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Reporters Sans Frontières Venezuela :<i> the show must go on</i>sonia, Jueves, Diciembre 12, 2002 - 01:37
Thierry Deronne
Lettre ouverte à Monsieur Ménard Lettre ouverte à Monsieur Ménard sur l’action de Reporters Sans Frontières Venezuela Une aube de septembre 2002, dans la province du Venezuela. D'une voiture blanche qui longe un parking, des inconnus jettent quatre cocktails molotovs. De l'autre côté, quelqu'un les éteint. Pas de victimes. Pas de dégâts. Voitures indemnes. Ce parking appartient à une filiale régionale de Globovisión. L'"attentat" en question se produit à quelques heures de la visite officielle du président Chavez dans la région et au moment précis où une tripartite OEA, Fondation Carter et PNUD le rencontre et enquête sur la liberté d’expression au Venezuela. La une du Nacional exhibe aussitôt une lettre-éclair de Robert Ménard, président de Reporters Sans Frontières, qui met en demeure le gouvernement vénézuélien de mettre fin à la violence contre la presse. Le directeur du Nacional, Miguel Enrique Otero (1) accuse, avant toute enquête : "le gouvernement a créé des escadrons para-gouvernementaux qui agissent contre les médias et les journalistes", "le discours de Chavez est responsable de ces attaques" (El Nacional, 14/09/2002). Globovisión dénonce pour sa part, à grand renfort d’images, "l’attentat bolchevique à la grenade" (sic) (2). Une semaine plus tard - alors que l'OEA a plié bagages, le Nacional reprend sa campagne d'intimidation contre les médias communautaires (3). Le journal cite une affiche aperçue dans le studio d'une radio communautaire comme preuve de son caractère chaviste, lui reproche d’affirmer . qu’il y a eu un coup d’Etat en avril 2002, dénonce "l’illégalité de cette radio et de 100 médias communautaires". Cette radio visée par le Nacional a déjà fait l'objet d'une perquisition, il y a plusieurs semaines, par une police aux mains de l'opposition anti-chaviste. Ses membres sont libérés quand les médias communautaires descendent dans la rue. En fait tout l’article du Nacional consiste à dénoncer, une fois encore et par n’importe quel argument, l’existence de radios communautaires au Venezuela, c’est-à-dire du pluralisme de l’information. Pour cela il donne la parole à Miguel Angel Martinez, président de la Chambre privée de Radiodiffusion, qui signa en direct sur Globovisión le décret du coup d'Etat du 11 avril et qui, après l’échec de celui-ci a recommandé à ses affiliés de brouiller les fréquences des médias communautaires lors du prochain putsch. Celui-ci dénonce une fois de plus l’"illégalité" des radios communautaires. Sur toute cette campagne, pas un mot de Reporters Sans Frontières. De juillet à août 2002, Paul-Emile Dupret, conseiller pour la Coopération au Développement au Parlement Européen, qui filme une manifestation en compagnie de la télévision communautaire Catia TVe, puis Nicolas Burlaud, membre de la télévision pirate Primitivi de Marseille et Alessandro Bombassei, d'une radio indépendante italienne, sont criblés à Caracas par les balles de la Policia Metropolitana, commandée par un des principaux opposants à Chavez, Alfredo Peña, maire de Caracas. Au député Barreto qui interroge une journaliste de Globovisión sur le silence de son média sur le cas Bombassei, celle-ci répond: "Mais que faisait ce journaliste italien ici ?". Peu après Globovisión présente ce journaliste (qui a filmé le policier tirant sur lui à balles réelles avec l'intention de tuer (4)) comme un! "conseiller politique de Catia TVe et des médias communautaires". Angel Palacios, producteur indépendant, auteur d’un documentaire sur l’assaut de l’ambassade de Cuba par les putschistes diffusé par le canal d’Etat, est aussitôt dénoncé par une radio commerciale qui livre son adresse sur les ondes. Sa femme et sa fille doivent se cacher, comme il en témoignera en septembre devant la délégation de l'OEA. Une fois de plus ces faits ne suscitent aucune protestation de RSF auprès des grands médias et de leurs propriétaires (5). Pourquoi donc RSF ferme-t-il les yeux sur les exactions d’une élite économico-médiatique organisatrice d'un coup d'Etat, et de ses relais policiers, contre les journalistes des médias communautaires? D'abord parce qu'il semble considérer que seuls les Etats peuvent être répressifs, comme si nous étions encore au 19ème siècle. On sent là l'influence d'une idéologie de libre marché. Mais si RSF relaye aussi vite la campagne des grands groupes de communication, c'est surtout parce qu'elle lui permet de continuer à dénoncer celui qu’il assimile à un "futur dictateur castriste" (6) et faire oublier ainsi son fourvoiement au moment du coup d'Etat contre celui-ci. Le silence de RSF sur le rôle crucial de ces grands médias dans la répression des journalistes communautaires lors du coup d’Etat d'avril 2002 vient en effet de faire l'objet d’une puissante analyse de Maurice Lemoine (7). Lemoine, grand spécialiste d’une Amérique Latine qu’il parcourt depuis plus de trente ans, et dont la rigueur est difficilement contestable, n'est pas seul à analyser le silence de RSF sur cette répression des médias indépendants par l’élite économique putschiste. Alberto Giordano, journaliste de Narconews’com, a enquêté sur le cas de Nicolas Rivera, journaliste d'une radio communautaire, qui croupit toujours en prison, et a posé une longue série de questions à RSF, restées à ce jour sans réponse. Par contre, RSF se dit préoccupé des "menaces d'inspection fiscale" des grands médias vénézuéliens par Chavez. Sans doute RSF fait-il allusion aux millions de dollars sortis frauduleusement du pays, grâce à la production industrielle de telenovelas dont les bandes sont vendues’’. "au poids" à un intermédiaire du Panama, puis revendues comme "‘uvres intellectuelles" à Miami. Pour la première fois, il est vrai, un gouvernement non identifié à ces grands groupes économiques ose réclamer des comptes au nom des immenses passifs sociaux. Cela dit, aucun des grands médias vénézuéliens n'a été sanctionné ni pour fraude fiscale, ni pour participation directe dans le coup d'Etat. "Nous ne occupons que de la liberté d'expression, nous ne occupons pas des contenus des médias" dit RSF. Même quand les contenus de ces "médias" appellent à réprimer des médias indépendants ou des organisations populaires ? Est-il si déplacé de demander à RSF de s'informer avec un peu de sérieux sur la complicité active de ces "médias" avec des forces de sécurité de l’opposition, officielles ou paramilitaires et leur implication directe dans de nombreuses violations des droits de l'homme, et pas seulement contre des médias communautaires ? Notre télévision communautaire Teletambores a récemment couvert plusieurs luttes pour la terre dans l’Etat de Yaracuy. Les paysans y dénoncent le harcèlement, la torture, les nombreux assassinats et les "disparitions" perpétrées par des polices locales aux mains d'une opposition opposée à la réforme agraire décrétée par le nouveau gouvernement. Certains de ces reportages ont pu être diffusés sur la seule chaîne d’Etat et le seront sous peu à Paris sur les ondes de Zalea TV, qui défend en France la liberté d'expression audiovisuelle. Or, aucun des grands médias vénézuéliens ne s'est fait l'écho des assassinats massifs de paysans’’. tout simplement parce que leurs propriétaires appartiennent aux mêmes groupes économiques que ceux des latifundistes. Pire : ces "médias" traitent les paysans sans terre qui sèment les premières terres de la réforme agraire comme des "terroristes", des "envahisseurs entraînés par les Cubains", devenant ainsi les complices des assassinats. On ne peut qu’être frappé par la comparaison entre l’arsenal publicitaire mis en place pour dénoncer des "attentats" pratiquement insignifiants, et l'occultation par ces mêmes "médias" de violations massives des droits de l’homme. Puisque nous parlons du beau métier de journaliste, Monsieur Ménard, sachez enfin que notre travail ici, depuis les médias communautaires, consiste à refonder l’information dans un contexte où ces télévisions commerciales, en bons élèves de la TV mainstream nord-américaine, piétinent jusqu'à son concept. Au mépris de toutes les conventions internationales, ces pseudo-journalistes interrompent leurs brévissimes infos par des spots de publicité et vendent eux-mêmes toutes sortes de produits, shampoings, crèmes miracles, vêtements à la mode, sans transition, au cours de "JT" dont le contenu est de pure propagande politique, obsédante. Des "médias" qui ont toujours fait preuve de racisme (vous n’y verrez aucun présentateur noir, par exemple) au sein d'une population souvent d’origine africaine, et n’ont jamais cessé de dénigrer les quartiers populaires où vivent 80 pour cent des vénézuéliens, pour les présenter comme les derniers cercles de l’enfer et du vice, exigeant plus de répression à leur égard. C'est une vieille ruse de l’Histoire que de voir des entreprises privées de communication se faire passer pour des médias "d'information". Cela leur permet d'en appeler à la liberté d’expression lorsque leurs intérêts économiques sont menacés. D’où leur fébrile recherche de caution internationales "supra-objectives". L'"objectivité" que RSF confère à leur campagne lui donne plus d'efficacité pour circuler dans le monde entier, et notamment parmi d'autres organisations des droits de l'homme, qui n’ont pas les moyens de vérifier et croient RSF sur parole. RSF n’existait pas encore quand Armand Mattelard analysant l'alliance des grands médias et de la SIP dans le renversement d'Allende, écrivait : "L'enquête judiciaire sur l'administration du journal El Mercurio, accusé d'irrégularités fiscales, a servi de prétexte pour dénoncer de soi-disant mesures coercitives contre la "presse libre". (‘‘) Le message émis par la presse de la bourgeoisie chilienne revient à sa source, renforcé par l’autorité que lui confère le fait d’avoir été reproduit à l’étranger. (‘‘) Nous sommes en présence d’une SIP tautologique. Sa campagne n'est qu'un immense serpent qui se mord la queue." ------------------------------------------------------------ (1) Dans un éditorial écrit au moment du coup d'Etat, celui-ci salue le coup d'Etat meurtrier du 11 avril contre Chavez comme une victoire de la démocratie. (2) Globovisión, un des principaux auteurs du coup d'Etat médiatique d'avril 2002, ne recule devant rien pour fabriquer des preuves. "L'embuscade chaviste" fruit d'une manipulation de montage, et démontée photos à l'appui par le témoin oculaire Maurice Lemoine, a permis de faire passer pour des " assassins chavistes " des personnes qui défendaient leur vie contre des francs-tireurs et de fournir ainsi aux militaires putschistes le prétexte rêvé pour renverser le président Chavez. C’est aussi sur la base de ces images que depuis la Maison Blanche, Ari Fleischer confirme aussitôt que "Chavez a fait tirer sur la foule". (3) Article lisible sur http://www.el-nacional.com/l&f/ediciones/2002/09/22/ph1s1.htm (4) Ce document peut être visionné sur http://www.antiescualidos.com/indexnew.html (5) alors que José Miguel Vivanco, qui a effectué une mission sur place pour Human Rights Watch, n’hésite pas à faire leur procès. (6) RSF déclare notamment : "Hugo Chávez, président du Venezuela et grand admirateur de Fidel Castro, inquiète avec ses déclarations incendiaires contre les médias, et les observateurs craignent que l'ancien soldat et l'auteur d'un coup d'Etat manqué en 1992 se transforme en dictateur. Les menaces verbales de l'an passé ont augmenté en 2001 pour inclure d'autres sortes d'intimidation, comme la menace de retirer leur licence à des stations de télévision, la menace d'inspections fiscales et un renforcement du pouvoir de la Cour suprême qui diminuera la liberté de la presse." (7) Article lisible sur http://www.monde-diplomatique.fr/2002/08/LEMOINE/16761 Par Thierry Deronne Licencié de l'Institut de Hautes Etudes en Communications Sociales, Bruxelles, 1985. © COPYLEFT 2002 |
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