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LA SUBVERSION CONTRE LA GUERREsonia, Miércoles, Febrero 26, 2003 - 14:53
Serge Quadruppani
Comme on pouvait le prévoir, le 11 septembre 2001 a marqué le début d'une ère nouvelle où la stratégie de la tension est devenue mode de gouvernement à l'échelle planétaire. Le monstre de Frankenstein du terrorisme islamiste joue pour le monde entier en ce début du troisième millénaire le rôle que des groupes fascistes avaient assumé en Italie dans les années 70 du XXe siècle : celui d'une créature échappée à son créateur pour servir à ce dernier d'ennemi-repoussoir et lui permettre de mieux imposer sa loi au plus profond des esprits apeurés. La stratégie de la tension approfondit la domestication des classes moyennes prises entre peurs massives, manipulées et distillées par les écrans, et craintes diffuses produites par les incertitudes économiques et la dégradation d'un environnement urbain, naturel et humain. Comme on pouvait le prévoir, le 11 septembre 2001 a marqué le début d'une ère nouvelle où la stratégie de la tension est devenue mode de gouvernement à l'échelle planétaire. Le monstre de Frankenstein du terrorisme islamiste joue pour le monde entier en ce début du troisième millénaire le rôle que des groupes fascistes avaient assumé en Italie dans les années 70 du XXe siècle : celui d'une créature échappée à son créateur pour servir à ce dernier d'ennemi-repoussoir et lui permettre de mieux imposer sa loi au plus profond des esprits apeurés. La stratégie de la tension approfondit la domestication des classes moyennes prises entre peurs massives, manipulées et distillées par les écrans, et craintes diffuses produites par les incertitudes économiques et la dégradation d'un environnement urbain, naturel et humain. Dans sa forme policière-militaire, cette technique de domination été mise en oeuvre par l'hyperpuissance étasunienne et reprise par les autres puissances dans leurs propres quêtes d'un moyen de maîtriser les rébellions des peuples, les turbulences des classes dangereuses et celles des minorités. Dans une situation de déséquilibre des forces qui exclue la perspective d'un conflit mondial entre deux blocs, et alors que l'économie-monde se caractérise par une imbrication d'intérêts non territorialisés, la guerre impérialiste disparaît (provisoirement ?) au profit d'un usage de la force armée où la frontière entre guerre et opération de police tend à s'estomper. Couvre-feu pour les jeunes, opérations-commandos surarmées, occupation permanente : la gestion sécuritaire des banlieues françaises ne peut qu'encourager l'identification des lascars aux gosses de l'intifada, tandis que les plans vigies-pirates nous ont dès longtemps habitués à voir des soldats PM au côté dans les gares, le métro et les aéroports. Le 11 septembre et, dans le canton français, la sarkozite n'ont fait qu'accentuer une tendance à l'oeuvre depuis que la récession est devenue l'horizon indépassable de l'économie planétaire : l'instauration d'un état d'exception permanent. Les pourquoi de la guerre La diffusion de la stratégie de la tension comme mode de gouvernement est aussi un moyen pour des Etats plus ou moins importants de renégocier avec la puissance dominante des rapports alternant soumission et concurrence : tu me passes mes crimes de guerre en Tchétchénie (Russie) ou les massacres de ma Sécurité Militaire (Algérie), et je t'aiderai dans ta guerre contre une nébuleuse que tu as largement contribué à créer. D'autant, pour continuer sur ces exemples (mais on pourrait aussi parler du Hamas en Israël ou des frères musulmans en Egypte), que les pouvoirs en place ont largement encouragé le développement des intégrismes locaux, histoire d'avoir une opposition « à leur main ». Les penseurs de la clique au pouvoir aux Etats-Unis ont beau désigner l'Arabie Saoudite comme le vivier du terrorisme qui les frappe, on peut parier que la république ploutocratique américaine n'attaquera jamais le royaume esclavagiste. De même, les responsables gouvernementaux français ont beau admettre, off,que les attentats du GIA en France étaient manipulées par la Sécurité militaire algérienne, non seulement, ils ne s'en prendront jamais directement à la junte mafieuse qui saigne le peuple algérien depuis quarante ans, mais ils s'apprêtent à lui apporter un soutien accru. Cette étrange faiblesse des Goliath américains et français face aux David saoudien ou algérien est caractéristique d'une époque où le comportement des puissances occidentales est soumis, entre autres, à trois facteurs qui concourent à rendre les politiques étrangères toujours plus étrangères aux principes d'équité dont elles se réclament. Le premier est l'intrication des intérêts entre couches dirigeantes des pays dominants et dominés, dont les liens financiers entre les familles Bush et Saoud, ou entre les caisses noires des dirigeants français et africains ou bien les liens de coopération-chantage mutuel entre services français et algériens, ne sont que l'aspect le plus pittoresque. Le deuxième facteur est la décadence de la démocratie représentative parvenue au point où remarquer que le parlement n'a pas voté la guerre devient un rituel creux avant de partir en guerre, et où des gouvernements élus dans des conditions aussi ahurissantes que ceux de Bush ou de Chirac parviennent à se fabriquer une légitimité à coup de manipulation médiatique des consciences et de sondages d'opinion. Dans ce cadre, les conflits armés deviennent largement une affaire privée. Ainsi, le principal objectif du lancement de la deuxième guerre de Tchétchénie était-il de faire élire Poutine et la principale raison de sa continuation est-elle de permettre aux généraux russes de faire des affaires. Le troisième facteur qui régit les rapports paradoxaux entre grandes et moyennes puissances, est la tendance d'une civilisation mortifère à refouler la mort des centres vers la périphérie : la guerre, oui, mais avec zéro mort pour le dominant et des morts en quantité indéterminée et à peu près effacés des écrans pour les dominés. C'est pourquoi on fait de la diplomatie avec la Corée du Nord qui, elle, possède bel et bien des armes de destruction massive (tout comme le Pakistan et Israël), très clairement absentes d'Irak. Si le gouvernement français est dans les meilleurs termes avec la junte algérienne qui a tué pas mal de citoyens hexagonaux, c'est aussi parce qu'elle pourrait en tuer encore et que, pour des raisons historiques mais aussi très contemporaines, il est impossible d'engager un conflit ouvert avec l'Algérie officielle. Malgré l'hystérique propagande patriotique des médias étatsuniens, mourir pour la patrie n'est plus à la mode en Occident. Avoir détruit le régime taliban sous les tapis de bombe et les valises de dollars (avec en plus pour les soldats une technologie de robocops en permanence reliés par le cordon ombilical électronique à Big Mother du Pentagone) n'est pas vraiment un exploit. L'immensité des moyens déployés contre l'Irak ne correspond à aucune nécessité militaire mais à un double besoin, de propagande et de préservation spectaculaire des vies « américaines ». Le paradis américain avec survie biologique garantie pour les bons et l'enfer des bombes à fragmentation ou des bombes à neutron pour les méchants : cette image de la guerre qui vient n'est que l'accentuation de la réalité de la guerre déjà là. A la future deuxième guerre du Golfe, on peut assigner divers objectifs économiques ou géostratégiques : mettre la main sur le pétrole irakien pour devenir moins dépendants du pétrole saoudien ou contrôler des réserves dont l'Europe aurait pu faire son profit, menacer l'Iran� Mais tout cela est bien discutable. On retiendra surtout que cette guerre constitue le joujou que les industries militaires étasuniennes, les pétroliers texans et le lobby sharonien (soit l'alliance la plus puissante de la planète) offrent à Bush pour se faire réélire. Le tout soutenu aux Etats-Unis par une propagande médiatique sans précédent qui tient moins à des partis pris idéologiques (certes bien présents) qu'à la logique interne des médias : le spectacle de la guerre se vend et fait vendre plus qu'aucun autre. Ces logiques privées viennent conforter une logique générale. Tandis que le déficit commercial des Etats-Unis a explosé à partir de 1997, les dépenses militaires ont brusquement augmenté peu après. Quand quelqu'un qui doit beaucoup d'argent à ses voisins, au lieu de songer à rééquilibrer les comptes, choisit de s'armer encore plus, on peut penser qu'il est engagé dans une politique inéluctablement agressive. Si les Etats-Unis continuent à payer leurs importations, c'est grâce aux ventes d'armes, au contrôle de certaines zones pétrolières et surtout grâce aux investissements financiers, qui continuent d'affluer parce que ce pays peut-être considéré, financièrement, comme le plus sûr de la planète : comme le démontre Emmanuel Todd dans Après l'Empire, « l'histoire vraie de la finance actuelle évoque une prédominance de l'impératif de sécurité dans le choix des Etats-Unis comme lieu de placement ». Or qu'est-ce qui garantit la prédominance de la sécurité, sinon la prédominance des armes ? Et comment garantir cette dernière sans montrer les armes à l'oeuvre, de temps à autre ? Des Etats-Unis, démocratie capitaliste par excellence, on peut dire qu'aujourd'hui, plus que jamais, ils portent en eux la guerre comme la nuée l'orage. Quand on voit que le dollar, « monnaie magique dont la valeur n'a pas baissé durant la phase d'aggravation du déficit commercial » est aujourd'hui battu en brèche par l'euro, quand on voit cet attentat symbolique commis contre la prépondérance étasunienne, on conçoit la principale raison d'une opération militaire d'envergure : l'heure est venue pour l' « Amérique » de montrer qui commande. Les comment de la guerre Apartheid planétaire séparant les bons à la survie garantie, des méchants à la mort anonyme programmée ; besoins guerriers des intérêts privés et des lobbies qui tiennent le pouvoir politique ; besoins guerriers de l' « Amérique » toute entière : cet ensemble de traits concourt à donner aux opérations de police planétaire d'un pays qui se pose en incarnation du Bien des formes d'une cruauté inouïe. Exécutions extrajudiciaires, tortures (menées souvent par des polices de pays subordonnés, ce recours à des supplétifs redoublant l'hypocrisie raciste de l'entreprise), détentions de milliers d'étrangers pour des durées indéterminées dans des centres secrets ou alors dans un camps de cages surexposées au regard comme une menace pour la planète entière, cet étalage d'exactions dans le mépris arrogant du droit international n'est pas le plus extraordinaire : ce qui impressionne le plus c'est qu'au nom de la lutte antiterroriste, ça soit passé, à peu près, comme une lettre à la poste. Face à une Chine qui a pour elle le temps long de l'histoire, l'économie la plus dynamique et la population la plus nombreuse de la planète, avec des alliés, tels l'Arabie Saoudite, le Pakistan ou la Russie comme on n'en souhaiterait pas à ses pires ennemis, avec une opinion où percent de solides mais encore très minoritaires résistances, avec une économie dont la santé repose sur l'espoir de relance d'une démonstration de force rapide, les Etats-Unis apparaissent comme un colosse fragile. Mais c'est justement la conscience de cette fragilité qui risque de décupler la folie et la violence de la guerre étasunienne. Sans doute, au premier coup de canon, une bonne part de l'opinion occidentale, cette matière plastique, se ralliera-t-elle au drapeau étoilé. Le gouvernement Bush sait néanmoins qu'il devra faire vite et cette fois, ce ne sera peut-être pas aussi simple qu'en Afghanistan. L'explosion d'anti-américanisme qui a suivi, dans tant de pays, l'effondrement des tours du 11 septembre pourrait n'être rien à côté de ce qui l'attend si la guerre dure. C'est précisément cette nécessité d'aller vite qui fait craindre le pire. Ne pas s'obnubiler sur le pire : telle devrait pourtant être le premier mouvement de la contre-offensive. Comprendre la guerre d'Irak comme un moment paroxystique de l'état d'exception permanent instauré sur toute la planète - y compris dans mon quartier et dans sa plus proche banlieue : telle sera la tâche d'une opposition réelle à la guerre capable de rompre avec toute logique de guerre, y compris dans la lutte anticapitaliste radicale. C'est ce qu'on lira dans la deuxième partie de ce texte. On y lira notamment développés les points suivants : 1) Pourquoi la subversion de l'ordre capitaliste n'est pas une guerre (retour sur Gênes) et, très accessoirement, pourquoi la subversion n'est pas la guéguerre entre microsectes post-maoïstes et individus qui pensent librement Copyright © 2003 Serge Quadruppani |
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