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Le peuple irakien isolé sur tous les fronts

jplarche, Miércoles, Abril 2, 2003 - 15:50

Daphnée DION-VIENS

Si le peuple irakien est isolé au coeur du monde arabe, il est aussi quelque peu délaissé par les mouvements pacifistes, affirme Pierre-Jean Luizard. S'il est important de dire non à la guerre, il est aussi important de dire non au régime de Saddam.

Photo : Kamran Jebreil / Vu

De passage à Montréal, à l'invitation d'Alternatives, Pierre-Jean Luizard, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris, témoigne de la « solitude tragique de la société irakienne » à l'heure des bombardements.

Que ce soit en Jordanie, en Égypte ou ailleurs dans le monde arabe, les populations manifestent leur colère contre l'intervention américaine. Certains en appellent au jihad islamique, d'autres élèvent le dictateur irakien au rang de héros. En Palestine par exemple, les protestants brandissent des portraits de Saddam Hussein. Une véritable trahison pour le peuple irakien, selon Pierre-Jean Luizard, auteur de La question irakienne (Fayard, 2002).

« C'est terrible pour une population qui a subi ce qu'elle a subi de la part d'un régime qui est probablement le plus sanguinaire que le monde arabe ait connu à l'époque moderne, de voir des Palestiniens - qui subissent aussi l'injustice et l'occupation israélienne - brandir des portraits de Saddam. On ne peut pas dire qu'ils soutiennent le peuple irakien, c'est impossible ! »

M. Luizard explique l'isolement de la population irakienne dans le monde arabe par des raisons essentiellement confessionnelles. Les pays arables étant majoritairement sunnites, l'Irak est le seul pays arabe, à l'exception du Bahreïn, composé d'une majorité de chiites (55 % de la population). Mais les élites arabo-sunnites qui monopolise le pouvoir à Bagdad depuis 1958 ont tenu cette majorité à l'écart du pouvoir politique. Ces dirigeants « utilisent les enjeux arabes en dehors de l'Irak […] comme un moyen en politique irakienne intérieure de traiter la majorité de la population en minorité », explique le chercheur du CNRS. Dans le monde musulman, le clivage confessionnel oppose la majorité sunnite (84 %) aux chiites (16 %) depuis la fin du VIIe siècle.

Pour M. Luizard, l'isolement du peuple irakien démontre la persistance du confessionnalisme dans le monde arabe. « Un des thèmes privilégiés des islamistes, qu'ils soient sunnites ou chiites, c'est l'unité du monde musulman et le dépassement du confessionnalisme. Pourtant, loin de le dépasser, les frères musulmans sont les premiers aujourd'hui à remettre en avant des conceptions assez haineuses des chiites, et du coup, ces dernieres sont renvoyés à une identité confessionnelle qui les coupent du reste du monde arabe. »

La seule société qui leur était favorable était l'Iran, où le chiisme est la doctrine officielle, mais le régime politique iranien s'est rapidement sécularisé à la suite de la révolution islamique de 1979. « Du coup les chiites du monde arabe se sentent orphelins d'une puissance protectrice », constate le chercheur français. Et sur le plan politique, les pays voisins, principalement dirigés par des régimes autoritaires sunnites, ne veulent pas nécessairement d'un régime démocratique à leurs portes. Ils ne sont pas favorables à l'idée que la majorité chiite prennent le pouvoir en Irak, advenant le renversement du régime actuel.

Le mouvement pacifiste
Si le peuple irakien est isolé au coeur du monde arabe, il est aussi quelque peu délaissé par les mouvements pacifistes, affirme M. Luizard. S'il est important de dire non à la guerre, il est aussi important de dire non au régime de Saddam. « Je suis contre la guerre. C'est effectivement une guerre d'agression, et personne ne croit, surtout pas en Irak, que c'est une guerre pour rétablir la démocratie. Mais je dis aussi aux mouvements pour la paix : méfiez-vous. On ne peut pas d'un côté manifester contre la guerre et rester silencieux sur un régime qui s'est maintenu grâce au soutien des Américains. »

Il rappelle le cauchemar de la population irakienne, qui a subi plus de 30 années de dictature : « Je n'ai pas d'amis irakiens qui n'ait pas un ou deux membres de sa famille qui ont été tués par le régime irakien, toutes tendances politiques confondues. Je n'ai pas d'amis qui n'ont pas de membres de leur famille qui sont morts de l'embargo imposé. Qu'est-ce qu'il faut dire aux Irakiens ? Vous avez subi ce régime pendant 34 ans, vous êtes bien capables de le subir encore quelques années ? L'opposition irakienne est légitime dans sa demande de renverser le régime, et n'est pas pour autant assimilable à des intérêts américains. »

M. Luizard propose donc de jumeler la condamnation de la guerre avec des pressions sur les gouvernements afin qu'il convoquent, sous l'égide des Nations unies, une conférence internationale sur l'Irak, qui regrouperait toutes les tendances politiques irakiennes (les mouvements religieux chiites, les mouvements nationalistes arabes, les mouvements kurdes et le parti communiste irakien,). Les pays voisins seraient aussi appelé à participer à ces discussions afin de négocier un nouveau contrat pour la société irakienne. « Mais je ne me fais pas d'illusion, on est dans une logique de force, affirme ce spécialiste de l'Irak. Je suis très pessimiste. J'ai peur que le contexte de mondialisation fassent taire les enjeux locaux, ce qui peut déboucher sur une situation où personne n'a le contrôle. »

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L'auteure est assistante à la rédaction du journal Alternatives

Photo : Kamran Jebreil / Vu

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