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La Makhnovstchina

Anonyme, Martes, Mayo 6, 2003 - 15:41

1918-1921 : La Makhnovstchina

Dans la foulée de la révolution d'octobre 1917, les paysans ukrainiens se soulèvent et s'emparent des terres. Mais Lénine, dans le traité de Brest-Litovsk cède l'Ukraine au gouvernement impérial allemand en échange d'un armistice. Les allemands pillent la région et s'attellent à rétablir les anciens maîtres.

Les paysans ukrainiens s'organisent en détachements de partisans, guidés par le paysan Nestor Makhno: c'est la Makhnovstchina. Ils chassent les troupes allemandes, mais sont vite confrontés aux armées blanches contre-révolutionnaires bénéficiant du soutien des gouvernements occidentaux.

Pour Lénine et les bolchéviques, la révolution en Ukraine est un obstacle à l'installation de leur appareil étatique. Mais avant de se débarrasser définitivement de La Makhnovstchina, l'armée rouge l'utilisera et l'usera dans la lutte contre les armées blanches.

La Makhnovstchina n'est pas le seul mouvement révolutionnaire à avoir résisté à l'état bolchévique, mais c'est le plus important par son organisation, sa durée et son étendue géographique. (Voir par exemple constadt)

Les mots d'ordre du mouvement d'Octobre 1917 étaient: Les usines aux ouvriers! La terre aux paysans! Tout le programme social et révolutionnaire des masses se trouvaient dans ce mot d'ordre, bref mais profond par son sens: anéantissement du capitalisme, suppression du salariat, de l'esclavage étatiste, et organisation d'une vie nouvelle basée sur l'auto-direction des producteurs.

En fait, le parti bolchévique ne réalise aucunement ce programme, il profite des forces révolutionnaires du mouvement d'Octobre pour ses propres vues et buts. Le capitalisme n'est pas détruit mais réformé, le salariat reste intact, prenant seulement le caractère d'un devoir envers l'Etat.

La situation évolue différement en Ukraine où l'influence du parti bolchévique sur les paysans et les ouvriers a toujours été insignifiante. La révolution d'Octobre y a lieu plus tard, seulement en novembre et décembre, voire même janvier 1918. Les ouvriers chassent les propriétaires des usines. Les paysans, s'emparent des terres des propriétaires fonciers et des koulaks (les paysans cossus). Cette pratique d'action révolutionnaire directe des ouvriers et paysans se développa en Ukraine presque sans obstacles, durant toute la première année de la Révolution.

Le 3 mars 1918, Lénine et Trotsky concluent le traité de Brest-Litovsk avec le gouvernement impérial allemand, ouvrant toutes grandes les portes de l'Ukraine aux troupes austro-allemandes. Elles y entrent en maîtres, et entament une contre-révolution, anéantissant toutes les conquêtes révolutionnaires des paysans et des ouvriers.

Partout, principalement dans les villages, commencent des actes insurrectionnels, en juin, juillet et août 1918. Les paysans se lient de plus en plus entre eux, poussés vers un plan général et uni d'action révolutionnaire par la marche même du mouvement. Les insurrections se font plus fréquentes et les représailles plus féroces, de telles unions des paysans deviennent une nécessité urgente en vue de la destruction générale et complète de la contre-révolution. Le rôle le plus important dans cette oeuvre d'unification et dans le développement général de l'insurrection révolutionnaire au sud de l'Ukraine appartient au détachement de partisans guidé par le paysan Nestor Makhno. C'est la période la plus puissante, le point culminant de l'insurrection révolutionnaire: la Makhnovstchina.

Avec les troupes austro-allemandes, comme plus tard avec les armées blanches ou rouges, les partisans makhnovistes s'en tiennent à une règle générale: exécuter les officiers et rendre la liberté aux soldats en leur proposant de rentrer dans leur pays, d'y raconter ce que font les paysans ukrainiens et d'y travailler pour la révolution sociale.

De novembre 1918 à juin 1919, les paysans de la région de Goulaï-Polé (le bourg natal de Makhno) ne subirent aucun pouvoir politique et établirent la commune de travail libre et les soviets libres des travailleurs (conseils). C'est aussi une faiblesse du mouvement de continuer à définir l'être humain et social uniquement par son travail, dans le cadre de structures plus syndicales que révolutionnées.

En janvier 1919 ont lieu les premiers affrontements avec les troupes blanches, contre-révolution armée issue du régime tsariste et soutenue par l'Occident afin de rétablir l'ancien régime. La partie devient très serrée pour la Makhnovstchina. Les makhnovistes accepteront de placer leurs détachements sous le commandement de l'armée rouge, qui utilisera sans cesse leur redoutable efficacité militaire comme bouclier contre les troupes blanches.

"Lorsque les troupes blanches exerçaient une forte pression sur l'armée makhnoviste, celle-ci opérait souvent une rapide retraite, en s'efforçant de disparaître du champ de vision de l'ennemi, puis l'attaquait immédiatement par l'arrière, en ayant pris soin de laisser à l'avant une unité qui servait d'appât aux blancs. C'est par de telles attaques, rapides, puissantes et inattendues que les rouges se firent souvent battre. Quand une unité blanches pensait avoir défait les makhnovistes et croyait parachever son succès en les poursuivant, elle se trouvait souvent en réalité prise à revers. Si cette tactique échouait, les makhnovistes, soumis à la pression constante de l'ennemi, dispersaient dans toutes les directions leurs unités en différents groupes, désorientant complètement l'ennemi. Parfois ces troupes se disséminaient eux-mêmes en régiments, ceux-ci en sotnias et ainsi de suite jusqu'à de toutes petites unités tactiques. En 1921, toute l'Ukraine grouillait de tels détachements makhnovistes qui, tantôt s'unissaient en une force unique, tantôt se disséminaient de nouveau dans le pays et, enterrant leurs armes, se transformant en paisibles villageois" (Koubanine)

Pourtant, pour Lénine et Trostky, la Makhnovstchina, avant d'être une alliée, est d'abord un obstacle au pouvoir de l'état bolchévique en Ukraine mais, pire, elle est aussi un dangereux exemple de révolution dans les actes, refusant tout centralisme étatique. Les makhnovistes ne prendront que trop lentement conscience de la ferme volonté de Moscou de les éliminer dès que possible.

Dès que les armées blanches furent défaites, l'armée rouge, forte de son écrasante supériorité numérique et matérielle, écrasa la makhnovstchina.

Au terme d'interminables déboires en Roumanie, Pologne, Allemagne, Makhno arrive finalement à Paris début 1925. Les écrits de son camarade Archinov l'ont précédé dans la capitale, et avec eux sa réputation. Très éprouvé physiquement par ces années de lutte (dont il lui reste une indélogeable balle dans le pied), sans aucune autre ressource que la précaire solidarité qui s'organise autour de lui, Nestor Makhno s'installe avec sa femme et leur fille. Il entreprend à nouveau, peu à peu, des contacts. Archinov a quant à lui relancé la publication de la revue Dielo Trouda (La cause du travail), et fonde avec Makhno le Groupe des Anarchistes-communistes Russes à l'Etranger (GARE).

En 1926 est publié le projet de "Plate-forme organisationnelle de l'Union Générale des Anarchistes", où Archinov et ses camarades tentent de tirer systématiquement les leçons de leur expérience de lutte en Ukraine, en particulier concernant la carence organisationnelle et théorique.

Malgré ses faiblesses (notamment sur la question du travail), ce projet de Plate-forme demeure riche et relativement sans équivalent. Il n'a malheureusement pas donné lieu aux espérées mises au point collectives.

Les anarchistes n'ont guère tiré les leçons de leur échec dans la révolution russe et de l'expérience de Makhno.La démarche de Makhno était la conséquence nécessaire de sa participation à la guerre révolutionnaire. Il était fatal qu'il ne fut compris que par des militants anarchistes qui se trouvaient confrontés au même dilemme.

Hors de vue des troquets parisiens se profile un autre terrain de lutte, l'Espagne, où l'anarchisme s'implante depuis le début du siècle notamment dans les campagnes pauvres.

Les entretiens que Makhno a en 1927 avec Buenaventura Durruti et Francesco Ascaso sont les seuls appuis réels qu'il reçoit. Les deux anarchistes espagnols sont en accord avec les idées de la Plate-forme. Le combat mené par Makhno leur paraît exemplaire et ils lui demandent des précisions sur l'organisation militaire d'une insurrection, conseils que Durruti mettra en application en Aragon, en 1936, dans le développement de communes rurales autant que dans la direction de sa fameuse Colonne qui n'est pas une armée mais une association révolutionnaire née du mouvement syndical.

Ces contacts politiques avec l'Espagne seront, in extremis, les derniers qu'aura entretenu Makhno, avant d'être rattrapé par la solitude et la maladie. Hospitalisé à Tenon en mars 1934, il meurt le 25 juillet et est incinéré au Père-Lachaise (où sa tombe est toujours visible)
Extrait du livret du l'album 71-86-21-36 de René Binamé et les Roues de Secours.

" Vaincre ou mourir -voici le dilemme qui se dresse devant les paysans et les ouvriers de l'Ukraine au présent moment historique. Mais mourir tous nous ne pouvons pas, nous sommes trop. Nous, c'est l'humanité. Donc nous vaincrons. mais nous ne vaincrons pas pour répéter l'exemple des années passées, remettre notre sort à de nouveaux maîtres; nous vaincrons pour prendre nos destinées dans nos mains et arranger notre vie par nos propres volontés et avec notre vérité "(tiré de l'un des premiers appels de Makhno)

1921 : insurrection à Cronstadt

En mars 1921, les matelots de la forteresse maritime de Cronstadt, clé du golfe de Finlande, "l'honneur et la gloire" de la révolution russe, se soulèvent contre le gouvernement bolchévique qu'ils ont eux-mêmes contribué à porter au pouvoir. Avec pour mot d'ordre la "liberté aux soviets", ils instaurent une commune révolutionnaire qui survivra 16 jours, jusqu'à ce que l'armée rouge franchisse les glaces pour venir l'écraser. Après des combats prolongés et sauvages, au prix de lourdes pertes de part et d'autre, les rebelles seront finalement défaits (d'après Paul Avrich, La tragédie de Cronstadt, Paris, Seuil coll. Points Histoire, 1975).
Extrait du livret du l'album 71-86-21-36 de René Binamé et les Roues de Secours.

"Non, il n'est pas de moyen terme. la victoire ou la mort! Cronstadt-la-rouge donne l'exemple, terreur des contre-révolutionnaires de droite et de gauche. Ici s'est accompli un nouveau pas en avant de la révolution. ici s'est levé le drapeau de la révolte contre les trois années d'oppression et de violence communistes qui laissent loin derrière elles trois cent ans au joug monarchique. Ici, à Cronstadt, nous avons posé la première pierre de la troisième révolution [après 1905 et 1917] qui fera sauter les dernières entraves des masses laborieuses et ouvrira toute grande la voie nouvelle de la créativité socialiste" (Izvestia de Cronstadt, Pourquoi nous combattons).



Asunto: 
Abécédaire de l'anarchiste révolutionnaire. Par Nestor Makhno
Autor: 
blackcat
Fecha: 
Dom, 2003-12-14 16:34

Abécédaire de l'anarchiste révolutionnaire.

Par Nestor Makhno

L'anarchisme, c'est la vie libre et l'oeuvre créatrice de l'homme. C'est la
destruction de tout ce qui est dirigé contre ces aspirations naturelles et saines de
l'homme.

L'anarchisme, ce n'est pas un enseignement exclusivement théorique, à partir de
programmes élaborés artificiellement dans le but de régir la vie ; c'est un
enseignement tiré de la vie à travers toutes ses saines manifestations, passant
outre à toutes les normes artificielles.

La physionomie sociale et politique de l'anarchisme, c'est une société libre,
antiautoritaire, celle qui instaure la liberté, l'égalité et la solidarité entre tous ses
membres.

Le Droit, dans l'anarchisme, c'est la responsabilité de l'individu, celle qui entraîne
une garantie véritable de la liberté et de la justice sociale, pour tous et pour
chacun, partout et de tous temps. C'est là que naît le communisme.

L'anarchisme naît naturellement chez l'homme; le communisme, lui, en est le
développement logique.

Ces affirmations demandent à être appuyées théoriquement à l'aide de l'analyse
scientifique et de données concrêtes, afin de devenir des postulats fondamentaux
de l'anarchisme. Cependant, les grands théoriciens libertaires, tels que Godwin,
Proudhon, Bakounine, Johann Most, Kropotkine, Malatesta, Sebastien Faure et de
nombreux autres n'ont pas voulu, du moins je le suppose, enfermer la doctrine
dans des cadres rigides et définitifs. Bien au contraire, on peut dire que le dogme
scientifique de l'anarchisme, c'est l'aspiration à démontrer qu'il est inhérent à la
nature humaine de ne jamais se contenter de ses conquètes. La seule chose qui
ne change pas dans l'anarchisme scientifique, c'est la tendance naturelle à rejeter
toutes les chaînes et toute entreprise d'exploitation de l'homme par l'homme. En
lieu et place des chaînes et de l'escalvage instaurés actuellement dans la société
humaine - ce que, d'ailleurs, le socialisme n'a pu et ne peut supprimer -,
l'anarchisme sème la liberté et le droit inaliénable de l'homme à en user.

En tant qu'anarchiste révolutionnaire, j'ai participé à la vie du peuple urkainien
durant la révolution. Ce peuple a ressenti instinctivement à travers son activité
l'exigeance vitale des idées libertaires et en a également subi le poid tragique. J'ai
connu, sans fléchir, les mêmes rigueurs dramatiques de cette lutte collective,
mais, bien souvent, je me suis retrouvé impuissant à comprendre puis à formuler
les exigences du moment. En général, je me suis rapidement repris et j'ai
clairement saisi que le but vers lequel, moi et mes camarades, nous appelions à
lutter était directement assimilé par la masse qui combattait pour la liberté et
l'indépendance de l'individu et de l'humainté entière.

L'expérience de la lutte pratique a renforcé ma conviction que l'anarchisme éduque
d'une manière vivante l'homme. C'est un enseignement tout aussi révolutionnaire
que la vie, il est tout aussi varié et puissant dans ses manifestations que la vie
créatrice de l'homme et, en fait, il s'y indentifie intimement.

En tant qu'anarchiste révolutionnaire, et tant que j'aurai un lien au moins aussi ténu
qu'un cheveu avec cette qualification, je t'appellerai, toi frère humilié, à la lutte
pour la réalisation de l'idéal anarchiste. En effet, ce n'est que par cette lutte pour la
liberté, l'égalité et la solidarité que tu comprendra l'anarchisme.

L'anarchisme existe, donc, naturellement chez l'homme: il l'émancipe
historiquement de la psychologie servile - acquise atrificiellement - et l'aide à
devenir un combatant conscient contre l'esclavage sous toutes ses formes. C'est
en cela que l'anarchisme est révolutionnaire.

Plus l'homme prend conscience, par la reflexion, de sa situation servile, plus il s'en
indigne, plus l'esprit anarchiste de liberté, de volonté et d'action s'incruste en lui.
Cela concerne chaque individu, homme ou femme, même s'ils nont jamais entendu
parler du mot "anarchisme".

La nature de l'homme est anarchiste: elle s'oppose à tout ce qui tend à
l'emprisonner. Cette essence naturelle de l'homme, selon moi, s'exprime dans le
terme scientifique d'anarchisme. Celui-ci, en tant qu'idéal de vie chez l'homme,
joue un rôle significatif dans l'évolution humaine. Les oppresseurs, tout aussi bien
que les opprimés, commencent peu à peu à remarquer ce rôle; aussi, les premiers
aspirent-ils par tout les moyens à déformer cet idéal, alors que les seconds
aspirent, eux, à les rendre plus accessibles à attiendre.

La compréhension de l'idéal anarchiste chez l'esclave et le maître grandit avec la
civilisation moderne. En dépit des fins que celle-ci s'était jusque là données -
endormir et bloquer toute tendance naturelle chez l'homme à protester contre tout
outrage à sa dignité -, elle n'a pu faire taire les esprits scientifiques indépendants
qui ont mis à nu la véritable provenance de l'homme et démontré l'innexistence de
Dieu, considéré auparavant comme le créateur de l'humanité. Par suite, il est
devenu naturellement plus facile de prouver de manière irréfutable le caractère
artificiel des "onctions divines" sur terre et des relations infâmantes qu'elles
entraînaient contre les homes.

Tous ces évènements ont considérablement aidé au développement conscient des
idées anarchistes. Il est tout aussi vrai que des conceptions artificielles ont vu le
jour à la même époque: le liberalisme et le socialisme prétendument "scientifique",
dont l'une des branches est représentée par le bolchevisme-communisme.
Toutefois, malgrés toute leur immense influence sur la psychologie de la société
moderne, ou du moins sur une grande partie d'entre elle, et malgré leur triomphe
sur la réaction classique d'une part, et sur la personnalité de l'individu, d'autre part,
ces conceptions artificielles tendent à glisser sur la pente menant aux formes déja
connues du vieux monde.

L'homme libre, qui prend conscience et qui l'exprime autour de lui, enterre et
enterrera inévitablement tout le passé infâmant de l'humanité, ainsi que tout ce que
cela entraînerait comme tromperie, violence arbitraire et avilissement. Il enterrera
aussi ces enseignements artificiels.

L'individu se libère peu à peu, dès à présent, de la chape de mensonges et de
lâcheté dont l'ont recouvert depuis sa naissance les dieux terrestres, cela à l'aide
de la force grossière de la baïonnette, du rouble, de la "justice" et de la science
hypocrite - celle des apprentis sorciers.

En se débarrassant d'une telle infamie, l'individu atteint la plénitude qui lui fait
découvrir la carte de la vie: il y remarque en premier lieu son ancienne vie servile,
repoussante de lâcheté et de misère. Cette vie ancienne avait tué en lui, en
l'asservissant, tout ce qui avait de propre, clair et valable au départ, pour le
transformer soit en mouton bêlant, soit en maître imbécile qui piétine et déchire
tout ce qu'il y a de bon en lui-même et chez autrui.

C'est seulement à ce moment que l'homme s'éveille à la liberté naturelle,
indépendante de qui ou de quoi que ce soit et qui réduit en cendre tout ce qui lui
est contraire, tout ce qui viole la pureté et la beauté captivante de la nature,
laquelle se manifeste et croît à travers l'oeuvre créatrice autonome de l'individu.
Ce n'est qu'ici que l'homme revient à lui-même et qu'il condamne pour toujours son
passé honteux, coupant avec lui tout lien psychique qui emprisonnait jusqu'ici sa
vie individuelle et sociale, par le poids de son ascendance serville et aussi, en
partie, par sa propre démission, encouragée et accrue par les chamans de la
science.

Désormais, l'homme avance d'année en année autant qu'il le faisait auparavant de
génération en génération, vers une fin hautement étique: ne pas être, ni devenir
lui-mêmme un chaman, un prophète du pouvoir sur autrui et ne plus permettre à
d'autres de disposer d'un pouvoir sur lui.

Libéré des dieux célèstes et terrestres, ainsi que de toutes leurs prescriptions
morales et sociales, l'homme élève la voix et s'oppose en actes contre
l'exploitation de l'homme par l'homme et le dévoiement de sa nature, laquelle reste
invariablement liée à la marche en avant, vers la pleinitude et la perfection. Cet
homme révolté ayant pris conscience de soi et de la situation de ses frères
opprimés et humiliés, s'exprime dorénavant avec son coeur et sa raison: il devient
un anarchiste révolutionnaire, le seul individu qui puisse avoir soif de liberté, de
pleinitude et de perfection tant pour lui que pour le genre humain, foulant à ses
pieds l'esclavage et l'idiotie sociale qui s'est incarnée historiquement par la
violence - l'Etat. Contre cet assassin et bandit organisé, l'homme libre s'organise à
son tour avec ses semblables, en vue de se renforcer et d'adopter une orientation
véritablement communiste dans toutes les conquètes communes accomplies sur la
voie créatrice, à la fois grandiose et pénible.

Les ndividus membres de tels groupes s'émancipent par là même de la tutelle
criminelle de la société dominante, dans la mesure où ils redeviennent eux-mêmes,
c'est à dire qu'ils rejettent toute servilité envers autrui, quelqu'ils aient pu être
auparavant: ouvrier, paysan, étudiant ou intellectuels. C'est ainsi qu'ils échappent
à la condition soit d'âne bâté, d'esclave, de fonctionnaire ou de laquais se vendant
à des maîtres imbéciles.

En tant qu'individu, l'homme se rapproche de sa personnalité authentique l'orsqu'il
rejette et réduit en cendres les idées fausses sur sa vie, retrouvant ainsi tous ses
véritables droits. C'est par cette double démarche de rejet et d'affirmation que
l'individu devient un anarchiste révolutionnaire et un communiste conscient.

En tant qu'idéal de vie humaine, l'anarchisme se révèle consciemment en chaque
individu comme une aspiration naturelle de la pensée vers une vie libre et
créatrice, conduisant à un idéal social de bonheur. A notre siecle, la société
anarchiste ou société harmonieuse n'apparaît plus comme une chimère.
Cependant, autant que son élaboration et son aménagement pratique, sa
conception paraît encore peu évidente.

En tant qu'enseignement portant sur une vie nouvelle de l'homme et de son
développement créateur, tant sur le plan individuel que social, l'idée même de
l'anarchisme se fonde sur la vérité indestructible de la nature humaine et sur les
preuves indiscutables de l'injustice de la société actuelle - véritable plaie
permanente. Cette constatation conduit ses partisants - les anarchistes - à se
trouver en situation à demi ou entièrement illégale vis-à-vis des institutions
officielle de la société actuelle. En effet, l'anarchisme ne peut être reconnu tout à
fait légal dans aucun pays; cela s'explique par son serviteur et maître: l'Etat. La
société s'y est complètement dissoute; toutes ses fonctions et affaires sociales
sont passées aux mains de l'Etat. Le groupe de personnes qui a parasité de tous
temps l'humanité, en lui construisant des "tranchées" dans sa vie, s'est ainsi
identifié à l'Etat. Que ce soit individuellement ou en masse innombrable, l'homme
se retrouve à la merci de ce groupe de fainéants se faisant appeler "gouvernants
et maîtres", alors qu'ils ne sont en réalité que de simple exploiteurs et
oppresseurs.

C'est à ces requins qui abrutissent et soumettent le monde actuel, qu'ils soient
gouvernants de droite ou de gauche, bourgeois ou socialistes étatistes, que la
grande idée d'anarchisme ne plaît en aucune sorte. La différence entre ces
requins tient en ce que les premiers sont des bourgeois déclarés - par
conséquents moins hypocrites -, alors que les seconds, les socialistes étatistes
de toutes nuances, et surtout parmis eux les collectivistes qui se sont indûment
accolés le nom de communistes, à savoir les bolcheviks, se dissimilent
hypocritement sous les mots d'ordre de "fraternité et d'égalité". Les bolcheviks
sont prêt à repeindre mille fois le société actuelle ou à changer mille fois la
dénomination des systèmes de domination des uns et d'esclavage des autres, bref
à modifier les appellations selon les besoins de leurs programmes, sans changer
pour autant un iota de la nature de la société actuelle, quitte à échaffauder dans
leurs stupides programmes des compromis aux contradictions naturelles qui
existent entre la domination et la servitude. Bien qu'ils sachent que ces
contradictions soient insurmontables, ils les entretiennent tout de même, à la seule
fin de ne pas laisser apparaître dans la vie le seul idéal humain véritable: le
communisme libertaire.

Selon leur programme absurde, les socialistes et communistes étatistes ont
décidé de "permettre" à l'homme de se librer socialement, sans qu'il soit possible
pour autant de manifester cette librerté dans sa vie sociale. Quant à laisser
l'homme s'émanciper spirituellement en totalité, de manière à ce qu'il soit
entièrement libre d'agir et de se soumettre uniquement à sa propre volonté et aux
seules lois naturelles, bien qu'ils abordent peu ce sujet, il ne saurait pour eux en
être question. C'est la raison pour laquelle ils unissent leurs efforts à ceux des
bourgeois afin que cette émancipation ne puisse jamais échapper à leur odieuse
tutelle. De toute façon, l'"émancipation" octroyée par un pouvoir politque
quelconque, on sait bien désormais quel aspect cela peur revêtir.

Le bourgeois trouve naturel de parler des travailleurs comme d'esclaves
condamné à le rester. Il n'encouragera jamais un travail authentique susceptible de
produire quelquechose de réellement utile et beau, pouvant bénéficier à l'humanité
entière. Malgrè les capitaux colossaux dont il dispose dans l'industrie et
l'agriculture, il affirme ne pas pouvoir aménager des principes de vie sociale
nouvelle. Le présent lui paraît tout fait suffisant, car tout les puissants s'inclinnent
devant lui: les tsars, les présidents, les gouvernements et la quasi-totalité des
intellectuels et savants, tout ceux qui soumettent à leur tour les esclaves de la
société nouvelle. "Domestiques" crient les bourgeois à leur fidèles serviteurs,
donnez aux esclaves le servile qui leur est dû, gardez la part qui vous revient pour
vos dévoués services, puis conservez le reste pour nous!... Pour eux, dans ces
conditions, la vie ne peut être que belle!

"Non nous ne sommes pas d'accord avec vous là-dessus! rétorquent les
socialistes et communistes étatistes. Sur ce, ils s'adressent aux travailleurs, les
organisent en parti politiques, puis les incitent à se révolter en tenant le discours
suivant: "Chassez les bourgeois du pouvoir de l'Etat et donnez-nous-le, à nous
socialistes et communistes étatistes, ensuite nous vous défendrons et libererons".

Ennemis acharnés et naturels du pouvoir d'Etat, bien plus que les fainéants et les
privilégiés, les travailleurs expriment leur haine, s'insurgent accomplissent la
révolution, détruisent le pouvoir d'Etat et en chassent ses détenteurs, puis, soit
par naïveté soit par manque de vigilance, ils laissent les socialistes s'en emparer.
En Russie, ils on laisser les bolcheviks-communistes se l'accaparer. Ces laches
jésuites, ces monstres et bourreaux de la liberté se mettent alors à égorger, à
fusiller et à écraser les gens, même désarmés, tout comme auparavant les
bourgeois, si ce n'est pire encore. Ils fusillent pour soumettre l'esprit indépendant,
qu'il soit individuel ou collectif, dans le but d'anéantir pour toujours en l'homme
l'esprit de liberté et la volonté créatrice, de le rendre esclave spirituel et laquais
physique d'un groupe de scélérats installés à la place du trône déchu, n'hésitant
pas à utiliser des tueurs pour se subordonner la masse et éliminer les
récalcitrants.

L'homme gémit sous le poids des chaînes du pouvoir socialiste en Russie. Il gémit
aussi dans les autres pays sous le joug des socialistes unis à la bourgeoisie, ou
bien sous celui de la seule bourgeoisie. Partout, individuellement ou
collectivement, l'homme gémit sous l'oppression du pouvoir d'Etat et de ses folies
politiques et économiques. Peu de gens s'intéressent à ses souffrances sans
avoir en même temps d'arrières-pensées, car les bourreaux, anciens ou
nouveaux, sont très forts spirituellement et physiquement: ils disposent de grands
moyens efficaces pour soutenir leur emprise et écraser tout et tous ceux qui se
mettent en travers de leur chemin.

Brûlant de défendre ses droits à la vie, à la liberté et au bonheur, l'homme veut
manifester sa volonté créatrice en se mêlant au tourbillon de violence. Devant
l'issue incertaine de son combat, il a parfois tendance à baisser les bras devant
sont bourreau, au moment même où celui-ci passe le noeud coulant autour du cou,
cela alors qu'un seul de ses regards audacieux suffirait à faire trembler le bourreau
et à remtte en cause tout le fardeau du joug. Malheureusement, l'homme préfère
bien souvent fermer les yeux au moment même où le bourreau passe un noeud
coulant sur sa vie toute entière.

Seul, l'homme qui a réussi à se débarasser des chaînes de l'oppression et
observé toutes les horreurs se commettant contre le genre humain, peut être
convaincu que sa liberté et celle de son semblable sont inviolables, tout autant que
leur vies, et que son semblable est un frère. S'il est prêt à conquerir et à defendre
sa liberté, à exterminer tout exploiteur et tout bourreau (si celui-ci n'abandonne pas
sa lâche profession), puis s'il ne se donne pas pour but dans sa lutte contre le mal
de la société contemporaine de remplacer le pouvoir bourgeois par un autre
pouvoir tout aussi oppresseur - socialiste, communiste ou "ouvrier" (bolchevik) -,
mais d'instaurer une société réellement libre, organisée à partir de la
responsabilité individuelle et garantissant à tous une liberté authentique et une
justice sociale égale pour tous, seul cet homme là est un anarchiste
révolutionnaire. il peut sans crainte regarder les actes du bourreau-Etat et
recevoir s'il le faut son verdict, et aussi énoncer le sien à l'occasion en déclarant:
"Non, il ne saurait en être ainsi! Révolte-toi, frère opprimé! Insurge-toi contre tout
pouvoir de l'Etat! Détruis le pouvoir de la bourgeoisie et ne le remplace pas par
celui des socialistes et des bolcheviks-communistes. Supprime tout pouvoir d'Etat
et chasse ses partisants, car tu ne trouveras jamais d'amis parmis eux."

Le pouvoir des socialistes ou communistes étatitstes est tout aussi nocif que celui
de la bourgeoisie. Il arrive même qu'il le soit encore davantage, l'orsqu'il fait ses
expériences avec le sang et la vie des hommes. A ce moment, il ne tarde pas à
rejoindre à la dérobée les prémices du pouvoir bourgeois; il ne craint plus alors de
recourrir aux pires moyens en mettant et en trompant encore plus que tout autre
pouvoir. Les idées du socialisme ou communisme d'Etat deviennent même
superflues: il ne s'en sert plus et se rapproche à toutes celles qui peuvent lui servir
à s'aggriper au pouvoir. En fin de compte, il ne fait qu'employer des moyens
nouveaux pour perpetuer la domination et devenir plus lâche que la bourgeoisie
qui, elle, pend le révolutionnaire publiquement, alors que le
bolchevisme-communisme, lui, tue et étrangle en cachette.

Toute révolution qui a mis aux prises la bourgeoisie et les socialistes ou
communistes d'Etat illustre bien ce que je viens d'affirmer, en particulier si l'on
considère l'exemple des révolutions russes de fevrier et d'octobre 1917. Ayant
renversé l'empire russe, les masses laborieuses se sentirent en conséquence à
demi émancipée politiquement et aspirèrent a parachever cette libération. Elles se
mirent à transmettre les terres, confisquées aux grands propriétaires terriens et au
clergé, à ceux qui les cultivaient ou qui avaient l'intention de le faire sans exploiter
le travail d'autrui. Dans les villes, ce furent les usines, les fabriques, les
typographies et autres entreprises sociales qui furent prises en main par ceux qui
y travaillaient. Lors de ces réalisations saines et enthousiastes, tendant à
instaurer des relations fraternelles entre les villes et les campagnes, les
travailleurs ne voulurent pas remarquer qu'à Kiev, Kharkov et Pétrograd, des
gouvernements nouveaux se mettaient en place.

A travers ses organisations de classe, le peuple aspirait à poser le fondement
d'une société nouvelle et libre devant éliminer, en toute indépendance, au cours de
son developpement, du corps social tous les prarasites et tous les pouvoirs des
uns sur les autres, jugés stupides et nuisibles par les travailleurs.

Une telle démarche s'affirma nettement en Ukraine, dans l'Oural et en Sibérie. A
Tiflis, kiev, Petrograd et Moscou, au coeur même des pouvoir mourants, cette
tendance se fit jour. Toutefois, partout et toujours, les socialistes et communistes
d'Etat avaient et on encore leurs nombreux partisants, ainsi que leurs tueurs à
gages. Parmi ceux-ci, il faut malheureusement constater qu'il y eu de nombreux
travailleurs. A l'aide de ces tueurs les bolcheviks ont coupé court à l'oeuvre du
peuple, et d'une manière si terrible que même l'inquisition du Moyen Age pourrait
les envier.

Quant a nous, connaissant la véritable nature de l'Etat, nous disons aux guides
socialistes et bolcheviks: "Honte à vous! Vous avez tant écrit et discuté de la
férocité bourgeoise à l'égard des opprimés. Vous avez défendu avec tant
d'acharnement la pureté révolutionnaire et le dévouement des travailleurs en lutte
pour leur émancipation et maintenant, parvenu au pouvoir, vous vous révélez ou
bien les même lâches laquais de la bourgeoisie ou bien vous devenez vous même
bourgeois en utilisant ses moyens, au point même qu'elle s'en étonne et s'en
moque."

D'ailleurs à travers les expériences du bolchevisme-communiste, la bourgeoisie a
compris, ces dernieres années, que la chimère scientifique d'un socialisme
étatique ne pouvait se passer ni des moyens, ni même d'elle même. Elle l'a si bien
compris qu'elle se moque de ses élèves qui n'arrivent même pas à sa hauteur. Elle
à compris que, dans le système socialiste, l'exploitation et la violence organisée
contre la majorité de la masse laborieuse ne suppriment nullement la vie
débauchée et le parasitisme des fainéants, qu'en fait l'exploitation ne change que
de nom puis croît et se renforce. Et c'est bien ce que la réalité nous confirme. Il n'y
a qu'à constater la maraude des bolcheviks et leur monopole sur les conquètes
révolutionnaire du peuple, ainsi que leur police, leurs tribunaux, prisons et armée
de geôliers, tous employés contre la révolution. L'armée "rouge" continue d'être
recrutée de force! On y retrouve les mêmes fonctions qu'auparavant, bien qu'elles
s'y dénomment autrement, en étant encore plus irresponsable et devoyées.

Le libéralisme, le socialisme et le communisme d'Etat sont trois membres de la
même famille empruntant des voies différentes pour exercer leur pouvoir sur
l'homme, afin de l'empêcher d'atteindre son plein épanouissement vers la liberté et
l'indépendance en créant un principe nouveau, sain et authentique à partir d'un
idéal social valable pour tout le genre humain.

"Revolte-toi! déclare l'anarchiste révolutionnaire à l'opprimé. Insurge-toi et
supprime tout pouvoir sur toi et en toi. Et ne participe pas à en créer un nouveau
sur autrui. Sois libre et défends la liberté des autres contre toutes atteintes!"

Le pouvoir dans la société humaine est sourtout prôné par ceux qui n'ont jamais
vécu véritablement de leur propre travail et d'une vie saine, ou bien, encore, qui
n'en vivent plus ou qui ne veulent pas en vivre. Le pouvoir d'Etat ne pourra jamais
donner la joie, le bonheur et l'épanouissement à une société quelle qu'elle soit. Ce
pouvoir à été créé par des fainéant dans le but unique de piller et d'exercer leur
violence, souvent meurtrière, contre tous ceux qui produisent, par leur travail - que
ce soit par la volonté, l'intelligence ou les muscles - , tout ce qui est utile et bon
dans la vie de l'homme.

Que ce pouvoir se qualifie de bourgeois, de socialiste, de bolchevik-communiste,
d'ouvrier ou de paysan, cela revient au même: il est tout aussi nocif à l'individualité
saine et heureuse et à la sociètè dans son ensemble. La nature de tout pouvoir
d'Etat est partout identique: anéantir la liberté de l'individu, le transformer
spirituellement en laquais, puis de s'en servir pour les besognes les plus sâles. Il
n'y a pas de pouvoir innofensif.

"Frère opprimé, chasse en toi le pouvoir et ne permet pas qu'il s'instaure ni sur toi
ni sur ton frère, proche ou lointain!"

La vraie vie, saine et joyeuse, de l'individu et de la collectivité ne se construit pas
à l'aide du pouvoir et de programmes qui tentent de l'enfermer en des formules et
des lois écrites. Non, elle ne peut s'édifier qu'à partir de la liberté individuelle, de
son oeuvre créatrice et indépendante, s'affirmant par les phases de destruction et
de construction.

La liberté de chaque individu fonde la société libertaire; celle-ci atteit son
integralité par la décentralisation et la réalisation but commun: le communisme
libertaire.

Lorsque nous nous représentons la société communiste libertaire, nous la voyons
comme une société grandiose et harmonieuse dans ses relations humaines. Elle
repose principalement sur les individus libre qui se groupent en associations
affinitaires - que ce soit par intérêt, nécéssité ou penchants -, garantissant une
justice sociale à titre égal pour tous en se liant en fédérations et confédérations.

Le communisme libertaire, c'est une société qui se fonde sur la vie libre de tout
homme, sur son droit intangible à un développement infini, sur la suppression de
toutes les injustices et de tous les maux qui ont entravé le progrès et le
perfectionnement de la société en la partageant en couches et en classes,
sources de l'oppression et de la violence des uns sur les autres.

La société libertaire se donne pour but de rendre plus belle et plus radieuse la vie
de chacun, au moyen de son travail, de sa volonté et de son intelligence. En plein
accord avec la nature, le communisme libertaire se fonde par conséquent sur la
vie de l'homme pleinement épanoui, indépendant, créateur et absolument libre.
C'est la raison pour laquelle ses adeptes apparaissent dans leur vie comme des
êtres libres et radieux.

Le travail et les relation fraternelles entre tous, l'amour de la vie, la passion de la
création belle et libre, toutes ces valeurs motivent la vie et l'activité des
communistes libertaires. Ils n'ont nul besoin de prisons, de bourreaux, d'espions et
de provocateurs, utilisés par contre en grands nombre par le socialistes et
communistes étatistes. Par principe, les communistes libertaire n'ont aucun besoin
des bandits et assassins à gages dont le pire exemple et le chef suprème est en
fin de compte, l'Etat. Frère opprimé! Prépare-toi à la fondation de cette société là,
par la reflexion et au moyen de l'action organisée. Seulement, souviens-toi que ton
organisation doit être solide et constante dans son activité sociale. L'ennemi
absolu de ton émancipation, c'est l'Etat; il s'incarne au mieux par l'union des cinq
types suivants: le propriétaire, le militaire, le juge, le prêtre et celui qui est leur
serviteur à tous, l'intellectuel. Dans la plupart des cas, ce dernier se charge de
prouver les droits "légitimes" de ses quatre maître à sanctionner le genre humain,
à normaliser la vie de l'homme sous tous ses aspects individuels et sociaux, cela
en déformant le sens des lois naturelles pour codifier des lois "historiques et
juridiques", oeuvres criminelles de plumitifs stilipendiés.

L'ennemi est très fort car, depuis des millénaires, il vit de pillages et de violences;
il en a retiré de l'expérience, il a surmonté des crises internes et il adopte
maintenant une nouvelle physionomie, étant menacé de disparition par l'apparition
d'une science nouvelle qui reveille l'homme de son sommeil séculaire. Cette
science nouvelle libère l'homme de ses préjugés et lui fournit des armes pour se
découvrir lui-même et trouver sa véritable place dans la vie, malgrè tous les efforts
des apprentis-sorciers de l'union des "cinq" pour l'empêcher d'avancer sur cette
voie.

Ainsi une telle modification du visage de notre ennemi, frère opprimé, peut être
remarqué, par exemple, dans tout ce qui sort du cabinet des savants réformateurs
de l'Etat. Nous avons pu observer d'une mainère caractéristique cette
métamorphose lors des révolutions que nous avons vécues nous-même. L'union
des "cinq", l'Etat, notre ennemi, parut au début disparaître complètement de la
terre...

En réalité, notre ennemi ne fit que changer d'apparence et se découvrit de
nouveau alliés qui oeuvrèrent criminellement contre nous: la leçon des
bolcheviks-communistes en Russie, en Ukraine, en Georgie, et parmis de
nombreux peuples d'Asie centrale est très édifiante à ce égard. Cette époque ne
sera jamais oubliée par l'homme qui combat pour son émancipation, car il car il
saura se rappeler ce qu'il y a eu de cauchemardesque et de criminel.

Le seul et le plus sûr moyen qui s'offre à l'opprimé dans sa lutte contre le mal qui
l'enchaîne, c'est la révolution sociale, rupture profonde et avancée vers l'évolution
humaine.

Bien que la révolution sociale se développe spontanément, l'organisation déblaie
sa voie, facilite l'apparition de brèches parmis les digues dressée contre elle et
accélère sa venue. Lanarchiste révolutionnaire travaille dès maintenant à cette
orientation. Chaque opprimé qui tient sur lui le joug, en étant conscient que cette
infâmie écrase la vie du genre humain, doit venir en aide à l'anarchiste. Chaque
être humain doit être conscient de sa responsabilité et l'assumer jusqu'au bout en
supprimant de la société tous les bourreaux et parasites de l'union des "cinq", afin
que l'humanité puisse respirer en toute liberté.

Chaque homme et surtout l'anarchiste révolutionnaire - en tant qu'initiateur
appelant à lutter pour l'idéal de liberté, de solidarité et d'égalité - doit se rappeler
que la révolution sociale exige pour son évolution créatrice des moyens adéquats,
en particulier des moyens organisationnels constants, nottament durant la période
où elle détruit, dans un élan spontané, l'esclavage, et sème la liberté, en affirmant
le droit de chaque homme à un libre développement ilimité. C'est précisément la
période où, ressentant la véritable liberté en eux et autour d'eux, les individus et
les masses oseront mettre en pratique les conquêtes de la révolution sociale, que
celle- ci éprouvera le plus grand besoin de ces moyens organisationnels. Par
exemple, les anarchistes révolutionnaires ont joué un rôle particulièrement
remarquable lors de la révolution russe mais, ne possédant pas les moyens
d'action nécessaires, n'ont pu mener à terme leur rôle historique. Cette révolution
nous a, d'ailleurs, bien démontré la vérité suivante: après s'être débarassé des
chaînes de l'esclavage, les masses humaines n'ont nullement l'intention d'en créer
de nouvelles. Au contraire, durant les périodes révolutionnaires, les masses
recherchent des formes nouvelles d'associations libres pouvant non seulement
répondre à leurs élans libertaires,mais défendre aussi leurs acquis lorsque
l'ennemi s'y attaque.

En observant ce processus, nous sommes constament parvenu à la conclusion
que les association les plus fertiles et les plus valables ne pouvaient être que les
union-communes, celles dont les moyens sociaux sont créés par la vie même: les
soviets libres. En se fondant sur cette même conviction, l'anarchiste
révolutionnaire se jette dans l'action avec abnégation et il rappelle les opprimés à
la lutte pour les actions libres. Il est convaincu qu'il ne faut pas seulement
manifester les principe organisationnels fondamentaux et createurs, mais aussi se
donner les moyens de défendre la vie nouvelle contre les forces hostiles. La
pratique montre que cela doit être réalisé de la manière la plus ferme et soutenue
par les masses elles-même, directement sur place.

En accomplissant la révolution, pousées par l'anarchisme naturellement en elles,
les masses humaines recherchent les associations libres. Les assemblées libres
retiennent toujours leur sympathie. L'anarchiste révolutionnaire doit les aider à
formuler le mieux possible cette démarche. Par exemple, le problème économique
de l'association libre des communes doit trouver sa pleine expression par la
création de coopératives de production et de consommation, dont les soviets
libres seraient les promoteurs.

C'est par l'intermédiaire des soviets libres, durant le développement de la
révolution sociale, que les masses s'empareront directement de tout le patrimoine
social: la terre, les forêts, les fabriques, les usines, les chemins de fer et
transports maritimes, ect., puis, se regroupant selon leurs interêts, leurs affinités
ou l'idéal commun, elles construiront leur vie sociale de la façon la plus variée et
appropriée à leurs besoins et désirs.

Il va sans dire que cette lutte sera pénible; elle provoquera un grand nombre de
victimes, car elle opposera pour la dernière fois l'humanité libre et le vieux monde.
Il n'y aura pas de place à l'hésitation ni au sentimentalisme. Ce sera à la vie et à la
mort! Du moins c'est ainsi que devra le concevoir chaque homme qui attache de
l'importance à ses droits et à ceux de l'humanité entière, s'il ne veut pas demeurer
un âne bâté, un esclave, comme on le force à l'être actuellement.

Lorsque le raisonnement sain et l'amour autant de soi-même que d'autrui prendront
le dessus dans la vie, l'homme deviendra le véritable createur de sa propre
existance.

Organise-toi, frère opprimé, fais appel à tous les hommes de la charrue et de
l'atelier, du banc d'école du lycée et de l'université, sans oublier le savant et
l'intellectuel en général, afin qu'il sorte de son cabinet et te porte secours sur ton
pénible chemin. Il est vrai que neuf intellectuels sur dix ne pourront pas répondre à
ton appel ou bien, s'il le font, ce sera avec l'arrière pensée de te tromper, car
n'oublie pas que ce sont de fidèles serviteur de l'union des "cinq". Il y en aura tout
de même un sur dix qui s'avèrera être ton ami et t'aidera à déjouer la tromperie
des neuf autres. En ce qui concerne la violence physique, la force grossière des
gouvrenant législateurs, tu l'écartera avec ta propre violence.

Organise-toi, appelle tout tes frères à rejoindre le mouvement et exige de tous les
gouvernants de mettre fin volontairement à leur lâche profession de régenter la vie
de l'homme. S'ils refusent, insurge-toi, désarme les policiers, les miliciens et autres
chiens de garde de l'union des "cinq". Arrête pour le temps nécessaire tout les
gouvernants, déchire et brûle leurs lois! Détruis les prisons, anéantis les boureau,
supprime tout pouvoir d'Etat!

De nombreux tueurs à gages et assassins se trouvent dans l'armée, mais tes
amis, les soldats mobilisés de force, y sont présents aussi, appelle-les à toi, ils
viendront à ton secour et t'aideront à neutraliser les mercenaires.

Après s'être tous réunis en une grande famille, frères, nous irons ensemble sur la
voie de la lumière et du savoir, nous éloignerons les ténèbres et marcherons vers
l'idéal commun de l'humanité: la vie fraternelle et libre, la société où personne ne
sera plus jamais esclave ni humilié par quiconque.

A la violence grossière de nos ennemis, nous repondrons par la force compacte
de notre armée révolutionnaire inssurectionnelle. A l'incohérence et l'arbitraire,
nous répondrons en construisant avec justice notre nouvelle vie, sur la base de la
responsabilité de chacun, vraie garantie de la liberté et de la justice sociale pour
tous.

Seuls, les criminels sanguinaires de l'union des "cinq" refuseront de se joindre à
nous sur la voie novatrice; ils tenteront de s'y opposer pour conserver leurs
privilèges, ce en quoi ils se condamneront eux-mêmes.

Vive cette conviction claire et ferme en la lutte pour l'idéal de l'harmonie humaine
généralisée: la société anarchiste!

Nestor MAKHNO.

Probouzdénié, n°18, janvier 1932, pp. 57-63, et n° 19-20, fevrier-mars 1932,
pp.16-20.
Extrait de A. Skirda "La lutte contre l'Etat et autres écrits" Ed. J-P Ducret 1984.


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Asunto: 
MAKHNO EN VISITE AU KREMLIN
Autor: 
blackcat
Fecha: 
Jue, 2003-12-18 15:28

MAKHNO EN VISITE AU KREMLIN
Nestor Makhno
MA CONVERSATION AVEC SVERDLOV
J'arrivai aux portes du Kremlin avec l'idée bien arrêtée de voir Lénine et, si possible Sverdlov, et d'avoir un entretien avec eux. Derrière un guichet, un homme de service était assis. Je lui tendis l'attestation qu'on m'avait délivrée au soviet de Moscou. L'ayant lue attentivement, il m'établit un laissez-passer qu'il fixa lui-même à mon attestation et je franchis le porche donnant accès à l'intérieur du Kremlin. Là, un fusilier letton faisait les cent pas. Je passai à côté de lui et m'engageai dans la cour où je me trouvai nez à nez avec une autre sentinelle à laquelle on pouvait demander de vous indiquer le bâtiment où l'on voulait aller. Au-delà, on était libre de se promener, de regarder les canons et boulets de différents calibres, antérieurs ou postérieurs à Pierre le Grand, de s'arrêter devant le Tsar Bourdon (une cloche monumentale) et d'autres curiosités bien connues ou de se rendre directement dans un des palais.
Je tournai à gauche et m'engouffrai dans un de ceux-ci (j'ai oublié son nom), je montai un escalier, je crois jusqu'au deuxième étage, j'arpentai sans rencontrer personne un long couloir où, sur les pancartes accrochées aux portes, on lisait : "Comité central du parti" ou bien "Bibliothèque", mais n'ayant besoin ni de l'un ni de l'autre, je continuai ma route, n'étant d'ailleurs pas sûr qu'il y eut quelqu'un derrière ces portes.

Les autres pancartes ne donnant toujours pas de nom, je revins sur mes pas et m'arrêtant devant celle où j'avais lu : "Comité Central du parti", je frappai à la porte. "Entrez", répondit une voix. À l'intérieur du bureau, trois personnes étaient assises. Parmi celles-ci, il me sembla reconnaître Zagorski que j'avais vu deux ou trois jours plus tôt dans un des clubs du parti bolchevik. Je m'adressai à ces personnes qui, dans un silence de mort, étaient occupées à quelque chose, pour qu'elles me disent où se trouvait le bureau du Comité central exécutif.

Un des trois Boukharine si je ne me trompe se leva et, prenant sa serviette, sous le bras, dit à ses collègues, mais assez haut pour que j'entende : "Je vous laisse, j'indiquerai à ce camarade, me désignant d'un geste du menton, le bureau du C.C.E. et il se dirigea vers la porte. Je remerciai les personnes présentes et sorties avec celle qui me semblait être Boukharine. Un silence sépulcral continuait à régner dans le couloir.

Mon guide me demanda d'où je venais. "D'Ukraine", répondis-je. Il me posa alors plusieurs questions sur la terreur à laquelle l'Ukraine était en proie et voulut savoir comment j'avais pu gagner Moscou. Arrivés à l'escalier, nous nous arrêtâmes pour continuer la conversation. Finalement, mon guide occasionnel m'indiqua une porte à droite de l'entrée du couloir, où, selon lui, on me donnerait les renseignements dont j'avais besoin. Et après m'avoir serré la main, il redescendit l'escalier et sortit du palais. J'allai à cette porte, je frappai et j'entrai. Une jeune fille me demanda ce que je voulais.

Je voudrais voir le président du Comité exécutif du Soviet des députés ouvriers, paysans, soldats et cosaques, le camarade Sverdlov, répondis-je.
Sans mot dire, la jeune fille s'assit derrière une table, prit mon attestation et mon laissez-passer, les parcourut, recopia quelques mots t m'établit un autre laissez-passer où était indiqué le numéro du bureau où je devais aller. Dans le bureau où m'avait envoyé la jeune fille, je trouvai le secrétaire du C. C. E., un homme bien planté, de mise soignée, mais aux traits fatigués. Il me demanda ce que je voulais. Je le lui expliquai. Il me réclama mes papiers. Je les lui remis. Ceux-ci l'intéressèrent. Il me questionna :
- Ainsi, camarade, vous arrivez du Sud de la Russie ?
- Oui, je viens d'Ukraine, répondis-je.
- Vous étiez déjà président du Comité de défense de la révolution du temps de Kerensky ?
- Oui.
- Vous êtes donc socialiste révolutionnaire ?
- Non.
- Quels liens avez-vous ou avez-vous eut avec le parti communiste de votre région ?
- Je suis en relations personnelles avec plusieurs militants du parti bolchevik, répondis-je.
Et je citai le nom du président du Comité révolutionnaire d'Alexandrovsk, le camarade Mikhailevitch, et de quelques autres militants d'Ekaterinoslav. Le secrétaire se tut un instant, puis m'interrogea sur l'état d'esprit des paysans du "Sud de la Russie", sur leur comportement à l'égard des troupes allemandes et des soldats de la Rada centrale, sur leur attitude envers le pouvoir des Soviets, etc.
Je lui donnai quelques brèves réponses qui manifestement le contentèrent ; personnellement, je regrettai de ne pouvoir m'étendre davantage.
Ensuite, il téléphona je ne sais où et aussitôt m'invita à me rendre dans le cabinet du président du C. C. E., le camarade Sverdlov.
En m'y rendant, je pensais aux fables colportées par les contre-révolutionnaires aussi bien que par les révolutionnaires, voire par mes propres amis, adversaires de la politique de Lénine, Sverdlov et Trotsky, à savoir qu'il était impossible de s'introduire auprès de ces divinités terrestres. Ils étaient, disait-on, entourés de gardes du corps et le chef de ceux-ci ne laissait entrer que les visiteurs dont la tête lui plaisait.
Maintenant, accompagné du seul secrétaire du C. C. E., je me rendais compte de l'absurdité de ces rumeurs. Sverdlov nous ouvrit lui-même la porte avec un bon sourire, empreint, me sembla-t-il, de camaraderie, me tendit la main et me conduisit à un fauteuil. Après quoi, le secrétaire du C. C. E, retourna à son bureau. Le camarade Sverdlov me parut en bien meilleure forme que son secrétaire. Il me donna aussi l'impression qu'il s'intéressait davantage que lui à e qui s'était passé en Ukraine ces deux ou trois derniers mois. Il me dit d'emblée :
- Vous arrivez donc, camarade, de notre Sud en pleine tourmente ; quel travail faisiez-vous là-bas
- Le même que celui qu'accomplissaient les grandes masses de travailleurs révolutionnaires de la campagne ukrainienne. Ceux-ci, après avoir pris une part active à la Révolution, tentèrent d'obtenir leur émancipation totale. Dans leurs rangs, je fus, peut-on dire, toujours le premier à marcher dans cette voie. Aujourd'hui, par suite du recul du front révolutionnaire ukrainien, j'ai échoué momentanément à Moscou.
- Que dites-vous là, camarade, s'écria le camarade Sverdlov m'interrompant, les paysans dans le Sud sont pour la plupart des koulaks ou des partisans de la Rada centrale.
J'éclatai de rire sans trop m'étendre mais en appuyant bien sur l'essentiel, je lui décrivis l'action des paysans organisés par les anarchistes dans la région de Goulaï-Polé contre les troupes d'occupation austro-allemandes et les soldats de la Rada centrale.
Apparemment ébranlé, le camarade Sverdlov ne cessait portant de répéter : "Pourquoi donc n'ont-ils pas épaulé nos gardes rouges ? D'après nos renseignements, les paysans du Sud ont subi la contagion du pire chauvinisme ukrainien et, partout, ils ont accueilli les troupes demandées et les soldats de la Rada avec des transports de joie, en libérateurs."
Sentant la nervosité me gagner, je me mis avec vigueur à réfuter les informations de Sverdlov sur la campagne ukrainienne. Je lui avouai que j'étais moi-même l'organisateur et le chef de plusieurs bataillons de volontaires paysans qui menaient la lutte révolutionnaire contre les Allemands et la Rada et j'étais s?r que les paysans pourraient recruter dans leur sein une puissante armée pour combattre ceux-ci, mais ils ne voyaient pas nettement le front de guerre de la Révolution. Les unités de gardes rouges qui, de leurs trains blindés, s'étaient battues le long des voies ferrées sans jamais s'en éloigner, reculant au premier échec sans se soucier bien souvent de rembarquer leurs propres combattants et abandonnant à l'ennemi des dizaines de verstes, que celui-ci avançât ou non, ces unités, dis-je, n'inspiraient pas confiance aux paysans qui se rendaient compte qu'isolés dans leurs villages et dépourvus d'armes ils étaient à la merci des bourreaux de la Révolution. En effet, les trains blindés des gardes rouges n'envoyaient jamais de détachements dans les villages situés dans un rayon de dix ou vingt kilomètres non seulement pour leur donner des armes, mais aussi pour stimuler les paysans et les pousser à des coups de main audacieux contre les ennemis de la Révolution en prenant part eux-mêmes à l'action.
Sverdlov m'écoutait attentivement et de temps à autre s'exclamait : "Est-ce possible ?" Je lui citai plusieurs unités de gardes rouges appartenant aux groupes de Bogdanov, Svirski, Sabline et autres ; je lui signalai avec plus de calme que les gardes rouges chargés de défendre les voies ferrées au moyen de trains blindés avec lesquels il leur était possible de prendre rapidement l'offensive, mais aussi de battre le plus souvent en retraite, ne pouvaient inspirer confiance aux masses paysannes. Or, ces masses voyaient dans la Révolution le moyen de se débarrasser de l'oppression non seulement des grands propriétaires et des riches koulaks mais aussi de leurs hommes à gages, de se soustraire au pouvoir politique et administratif du fonctionnaire de l'Etat et dès lors étaient prêtes à se défendre et à défendre leurs conquêtes contre les exécutions sommaires et les destructions massives tant des Junkers prussiens que des troupes de l'hetman (Skoropadsky).
- Oui, disait Sverdlov, je crois que vous avez raison pour ce qui est des gardes rouges... mais nous les avons maintenant réorganisés dans l'Armée Rouge, laquelle est en train de prendre des forces, et si les paysans du Sud sont animés, comme vous me le décrivez, d'un tel élan révolutionnaire, il y a de grandes chances pour que les Allemands soient battus à plate couture et que l'hetman morde la poussière à bref délai ; alors le pouvoir des Soviets triomphera en Ukraine également.
- Cela dépendra de l'action clandestine qui sera menée en Ukraine. J'estime pour ma part que cette action est aujourd'hui plus nécessaire que jamais à condition qu'elle soit organisée, qu'on lui donne une forme combative, ce qui inciterait les masses à s'insurger ouvertement dans les villes et dans les campagnes contre les Allemands et l'hetman. Sans soulèvement d'un caractère essentiellement révolutionnaire à l'intérieur de l'Ukraine, on n'obligera pas les Allemands et les Autrichiens à évacuer ce pays, on ne pourra pas mettre la main sur l'hetman et sur ceux qui le soutiennent ou les forcer à prendre la fuite avec leurs protecteurs. N'oubliez pas qu'en raison du traité de Brest-Litovsk et des facteurs politiques avec lesquels notre Révolution doit compter à l'extérieur, une offensive de l'Armée Rouge est inconcevable."
Pendant que je lui tenais ces propos, le camarade Sverdlov prenait des notes.
- En l'occurrence, je partage entièrement votre point de vue, me dit-il. Mais qu'êtes-vous ? Communiste ou Socialiste Révolutionnaire de gauche ? On voit bien, par le langage que vous tenez, que vous êtes Ukrainien, mais auquel des deux partis vous appartenez, on ne le comprend pas."
Cette question, sans me troubler (le secrétaire du C. C. E. me l'avait déjà posé), me mit dans l'embarras. Que faire? Dire carrément à Sverdlov que j'étais anarchiste communiste, le camarade et l'ami de ceux que son parti et le système étatique créé par ce dernier avaient écrasés deux mois plus tôt à Moscou et dans plusieurs autres villes, ou me cacher sous un autre drapeau ?
J'étais perplexe et Sverdlov s'en aperçu. Révéler au milieu de notre entretien ma conception de la révolution sociale et mon appartenance politique, je ne le voulais pas, Les dissimuler me répugnait également. C'est pourquoi, après quelques secondes de réflexion, je dis à Sverdlov :
- Pourquoi vous intéressez-vous tellement à mon appartenance politique ? Est-ce que mes papiers, qui vous montrent qui je suis, d'où je viens et le rôle que j'ai joué dans une certaine région pour organiser les travailleurs des villes et des campagnes en même temps que des groupes de partisans et des bataillons de volontaires pour combattre la contre-révolution qui sévit en Ukraine, ne vous suffisent pas?
Le camarade Sverdlov s'excusa et me pria de ne pas douter de son honneur révolutionnaire ou de le soupçonner de manquer de confiance en moi. Ses excuses me parurent si sincères que je me sentis mal à l'aise et, sans hésiter davantage, je lui déclarai que j'étais anarchiste communiste de la tendance Bakounine Kropotkine.
- Quel anarchiste communiste êtes-vous, camarade, puisque vous admettez l'organisation des masses laborieuses et la direction de elles-ci dans la lutte contre le pouvoir du capital ? s'écria Sverdlov avec un sourire de camaraderie.
Devant son étonnement, je répondis au président du C.C.E. :
- L'anarchisme est un idéal trop réaliste pour ne pas comprendre le monde moderne et les événements actuels, et la part que ses adeptes prennent d'une manière ou d'une autre à ces événements est visible, et pour ne pas tenir compte de l'orientation qu'il doit donner à son action et des moyens qu'il lui faut employer pour cela."

- Je le veux bien, mais vous ne ressemblez pas du tout à ses anarchistes qui, à Moscou, avaient installé leur siège dans la Malaïa Dmitrovka, me dit Sverdlov, et il voulut ajouter quelque chose à ce sujet, mais je l'interrompis :
- L'écrasement par votre parti des anarchistes de la Malaïa Dmitrovka doit être considéré comme une chose pénible qu'il faudra éviter à l'avenir dans l'intérêt de la Révolution."
Sverdlov marmonna quelque chose dans sa barbe et, se levant de son fauteuil, s'approcha de moi, posa ses mains sur mes épaules et me dit :
- Je vois que vous êtes très au courant de ce qui s'est passé lors de notre retraite d'Ukraine et, surtout, de l'état d'esprit des paysans. Ilitch, notre camarade Lénine, serait certainement content de vous entendre. Voulez-vous que je lui téléphone ?
Je répondis que je ne pourrais en dire beaucoup plus au camarade Lénine, mais Sverdlov tenait déjà le téléphone et avisait Lénine qu'il avait auprès de lui un camarade porteur de renseignements très importants sur les paysans du Sud de la Russie et sur leurs sentiments à l'égard des troupes d'invasion allemande. Et sur-le-champ, il demanda à Lénine quand il pourrait me recevoir.
Un instant après, Sverdlov posa le téléphone et m'établit de sa main un laissez-passer me permettant de revenir, En me le remettant il me dit :
- Demain, à une heure de l'après-midi, venez directement ici ; nous irons ensemble chez le camarade Lénine...
- Puis-je compter sur vous ?
- Comptez sur moi, fut ma réponse.

MON ENTRETIEN AVEC LENINE.
Le jour suivant, à une heure, j'étais de nouveau au Kremlin où je retrouvai le camarade Sverdlov qui me conduisit aussitôt chez Lénine. Celui-ci m'accueillit fraternellement. Il me prit par le bras et, me tapotant doucement l'épaule de son autre main, il me fit asseoir dans un fauteuil. Après avoir prié Sverdlov de s'installer dans un autre fauteuil, il s'approcha de son secrétaire et lui dit :
- Ayez la bonté de finir ce travail pour deux heures.
Puis il vint s'asseoir en face de moi et se mit à me questionner. Sa première question fut : "De quelle région êtes-vous?" Puis : "Comment les paysans de la contrée ont-ils accueilli le mot d'ordre : Tout le pouvoir aux Soviets dans les villages et quelle a été la réaction des ennemis de ce mot d'ordre et elle de la Rada centrale en particulier?" Ensuite : "Les paysans de votre région se sont-ils levés contre les envahisseurs austro-allemands ? Si oui, qu'est-ce qui a manqué pour que les révoltes paysannes se transforment en soulèvement général et s'associent à l'action des unités de gardes rouges qui, avec tant de courage, ont défendu nos conquêtes révolutionnaires?"
A toutes ces questions, je donnai à Lénine des réponses brèves. Celui-ci, avec le talent qui lui était propre, s'efforçait de poser ses questions de manière que je puisse y répondre point par point. Par exemple, la question : "Comment les paysans de ma région ont-ils accueilli le mot d'ordre : Tout le pouvoir aux Soviets dans les villages?" Lénine me la posa à trois reprises ; et il fut étonné que je lui réponde : "Les paysans l'ont accueilli à leur manière, ce qui veut dire que, dans leur entendement, tout le pouvoir doit, dans tous les domaines, s'identifier avec la conscience et la volonté des travailleurs ; que les soviets de députés ouvriers paysans de village, de canton et de district ne sont ni plus ni moins que des rouages de l'organisation révolutionnaire et de l'autogestion économique des travailleurs en lutte contre la bourgeoisie et ses laquais : les socialistes de droite et leur gouvernement de coalition.
- Pensez-vous que cette manière de comprendre notre mot d'ordre soit juste ? demanda Lénine.
- Oui, répondis-je,
- Dans ce cas, les paysans de votre région ont subi la contagion de l'anarchisme, me dit-il.
- Est-ce un mal ? demandai-je,
- Ce n'est pas e que je veux dire, Au contraire, il faudrait s'en réjouir, car cela hôterait la victoire du communisme sur le capitalisme et son pouvoir.
- C'est flatteur pour moi, répondis-je à Lénine en me retenant pour ne pas rire,
- Non, non, je prétends très sérieusement que ce phénomène social dans la vie des masses paysannes ôterait la victoire du communisme sur le capitalisme, répéta Lénine, ajoutant : "Mais je pense que le phénomène n'a pas été spontané ; il est un effet de la propagande anarchiste et ne tardera pas à disparaître. Je suis même porté à croire que cet état d'esprit battu en brèche par la contre-révolution triomphante avant d'avoir eut le temps d'engendrer une organisation, a déjà disparu."
Je fis remarquer à Lénine qu'un chef politique ne doit jamais se montrer pessimiste ou sceptique.
- Ainsi, selon vous, dit Sverdlov m'interrompant, il faudrait encourager ces tendances anarchistes dans la vie des masses paysannes ?
- Oh ! votre parti ne les encouragera pas, répondis-je.
Lénine saisit la balle au bond :
- Et pourquoi devrait-on les encourager ? Pour diviser les forces révolutionnaires du prolétariat, frayer la voie à la contre-révolution et en fin de compte monter nous-mêmes avec le prolétariat à l'échafaud ?
Je ne pus me dominer et, avec un accent de nervosité dans la voix, je fis remarquer à Lénine que l'anarchisme et les anarchistes n'aspiraient pas à la contre-révolution et n'y conduisaient pas le prolétariat.
- Est-ce vraiment ce que j'ai dit ? me demanda Lénine et il ajouta : "J'ai voulu dire que les anarchistes, manquant d'organisations de masse, ne sont pas en mesure d'organiser le prolétariat et les paysans pauvres et, par conséquent, de les soulever pour défendre, au sens large du terme, ce qui a été conquis par nous tous et qui nous est cher".
L'entretien porta ensuite sur les autres questions posées par Lénine. À l'une d'elles : "Les unités de gardes rouges et le courage révolutionnaire avec lequel elles défendirent nos conquêtes communes", Lénine m'obligea à répondre aussi complètement que possible.
Manifestement la question le tracassait ou bien lui rappelait ce que les formations de gardes rouges avaient récemment accompli en Ukraine, atteignant soi-disant avec succès les objectifs que Lénine et son parti s'étaient fixés et au nom desquels ils les avaient envoyés de Petrograd et autres grandes villes lointaines de Russie. Je me souviens de l'émotion de Lénine, l'émotion qui ne pouvait se manifester que chez un homme qui vivait passionnément la lutte contre l'ordre social qu'il haïssait et voulait vaincre, quand je lui dis :
- Ayant participé au désarmement de dizaines de cosaques retirés du front allemand à la fin de décembre 1917 et au début de 1918, je suis bien renseigné sur la "bravoure révolutionnaire" des unités de l'Armé rouge et en particulier de leurs chefs. Or il me semble, camarade Lénine, que, vous basant sur des renseignements de seconde et même de troisième main, vous l'exagérez.
- Comment ça? Vous la contestez ? me demanda Lénine.
- Les unités de gardes rouges ont fait preuve d'esprit révolutionnaire et de courage, mais pas autant que vous le décrivez. La lutte des gardes rouges contre les "haïdamaks" de la Rada centrale et, surtout, contre les troupes allemandes a connu des moments où l'esprit révolutionnaire et la bravoure, ainsi que l'action des gardes rouges et de leurs chefs, se sont révélés très faibles. Certes, dans bien des cas, il y a lieu, selon moi, de l'attribuer au fait que les détachements de gardes rouges avaient été formés à la hâte et employaient contre l'ennemi une tactique qui ne ressemblait ni à celle des groupes de partisans ni à quelles des unités régulières. Vous devez savoir que les gardes rouges, qu'ils fussent nombreux ou pas, menaient l'attaque contre l'ennemi en se déplaçant sur Ïes voies ferrées. À dix ou quinte verstes d'une ligne de chemin de fer, le terrain était inoccupé ; pouvaient y circuler librement les défenseurs de la révolution ou de la contre-révolution. Pour cette raison, les attaques par surprise réussissaient presque à tout coup. Ce n'est qu'aux bords des nœuds ferroviaires, des villes ou des bourgs desservis par le chemin de fer que les formations de gardes rouges organisaient un front et de là se lançaient à l'attaque.
Mais l'arrière et les environs immédiats de la localité menacée par l'ennemi restaient sans défenseurs. L'action offensive de la révolution en subissait le contrecoup. Les unités de gardes rouges avaient à peine fini de diffuser leurs appels dans une région que les forces contre-révolutionnaires passaient à la contre-offensive et bien souvent obligeaient les gardes rouges à battre en retraite, derechef dans leurs trains blindés. Si bien que la population des campagnes ne les voyait même pas. Et dès lors ne pouvait les appuyer.
- Que font les propagandistes révolutionnaires dans les campagnes ? Ils n'arrivent donc pas à tenir prêts les prolétaires ruraux pour compléter en troupes fraîches les unités de gardes rouges passant dans leur voisinage, ou pour former de nouveaux corps francs de gardes rouges et occuper des positions aux fins de combattre la contre-revolution, me demanda Lénine.
- Ne nous emballons pas. Les propagandistes révolutionnaires sont peu nombreux dans les campagnes et ne peuvent faire grand-chose. Or, tous les jours arrivent dans les villages des centaines de propagandistes et d'ennemis secrets de la Révolution. Dans beaucoup de localités, il ne faut pas s'attendre à ce que les propagandistes révolutionnaires fassent surgir de nouvelles forces de la révolution et les organisent pour les opposer à la contre-révolution. Notre époque, dis je à Lénine, réclame des actions décisives de tous les révolutionnaires et ceci dans tous les domaines de la vie et de la lutte des travailleurs.
Ne pas en tenir compte, surtout chez nous, en Ukraine, c'est permettre à la contre-révolution groupée derrière l'hetman de se développer à son gré et d'affermir son pouvoir. Sverdlov portait ses yeux tantôt sur moi, tantôt sur Lénine et souriait de satisfaction. Quant à Lénine, il tenait ses doigts entrelacés et, inclinant la tête, réfléchissait.
Se redressant, il me dit :
- Tout ce que vous venez de me dire est bien regrettable. Et se tournant vers Sverdlov il ajouta : " En refondant les unités de gardes rouges dans l'Armée rouge nous sommes dans le bon chemin, celui qui mène à la victoire définitive du prolétariat sur la bourgeoisie."
- Oui, oui, répondit vivement Sverdlov.
Lénine me dit ensuite :
- Quel travail comptez-vous faire à Moscou ?
Je répondis que je n'étais pas là pour longtemps. Conformément à la décision de la Conférence des groupes de partisans tenue à Taganrog, je devais être de retour en Ukraine dans les premiers jours de juillet.
- Clandestinement ? me demanda Lénine.
- Oui, répondis-je.
S'adressant alors à Sverdlov, Lénine fit cette réflexion :
- Les anarchistes sont toujours pleins d'abnégation, ils sont prêts à tous les sacrifices ; mais fanatiques aveugles, ils ignorent le présent pour ne penser qu'au lointain avenir.
Et en me priant de ne pas prendre cela pour moi, il ajouta :
- Je vous considère, camarade, comme un homme ayant le sens des réalités et des nécessités de notre époque. S'il y avait en Russie ne f?t-ce qu'un tiers d'anarchistes tels que vous, nous, communistes, serions prêts à marcher avec eux à certaines conditions et à travailler en commun dans l'intérêt de l'organisation libre des producteurs. À cet instant, je sentis sourdre en moi un sentiment de profonde estime pour Lénine, alors que récemment encore j'avais la conviction qu'il était responsable de l'anéantissement des organisations anarchistes de Moscou, ce qui avait été le signal de l'écrasement de celles-ci dans beaucoup d'autres villes. Et dans mon for intérieur, j'eus honte de moi-même. Cherchant la réponse que je devais faire à Lénine, je lui dis à brûle-pourpoint :
- La Révolution et ses conquêtes sont chères aux anarchistes communistes ; et c'est la preuve qu'à ce point de vue-là, ils se ressemblent tous.
- Oh, ne venez pas nous dire ça, rétorqua Lénine en riant, nous connaissons les anarchistes aussi bien que vous. Pour la plupart, ils n'ont aucune notion du présent, ou en tout cas, ils s'en soucient très peu ; or le présent est si grave que n'y pas penser ou ne pas prendre position d'une manière positive vis-à-vis de lui est pour un révolutionnaire plus qu'honteux. La majeure partie des anarchistes a leurs pensées tournées vers l'avenir et lui consacrent leurs écrits, sans chercher à comprendre le présent : et cela aussi nous sépare d'eux.
Sur ces mots, Lénine se leva de son faute-il et marchant de droite à gauche, il ajouta :
- Oui, oui, les anarchistes sont forts par les idées qu'ils se font de l'avenir dans le présent, ils n'ont pas les pieds sur terre ; leur attitude est lamentable et cela parce que leur fanatisme dépourvu de contenu fait qu'ils sont sans liens réels avec cet avenir.
Sverdlov eut un sourire malicieux et, se tournant vers moi, il me dit :
- Vous ne pouvez le contester. Les réflexions de Vladimir Ilitch sont justes.
- Les anarchistes ont-ils jamais reconnu leur manque de réalisme dans la vie "présente"? Ils n'y songent même pas, s'empressa d'ajouter Lénine.
Répondant à cela, je dis à Lénine et Sverdlov que j'étais un paysan à demi illettré et que je ne voulais pas discuter l'opinion pour moi trop savante que Lénine venait d'émettre sur les anarchistes.
- Mais je dois vous dire, camarade Lénine, que votre assertion, à savoir que les anarchistes ne comprennent pas "le présent" , qu'ils n'ont pas de liens réels avec lui, etc., est foncièrement erronée. Les anarchistes communistes d'Ukraine (ou du "sud de la Russie", puisque vous, communistes bolcheviks, vous efforcez d'éviter le mot Ukraine), les anarchistes communistes, dis je, ont déjà donné un grand nombre de preuves qu'ils sont de plain-pied dans "le présent". Toute la lutte de la campagne révolutionnaire ukrainienne contre la Rada centrale a été menée sous la direction idéologique des anarchistes communistes et en partie des S.-R. (qui, à vrai dire, assignaient de tous autres objectifs que les nôtres, anarchistes communistes, à leur lutte contre la Rada). Vos bolcheviks n'existent pour ainsi dire pas dans nos campagnes ; ou, s'il s'en trouve, leur influence est infime.
Presque toutes les communes ou associations paysannes en Ukraine ont été formées à l'instigation des anarchistes communistes. Et la lutte à main armée de la population laborieuse avec la contre-révolution en général, et la contre-révolution incarnée par les armées d'invasion austro-hongroises et allemandes, a été entreprise sous la direction idéologique et organique exclusive des anarchistes communistes. Certes, il n'est pas dans votre intérêt de parti de mettre tout cela à notre actif, mais ce sont là des faits que vous ne pouvez contester. Vous connaissez parfaitement, je suppose, les effectifs et la capacité combative des corps francs révolutionnaires d'Ukraine. Ce n'est pas sans raison que vous avez évoqué le courage avec lequel ils ont héroïquement défendu nos conquêtes révolutionnaires communes. Parmi eux, une bonne moitié a combattu sous le drapeau anarchiste. Mokrooussov , M. Nikiforova, Tchéredniak, Garine, Tcherniak, Lounev et beaucoup d'autres commandants de corps francs qu'il serait trop long d'énumérer sont tous des anarchistes communistes. Je ne parle pas de moi, du groupe auquel j'appartiens et de tous les autres groupes de partisans et "bataillons de volontaires" pour la défense de la révolution que nous avons formés et qui n'ont pu êtres ignorés du commandement des gardes rouges. Tout cela montre avec une force suffisante à quel point, camarade Lénine, est erronée votre allégation, à savoir que nous, anarchistes communistes, n'avons pas les pieds sur terre, que notre attitude dans "le présent" est lamentable, bien que nous aimions beaucoup penser à "l'avenir" . Ce que je vous ai dit au cours de notre entretien ne peut être mis en doute, car c'est la vérité. L'exposé que je vous ai fait contredit les conclusions que vous émettez sur nous, et tout le monde, vous y compris, peut y voir la preuve que nous sommes de plain-pied dans "le présent" , que nous y travaillons en cherchant en lui ce qui nous rapproche de l'avenir, auquel, en effet, nous pensons et très sérieusement."
À ce moment, je regardai Sverdlov. Il devint rouge, mais continua à me sourire. Quant à Lénine, il dit, écartant les bras :
- Il se peut que je me trompe.
- Oui, oui, en l'occurrence, camarade Lénine, vous avez été trop sévère pour nous, anarchistes communistes, simplement, je crois, parce que vous êtes mal informé de la réalité ukrainienne et du rôle que nous y jouons.
- Peut-être, je ne le conteste pas. Qui d'ailleurs est à l'abri de l'erreur, surtout dans la situation où nous sommes ? répondit Lénine. Et se rendant compte que j'étais devenu un peu nerveux, il s'efforça paternellement de me tranquilliser en faisant dévier très adroitement l'entretien sur un autre sujet. Mais mon mauvais caractère, si je peux m'exprimer ainsi, ne me permit pas, malgré tout le respect que m'inspira Lénine au cours de notre conversation, de m'y intéresser davantage. Je me serais offensé. Et malgré le sentiment que j'éprouvais d'avoir en face de moi un homme avec qui il y aurait bien d'autres sujets à aborder ou duquel il y aurait beaucoup à apprendre, mon état d'esprit s'altéra. Mes réponses n'étaient plus aussi détendues ; quelque chose en moi s'était rompu et un sentiment pénible m'envahissait.
Lénine n'avait pas pu ne pas se rendre compte de ce changement dans mes sentiments. Il s'efforça de le pallier en parlant d'autre chose. Et s'apercevant que je revenais à de meilleures dispositions et que je me laissais gagner par son éloquence, il me demanda soudain :
- Ainsi vous avez l'intention de regagner clandestinement l'Ukraine ?
- Oui, répondis-je.
- Puis-je vous apporter mon concours ?
- Volontiers, dis-je.
S'adressant alors à Sverdlov Lénine demanda :
- Qui, chez nous, est maintenant à la tête du service chargé de faire passer nos gars dans le Sud ?
- Le camarade Karpenko ou Zatonski, répondit Sverlov, je vais me renseigner.
Pendant que Sverdlov téléphonait pour savoir qui, de Zatonski ou de Karpenko, était à la tête du service chargé de faire passer les militants en Ukraine pour y travailler clandestinement, Lénine essaya de me persuader que je devais conclure de son attitude à mon égard que la position du parti communiste vis-à-vis des anarchistes n'était pas si hostile que je semblais le croire.
- Si nous avons été obligés, me dit Lénine, de prendre des mesures énergiques pour déloger les anarchistes de l'hôtel particulier qu'ils occupaient dans a Malaïa Dmitrovka et où ils cachaient certains bandits, locaux ou de passage, la responsabilité n'en incombe pas à nous, mais aux anarchistes qui s'étaient installés là D'ailleurs, nous ne les tracasserons plus. Vous devez savoir qu'ils ont été autorisés à occuper un autre meuble non loin de la Malaïa Dmitrovka et ils sont libres de travailler comme ils l'entendent.
- Avez-vous des indices, demandai-je au camarade Lénine, établissant que les anarchistes de la Malaïa Dmitrovka auraient donné asile à des bandits ?
- Oui, la Commission extraordinaire (Tchéka) les a recueillis et vérifiés. Sinon, notre parti ne l'aurait pas autorisée à prendre des mesures, répondit Lénine. Entre-Temps Sverdlov était revenu s'asseoir avec nous et il annonçait que le camarade Karpenko était bien à la tête du service chargé des passages, mais que le camarade Zatonski était lui aussi au courant de tout.
Lénine s'écria aussitôt :
- Voilà, camarade, passez demain, après-demain ou quand vous voudrez chez le camarade Karpenko et demandez-lui tout ce dont vous aurez besoin pour regagner clandestinement l'Ukraine. Il vous donnera un itinéraire s?r pour traverser la frontière.
- Quelle frontière ? demandai-je.
- Vous n'êtes pas au courant ? Une frontière a été établie entre la Russie et l'Ukraine. Ce sont les troupes allemandes qui la gardent, dit Lénine énervé.
- Vous considérez pourtant l'Ukraine comme "le Sud de la Russie"? répondis-je.
- Considérer est une chose, camarade, et dans la vie avoir les yeux bien ouverts en est une autre, rétorqua Lénine.
Et avant que j'aie eu le temps de riposter, il ajoutait :
- Vous direz au camarade Karpenko que c'est moi qui vous envoie. S'il a des doutes, il n'aura qu'à me téléphoner. Voici l'adresse où vous pourrez le voir.
Debout maintenant tous les trois, nous nous serrâmes la main et après un échange de remerciements, apparemment chaleureux, je sortis du cabinet de L


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