voler du pétrole moyennant une perforation en diagonale. De plus, l’Irak avait une réclamation historique envers le Koweit, puisqu’elle alléguait que le Koweit faisait partie de son territoire pendant l’ère de l’empire Ottoman, et qu’il avait été arbitrairement séparé par l’empire britannique à la suite de la Première Guerre Mondiale. Pour le moment, Saddam décida que la meilleure décision pour ses problèmes économiques était de prendre le Koweit. Cela aussi convenait avec une réclamation nationaliste irakienne, et si l’opération était un succès, il pourrait transformer l’Irak en leader des nations arabes. L’Irak pourrait même devenir le sauveur de la Palestine, parce que les négociations entre l’OLP et les israéliens finissaient par rompre.

Les calculs de Saddam furent probablement les suivants : l’invasion du Koweit est sans doute une agression. Mais peut-on aller plus loin? Qui va répondre? Les E.U. seuls seraient en position de faire quelque chose de sérieux, et ils entretenaient des relations ambivalentes avec l’Irak. Comme nous le savons maintenant, l’ambassadeur étasunien Aprile Glaspie dit à Saddam, quelques jours avant l’invasion, que les E.U. étaient neutres dans la discussion diplomatique entre le Koweit et l’Irak. Avec cela, pensa Saddam, ou les E .U. réagiront ou ils vont se limiter à protester.

S’ils se contentent de protester, Saddam gagnerait. S’ils réagissaient, il y aurait guerre. Tout au plus l’Irak pouvait sortir non perdant , parce que les E.U. n‘oseraient pas envahir l’Irak. Il en était certain, à cause des raisons que le président George Bush et le général Schwarzkopf donnèrent à ce moment. Une invasion pourrait être très coûteuse en vies américaines, l’occupation pourrait être très coûteuse politiquement, et l’Arabie Saoudite et la Turquie craignaient une partition de l’Irak et la conséquente création d’un état chiite dans le sud et celui d’un état kurde dans le nord.

Pour le moment, lorsque la guerre du Golfe se termina, Saddam obtint une trêve. Certainement, il souffrit quelques pertes. Il perdit une partie de son armée et de ses forces aériennes; un état kurde de fait s’établit au nord, mais pas en ce qui concerne les chiites au sud, et il resta sujet aux décisions de l’ONU afin d’en terminer avec ses armes de destruction massive. Lorsqu’il fut habilité à déloger les inspecteurs de l’ONU, en 1998, la majeure partie de ses armes de destruction massive déjà n’existait plus. Au moment où George W. Bush arriva au pouvoir, Saddam savait qu’il aurait des problèmes, déjà que la majorité de ses conseillers principaux avaient réclamé publiquement le renversement de son régime quelques années auparavant. Par la suite vint le 11 septembre. Saddam probablement savait que ça devait être lui, et non Ben Laden, qui devait payer. Alors, il appela de nouveau les inspecteurs de l’ONU, sachant qu’ils n’allaient rien trouver, puisqu’il avait détruit ou non remplacé les armes de destruction massive. Bientôt ce fut évident cependant, que rien de ce qu’il ferait n’allait empêcher l’invasion étasunienne, étant donné que l’objectif de l’invasion était d’enlever Saddam du pouvoir et d’établir les E.U. directement dans la région.

La Troisième Guerre du Golfe

Pourquoi alors, s’il ne possédait pas d’armes de destruction massive, ne le disait-t-il pas? Bon, en réalité, il l’a dit mais personne ne l’a cru. Alors, que pouvait-il faire? Il connaissait le pouvoir limité de son armée, et savait qu’il pouvait perdre la seconde Guerre du Golfe. Si vous-même aviez été Saddam et que vous auriez su que vous alliez perdre la guerre, qu’auriez-vous fait? Évidemment, préparer la troisième guerre du Golfe. Comment faire cela? La première chose que l’on devrait faire est d’être certain que beaucoup d’intégrants de relativement petits contingents de braves, loyaux et fidèles combattants vont survivre. La seconde chose qu’il faudrait faire est de créer un désordre massif par des pillages systématiques. La troisième est de commencer une guérilla armée visant premièrement les soldats américains et, par après, tous leurs collaborateurs.

Par la suite tu t’assois et espères l’affaiblissement de la position américaine. Tu pourrais espérer que deux opinions publiques cruciales changent en même temps. Aux E.U., que les croissantes pertes de vie, l’impossibilité que les choses fonctionnent en Irak et la patente déception avec le régime de Bush gâtent l’appui pour ses opérations. En Irak, pendant ce temps, que l’image de Saddam le tortionnaire laisse le pas à l’image de Saddam le nationaliste résistant. Même si les E.U. finissaient par tuer Saddam, cette image survivrait. Dans tous les cas, l’image des E .U. les libérateurs irait se désintégrant.

Cela n’est pas aussi bon que de devenir Saladin, mais si tu es faible tu dois te résigner à ce que tu peux obtenir. Bush pense que s’il en finit avec Saddam, il triomphe. Et Saddam pense également que s’il en termine avec Bush, il aura triomphé. Attendons voir qui a raison.

Traduit de l’espagnol par :

Pierre Trottier, août 2003
Trois-Rivières, Québec, Canada

Source : www.lainsignia.org



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