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Irak : une guerre qu’il reste toujours à justifier

Anonyme, Lunes, Abril 28, 2003 - 12:25

Michel WERY

Avec la guerre, la question des armes de destruction massive a disparu de l’avant-scène médiatique, mais elle reste néanmoins brûlante sur le terrain diplomatique. Parce qu’elle a servi de justification à une guerre illégale. Au-delà du cas de l’Irak, et pour l’avenir, il est important de se poser des questions sur la meilleure manière de résoudre les problèmes posés par la détention de ce type d’armes.

Aujourd’hui, on ne peut que constater que Saddam Hussein n’était pas aussi dangereux que les faucons de Washington le laissaient entendre. Alors qu’ils présentaient un pays menaçant pour toute la région, et même pour la sécurité des Etats-Unis, on a finalement assisté à la victoire facile de la première armée du monde sur une armée du Tiers-Monde, se battant avec de vieilles kalashnikov et des chars rouillés contre des armes ultra-sophistiquées. Même le dos au mur, l’Irak n’a utilisé aucune de ses fameuses armes de destruction massive. Bien que ce fait ne prouve pas avec certitude qu’il n’y en ait aucune, la probabilité que l’Irak possède ces armes, et a fortiori dans des quantités qui menacent la région, en a pris encore un sérieux coup.

Dans ce contexte, les Etats-Unis restent avec un réel problème de crédibilité sur les bras. Tant que la présence abondante d’armes de destruction massive en Irak ne sera pas prouvée, elle tendra à apparaître, aux yeux de nombreux Etats, comme un prétexte malhonnête. En outre, trouver les armes annoncées est d’autant plus crucial pour la Maison-Blanche que la lutte contre les Etats de l’« Axe du mal » disposant d’armes de destruction massive fait bien partie de ses priorités stratégiques. Si les Etats-Unis trouvent de telles armes en Irak, il leur sera plus facile de mener d’autres guerres justifiées de la même façon. Mais dans le cas contraire, Washington risque à l’avenir de se retrouver encore plus isolée.

La chasse aux armes interdites reste donc plus que jamais ouverte en Irak. Jusqu’à présent, les possibles découvertes de soldats britanniques ou américains ont été invalidées. Une parade qui pourrait bien apparaître consisterait à dire, côté américain, que la Syrie a non seulement accueilli des hauts responsables du régime de Saddam Hussein, mais également des armes irakiennes compromettantes. Actuellement, les sous-entendus planent…

La communauté internationale est en tous les cas devenue très prudente au sujet des preuves sur l’existence d’armes de destruction massive en Irak. Cela s’explique notamment par les nombreuses manipulations qui ont déjà eu lieu dans ce dossier. Le cas le plus flagrant avait concerné des documents transmis par la CIA aux inspecteurs de l’UNMOVIC, qui portaient sur une prétendue importation d’uranium par l’Irak, et qui s’étaient avérés être des faux grossiers. Dans ce contexte justifié de méfiance, il est essentiel que les inspecteurs de l’UNMOVIC puissent au plus vite retourner sur le terrain, afin d’évaluer en toute indépendance les éventuels éléments qui seraient découverts. Le directeur de cette agence de l’ONU, Hans Blix, ne demande pas autre chose, et répète que l’ONU ne croirait que ses propres inspecteurs, seuls habilités à cette tâche par la communauté internationale.

Leçons pour l’avenir

Au-delà de cette question des preuves en Irak, il convient en outre de s’interroger, de manière générale, sur la question du recours à la force en tant que moyen de lutter contre les armes de destruction massive. L’option militaire rompt en effet avec le régime des inspections, qui est le moyen ad hoc de la communauté internationale. Ce dernier a d’ailleurs prouvé son efficacité dans une série de cas : notamment en Afrique du Sud, mais aussi, rappelons-le, en Irak.

Le nouveau credo américain de « contre-prolifération », lui, n’exclut pas la menace, voire le recours à l’action militaire. Non seulement cette manière d’agir est illégale[1], mais en outre elle met en péril le système même des inspections. La Corée du Nord ne pouvait pas en fournir de meilleure illustration, lorsqu’elle a fait remarquer le 6 avril dernier, que lorsqu’un Etat laissait entrer les inspecteurs de l’ONU, il se faisait malgré tout attaquer... Même si cette attitude est condamnable, il ne faut pas s’étonner que la Corée du Nord soit tentée de refuser les inspections pour miser au contraire sur la dissuasion militaire, en développant des armes nucléaires. La philosophie américaine de contre-prolifération peut donc conduire au résultat inverse de celui qui est recherché et, paradoxalement, relancer la course aux armes de destruction massive.

Dans cette guerre, l’enjeu n’est pas seulement l’Irak. C’est aussi, une fois de plus mais de manière particulièrement aiguë, l’avenir des règles du jeu international. En appliquant une doctrine militariste, unilatéraliste, et illégale, les Etats-Unis ont créé des précédents inquiétants. Leur action accroît l’insécurité internationale, et fragilise grandement les moyens légaux traditionnels de l’ONU. Il est fondamental que les Etats qui ont le courage de s’opposer à cette logique poursuivent leurs efforts. Car, heureusement, malgré leur puissance, les Etats-Unis ont encore besoin de s’entendre un minimum avec le reste du monde.

Michel WERY, chargé de recherche au GRIP (Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité)
Paru dans La Libre Belgique, le 16 avril 2003

[1] Sauf lorsque le Conseil de sécurité de l’ONU donne son aval à une intervention militaire ciblée, pour faire face à une menace concrète et immédiate.

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