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Paul Martin utilise le souvenir du génocide rwandais au profit de l’entreprise canadienne Heritage Oil

Anonyme, Lunes, Mayo 26, 2003 - 22:37

ALAIN DENEAULT

Le premier ministrable Paul Martin s’est prononcé pour un engagement du Canada dans l’est du Congo-Kinshasa au moment où se sont trouvées menacés les alliés des forces gouvernementales congolaises qui protègent les activités de l’entreprise pétrolière canadienne Heritage Oil.

Dans son édition du 25 mai, le quotidien berlinois « Die Tageszeitung » s’inquiète de ce que les pays et médias occidentaux, dont Monsieur Martin, « découvrent » selon leur convenance très relative les violences qui ont cours dans cette région. Ceux-ci ont fait curieusement montre de compassion ces dernières semaines lors d’une contre-attaque hema lancée sur la ville de Bunia, alors qu’un assaut meurtrier de plus grande envergure encore, perpétré le 5 septembre 2002 par des miliciens ngiti (un sous-groupe Lendu) contre les Hema, à Nyankunde, les laissa tout à fait froid. Les événements survenus alors n’ont pourtant rien eu d’ordinaire, même dans cette région : les criminels contre l'humanité ont notamment fait effraction dans un hôpital de Nyankunde, tué tous les malades – hommes femmes et enfants confondus – avant de détruire les lieux et d’emporter les biens. Des scènes de tortures ont également été rapportées par Human Rights Watch, qui estime à 1 200 le nombre de victimes seulement pour la journée du 5 septembre 2002.

Jamais avait-on assisté à un tel massacre depuis le génocide rwandais de 1994. L’Occident, dont le Canada en tout premier lieu, est resté impassible, ses intérêts étant précisément en cause. La compagnie canadienne Heritage Oil, sise à Calgary et cotée à la Bourse de Toronto, s’est portée acquéreur, le 2 juin 2002, auprès du Président Kabila, d’un champ d’exploitation pétrolier dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), à la frontière de l’Ouganda et non loin d’un Rwanda qui peine à se remettre du génocide de 1994. L’entente entre l’entreprise canadienne et la RDC a été annoncée alors que le président Kabila n’arrivait encore pas à imposer son autorité dans cette aire en proie à la guerre depuis 1998.

L’espace concédé mord de surcroît sur le territoire ougandais, ce qui ne simplifie rien. Le chantier qu’ouvre la compagnie promet d’engranger des actifs de l’ordre de 30 milliards de dollars US et ne manque donc pas d’exacerber les hostilités entre le Rwanda, l’Ouganda, la République démocratique du Congo (RDC) et des factions rebelles à l’intérieur de la RDC. Les alliés potentiels du projet pétrolier canadien se disputent de généreux émoluments (qui, comme à l’ordinaire, transiteraient par divers paradis fiscaux et ne seraient en rien comptabilisés dans leur budget d’État) ainsi qu’un renforcement géostratégique de leur pays, l’est africain se trouvant dépendre essentiellement du Kenya pour l’approvisionnement de pétrole.

C’est pourquoi les Ngiti (Lendu) ont perpétré quelques semaines après la signature de l’entente canado-congolaise des agressions à tendance génocidaire contre les Hema de Nyankunde. « L’horreur de Nyankunde n’était en rien un faux-pas dû au hasard. Elle a été planifiée », analyse le journaliste Dominic Johnson de la Tageszeitung [1]. « Elle constitue un coup d’échec stratégique. Le RCD-ML [Le Rassemblement congolais pour la démocratie] est le seul mouvement cohérent de l'est congolais à avoir la confiance de Kabila, un dard dans la chair des rebelles à Kabila. Au début du mois d’août, il a perdu le contrôle de la capitale régionale de Bunia, après avoir aussi perdu quelque temps auparavant Nyankunde aux mains du mouvement hema l’UPC (Union des patriotes congolais) ». Le RCD-ML près de Kabila a donc conclut un pacte avec des combattants ngiti opposés aux Hema, malgré un plan de paix qui l’engage dans la région. Johnson de la Tageszeitung, s’appuyant sur des comptes-rendus pas encore publiés de Human Rights Watch, résume le pacte en ces termes : « les Ngiti prêtent main forte au RCD-ML près de Kabila, contre l'UPC hema, avec pour récompense de pouvoir assassiner (umbringen) les Hema de Nyankude. » Les miliciens ngiti se sont donc entraînés dans la capitale Beni où se trouvent les camps de formation du président Kabila.

Les civils de Nyankunde, massacrés le 5 septembre, n’ont pas eu droit à la compassion canadienne, leurs seigneurs de guerre ayant vocation de s’interposer dans les aires d’exploitation pétrolière de Heritage Oil. « Au moment où les cadavres s'accumulaient à Nyankunde, personne ne sonna l'alarme à l'échelle internationale. » [2] Selon Human Rights Watch, 100 000 réfugiés ont fui les massacres de Nyankunde, s’orientant vers la ville d’Oicha dans des conditions épouvantables.

Les instances politiques de la région ont fait valoir une version mensongère, prétendant que le RCD-ML de Kabila a secouru Nyankunde contre des milices « sauvages ». (Johnson estime que le RCD ne serait pas allé jusqu’à détruire lui-même un hôpital dont il avait besoin, mais il reste indubitable qu’il a couvert les massacres de ses alliés de circonstances).

Les réfugiés de Nyankunde ont été escortés par des soldats du RCD-ML et se sont donc trouvés dans l’impossibilité de témoigner. Le RCD-ML, toujours selon Die Tageszeitung, les combattants ngiti ont également profiter de l’occasion pour voler des médicaments.

C’est seulement au moment où le RCD-ML s’est trouvé mal en point que l’opinion internationale a réagi. Une mission d'enquête de l'ONU a été mise sur pied, après un cessez-le-feu déclaré par l'ONU. Son communiqué n'a toujours pas été publié, mais on sait d’ores et déjà que la commission n'a pas enquêté sur Nyankunde. Il ne lui a pas importé de consigner que ceux qui, au nom des victimes de Bunia, appellent aujourd'hui à l'aide internationale, sont politiquement responsables de la tuerie de Nyankunde.

Le 4 mai, l'armée ougandaise se retire de Bunia tel que le prévoit un plan de paix signé l’an dernier entre différentes parties de la région. La ville est alors assaillie par les miliciens lendu proches de Kabila. Les Occidentaux ont laissé faire car ils feignent de s’enquérir du sort des populations civiles seulement lorsque leur parti est mal en point. Témoigne au quotidien Le Monde un dirigeant de la Monuc (Mission d'observation des Nations unies au Congo), spécialiste de la région : « Rien n'avait été préparé à Bunia. C'est un amateurisme criminel. On n'a pas donné à la Monuc, malgré ses 580 millions de dollars de budget, suffisamment d'hommes pour assurer le passage de témoin. Le prochain contingent de Bengladeshis ne doit arriver qu'en juillet. D'ici là, on aura peut-être un bain de sang. L'Ituri est géré par les bureaucrates de New York (siège des Nations unies), au département des opérations de maintien de la paix, comme le Rwanda l'avait été avant le génocide : ces gens se couvrent, évitent d'agir. Et quand les catastrophes arrivent, il n'y a pas de sanctions. » [3] Les Occidentaux auront d’abord couvert les manœuvres d’alliés inavouables.

Le 12 mai est survenue la réplique de l'UPC hema. C’est seulement au moment de cette contre-attaque sur Bunia que les médias et classes politiques occidentaux ont crié à la « reprise » d’un génocide pourtant par eux déjà soigneusement encadré, instrumentalisant ainsi le souvenir du génocide rwandais aux fins de justification d’une assistance militaire dans la région. Les 300 à 900 morts des dernières semaines à Bunia sont à interpréter dans les faits comme une réplique de l'UPC contre les miliciens ngiti, qui a ressemblé dans ses moindres détails à l’assaut perpétré à Nyankunde. Le cadre de cette guerre à caractère génocidaire, les puissances occidentales le connaissaient et le comprenaient déjà puisqu’elles l’agencent.

L'ONU est allée jusqu’à présenter erronément cet assaut contre Bunia comme le plus grand massacre de la guerre du Congo, en niant à nouveau Nyankunde. Pendant ce temps, selon Die Tageszeitung, le chef de la RCD-ML était nommé ministre de la Coopération régionale du gouvernement congolais, ce qui lui permettra en outre de mener « des affaires lucratives ».

PAUL MARTIN

C’est dans ce contexte précis que Monsieur Martin a revendiqué une augmentation des crédits militaires du budget fédéral. Les forces alliées au président Kabila ne parvenant pas à faire place nette, force serait pour le gouvernement canadien, sous couvert d’intervention humanitaire, de couvrir non plus seulement politiquement mais désormais militairement les génocidaires qui nettoient le terrain d’exploitation de l’entreprise pétrolière canadienne.

Utilisant des expressions de maréchal, Monsieur Martin en a appelé à une « position plus offensive du Canada sur le terrain des affaires étrangères et de la défense ». « Je crois que parfois nous devons prendre le commandement ». Il s’est empressé d’associer sa position d’apparence philanthrope à la nécessité prétendue de remplacer la flotte vieillissante d’hélicoptères de l'armée canadienne. « Il n'y a aucun doute que nous avons besoin d'hélicoptères maintenant, et passer commande aussi vite que possible. » (sic)

Monsieur Martin suggère que le Canada assure le commandement d’une force d’interposition internationale, au moment où la France se propose aussi de voler au secours de la région. Les deux pays ont des intérêts économiques colossaux dans ce point du globe. En ce qui concerne le Canada, il y est représenté non seulement par Heritage Oil, mais aussi par certaines entreprises minières qui travaillent parfois main dans la main. [4]

Selon cet état de fait, il devient très difficile de croire en la sincérité du premier ministre en devenir, lorsqu’il reproche au gouvernement canadien de 1994, dont il faisait alors partie, son impassibilité face au génocide rwandais. « Je crois que ça été une chose terrible lorsque le monde assista immobile (stood back and watched) aux massacres qui sont survenus au Rwanda... Aujourd’hui au Congo, nous agissons comme alors pour le Rwanda » [5]. « Terrible », le 5 septembre 2002 Paul Martin l’était encore, étant de ceux qui ont couvert de leur silence les forces congolaises qui cherchent à purger les forêts denses de cette région montagneuse de tout élément rebelle qui gênerait les travaux de forage de Heritage Oil.

C’est en rapport à ces intérêts qu’on doit interpréter le discours militariste du premier ministrable Martin et la soudaine attention diplomatique du Canada pour une région qui l’avait officiellement laissé froid, lors du génocide de 1994 alors politiquement et militairement soutenu par la France, mais aussi de manière générale aux abords des Grands Lacs, où les affrontements surgissent au gré de ses intérêts.

Il y a fort à craindre que l’intervention de maintien de paix que préconise Monsieur Martin vise dans les faits à un remake à la canadienne de l’opération Turquoise menée par la France en 1994. La France, qui prétendait alors soutenir les réfugiés tutsi aux frontières rwandaises, avait plutôt utilisé tel un écran les dehors « humanitaires » de l’opération pour supporter logistiquement l’opération de repli des génocidaires hutu. [6]

Les affaires pétrolières étant intrinsèquement liées aux stratégies militaires, à l’intervention de mercenaires et à la propagande médiatique qui consiste à dissimuler les entreprises de spoliation occidentales sous la forme de conflits ethniques, il serait tout à fait conséquent que Monsieur Martin cherche maintenant à « passer à l’offensive », à « prendre le commandement », donc à « passer commande » auprès de fournisseurs d’armes, au risque sinon d’être « frustré ». Ceci sous la bannière mensongère de prétentions pacifistes.

GENÈSE

Pour l’heure, un pacte plus que fragile lie les autorités congolaises et ougandaises, et les oppose aux mouvements de résistance est-congolais vraisemblablement soutenus par Kigali (Rwanda).

Entre 1998 et 2002, différentes factions près des autorités rwandaises, regroupées sous le nom du Mouvement de libération du Congo (MLC), ont mené une fronde sanglante contre les forces du gouvernement Kabila, jusqu’à ce qu’un fragile accord de paix ne soit signé le 17 décembre dernier. On évalue à trois millions le nombre de morts provoqués par quatre années de conflit. Le 30 juillet 2002, un autre accord de paix, cette fois entre la RDC et la présidence rwandaise, stipulait le retour au Rwanda de milices engagées dans l’est congolais et la démilitarisation des troupes hutu retirées au Congo.

Ces accords survinrent dans la foulée de la concession des terres à Heritage Oil par le président Kabila. D’aucuns y virent le pendant politique du contrat. Mais il sembla clair d’emblée qu’ils tinrent d’une solution palliative. Dans un article du 18 décembre 2002, Die Tageszeitung s’étonnait déjà que des groupes rebelles aient pu conserver la maîtrise militaire de l’est du Congo, l’unification des troupes armées n’ayant fait l’objet d’aucun pourparler dans le cadre de l’entente. Une commission, dont la constitution se fait toujours attendre, devait ultérieurement y travailler… L’accord de paix n’a donc été formellement scellé que par la promesse d’attribution de portefeuilles ministériels par Kabila aux rebelles.

Cet accord de façade s’est fissuré en moins de deux. Les forces du MLC se sont-elles tout juste conformées qu’est apparue une nouvelle résistance, l’Union des patriotes congolais (UPC), qui trouve toujours de vifs soutiens au Rwanda.

ARGENT – ARMES – PÉTROLE

Affaires pétrolières et militaires tiennent en Afrique d’une seule et même chose, et c’est compétente à ce double titre qu’Heritage Oil se présente. Au chapitre de ses « stratégies et objectifs », l’entreprise vante bien naturellement, dans son rapport annuel de 2001 précédant son entente avec la RDC, ses capacités d’investissement dans différents sites pétroliers africains « world-class » (avec à l’appui une photographie d’un point d’exploitation à l’effigie de la multinationale française TotalFinaElf, dont la réputation sur le continent n’est effectivement plus à faire…[7]). Pudique, elle se dit ensuite férue dans la « gestion de risques techniques et politiques » (management of technical and political risk) et « l’entretien de bonnes relations avec partenaires et gouvernements ».

Le directeur exécutif de Heritage Oil, Michael Wood, que Die Tageszeitung cite dans son édition du 3 mars 2003, nargue les concurrentes qui n’ont pas osé s’aventurer dans les eaux troubles des Grands Lacs, en revendiquant pour son entreprise « un sens du risque différent des autres entreprises pétrolières » (ein anderes Risikoprofil als andere Ölfirmen).

Ces euphémismes frisant l’humour noir dissimulent à peine ce qui se dessine : une guerre du pétrole.

L’aire d’exploitation cédée à Heritage Oil, qui chevauche les régions limitrophes on ne peut plus agitées de la RDC et de l’Ouganda, s’étend sur 30 000 kilomètres carrés. Le gisement est évalué à un milliard de barils. « Ainsi l’entente pétrolière conclut à une collaboration entre le Congo et l’Ouganda, ces deux États cherchant à endiguer l’influence du Rwanda dans la région », analyse le journaliste Dominic Johnson de la Tageszeitung, dans un article paru le 31 juillet 2002. Johnson rapporte, dans cette même édition, le témoignage d’un haut diplomate de l’ONU qui, sous le couvert de l’anonymat, confirme que « Heritage Oil va attiser ces rivalités »[8]. Ceci augure un rapport à trois des plus tendus, sous couvert de conflits dits « ethniques » qui sévissent déjà dans l’est congolais. On appréhende par exemple que le Rwanda prétexte une lutte contre les milices hutu situées en Ouganda pour attaquer et que l’Ouganda réplique au nom de l’intégrité territoriale (et du devoir de protection de son entreprise hôte). Pour ajouter à l’imbroglio, la société de surveillance responsable du bon fonctionnement du forage appartient en partie à Salim Saleh, frère du président ougandais.[9]

Le conflit pour ces terres annonce des catastrophes pour la population civile. Les parties en cause ne manquent pas déjà de la prendre en otage sur le théâtre des opérations. Et les remarques de certains acteurs stratégiques, à savoir par exemple que le taux de population est sensiblement trop élevé là où l’on suppose les gisements, donnent froid dans le dos… Le commissaire de l’UPC, Jean-Baptiste Dhetchuvi avance que les lieux de différents massacres de civils attribuées aux troupes gouvernementales congolaises correspondent aux différents points de forage pressentis par l’entreprise canadienne.[10]

Vraiment tout reste trouble en ces eaux. La négociation autour de l’accord de principe entre Heritage Oil et le président Kabila n’a toujours pas été définitivement scellée ; on est encore à négocier la ristourne présidentielle, jugée trop élevée par le directeur exécutif de Heritage Oil. Dans l’entourage de Kabila, en revanche, on regrette que la région n’ait pas été concédée aux « amis français » du régime, entendre l’entreprise pétrolière Total et autres acteurs politiques, militaires et financiers de la « Françafrique ».[11]

Pour le moment, Heritage Oil ne peut revendiquer aucune découverte profitable et est amenée à élargir son champ de recherche jusqu’alors limité à son premier point de forage baptisé Turaco-1. Une seule chose reste certaine : la discrétion des divers intéressés sur la place publique, l’éloignement géographique des établissements où les décisions sont prises et l’opacité générale dans laquelle se déroulent normalement ces opérations en Afrique laissent présager le pire pour les différentes populations civiles. Le scénario type pour ce genre d’affaires se résume en des configurations « d’alliances et de rivalités, associant acteurs occidentaux et africains, [qui] ont glissé de la criminalité économique et politique aux rackets mafieux : d’immenses richesses sont subtilisées, remplacées par des dettes abyssales ; une petite partie des milliards ainsi générés permet d’armer, à jet continu, des dictatures militaires, seigneurs de la guerre ou chefs miliciens qui achèvent d’éreinter les peuples volés, leur ôtant toute capacité de réclamer leur dû. »[12]

L’Observatoire de l’Afrique central rend compte très régulièrement de l’aggravation de la situation. (www.obsac.com)

UN PASSÉ GARANT DE L’AVENIR

Pour mener ses délicates missions, c’est-à-dire faire place nette pour entreprendre ses travaux et arroser les alliés qui conviennent de ses visées financières, Heritage Oil compte sur les atouts de son fondateur, Anthony Buckingham (nom de guerre). À l’époque où il souhaitait peser sur les affaires angolaises, ce vétéran britannique des unités d’élite SAS, qu’on dit proche de son premier ministre Anthony Blair, a financé, par l’entremise du commerce de diamants de son entreprise BranchEnergy, des troupes de mercenaires provenant d’Executive Outcomes réputées pour leurs opérations en Afrique du Sud à l’époque de l’Apartheid. Il put dès lors soutenir les forces du gouvernement angolais nouvellement acquis aux vertus du capitalisme, dans la guerre sans merci qu’il livra aux troupes rebelles de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita). Cette guerre fit au moins 500 000 morts. C’est logiquement en vue d’un premier chantier d’exploitation pétrolière en Angola, que Heritage Oil fut fondée par Buckingham, en 1994.

Les opérations financières d’Executive Outcomes sont demeurées dissimulées par celles de la société-écran Sandline. « La boucle était bouclée. Le vivier de Sud-Africains pauvres au point d’accepter de risquer leur vie fournissait les forces physiques, Sandline prenait sur elle l’organisation et garantissait la respectabilité de l’opération (the respectable front). L’opération avait pour visée d’encadrer la bonne marche des affaires occidentales en Afrique et dans d’autres points chauds du globe, de garder ses propriétés et, au besoin, de soutenir les gouvernements lorsqu’ils étaient les mieux disposés à répondre des exigences du business. » [13]

En 1995, les mercenaires de Buckingham servirent le régime de la Sierra Leone, le président Tejan Kabbah et le gouvernement du capitaine Valentine Strasser ayant besoin d’un soutien pour contenir les assauts insurrectionnels du Revolutionary Patriotic Front (RUF). Pendant que le RUF bénéficiait du soutien actif de réseaux mafieux et des services secrets de la « Françafrique », Executive Outcomes et Heritage Oil fournissaient le gros des forces gouvernementales dans une guerre dont l’horreur pour les populations civiles fut inénarrable (esclavagisme sexuel, politique d’amputation systématique, exécutions sommaires).[14]

C’est en vertu de ce palmarès qu’on évoque maintenant, pour assurer la sécurité des travaux de forage de Heritage Oil dans les Grands Lacs, la possibilité de faire appel à des troupes de « maintien de la paix » en provenance de l’Angola... Et c’est dans ce cadre d’analyse qu’il conviendra d’apprécier l’usage que Paul Martin tirera des hélicoptères qu’il lui paraît, en ces circonstances, impératif de commander.

ALAIN DENEAULT
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Notes :
1 – « Das vergessene Massaker », Dominic Johnson, Die Tageszeitung, 24 mai 2003, p. 4.

2 – Ibidem.

3 – Le Monde, édition datée du 16 mai 2003

4 - « Le Canada doit prendre des positions plus fermes, selon Paul Martin », www.src.ca, mis à jour le vendredi 16 mai 2003. Ces déclarations ont été tenues lors d’une rencontre publique à Halifax, dans le cadre de la campagne à la chefferie du Parti libéral du Canada. Lire également « Canada unable to help Congo, Martin says », dans l’édition du 17 mai 2003 du quotidien torontois National Post. Quant à l’engagement du Canada au Congo dans le secteurs des mines, cf. « Les intérêts miniers canadiens et les droits de la personne en Afrique dans le cadre de la mondialisation », Bonnie Campbell :
http://www.ichrdd.ca/francais/commdoc/publications/mondialisation/afriqu... .

5 – National Post, le 17 mai 2003.

6 – La Françafrique, François-Xavier Verschave, Stock, 1998, p. 31. Ce livre s’appuie lui-même sur des rapports de l’association Human Rights Watch, sur une série d’articles de Patrick de Saint-Exupéry dans le quotidien Le Figaro des 12 au 15 janvier 1998, enfin sur de nombreux ouvrages dont, en particulier, Rwanda : le génocide de Gérard Prunier, Dagorno, 1997.

7 - Cf. Noir silence, François-Xavier Verschave, éditions Les Arènes, Paris, 2000.

8 - « Fata Morgana bei den Mondbergen », Dominic Johnson, le quotidien Die Tageszeitung, Berlin, 3 mars 2003 et www.pole-institute.org .

9 - « Im Osten Kongos droht ein Krieg um Öl », Dominic Johnson, le quotidien Die Tageszeitung, 31 juillet 2002, Berlin, p. 3.

10 - Die Tageszeitung, 3 mars 2003, Berlin, pp. 4 et 5.

11 - Die Tageszeitung, 3 mars 2003, op. cit.

12 - « Nappes de pétrole et d'argent sale : trois aspects de la Mafiafrique », François-Xavier Verschave, in Mouvement, La Découverte , n° 21/22, mai - août 2002, p. 41.

13 - The Privatisation of Violence - New Mercenaries and the State, Christopher Wrigley, March 1999, www.caatorg.uk/research/Mercenaries_Body.html .

14 - Noir silence, François-Xavier Verschave, op. cit., pp. 90 et 91 ; on attribue avec certitude les exécutions sommaires aux forces gouvernementales.



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