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Apres les bombes, la brume...Anonyme, Domingo, Mayo 11, 2003 - 11:50 (Analyses | Guerre / War)
Veronique Leduc
Apres deux mois de voyage, me voici a Gorazde, petite ville de Bosnie devastee par la guerre qui opposa les Serbes, les Croates et les Musulmans durant trop d annees. Regard et recit d un petit bout de periple... La matinée est bruyante, au cœur de cette ville débordante de HLM, les voitures se coupent à toute vitesse, crachant leur boucane qui enténèbre l’air déjà trop chaud de Podgorica. En route vers la station centrale, une vieille dame, d’allure gitane, fouille les poubelles d’une main, tenant une fillette haute comme trois pommes de l’autre. Un temps d’attente, puis je monte à bord du Balkans Express. Le souvenir de la famille qui m’a si gentiment accueillie encore tout frais à ma mémoire, je rumine les souvenirs qui jonchent mes pérégrinations. Comme probablement tant d’autres, ces gens ont vu les bombes exploser sur l’aéroport de la capitale, de la fenêtre de leur 6e étage du HLM. Ils ont perdu des êtres chers, malheureusement aussi un peu d’espoir. Le père me montre son petit carnet d’université: il étudiait la sociologie en 1970-1974, soit durant le règne de Tito. Sociologie du travail, Psychologie des masses, Organisations ouvrières; que de sujets dignes de l’époque socialiste! La ville fut renommée Titograd lors du gouvernement de celui que le père appelle , en opposition à Staline, qu. La conversation se poursuit ainsi, entrecoupée par l’arrivée d’une cliente ou du livreur: elle me raconte quelques anecdotes, critique l’ONU et les accords de Dayton, qui entérine le processus du nettoyage ethnique en divisant ainsi le territoire, puis discourre longtemps sur les conséquences de l’horreur. À défaut de pouvoir rejoindre Berin sur son portable, je décide d’accompagner 4 de ses amis qui se rendent au pique-nique. Au demeurant, je ne sais encore rien de ce qui m’attend comme expérience dans cette petite ville muchée dans les vallons balkaniques; rien de plus normal, c’est la règle du voyage… Le pique-nique est une tradition du 1er mai: au temps de Tito, ce jour était consacre à la célébration du socialisme, marquée par un rassemblement festif ou feux de joie, chansons, danse et récits étaient de mise. Aujourd’hui encore, il est célébré de la même manière. C’est sur la berge de la Drina, grande rivière qui sépare Gorazde, que se rassemble une bonne majorité des citoyens, principalement des jeunes. La fête commence au crépuscule du 30 avril et se poursuit la nuit durant jusqu‘en fin d’après-midi du 1er mai. Que de personnes retrouvées en ce lieu ! La fiesta! C’est au petit matin que je rencontre Kemo, qui m’accueillera chez lui pour le temps de mon séjour. Un petit 3 1/2 dans un des nombreux HLM de la place; il vit avec sa mère depuis que son père a perdu la vie au début de la guerre. Durant 5 ans, de 1992 à 1997, la ville était enclavée dans ce qu’ est aujourd’hui la Republica Srpska. L’épuration ethnique et le déplacement des populations furent catastrophiques comme dans tant toute la région sujette au conflit. Victime d’un sort similaire à celui de Srebrenica, cette ville où a eu lieu ce qu’on a qualifié de premier génocide après la 2e Guerre Mondiale, Gorazde est finalement reste aux mains des Bosniaques. L’oubli me semble difficile lorsque chaque regard porte à l’horizon ne manque pas de rencontrer les désastres de la guerre. Les maisons habitées par des Serbes à l’époque n’ont pas été reconstruites: les réfugiés ne revenant pas toujours dans leur ville. Il y aurait encore 6 000 réfugiés à Gorazde, qui n’ont pas retrouvé leur nid, par choix ou parce que leur maison a été détruite… Deux jours se passent avant que je ne rencontre Slavko, le responsable de CINVOS. Trois heures durant, il me parle de l’organisme, qui existe depuis 5 ans, de Gorazde, de la guerre, de la situation politique, sociale et économique du pays, de la détresse des jeunes,... Que de sujets on ne peut plus brûlants d'actualité, et ce même si la guerre est maintenant terminée depuis 7 ans. Une réalité assez complexe que je démêle jour après jour… Dans un pays qualifié de protectorat international, la situation est évidemment critique. Après une semaine passée à parler aux jeunes de la place et à rencontrer les organisations locales, le portrait se dessine, non sans touche de pessimisme. Les jeunes de mon âge avaient en moyenne 12-14 ans au début de la guerre. A l’âge généralement propice au début d’une certaine prise de conscience qui, avec les années, se raffine, mais pour eux, c’est le désastre s’est offert. Cinq ans de bombes, sans nourriture, sans électricité, sans eau; les gens vivaient dans la terreur permanente. Et aujourd’hui, c’est l’heure de la reconstruction, du pas vers le progrès… Mais, malheureusement, cette génération ne semble pas disposée à investir le progrès social. me répètent-ils un après l’autre. Décidément, ils attendent le jour de gloire où ils recevront leur visa, depuis longtemps en attente, pour s ‘exiler dans les pays de l’American Dream. me dit Berin… . Mouais… Et même après discussion sur la situation sociale des pays qu ils chérissent, même après réflexion sur l’absence de démocratie dans ces pays dits démocratiques, après réflexion sur le non-sens de l’exil, sur la déresponsabilition qui en découle, ils restent dans leur même prise de position: Le chômage est si important que nombre d’entre eux ne voient pas l’utilité d’aller à l’université puisque leur diplôme ne leur promet pas nécessairement une meilleure situation. Au niveau politique et législatif, la situation est démesurément instable: la présidence gouvernementale est assurée par une rotation entre un serbe, un croate et un bosniaque, qui change à tous les 6 mois. Les décisions sont sujettes au veto du Haut représentant civil, mis en place par la communauté internationale depuis 1997. Les compromis sont ainsi peu favorisés entre les politiciens des trois ethnies puisque les décisions finales importantes sont tranchées par le dit Haut représentant. On assiste au phénomène que plusieurs qualifient de néocolonialisme ou encore de protectorat déguisé. Bref, la Bosnie vit actuellement une situation assez brumeuse. Certes, les probabilités que la guerre reprenne sont presque nulles, mais les stigmates du nationalisme ethnique perdurent. La peur de l’autre est encore tangible, ou parfois infralimimale. Beaucoup d’organismes travaillent au progrès de la société, mais la motivation des gens est loin d’être gagnée... Cinvos, par exemple, a mis sur pied un centre de ressources internet afin de pallier au manque flagrant de ressources académiques dans les écoles. Or, les jeunes qui s y rendent le font plus souvent qu’ autrement pour chatter, de la musique (souvent américaine...) ou pour jouer à des jeux électroniques. me dit Slavko, d’un air désesperé, en regardant Shubi, un gars de 21 ans, qui me fait un sourire enfantin. Il affirme que la solidarité va peut-être favoriser leur prise en main. Je quitte Gorazde demain, mes périples reprennent. En route pour Sarajevo. Je cherche les mots pour finir ce texte. Les desastres de la guerre ne s ecrivent pas. Resumer la complexite de la realite bosniaque serait trop reducteur. De plus, je suis encore trop ebahie par la situation, et quand le mystere est trop vaste, l explication n est pas encore mure... seule la constatation est pour le moment possible. La redecouverte du monde commence, pour la enieme fois... Brève chronologie Première guerre civile: 25 juin 1991: proclamation de l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie. Deuxième guerre civile: 2 mai 1992: début de l’encerclement et des combats à Sarajevo. Juin 1992: début des interventions humanitaires à Sarajevo. 2 janvier 1993: élaboration du plan VANCE-OWEN qui prévoit la division de la Bosnie en 10 provinces autonomes (3 serbes, 3 croates, 3 musulmanes et Sarajevo démilitarise). 25 mars 1993: le plan VANCE-OWEN, signe par les Croates et les Musulmans, est rejette par les Serbes. 20 août 1993: nouveau plan de découpage de la Bosnie, OWEN-STOLTENBERG, qui 9 février 1994: premier ultimatum de l’OTAN impose aux Serbes de Bosnie qui doivent 29 mars 1994: reprise du nettoyage ethnique par les Serbes. Déplacement des populations 10-11 avril 1994: raids aériens de l’OTAN sur les positions serbes de Bosnie qui assiégent Gorazde pour protéger les hommes de la FORPRONU. Exode de la population. 12 octobre 1995: cessez-le-feu général. 21 novembre 1995: négociations et signature dès 1996: Deux entités régionales coexistent: la Fédération croato-musulmane (51% du territoire) et la Republika Srpska (49%) Bilan estime des guerres civiles - Plus de 200 000 morts: 100 000 en Bosnie, dont 16 500 enfants. Quelques liens pour en savoir plus... - La Bosnie à l’heure du , Le Monde Diplomatique. -L impossible retour des réfugies, Le Monde Diplomatique. -Un système électoral pervers, Le Monde Diplomatique. - Bosnie: les blessures invisibles de la guerre, Terre d’Escale, nov. 2002. |
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